La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/11/1999 | LUXEMBOURG | N°11044

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 novembre 1999, 11044


Numéro 11044 du rôle Inscrit le 21 décembre 1998 Audience publique du 29 novembre 1999 Recours formé par 1) Monsieur … HAILU SENBETA, Luxembourg 2) l’association sans but lucratif X., Luxembourg contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11044, déposée le 21 décembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Dominique PETERS, avocat à la Cour in

scrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HAIL...

Numéro 11044 du rôle Inscrit le 21 décembre 1998 Audience publique du 29 novembre 1999 Recours formé par 1) Monsieur … HAILU SENBETA, Luxembourg 2) l’association sans but lucratif X., Luxembourg contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11044, déposée le 21 décembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Dominique PETERS, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HAILU SENBETA, demeurant à L-…, et de l’association sans but lucratif .X, établie et ayant son siège social à L-

…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 12 octobre 1998 refusant à Monsieur HAILU SENBETA l’octroi du permis de travail;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 mars 1999;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juin 1999 par Maître Dominique PETERS pour compte de Monsieur HAILU SENBETA et de X.:

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté attaqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Dominique PETERS, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Monsieur … HAILU SENBETA, de nationalité éthiopienne, demeurant actuellement à L-…, résidant au Luxembourg depuis la seconde moitié de l’année 1995, se maria au cours de l’année 1996 avec une résidente luxembourgeoise de nationalité polonaise, un enfant commun étant né en 1997.

Par déclaration d’engagement datée au 11 juin 1998, accompagnée d’un courrier explicatif du 16 juin 1998 et parvenue à l’administration de l’Emploi, ci-après désignée par « ADEM », le 18 juin 1998, l’association sans but lucratif X., établie et ayant son siège social à L-…, ci-après désignée par « l’Institut », introduisit en faveur de Monsieur HAILU SENBETA une demande en obtention du permis de travail pour un poste d’assistant de recherche, la date d’entrée en service indiquée étant le 1er juillet 1998.

Par arrêté du 12 octobre 1998, le ministre du Travail et de l’Emploi rejeta cette demande aux motifs suivants:

« - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place: 116 cadres administratifs inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - occupation irrégulière depuis le 15 juillet 1995 - augmentation inquiétante de la moyenne des demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi durant les cinq dernières années:

3.526 en 1993, 4.643 en 1994, 5.130 en 1995, 5.680 en 1996 et 6.357 en 1997 ».

A l’encontre de cet arrêté de refus, Monsieur HAILU SENBETA et l’Institut firent introduire un recours en annulation par requête déposée le 21 décembre 1998.

Aucune disposition ne prévoyant un recours au fond en matière de refus de permis de travail, seul un recours en annulation est admissible. Etant donné qu’il résulte des éléments en cause que les statuts de l’Institut et leur modification par l’assemble générale du 18 mars 1996 ont été dûment publiés au Mémorial C et que les mêmes statuts n’ont pas été critiqués au regard des articles 2 et 26 de la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et fondations sans but lucratif, il y a lieu de reconnaître la personnalité juridique de l’Institut, de sorte que le recours en annulation est recevable dans le chef des deux parties demanderesses pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le mémoire, intitulé « mémoire en réponse », déposé en date du 20 septembre 1999 par le mandataire des parties demanderesses suite à ses requête et mémoire antérieurs des 21 décembre 1998 et 16 juin 1999, doit cependant être écarté des débats, l’article 6 alinéa 2 de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d’Etat, applicable en l’espèce, limitant à deux le nombre de requêtes admises de la part de chaque partie.

L’arrêté ministériel déféré du 12 octobre 1998 est fondé notamment sur le motif de l’occupation irrégulière de Monsieur HAILU SENBETA depuis le 15 juillet 1995.

Les parties demanderesses considèrent que ce motif ne saurait leur être opposé en faisant valoir qu’il ne pourrait être avancé que si un travailleur étranger a occupé le même poste que celui pour lequel le permis de travail est sollicité. Or, Monsieur HAILU SENBAETA aurait certes été affilié à la sécurité sociale en tant que salarié, mais pour la seule raison qu’un régime d’affiliation comme chercheur scientifique, correspondant à sa situation, ne serait pas prévu par la législation sociale luxembourgeoise. Durant la période de juillet 1995 jusqu’au moment de la déclaration d’engagement et encore actuellement en attendant 2 l’issue du procès en cours, la position de Monsieur HAILU SENBETA auprès de l’Institut serait celle d’un chercheur scientifique et il n’aurait pas occupé le poste en cause de coordinateur de projets de recherche ou de coordinateur administratif. Face à la différence ainsi dégagée entre les deux situations, un refus de permis ne pourrait être fondé sur l’occupation antérieure du poste à pourvoir. S’y ajouterait que l’arrêté ministériel en cause, en faisant état de la disponibilité de simples cadres administratifs, renverrait à une catégorie de demandeurs d’emploi inadaptés aux besoins de l’Institut et au poste décrit dans le courrier prévisé du 16 juin 1998, étant donné que la mission de Monsieur HAILU SENBETA ne se réduirait pas à des activités purement administratives de l’Institut, mais comporterait également la coordination de projets de recherche au niveau post-universitaire, ainsi que la responsabilité pour les publications au sein de l’Institut, activités qui requièrent une formation universitaire et des connaissances approfondies des méthodes de recherche. Il disposerait de plus des atouts essentiels de la maîtrise des langues polonaise, russe, anglaise et de deux langues africaines, ainsi que d’une connaissance approfondie « des réalités africaines et des pays de l’Europe Centrale et Orientale ». Enfin, l’absence d’assignation de candidats de la part de l’ADEM reviendrait à une preuve supplémentaire que les 116 cadres administratifs visés dans l’arrêté déféré ne répondraient pas au profil recherché et qu’aucun candidat bénéficiant de la priorité à l’emploi légalement consacrée ne serait disponible sur le marché.

L’article 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article premier du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».

Cette disposition trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 1er du règlement CEE précité n° 1612/68, qui dispose que « 1. tout ressortissant d’un Etat membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2.

Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles » et dans l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi ».

Lesdits articles 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 et 27 de la loi précitée du 28 mars 1972 confèrent à l’autorité investie du pouvoir respectivement d’octroyer et de renouveler le permis de travail, la faculté de le refuser en raison de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays (v. trav. parl. relatifs au projet de loi n° 2097, exposé des motifs, p. 2).

Au voeu de l’article 28 de la loi précitée du 28 mars 1972, et de l’article 1er du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, seuls les travailleurs ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen sont dispensés de la formalité du permis de travail.

3 En l’espèce, la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen se justifie donc, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité éthiopienne, c’est-à-dire originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen.

Après avoir vérifié que la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen est, en principe, justifiée en l’espèce, le tribunal doit encore examiner si des demandeurs d’emploi prioritaires aptes à occuper le poste vacant étaient concrètement disponibles sur le marché de l’emploi.

S’il faut, en principe, que le ministre établisse, in concreto, la disponibilité sur place de ressortissants d’un Etat membre de l’Espace Economique Européen, susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé, il n’en reste pas moins que l’employeur doit mettre l’ADEM en mesure d’établir cette disponibilité concrète de ressortissants de l’Espace Economique Européen, en introduisant auprès d’elle une déclaration de vacance de poste. La déclaration de poste vacant, qui peut ressortir le cas échéant d’autres pièces ou documents introduits auprès de l’ADEM, doit être faite avant l’entrée en service du travailleur. Faute par l’employeur de ce faire, l’ADEM est mise dans l’impossibilité de lui assigner utilement des candidats et de rapporter ainsi la preuve de la disponibilité concrète de main-d’oeuvre apte à occuper le poste vacant, de sorte qu’aucune autorisation de travail ne saurait être délivrée au travailleur étranger censé occuper le poste de travail vacant (trib. adm. 30 avril 1998, Wagner et Skrijelj, confirmé par Cour adm. 20 octobre 1998, n° 10754C, Pas. adm. 02/99, V° Travail, II., Permis de travail, n° 16, p. 281 et autres références y citées).

En l’espèce, il résulte d’un courrier de l’Institut du 24 mai 1996 adressé au ministère de la Justice, versé en cause, en vue d’une prorogation de l’autorisation de séjour de Monsieur HAILU SENBETA, que celui-ci « travaille depuis juillet 1993 à l’IEEI » et que « pour le moment il est coordinateur des activités de recherche et de publication de l’IEEI », l’Institut étant disposé à « assurer un salaire suffisant ou bien de son budget général ou bien par le truchement d’une bourse de recherche ». Par courrier du 11 juin 1997, également versé en cause, à destination du ministre de la Justice, le directeur de l’Institut a réaffirmé que Monsieur HAILU SENBETA « travaille comme assistant de recherche à mon Institut depuis juillet 1993. Sa tâche principale consiste dans l’encadrement des projets de recherche, la préparation des publications, le recrutement et la coordination des activités des stagiaires », ce dernier étant qualifié dans ce même courrier de « collaborateur-clé ». L’Institut précise encore dans le courrier précité du 16 juin 1998 accompagnant la déclaration d’engagement qu’ « à partir de juillet 1993, le prénommé [Monsieur HAILU SENBETA] a été à l’Institut d’Etudes Européennes et Internationales (IEEI) en tant que stagiaire », que « dans ses fonctions récentes et actuelles d’assistant de recherche, … HAILU a été et est associé à différents projets de recherche et il est chargé de la coordination des publications ainsi que de l’organisation des colloques et séminaires de l’IEEI. Il est par ailleurs en train de préparer une thèse de doctorat de 3e cycle sur le thème de l’élargissement de l’Union Européenne … » et enfin qu’il était le représentant de l’IEEI à Euromesco (Euro-

Mediterranean Study Commission).

Force est de constater, sur base des déclarations précitées émanant de l’Institut même, que Monsieur HAILU SENBETA a déjà assuré avant l’introduction de la déclaration 4 d’engagement une large partie de la mission résultant de la description du poste vacant faite par le courrier prévisé du 16 juin 1998 et le mandataire des parties demanderesses. Il ressort pareillement des déclarations précitées que la mission conférée par l’Institut à Monsieur HAILU SENBETA ne se confinait pas à celle d’un chercheur scientifique indépendant mais impliquait un travail d’administration, d’organisation et de représentation externe qui est nécessairement celui accompli par une personne soumise à un lien de subordination à l’égard de la personne pour compte de laquelle elle travaille. Abstraction faite de la question de la qualification de l’occupation selon la législation sociale, il y a ainsi lieu de conclure que ce poste en cause était déjà occupé au moment où la déclaration d’engagement du 11 juin 1998 est parvenue à l’ADEM, de sorte que celle-ci a été mise dans l’impossibilité d’établir la disponibilité concrète de demandeurs d’emploi par l’assignation de candidats au poste à pourvoir. Le moyen des parties demanderesses tirés de l’absence de la preuve de la disponibilité concrète de travailleurs prioritaires pouvant occuper le poste en cause et de la spécificité du poste non susceptible d’être pourvu par un simple cadre administratif tombent par voie de conséquence à faux.

Etant donné que l’arrêté déféré est légalement justifié par le seul constat de l’occupation illégale avant la remise de la déclaration d’engagement, le recours laisse d’être fondé sans qu’il n’y ait lieu d’analyser plus loin les autres moyens soulevés par les parties demanderesses.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les parties demanderesses aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 novembre 1999 par:

M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT DELAPORTE 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11044
Date de la décision : 29/11/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-11-29;11044 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award