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01/12/1999 | LUXEMBOURG | N°11266

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 décembre 1999, 11266


N° 11266 du rôle Inscrit le 28 avril 1999 Audience publique du 1er décembre 1999

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Recours formé par Monsieur … DURAKOVIC et son épouse Madame X.

contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête déposée le 28 avril 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DURAKOVIC et de son épou

se Madame X., les deux étant de nationalité yougoslave et d’origine monténégrine, demeurant ensemble...

N° 11266 du rôle Inscrit le 28 avril 1999 Audience publique du 1er décembre 1999

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Recours formé par Monsieur … DURAKOVIC et son épouse Madame X.

contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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Vu la requête déposée le 28 avril 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DURAKOVIC et de son épouse Madame X., les deux étant de nationalité yougoslave et d’origine monténégrine, demeurant ensemble à L-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en leur qualité d’administrateurs légaux de la personne et des biens de leurs trois enfants mineurs communs, tendant à l’annulation de trois décisions du ministre de la Justice datant respectivement des 8 octobre, 2 décembre 1998 et 28 janvier 1999, leur refusant l’autorisation de séjour au Luxembourg;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mai 1999;

Vu le mémoire en réplique, intitulé mémoire en réponse, déposé le 13 juillet 1999 au nom des demandeurs;

Vu le mémoire en duplique déposé le 22 juillet 1999 par le délégué du gouvernement;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sonja VINANDY, en remplacement de Maître Guy THOMAS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … DURAKOVIC et son épouse Madame X., de nationalité yougoslave et originaires du Monténégro, demeurant actuellement à L-…, introduisirent le 3 octobre 1995, au Luxembourg, une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés.

Par décision du 9 janvier 1997, le ministre de la Justice rejeta ladite demande. Suite à un recours contentieux introduit par les époux DURAKOVIC-X., le tribunal administratif, par 1 jugement du 6 octobre 1997, déclara leur demande en obtention du statut de réfugié non fondée. La Cour administrative confirma le prédit jugement par arrêt du 17 février 1998.

Par lettre du 30 avril 1998, les époux DURAKOVIC-X. furent informés par le ministre de la Justice que la Cour administrative avait rejeté leur recours introduit en date du 10 novembre 1997 et qu’ils étaient invités à quitter le pays dans les quinze jours suivant la notification de la lettre.

En date du 10 septembre 1998, le mandataire des époux DURAKOVIC-X. sollicita auprès du ministre l’octroi d’une autorisation de séjour « pour des raisons politiques et humanitaires », en invoquant qu’en cas de retour au Sandzak « [ses] mandants seraient confrontés à une situation analogue à celle existant actuellement au Kosovo, qui risque d’embraser toute la région balkanique en raison des agissements irresponsables des autorités serbes et de la vague de répression sanglante s’abattant sur les minorités ethniques, quelles soient d’origine albanaise ou slave ». Il fit encore valoir qu’il incomberait « aux gouvernements de porter une attention particulière lors de l’appréciation de l’existence d’une crainte raisonnable de persécution, aux personnes qui, en raison de leur engagement auprès du LDK ou d’un autre parti politique au Kosovo et au Sandjak, ont attiré l’attention des autorités ».

Le ministre refusa de faire droit à cette demande en date du 8 octobre 1998, au motif suivant: « il ne ressort d’aucune pièce du dossier que votre client, du fait de ses prétendus engagements auprès de la SDA, aurait attiré l’attention des autorités. Par ailleurs, le fait que Monsieur DURAKOVIC ait soutenu devant la Cour [administrative] avoir eu un rôle important au sein de la SDA est en contradiction flagrante avec ses premières déclarations, ce qui rend difficilement crédible ses affirmations ».

Par lettre du 2 décembre 1998, le ministre les invita une deuxième fois à quitter le territoire dans un délai d’un mois, « faute de quoi il sera procédé à un éloignement forcé conformément à l’article 14 de la loi du 3 août 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ».

Le recours gracieux introduit le 11 janvier 1999 contre la décision du 8 octobre 1998 refusant de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour ainsi que contre la lettre du 2 décembre 1998 les invitant à quitter le territoire dans un délai d’un mois fut rejeté par décision du ministre du 28 janvier 1999.

Par requête déposée le 28 avril 1999, les époux DURAKOVIC-X. ont introduit un recours en annulation contre les décisions précitées des 8 octobre, 2 décembre 1998 et 28 janvier 1999 pour violation de la loi, sinon pour absence de motifs légaux.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours pour être tardif. Par ailleurs, dans la mesure où les demandeurs invoqueraient à l’appui de leur demande d’autorisation de séjour les mêmes arguments que ceux qu’ils avaient fait valoir lors de leur demande d’asile et comme le refus d’accorder l’asile a fait l’objet de décisions juridictionnelles, ils seraient forclos à rouvrir devant la même juridiction un débat « qui a fait l’objet d’une décision coulée en force de chose jugée ».

2 Force est cependant de constater que la demande introduite en date du 10 septembre 1998 tendait exclusivement à l’obtention d’une autorisation de séjour et, à ce stade, il importe peu de savoir pour quels motifs les demandeurs sollicitaient cette autorisation. Il ne s’agissait dès lors pas de remettre en cause une décision, en l’espèce le refus d’accorder l’asile politique, qui a acquis l’autorité de la chose jugée.

Par ailleurs, la partie demanderesse a soulevé à bon droit que les décisions faisant l’objet du présent recours ne renseignent pas sur les voies de recours, tel que prescrit par l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes. Il en découle que le délai imparti pour le recours contentieux n’a pas commencé à courir, de sorte que le moyen tiré de la tardiveté du recours soulevé par le délégué du gouvernement est à écarter.

Le délégué du gouvernement soutient encore que le recours serait irrecevable à défaut de contenir un moyen de droit.

Il appartient au tribunal d’apprécier in concreto si l’exposé sommaire des faits et des moyens, ensemble les conclusions s’en dégageant, est suffisamment explicite ou non. En effet, l’exceptio obscuri libelli, qui est d’application en matière de contentieux administratif, sanctionne de nullité l’acte y contrevenant, étant entendu que son but est de permettre au défendeur de savoir quelle est la décision critiquée et quels sont les moyens à la base de la demande, afin de lui permettre d’organiser utilement sa défense.

En l’espèce, les demandeurs précisent dans leur recours que les décisions litigieuses encourraient l’annulation pour violation de la loi, qui en matière d’autorisation de séjour est la loi du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère, et pour absence de motifs légaux, tout en précisant qu’ils se trouveraient dans une situation qui permettrait au ministre de leur accorder un permis de séjour pour des raisons politiques et humanitaires. Ces indications suffisent aux exigences de l’article 1er de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d'Etat, applicable au présent litige.

Le recours en annulation ayant dès lors été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le tribunal est en premier lieu appelé à examiner le moyen d’annulation tiré d’un défaut de motivation suffisante.

En vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé.

La sanction d’une absence de motivation d’une décision administrative ne consiste cependant que dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter ses motifs postérieurement et même pour la première fois en cours d’instance.

3 Si les demandeurs soulèvent à juste titre que les décisions litigieuses n’indiquent pas de motifs légaux en ce qu’elles n’indiquent pas les circonstances de fait à leur base, ni la cause juridique qui leur sert de fondement, le délégué du gouvernement a cependant précisé, à suffisance de droit, dans son mémoire en réponse, que les décisions attaquées sont basées sur ce que les époux DURAKOVIC-X. ne fournissent pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de séjour, tels qu’exigés par l’article 2 (3) de la loi précitée du 28 mars 1972. Suite aux motifs présentés en cours d’instance, les demandeurs n’ont pas pu se méprendre sur les raisons qui ont amené le ministre à leur refuser l’autorisation de séjour et ils ont utilement pu préparer leur défense.

Le moyen tiré d’une absence ou d’une insuffisance de motivation est partant à abjuger.

Quant au fond, ils font valoir que ce serait à tort que le ministre de la Justice a refusé l’autorisation de séjour en se basant notamment sur la considération qu’il ne ressortirait d’aucune pièce du dossier qu’ils auraient attiré l’attention de leurs autorités nationales, du fait de leurs prétendus engagements auprès de la SDA. Ils se réfèrent à ce sujet à un certificat émis en date du 20 octobre 1998 par la section de SDA à Bérane (Parti de l’Action Démocratique) et attestant que Monsieur DURAKOVIC est membre de ce parti et qu’il participait activement à l’organisation d’aide aux familles nécessitant du soutien et aux réfugiés de Bosnie-

Herzégovine. Ils soutiennent qu’une participation à de telles activités suffirait pour attirer l’attention des autorités, de sorte que les « décisions attaquées sont le résultat d’une erreur manifeste d’appréciation et qu’elles encourent l’annulation pour violation de la loi ». Ils estiment par ailleurs qu’en cas de retour au Sandjak, ils seraient confrontés « à une situation analogue à celle existant actuellement au Kosovo, alors qu’il ne saurait plus faire de doute que les autorités serbes répriment de manière sanglante toutes les minorités ethniques à tendance autonomiste ou indépendantiste, que ce soient les Albanais du Kosovo ou les musulmans slaves du Sandjak ».

Ils invoquent encore une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1987, au cas où le gouvernement luxembourgeois les obligerait à retourner au Sandjak. Ils donnent à considérer qu’il serait inéquitable et discriminatoire de les renvoyer au Sandjak, étant donné qu’ils se trouvent au pays depuis 1995 et, qu’en même temps, le Luxembourg accueillerait de nouveaux réfugiés en provenance du Sandjak qui recevraient même une autorisation de travail.

Ils soutiennent en dernier lieu que du moment qu’ils disposeraient d’une autorisation de séjour, ils bénéficieraient également d’une autorisation de travail, de sorte qu’ils seraient dès lors à même à subvenir à leurs besoins.

Le délégué du gouvernement fait valoir que la législation luxembourgeoise ne prévoirait pas la délivrance d’une autorisation de séjour pour des raisons politiques et humanitaires. Il estime dès lors que les demandeurs, pour obtenir une autorisation de séjour, devraient remplir les conditions de la loi précitée du 28 mars 1972, et notamment celle tenant à l’existence de moyens personnels suffisants.

En présence d’un recours en annulation, le rôle du juge administratif consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué.

4 L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que: «l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise. Il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.

Il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que les époux DURAKOVIC-X. ne disposaient pas de moyens personnels propres au moment où les décisions attaquées ont été prises.

En effet, c’est à tort que les demandeurs entendent justifier l’existence de moyens personnels suffisants par des rémunérations qu’ils pourraient obtenir si le ministre de la Justice leur accordait un permis de séjour, qui leur donnerait droit à l’obtention d’un permis de travail.

Abstraction faite de toutes autres considérations, force est de relever que les demandeurs n’étaient pas en possession, au moment de la prise de décision, d’un permis de travail et ils n’étaient dès lors pas autorisés à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi.

Les demandeurs ne prouvent pas l’existence d’autres moyens personnels.

C’est par ailleurs à bon droit que le délégué du gouvernement relève que la législation luxembourgeoise ne prévoit pas la possibilité de délivrer une autorisation de séjour pour des raisons politiques ou humanitaires, de sorte qu’il est faux de prétendre que le ministre serait obligé à délivrer une telle autorisation si de tels motifs existaient, ce qui, en tout état de cause, n’est pas établi dans le présent cas d’espèce.

Les demandeurs ne sauraient pas non plus tirer des droits à leur égard de situations similaires dans lesquelles des autorisations de séjour auraient été délivrées, situations qui restent de toute manière à l’état de pure allégation.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est donc à juste titre que le ministre a refusé l’autorisation de séjour sollicitée.

Le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui dispose que « aucun Etat n’expulsera, ne refoulera, ni extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture », pour soutenir que les motifs politiques et humanitaires devraient néanmoins être pris en considération en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg respectivement pour justifier que l’exécution de la décision de refoulement devrait être tenue en échec, est à écarter, étant donné qu’il n’appert pas à suffisance de droit des éléments du dossier qu’ils risquent d’être persécutés ou torturés dans leur pays d’origine ou d’y subir d’autres traitements inhumains ou dégradants.

Le recours en annulation est partant à écarter comme étant non fondé.

5 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 1er décembre 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11266
Date de la décision : 01/12/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-12-01;11266 ?

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