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02/12/1999 | LUXEMBOURG | N°11152

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 décembre 1999, 11152


N°11152 du rôle Inscrit le 25 février 1999 Audience publique du 2 décembre 1999

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Recours formé par 1) la société de droit luxembourgeois HORNBACH BAUMARKT LUXEMBURG S. à R.L., Luxembourg et 2) la société de droit allemand HORNBACH BAUMARKT AG, Bornheim/Pfalz contre le ministre de la Culture en matière d’enseignes publicitaires

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11152 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 févri

er 1999 par Maître Pit RECKINGER, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avoca...

N°11152 du rôle Inscrit le 25 février 1999 Audience publique du 2 décembre 1999

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Recours formé par 1) la société de droit luxembourgeois HORNBACH BAUMARKT LUXEMBURG S. à R.L., Luxembourg et 2) la société de droit allemand HORNBACH BAUMARKT AG, Bornheim/Pfalz contre le ministre de la Culture en matière d’enseignes publicitaires

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11152 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 février 1999 par Maître Pit RECKINGER, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1) la société de droit luxembourgeois HORNBACH BAUMARKT LUXEMBURG S. à R.L., établie et ayant son siège social à L-

…, représentée par ses gérants actuellement en fonctions et 2) la société de droit allemand HORNBACH BAUMARKT AG, établie et ayant son siège social à D-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Culture du 17 décembre 1998 refusant l’autorisation d’installer dans la zone d’activité industrielle et commerciale «… » à … plusieurs enseignes publicitaires sur les façades d’un nouveau magasin HORNBACH y implanté, une tour publicitaire d’une hauteur de 35 mètres, trois panneaux indicateurs et 75 mâts de drapeaux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 5 mai 1999 au greffe du tribunal administratif;

Vu le mémoire en réplique déposé le 17 septembre 1999 au nom des demanderesses;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pit RECKINGER et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Par lettre datée du 18 mai 1998 à l’adresse du bourgmestre de la commune de …, la société de droit allemand HORNBACH BAUMARKT AG, établie et ayant son siège social à D-…, sollicita, par le biais du bureau d’architecture … de Luxembourg, une autorisation pour la mise en place de différentes « enseignes lumineuses à ériger sur le bâtiment inscrit sur la parcelle cadastrale n°10/107771 lot 83 Section A de …, zone d’activité « … » ». En annexe à ladite demande furent jointes différentes pièces, notamment des plans qui renseignent qu’outre l’apposition sur le bâtiment en question d’enseignes lumineuses, la demande visait 1 l’implantation d’une tour publicitaire, de mâts de drapeaux et de panneaux indicateurs d’entrée et de sortie.

Le 20 mai 1998, le collège échevinal de la commune de … transmit, par l’intermédiaire du commissaire de district de Luxembourg, la prédite demande au ministre de la Culture « avec avis favorable concernant l’octroi de l’autorisation sollicitée pour installer des enseignes lumineuses sur le terrain HORNBACH (…) ».

Le 16 juin 1998, le collège échevinal de la commune de … adressa la lettre suivante au ministre de la Culture:

« Conc.: demande de dérogation HORNBACH - publicité du centre commercial dans la zone d’activités intercommunale… Madame le Ministre, Sous référence à notre avis favorable du 20 mai dernier concernant le dossier des enseignes publicitaires du centre commercial HORNBACH, nous avons l’honneur de vous transmettre en annexe de la présente une note explicative motivant la demande de dérogation sur base de l’article 9 du règlement grand-ducal du 4 juin 1984.

Nous tenons à souligner surtout les arguments propres à l’identité du groupe HORNBACH et à l’implantation sur un site commercial, tertiaire et artisanal, qui ne cause en aucune manière un inconvénient aux habitants de la commune. Vu que l’exploitant du centre HORNBACH se propose d’ouvrir ses portes fin août/début septembre, nous nous permettons d’insister auprès de vous en vue d’accorder au présent dossier un traitement prioritaire par vos services, une réunion de la commission des sites et monuments nationaux étant prévue, selon nos informations, pour le 19 juin en cours. (…) ».

Lors de sa réunion en date du 19 juin 1998, la commission des sites et monuments nationaux instituée par l’article 40 de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, ci-après dénommée « la commission », examina le dossier et, estimant qu’il ne contenait pas toutes les pièces et informations nécessaires, délégua sur place son secrétaire pour le faire compléter.

Par lettre du 23 juillet 1998, le bureau d’architecture … de Luxembourg, agissant en nom et pour compte de la société HORNBACH BAUMARKT AG, informa le collège échevinal de la commune de … que « après diverses réunions avec le responsable du Ministère de la Culture, nous avons modifié les enseignes à ériger sur le bâtiment de la Société HORNBACH » et sollicita un nouvel avis favorable.

Le 27 juillet 1998, le collège échevinal de la commune de … transmit la demande modifiée au ministre de la Culture « avec avis favorable concernant l’octroi de l’autorisation sollicitée (…) ».

Le 14 décembre 1998, la commission émit un avis négatif relativement à l’autorisation sollicitée au motif que « l’ensemble de la publicité sur le site commercial de Hornbach est exagéré, voir note du 14 décembre 1998 (…) ».

2 Ledit document intitulé « Note à Madame Erna HENNICOT-SCHOEPGES - Ministre de la Culture - Avis requis par l’article 9 du règlement grand-ducal du 4 juin 1984 relatif à la publicité visée aux articles 37 et suivants de la loi du 18 juillet 1983 (…) » portant date du 14 décembre 1998 précise encore que:

« (…) Lorsque la Commission des Sites et Monuments Nationaux s'est réunie le 16 septembre 1998, toutes les enseignes étaient implantées sur le site depuis le 2 septembre 1998, sans préjudice de date exacte. Or, la Ministre de la Culture n'a accordé aucune dérogation, la Commission n'ayant pas eu le temps d'émettre un avis. Elle a été purement et simplement placée devant un fait accompli.

Après une entrevue dans les locaux du Service des Sites et Monuments Nationaux le 29 octobre 1998 avec M. … des magasins Hornbach et les architectes commis, la Commission des Sites et Monuments Nationaux a procédé à une visite des lieux contradictoire le 5 novembre 1998. Les membres suivants y ont participé: ….

L'objet de la demande de Hornbach se rapporte à la pose de plusieurs enseignes de firme excédant la surface indiquée dans l'article 2 du règlement grand-ducal du 4 juin 1984 relatif à la publicité visée aux articles 37 et suivants de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux. La dérogation sollicitée porte sur la dimension des publicités, leur installation sur le toit du magasin en continuation de la façade principale, de la façade arrière et de la façade latérale gauche et l'emplacement d'une tour publicitaire géante d'une hauteur de 35 mètres, séparée du bâtiment, sur le site Hornbach.

La demande de Hornbach est motivée par les considérations tirées de l'identité commerciale du Groupe Hornbach qui souhaite procéder à Luxembourg de la même façon qu'il le fait en Allemagne, en Autriche ou aux Pays-Bas pour que le client reconnaisse au premier coup d'œil la marque de Hornbach en s'identifiant aux produits.

Hornbach avance en second lieu la situation du terrain qui se trouve de deux mètres en dessous du niveau de la rue desservante, ce qui nécessiterait un dépassement de la surface publicitaire réglementaire.

Hornbach se réfère en troisième lieu à la situation du magasin dans une zone artisanale et commerciale loin de tout secteur résidentiel, délimitée d'un côté par l'autoroute et de l'autre côté par le chemin de fer.

Après avoir examiné le dossier et procédé à la visite contradictoire des lieux, la Commission des Sites et Monuments Nationaux émet à l'unanimité l'avis suivant:

1.

Le règlement grand-ducal susmentionné stipule clairement qu'une publicité ne peut reposer que sur les façades principales d'un immeuble. On entend par façade principale une façade donnant sur une rue et percée de fenêtres, D'après les constatations faites sur place, les publicités dépassent la façade et se trouvent au-dessus du niveau de la toiture plate. Le fait qu'un arrière-fond ait été monté derrière les lettres ne permet pas de considérer les enseignes comme partie intégrante de la façade. En plus, au moins un côté du bâtiment ne peut être considéré comme façade principale, étant donné qu'il ne donne sur aucune rue.

Les mesures résultant des plans présentés par Hornbach se résument comme suit:

3 La façade principale a une surface totale de 1.393,51 m2. La publicité y installée a une surface de 120,75 m2.

La façade arrière a une surface totale de 1.393, 51 m2 avec une surface en publicité de 120,75 m2.

La façade latérale gauche a une surface totale de 559,44 m2 pour une surface publicitaire de 47,50 m2.

Ces chiffres illustrent le caractère gigantesque de ces publicités par rapport aux surfaces des façades.

En ce qui concerne la tour publicitaire, la Commission rappelle qu'elle a une hauteur de 35 m. La publicité « Hornbach » en haut de la tour a une surface totale de 62,72 m2 et le logo qui se trouve en dessous a une surface totale de 42,25 m2.

La loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux et son règlement d'exécution du 4 juin 1984 poursuivent le but d'éviter une prolifération anarchique des publicités géantes et lumineuses, caractérisées par leur agressivité, par leur abandon des volumes harmonieux en accord avec le paysage, par l’utilisation abusive de matériaux flamboyants et voyants et par l'absence de tout souci d'unité et d'harmonie.

La préservation de la continuité historique dans l'environnement est essentielle pour le maintien ou la création d'un cadre de vie qui permet à l'homme de trouver son identité et d'éprouver un sentiment de sécurité face aux mutations brutales de la société.

L'urbanisme nouveau cherche à retrouver les espaces clos, l'échelle humaine et la diversité socioculturelle qui caractérisent des tissus urbains anciens.

Le bouleversement radical et accéléré du cadre traditionnel de la vie a rendu les hommes plus sensibles que jamais à sa valeur irremplaçable. Voulant stimuler l'intérêt croissant pour le patrimoine architectural, la loi vise à interdire toute publicité qui serait en contradiction avec les principes de la protection des sites et monuments dans l'intérêt de la beauté ou de la conservation des édifices, monuments, sites et paysages. A cet effet, la loi a habilité le Grand-Duc à définir les critères concernant la limitation ou même l'interdiction de la publicité.

Voilà pourquoi, la Commission est unanimement d'avis qu'il n'y a pas lieu d'autoriser par dérogation les publicités fixées sur le toit en prolongement de la façade principale, de la façade arrière et de la façade latérale gauche de l'immeuble. Elle propose de les intégrer aux façades mentionnées existantes donnant sur la rue.

2.

Pour ce qui est de la tour haute de 35 m, la Commission émet unanimement un avis négatif et recommande à Madame la Ministre de ne pas accorder la dérogation. L'objet en question est complètement séparé de l'immeuble où s'exercent les activités des magasins Hornbach. Il présente un caractère agressif et dépasse tellement les dimensions normales prévues par le règlement grand-ducal que son implantation est inadmissible, même dans une zone d'activité commerciale. Il est hors de proportion par rapport aux enseignes implantées 4 au Grand-Duché de Luxembourg et autorisées par le Ministère de la Culture. La Commission des Sites et Monuments est d'avis que la situation du terrain Hornbach, qui se trouve à 2 mètres en dessous de la voie desservante, parfaitement connue des responsables avant l'implantation du centre commercial, n'est pas un argument pour autoriser une publicité gigantesque dépassant la voie desservante de 33 mètres. Le même raisonnement s'impose pour les publicités au-dessus des façades. Leur implantation sur les murs, hauts de 9,3 m, assurerait sans aucun doute leur visibilité.

3.

Quant aux panneaux indicateurs (« Hinweisschild »), la Commission considère qu'ils présentent des dimensions (4 x 2,4 m; 3 x 1,8 m; 2 x 1,2 m) dépassant largement les enseignes autorisées habituellement par dérogation. Elle recommande à Madame la Ministre de les refuser, de même que les mâts pour drapeaux qui sont beaucoup trop nombreux ».

Le 17 décembre 1998, le ministre de la Culture prit la décision suivante:

« Vu la demande présentée à la date du 23 juillet 1998 par HORNBACH-Luxembourg …, et tendant à obtenir l’autorisation d’installer dans la zone d’activité industrielle et commerciale … à … plusieurs enseignes publicitaires sur les façades du bâtiment, une tour publicitaire d’une hauteur de 35 m, trois panneaux indicateurs et une multitude de mâts pour drapeaux.

Vu la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des Sites et Monuments nationaux;

Vu le règlement grand-ducal du 4 juin 1984 relatif à la publicité visée aux articles 37 et ss. de la loi du 18 juillet 1983 précitée;

Sur avis de la Commission des Sites et Monuments nationaux;

refuse à la S.à.r.l. HORNBACH-Luxembourg, préqualifiée, l’autorisation sollicitée pour la raison que l’ensemble de la publicité sur le site commercial de HORNBACH est exagéré. (…) ».

Le 25 février 1999, 1) la société de droit luxembourgeois HORNBACH BAUMARKT LUXEMBURG S. à R.L., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par ses gérants actuellement en fonctions et 2) la société de droit allemand HORNBACH BAUMARKT AG, établie et ayant son siège social à D-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, ont introduit un recours en annulation contre la décision précitée du ministre de la Culture en date du 17 décembre 1998.

Etant donné que ni la loi précitée du 18 juillet 1983, ni aucune autre disposition légale ne prévoient un recours de pleine juridiction en la matière, le recours en annulation, introduit dans les formes et délai de la loi, et d’ailleurs non autrement contesté à ce sujet, est recevable.

5 En premier lieu, les demanderesses critiquent la décision déférée en ce qu’elle se réfère simplement à la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux et au règlement grand-ducal du 4 juin 1984 relatif à la publicité visée aux articles 37 et suivants de ladite loi du 18 juillet 1983, sans indication des articles spécifiquement appliqués en l’espèce et sans préciser les circonstances de l’espèce sur lesquelles elle se fonde, ceci en contravention de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soutient en premier lieu que les faits de l’espèce se dégageraient de l’avis adressé le 14 décembre 1998 par la commission des sites et monuments nationaux au ministre de la Culture. Ensuite, il fait valoir que le fait de ne pas citer les articles de la loi et du règlement grand-ducal précités précisément applicables en l’espèce ne serait pas de nature à entacher la légalité de la décision prise, au motif, d’une part, que les parties demanderesses ne se seraient pas méprises sur la motivation du refus « alors qu’[elles] (…) expriment longuement leur point de vue » et, d’autre part, que pareille sanction ne serait pas prévue par le règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, lequel ne prévoirait comme seule conséquence d’une motivation incomplète que les délais de recours contentieux ne commencent pas à courir.

Sur ce, dans leur mémoire en réplique, les parties demanderesses relèvent encore que si le représentant étatique a pris position sur les conséquences d’une communication tardive des motifs d’une décision, il omettrait cependant de suppléer, dans le cas d’espèce, au défaut de motivation et ils demandent au tribunal d’en tirer les conséquences qui s’imposent.

L’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 dispose que: « toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle:

- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé;( …) ».

La sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif (Cour adm. 8 juillet 1997, n° 9918C du rôle, Pas. adm. 2/99, V° Procédure administrative non contentieuse, III. Motivation de la décision administrative, n°28, et autres références citées).

En outre, le défaut d’indiquer dans la décision la disposition légale qui constitue son fondement n’encourt pas de sanction, dès lors que les raisons fournies sont suffisamment explicites pour permettre au destinataire de la décision de les rattacher à la disposition légale visée par l’administration.

En l’espèce, les éléments de motivation contenus dans la décision attaquée, ensemble les informations qui se dégagent de la « note » précitée du 14 décembre 1998 de la commission des sites et monuments nationaux, produite par le délégué du gouvernement au cours de la procédure contentieuse, ainsi que les explications fournies par le représentant étatique dans son mémoire en réponse, sont suffisamment précis pour permettre aux parties demanderesses d’assurer la sauvegarde de leurs intérêts et, sans méprise ni quant aux dispositions légales sur lesquelles la décision querellée est fondée, ni sur les circonstances de fait qui ont conduit 6 l’autorité compétente à appliquer ces dispositions légales, de faire valoir tels moyens et arguments qu’ils ont jugés nécessaires ou utiles.

Le moyen d’annulation est partant à abjuger.

Ensuite, les demanderesses soutiennent que les articles 9 et 10 du règlement grand-

ducal précité du 4 juin 1984 dépasseraient le cadre des dispositions habilitantes des articles 38 et 39 de la loi précitée du 18 juillet 1983, que, en application de l’article 95 de la Constitution, les tribunaux n’auraient pas à appliquer les règlements généraux non conformes aux lois et que, partant, la décision attaquée devrait être annulée pour violation de la loi sinon excès de pouvoir.

En ordre subsidiaire, les parties demanderesses concluent à l’annulation de la décision querellée « pour violation de la loi, sinon détournement de pouvoir sinon excès de pouvoir », au motif que, en violation de l’article 36 de la Constitution, le règlement grand-ducal précité du 4 juin 1984 prévoirait des obligations d’autorisation dans des cas non prévus par la loi précitée du 18 juillet 1983.

En ordre encore plus subsidiaire, elles soulèvent l’inconstitutionnalité de la législation sur base de laquelle la décision déférée a été prise au regard du principe de la liberté du commerce et de l’industrie garanti par l’article 11 (6) de la Constitution, à l’exception des restrictions à établir par le pouvoir législatif. Dans ce contexte, elles font valoir que la publicité devrait être considérée comme faisant partie intégrante de la liberté du commerce et de l’industrie et que la loi précitée du 18 juillet 1983, en ne déterminant pas elle-même les critères auxquels les publicités doivent répondre violerait ledit article 11 (6) de la Constitution.

En dernier ordre de subsidiarité, elles concluent à l’annulation de la décision attaquée « pour violation de la loi et excès de pouvoir, dans la mesure où ladite décision manque de base légale dans les critères qui sont à sa base ». Dans ce contexte, elles font valoir que le motif libellé dans ladite décision, à savoir que l’ensemble de la publicité sur le site commercial HORNBACH est exagéré, ne constituerait pas un des critères fixés par le règlement grand-

ducal précité du 4 juin 1984 sur lesquels le ministre compétent pourrait se baser pour motiver légalement ses décisions. Le reproche tiré du caractère exagéré de la publicité HORNBACH serait le résultat d’une appréciation subjective qui ne correspondrait ni à la lettre ni à l’esprit de la loi précitée de 1983. Au contraire, compte tenu des données de l’espèce, notamment de l’implantation du nouveau magasin HORNBACH dans une zone commerciale, tertiaire et artisanale, éloignée des habitations, de la spécificité du terrain d’implantation et des considérations relatives à l’identité commerciale du groupe HORNBACH, l’ensemble publicitaire HORNBACH serait justifié et conforme à l’esprit de la loi précitée de 1983.

Le délégué du gouvernement expose que, en exécution de l’article 37 de la loi précitée du 18 juillet 1983, le règlement grand-ducal précité du 4 juin 1984 définit les critères auxquels la publicité doit répondre, que l’article 1er dudit règlement grand-ducal détermine l’endroit où la publicité peut être placée et que les articles 2 à 6 en fixent les dimensions.

Il estime qu’eu égard au caractère « gigantesque » de la publicité HORNBACH, à savoir celle à apposer sur la façade principale et sur la façade arrière (120,75 m2 par façade), celle à apposer sur la façade latérale (47,50 m2) et celle à apposer sur la tour (62,72 m2), le ministre aurait valablement refusé l’octroi d’une dérogation demandée sur base de l’article 9 du règlement grand-ducal précité de 1984.

7 Le délégué soutient encore que les articles 1er à 9 du règlement grand-ducal de 1984 ne violeraient d’aucune manière la loi de 1983, que l’article 12 dudit règlement grand-ducal ne serait pas applicable en l’espèce, « puisqu’il vise les situations où des publicités quelles que soient leur dimension sont soumises à autorisation », alors qu’en l’espèce, « il s’agit de publicités non conformes aux règles visées aux articles 1er à 8 pour lesquelles la requérante a sollicité une dérogation, toute publicité non conforme aux critères étant interdite selon les termes de la loi (article 38 al 1er) ».

Concernant l’inconstitutionnalité du règlement grand-ducal de 1984, le délégué estime que le reproche fait par les demanderesses serait incompréhensible étant donné que le pouvoir exécutif aurait pris les mesures d’exécution de la loi « en définissant les critères auxquels le législateur a fait allusion en entirant [sic] la conséquence que toute publicité non conforme aux critères est interdite ». Pareille interdiction pourrait être absolue, mais, comme le prévoirait le règlement grand-ducal de 1984, elle pourrait aussi être atténuée moyennant une dérogation susceptible d’être accordée par le ministre compétent.

En outre, il conclut au rejet du moyen d’inconstitutionnalité de la législation de 1983, au motif que le constituant aurait lui-même prévu que le législateur puisse apporter des restrictions à la liberté du commerce et de l’industrie. - Il soutient encore que le législateur peut parfaitement déléguer au pouvoir exécutif le soin d’exécuter les lois et de déterminer les modalités et critères de l’exécution sans violer la Constitution, celle-ci ne prévoyant pas que le législateur doit prévoir lui-même les modalités d’exécution des lois qu’il vote.

Enfin, « quant au manque de base légale de la décision litigieuse il est renvoyé à la motivation contenue dans l’avis de la commission des sites et monuments nationaux ».

Force est de constater que la décision attaquée du ministre de la Culture du 17 décembre 1998 renvoie dans ses visas à la fois à la loi précitée du 18 juillet 1983 et au règlement grand-ducal du 4 juin 1984 relatif à la publicité visée aux articles 37 et suivants de ladite loi, également précitée.

Eu égard aux dispositions réglementaires, qui distinguent, d’une part, les publicités, lumineuses ou non, fixées sur les immeubles occupés par la firme concernée (articles 1er à 8 du règlement grand-ducal précité du 4 juin 1984) et, d’autre part, les publicités sur support immobile autre que les maisons (article 10 dudit règlement grand-ducal de 1984), le tribunal ne pourra pas analyser la décision déférée comme décision refusant l’érection d’un dispositif publicitaire considéré dans son ensemble, mais en tenant compte de ce que ledit ensemble est composé de différents éléments, à savoir des enseignes publicitaires sur les façades du nouveau magasin HORNBACH, une tour publicitaire d’une hauteur de 35 mètres, des panneaux indicateurs et des mâts de drapeaux, il conviendra de scinder ladite décision en ce qu’elle concerne, d’une part, un volet enseignes publicitaires à fixer sur l’immeuble HORNBACH et, d’autre part, un second volet relatif aux autres éléments, qui s’analysent en des publicités sur support immobile autre que les maisons.

Concernant le premier volet de la décision litigieuse, il n’est pas contesté que les publicités à ériger sur le magasin HORNBACH dépassent le cadre des prescriptions des articles 1 à 8 du prédit règlement grand-ducal du 4 juin 1984, de sorte qu’au voeu de l’article 9 du même règlement, une dérogation aux prescriptions desdits articles 1 à 8 doit être sollicitée 8 au ministre ayant dans ses attributions les affaires culturelles (cf. trib. adm., 16 février 1998, Caisse centrale Raiffeisen, n°s 10130 et 10131 du rôle).

Aux termes de l’article 95 de la Constitution, le tribunal n’applique un règlement grand-

ducal qu’autant qu’il est conforme aux lois, de sorte qu’il lui appartient d’examiner si la mesure réglementaire qui lui est soumise est, ou n’est pas, contraire à la loi, notamment au vu du cadre par elle fixé.

Au voeu de l’article 37 de la loi précitée du 18 juillet 1983, on entend par publicité:

« tout dispositif optique établi en vue de la publicité, quels que soient l’objet de la publicité et l’emplacement du dispositif à l’exception de la publicité produisant son effet exclusivement vers l’intérieur des immeubles ».

En vertu de l’article 38 de la même loi, « toute publicité, qui n’est pas conforme aux critères à définir par règlement grand-ducal est interdite ».

Or, ce texte n’autorise pas le pouvoir exécutif à subdéléguer en cette matière son application à un ministre.

Par conséquent, l’article 9 du règlement grand-ducal du 4 juin 1984, en ce qu’il prévoit que le ministre ayant dans ses attributions les affaires culturelles peut accorder des dérogations sous la forme y visée, sort du cadre de la disposition habilitante de l’article 38 de ladite loi.

A défaut de toute autre disposition légale habilitante, le tribunal administratif est dès lors amené à refuser l’application dudit article 9, conformément à l’article 95 précité de la Constitution, aux termes duquel les cours et tribunaux n’appliquent les arrêtés et règlements généraux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois (cf. C.E. 3 février 1988, Office des assurances sociales, n° 7928 du rôle; C.E. 26 avril 1988, M&S Mode België, n° 7921 du rôle;

trib. adm. 24 septembre 1997 ARAL, Pas. adm. 2/99, V° Sites et Monuments n°s 2 et 3; trib.

adm. 16 février 1998, Caisse centrale Raiffeisen précité);

Il se dégage de ce qui précède à propos du dispositif publicitaire à ériger sur l’immeuble HORNBACH, que le ministre n’est habilité ni à délivrer une autorisation, ni à en refuser la délivrance, nonobstant le fait que, pour l’installation des publicités visées, une dérogation sous forme d’autorisation doit être obtenue au préalable par le ministre compétent, ce qui entraîne, au vu de ce qui précède, qu’aucune publicité ne pourra être apposée sur des immeubles occupés par la firme concernée lorsque cette publicité dépasse le cadre des prescriptions fixées par les articles 1er à 8 du prédit règlement grand-ducal du 4 juin 1984.

Il s’ensuit que le ministre excédé ses pouvoirs en statuant comme il l’a fait en l’occurrence et que sa décision encourt l’annulation sous ce rapport.

Concernant le second volet de la décision attaquée, en ce qu’elle a trait à différentes publicités fixées sur des supports immobiles autres que des maisons, il échet de se référer à l’article 10 du règlement grand-ducal précité du 4 juin 1984 qui dispose, en son alinéa 1er, que « toute publicité sur support immobile autre que les maisons est sujette à l’autorisation du ministre ayant les Affaires culturelles dans ses attributions ».

Or, force est de constater que ledit article 10 dépasse le cadre des dispositions habilitantes des articles 38 et 39 de la loi précitée du 18 juillet 1983.

9 Concernant plus spécialement la disposition habilitante de l’article 38 de ladite loi de 1983, ledit article ne confère au pouvoir exécutif que le seul droit de définir les critères auxquels toute publicité devra répondre pour être légalement permise, sans toutefois habiliter le pouvoir exécutif à subordonner certaines publicités à une autorisation ministérielle.

Il suit des considérations qui précèdent qu’à défaut de toute autre disposition légale habilitante, le tribunal administratif doit refuser l’application dudit article 10, conformément à l’article 95 précité de la Constitution.

Il se dégage de ce qui précède à propos des différentes publicités fixées sur des supports immobiles autres que des maisons sur le site HORNBACH, que le ministre n’est habilité ni à délivrer une autorisation, ni à en refuser la délivrance.

Il s’ensuit que le ministre a excédé ses pouvoirs en statuant comme il l’a fait en l’occurrence et que sa décision encourt également l’annulation sous ce deuxième rapport.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en annulation en la forme et le déclare justifié au fond;

en conséquence annule la décision du ministre de la Culture du 17 décembre 1998 et renvoie l’affaire devant ledit ministre;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 2 décembre 1999 par le premier juge, délégué à cette fin, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11152
Date de la décision : 02/12/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-12-02;11152 ?

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