N° 11053 du rôle Inscrit le 23 décembre 1998 Audience publique du 24 novembre 1999 Recours formé par Monsieur … NESTLER contre une décision du ministre des Travaux publics en matière de voirie Vu la requête déposée le 23 décembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Patricia THILL, avocat à la Cour, assistée de Maître Shiva MOTAHARI, avocat, inscrites toutes les deux au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NESTLER, employé privé, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Travaux publics prise en date du 25 novembre 1998 lui refusant l’aménagement d’un chemin d’accès en ligne directe ayant pour objet de relier les garages de sa maison sise à l’adresse précitée à la voie publique ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 1999 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Vu le résultat de la visite des lieux à laquelle le tribunal administratif a procédé le 4 juin 1999 ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Shiva MOTAHARI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
Monsieur … NESTLER, employé privé, demeurant actuellement à L-.., s’est vu délivrer, en date du 19 juin 1992, une autorisation d’alignement du ministre des Travaux publics en vue de la construction de la maison d’habitation avec chemin d’accès à la voie publique, qu’il occupe actuellement. Ce chemin devait être construit, conformément au point 4 de ladite autorisation “ en palier horizontal sur une longueur de six mètres (6.00m) suivant les indications des plans en annexe ” de manière à ce que, conformément au point 5 de ladite décision “ la rampe du chemin d’accès [commence] à partir du palier horizontal ”.
1 Une nouvelle autorisation d’alignement lui a été accordée par le ministre des Travaux publics en date du 2 décembre 1996, en vertu de laquelle il a été autorisé “ d’aménager un chemin d’accès carrossable aux garages ainsi qu’un accès piétonnier à la maison et de réaliser un emplacement pour voiture ” avec la condition “ de commencer avec la rampe d’accès et de sortie au-delà de la limite du domaine routier et de l’aménager de façon à ce que la déclivité ne dépasse pas 3% sur une longueur de 6 mètres à partir de la limite extérieure du revers ou du domaine public ” et avec l’obligation “ de veiller lors de la construction de la maison et de l’accès à la conservation des arbres d’alignement présents en ces lieux ”.
Par courrier du 16 mars 1998, Monsieur NESTLER informa le ministère des Travaux publics, par l’intermédiaire de son mandataire de l’époque, de ce qu’il avait “ l’intention d’aménager un accès en ligne droite, du fait qu’il possède une remorque de 6m de long et que les manœuvres qu’il doit pratiquer pour pouvoir stationner cette dernière dans son garage nécessite que l’accès en pente soit aménagé en ligne droite ”. Il ressort encore de cette lettre qu’à la suite d’une “ erreur de calcul ” qui aurait été commise par l’architecte de la maison, celle-ci serait surélevée de 75cm par rapport au plan initialement approuvé par le ministre des Travaux publics et que Monsieur NESTLER serait partant dans “ l’impossibilité ” de respecter la déclivité de 3% telle que fixée par l’autorisation ministérielle du 2 décembre 1996.
Il demanda partant au ministre de l’autoriser à faire abstraction de la condition de la déclivité fixée à 3% par l’autorisation ministérielle précitée du 2 décembre 1996, afin qu’il puisse aménager son chemin d’accès à sa maison en ligne directe, en respectant une déclivité supérieure à 3%.
Dans son avis du 12 mai 1998, le préposé du service régional de Mersch de la division des services régionaux de la voirie de l’administration des Ponts et Chaussées nota que contrairement à la condition numéro 7 fixée par l’autorisation ministérielle précitée du 19 juin 1992, Monsieur NESTLER avait omis de faire vérifier l’implantation de sa maison avant les travaux de construction, ce qui aurait eu pour conséquence que l’administration des Ponts et Chaussées n’aurait pas été en mesure de constater l’erreur apparemment commise par l’architecte dans le niveau de l’implantation du bâtiment et que, comme le chemin d’accès n’a pas été réalisé tout de suite, et en considération du fait que l’autorisation de voirie n’était valable que pour deux ans, Monsieur NESTLER a été dans l’obligation de solliciter une nouvelle autorisation ministérielle en date du 11 septembre 1996, qui a donné lieu à l’autorisation ministérielle précitée du 2 décembre 1996. En ce qui concerne le nouveau projet d’aménagement dudit chemin d’accès, le préposé estima qu’il lui semblait “ plus avantageux d’effectuer ces manœuvres [avec la remorque de six mètres de longueur] sur une plate-forme à pente réduite….., que de devoir reculer ou stationner sur une pente qui serait supérieure à 12% (12,67% suivant nivellement) en cas d’accès en ligne directe.
En plus, un stationnement d’un tel engin sur une pente supérieure à 12% me semble assez délicat et cette situation pourrait créer certains dangers pour les usagers de la route, car il ne faut pas oublier qu’on se trouve sur une route nationale (N14) à trafic assez important.
Voilà pourquoi il me semble que, même si Monsieur NESTLER devra faire quelques manœuvres supplémentaires pour garer sa remorque, pour sa sécurité et pour celle des automobilistes sur la N14, un accès à pente réduite serait préférable….. ”.
2 Dans son avis du 14 octobre 1998, transmis au ministre des Travaux publics, le directeur de l’administration des Ponts et Chaussées se rallia à la prise de position précitée du préposé du service régional de Mersch en exposant qu’il n’existait “ aucune raison pour déroger au principe de la création d’une plate-forme d’une déclivité maximale de 3% sur les premiers six mètres ”.
Par un courrier daté du 20 octobre 1998 du mandataire de Monsieur NESTLER, qualifié de recours gracieux dirigé contre l’avis précité du directeur de l’administration des Ponts et Chaussées du 14 octobre 1998, ledit mandataire pria le ministre des Travaux publics de “ revoir la décision entreprise ” et d’autoriser son mandant à aménager son chemin d’accès en ligne droite.
Par lettre du 25 novembre 1998, le ministre des Travaux publics informa le mandataire de Monsieur NESTLER de ce qui suit : “ je suis au regret de vous faire part que je me rallie à [la] proposition [du directeur de l’administration des Ponts et Chaussées du 14 octobre 1998] et que je n’accorderai pas de permission nouvelle modifiant les dispositions et les permissions antérieures.
Ma décision est motivée par le fait que les aménagements dans la zone d’alignement de 10m doivent répondre au mieux aux conditions de sécurité des usagers de la route.
Ce sont ces impératifs qui ont amené l’administration à imposer l’accès en courbe avec un palier horizontal sur les premiers 6m et puis une pente de 15% sur les 3m restants.
La solution en ligne droite préconisée par Monsieur NESTLER serait susceptible de créer des dangers pour les usagers de la route, cette voie de communication accusant déjà un trafic assez important ”.
Par requête déposée le 23 décembre 1998, Monsieur NESTLER a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 25 novembre 1998.
L’article 4, alinéa 2 de la loi modifiée du 13 janvier 1843 sur la compétence des tribunaux en fait de contravention de grande voirie, de constructions et de plantations le long des routes, prévoyant un recours au fond contre les décisions de refus d’autorisation de permission de voirie, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal par le demandeur contre la décision ministérielle du 25 novembre 1998.
Le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est à déclarer recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur reproche tout d’abord au ministre des Travaux publics de ne pas avoir motivé la décision critiquée.
En l’absence d’une prise de position quant à ce moyen par le délégué du gouvernement, il appartient au tribunal de vérifier l’existence d’une telle motivation.
3 Le reproche tiré d’une absence de motivation d’un acte administratif est à abjuger dès lors que la décision critiquée ensemble avec les lettres antérieures adressées au même destinataire indique de manière détaillée et circonstancée les motifs en droit et en fait sur lesquels l’administration s’est basée pour justifier sa décision, ces motifs ayant ainsi été portés à suffisance de droit à la connaissance de l’administré (trib. adm. 13 novembre 1997, n° 10268 du rôle, Pas. adm. 2/99, V° Procédure administrative non contentieuse, III. Motivation de la décision administrative, n° 23, p. 221). Par ailleurs, une décision administrative est encore motivée à suffisance de droit si l’auteur de la décision déclare se rallier à l’avis d’un organe consulté par cet auteur et que le destinataire de la décision a pu avoir une connaissance intégrale de cet avis (cf. trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 2/99, V° Procédure administrative non contentieuse, III. Motivation de la décision administrative, n° 35, p. 224).
En l’espèce, le demandeur, par le fait d’avoir reçu les décisions antérieures du ministre des Travaux publics des 19 juin 1992 et 2 décembre 1996 était en mesure de connaître les motivations se trouvant à la base de la nouvelle décision ministérielle du 25 novembre 1998.
Par ailleurs, dans la mesure où il ressort du dossier que le demandeur avait encore connaissance de l’avis technique du préposé du service régional de Mersch du 12 mai 1998, ainsi que de l’avis du directeur de l’administration des Ponts et Chaussées du 14 octobre 1998, contre lequel il a fait un recours gracieux par lettre de son mandataire du 20 octobre 1998, et auxquels le ministre s’est rallié dans la décision litigieuse du 25 novembre 1998, il était à même de connaître en détail la motivation se trouvant à la base de la décision ministérielle déférée. Le moyen afférent présenté par le demandeur tiré d’une absence de motivation de la décision litigieuse est partant à rejeter.
Le demandeur conteste encore le bien-fondé des arguments invoqués à la base du refus d’accorder la permission de voirie, en soutenant plus particulièrement que la loi précitée du 13 janvier 1843 aurait uniquement pour objet de fixer l’alignement des maisons construites le long des routes et que partant le ministre des Travaux publics aurait excédé ses pouvoirs en prescrivant les conditions à remplir dans le cadre de l’aménagement du chemin ou de la pente d’accès à la maison d’habitation. Il précise encore que l’aménagement du chemin d’accès tel qu’il a été fixé par le ministre des Travaux publics rendrait impossible l’accès à ses deux garages et porterait d’une manière générale atteinte à son droit de propriété. Enfin, il soutient que le ministre ne préciserait ni les dangers que les usagers de la route risqueraient d’encourir au cas où il réaliserait l’accès en ligne droite ni les raisons justifiant qu’un accès en chemin carrossable en ligne non directe serait plus sûr pour les mêmes usagers.
Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre des Travaux publics aurait bien agi dans le cadre de la législation applicable et que sa décision serait justifiée par le fait que la route nationale N14 Heffingen-Blumenthal constituerait une voie de communication accusant un trafic assez important. Il soutient encore que le ministre n’aurait pas uniquement le droit de fixer l’alignement des maisons d’habitation mais également de déterminer les conditions dans lesquelles les chemins d’accès auxdites maisons doivent être construits.
Il estime que le fait pour le demandeur de ne pas avoir respecté l’implantation de sa maison initialement autorisée et de ne pas avoir averti les services compétents de l’administration en vue de vérifier, préalablement au commencement des travaux, ladite implantation, ne saurait justifier une dérogation par rapport aux conditions fixées par l’autorisation précitée de 1996.
4 Après avoir rappelé que dans ses décisions antérieures, le ministre avait autorisé l’accès en courbe avec un palier horizontal de 6m à partir de la limite extérieure du revers ou du domaine public avec une pente de 15% sur les 3m restants, le délégué du gouvernement expose que la solution actuellement envisagée par le demandeur consistant dans un accès en ligne directe aurait pour conséquence que cette pente accuserait une déclivité supérieure à 12%, ce qui serait “ inadmissible pour des raisons de sécurité ”, en raison du trafic intense sur la route nationale concernée.
C’est à tort que le demandeur estime que le ministre des Travaux publics aurait excédé son domaine de compétence en soumettant à autorisation l’aménagement du chemin d’accès vers la maison d’habitation située le long d’une route nationale, étant donné qu’en vertu de l’article 4, alinéa 1er de la loi précitée du 13 janvier 1843, sont soumis à autorisation non seulement la construction, la reconstruction, la réparation et l’amélioration de bâtiments ou autres constructions généralement quelconques mais également tous les autres travaux envisagés par le propriétaire du fonds à une distance inférieure à 10m à compter de l’arête extérieure du fossé de la route, conformément à l’article 5 de la même loi, distance qui peut sous certaines conditions être portée à 25 m sur base d’un plan définitif d’alignement général, n’existant pas en l’espèce. Le moyen afférent du demandeur doit partant être déclaré non fondé.
En ce qui concerne le moyen tiré d’une erreur d’appréciation commise par le ministre, il échet tout d’abord de constater qu’il n’existe aucune disposition légale ou réglementaire fixant les conditions à respecter en vue de l’aménagement d’une pente d’accès dans les limites de la distance de 10 m précitée. D’après les renseignements fournis par l’administration, celle-ci suivrait une pratique administrative en vertu de laquelle la déclivité d’une telle pente ne devrait pas dépasser 3% sur une longueur de 6 m à partir de la limite extérieure du revers ou du domaine public, et qu’en vertu du principe du traitement égalitaire de tous les citoyens devant la loi, il y aurait également lieu de faire application de cette pratique administrative au présent cas.
Il échet de constater qu’en l’espèce les motifs de refus de l’autorisation sollicitée, tels que ceux-ci ressortent de l’avis technique précité du 12 mai 1998, se basent exclusivement sur la dangerosité des manœuvres à effectuer par le demandeur en vue de garer ou de stationner sa remorque de six mètres de longueur sur le chemin d’accès reliant la voie publique à ses garages.
En matière d’autorisation de voirie, le ministre doit veiller à ce que les constructions et aménagements à réaliser le long des grandes routes, dans la mesure où ils sont situés dans les limites des distances fixées par l’article 5 de la loi précitée du 13 janvier 1843, ne soient pas de nature à causer des dangers pour les usagers de la route. Le ministre doit ainsi plus particulièrement veiller à ce que les accès carrossables à la voie publique soient aménagés de manière à éviter que de la part de la configuration même desdits accès, les manœuvres de véhicules ou d’autres engins motorisés ou non motorisés à effectuer sur lesdits chemins soient de nature à mettre en danger les usagers d’une route nationale.
La loi ne prévoyant pas de critères sur lesquels l’administration peut se fonder pour soit refuser soit autoriser une permission de voirie en ce qui concerne plus particulièrement l’aménagement des chemins d’accès reliant les propriétés privées à la voie publique, le ministre doit examiner, pour chaque cas d’espèce, si le chemin d’accès projeté est de nature à créer des 5 dangers pour les usagers de la route excédant ceux qui sont normalement occassionnés par des bifurcations ou croisements d’une route principale avec des chemins ou routes secondaires.
Dans ce contexte, le ministre doit tenir compte non seulement de la manière dont le chemin d’accès devra être aménagé, mais également de la déclivité de celui-ci, afin d’assurer que les manœuvres de véhicules et autres engins motorisés ou non motorisés en vue soit de pénétrer sur la route publique soit d’accéder audit chemin d’accès ne causent pas des dangers excessifs pour les autres usagers de ladite route.
Il convient encore de relever qu’une trop forte déclivité d’un tel chemin d’accès est susceptible d’accentuer la dangerosité de telles manœuvres, peu importe si des remorques sont attachées auxdits véhicules motorisés ou non-motorisés.
En l’espèce, le demandeur projette l’aménagement d’un chemin d’accès en angle droit par rapport à la voie publique, devant accuser une pente d’environ 12,67%, tel que cela résulte de l’avis technique précité du 12 mai 1998 du service régional de Mersch, non contesté par le demandeur.
Bien que la maison d’habitation de Monsieur NESTLER à relier à la voie publique par le chemin d’accès dont question ci-avant se trouve à l’intérieur de la localité de Reuland, et que partant les véhicules utilisant ladite route doivent respecter une vitesse maximale de 50km/h, il n’en reste pas moins que ledit chemin d’accès devra déboucher sur la voie publique à environ 100 mètres d’un virage d’environ 90°, que la route principale longeant la maison du demandeur accuse une très forte déclivité, et que par ailleurs la route nationale N14 en question accuse un trafic assez important notamment par le passage fréquent non seulement de voitures mais également de camions. Il en découle que dans les circonstances de l’espèce, un chemin d’accès accusant une déclivité d’environ 12,67%, débouchant directement sur ladite voie publique, doit être considéré comme étant susceptible d’accroître la dangerosité pour les usagers de la route, par rapport à la dangerosité susceptible d’émaner d’autres chemins d’accès ou routes secondaires débouchant sur la route principale, aménagés en palier horizontal ou accusant une déclivité moindre. Cette dangerosité est encore accentuée en cas soit de défectuosité des freins des engins circulant ou stationnant sur ladite pente d’accès, soit de verglas ou d’autres conditions climatiques défavorables, auxquels cas lesdits engins risquent d’échapper au contrôle de l’homme et de constituer par la suite un obstacle sur la voie publique.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé l’aménagement en ligne droite du chemin d’accès projeté par le demandeur, en ce qu’il a retenu qu’une telle solution est de nature à créer des dangers pour les usagers de la route, de sorte que le recours introduit par le demandeur laisse d’être fondé.
Le tribunal étant compétent pour statuer sur le recours en réformation, le recours en annulation est à déclarer irrecevable.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
6 le déclare non fondé et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 24 novembre 1999 par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 7