N° 11300 du rôle Inscrit le 27 mai 1999 Audience publique du 17 novembre 1999 Recours formé par Madame … YOMACHE HAPPI contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique Vu la requête déposée le 27 mai 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … YOMACHE HAPPI, de nationalité camerounaise, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 avril 1999, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été déclarée non fondée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 1999 ;
Vu le mémoire en réplique de la demanderesse déposé au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 1999 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Sylvie KREICHER, en remplacement de Maître Gaston VOGEL et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER, en leurs plaidoiries respectives.
Le 14 décembre 1998, Madame … YOMACHE HAPPI, de nationalité camerounaise, demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Elle fut entendue le 14 décembre 1998 par un agent de la police judiciaire et en dates des 23 février et 2 mars 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 22 mars 1999, le ministre de la Justice informa Madame YOMACHE HAPPI, par lettre du 28 avril 1999, 1 notifiée le 14 mai 1999, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « Me ralliant à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.
En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. (…) ».
Par requête déposée en date du 27 mai 1999, Madame YOMACHE HAPPI a introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle précitée du 28 avril 1999.
L’article 13 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées infondées, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été formé dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
La demanderesse fait valoir qu’elle serait membre du parti « Front Social Démocrate » (SDF) et que son mari y jouerait un rôle actif, que le gouvernement camerounais tenterait de réprimer les activités de ce parti et de poursuivre ses membres, qu’à plusieurs reprises au courant de l’année 1998, des agents de la police se seraient rendus à son domicile au Cameroun afin d’enquêter sur les activités poursuivies par son époux et que lors de ces visites, elle aurait subi des « contraintes morales et physiques ». Dans ce contexte, elle expose que comme elle se serait trouvée dans l’impossibilité de répondre aux questions posées par les agents des forces de l’ordre, elle aurait été agressée plusieurs fois « physiquement et violentée par les forces de l’ordre et ce, en présence des enfants » et qu’elle aurait été incarcérée à deux reprises. Elle expose encore que son salon de coiffure qu’elle avait exploité dans la ville de … aurait été « mis à sac, incendié, bombardé » en date du 4 décembre 1998. Selon ses dires, cet événement l’aurait terrorisé de telle manière qu’elle se serait trouvée dans « l’impossibilité morale de continuer à vivre constamment dans la terreur » et l’aurait amené à quitter le Cameroun. Elle fait encore état d’un mandat d’arrêt qui aurait été lancé contre elle pour « atteinte à la sécurité publique et à la paix publique, activité dangereuse et attroupement à caractère politique », daté du 11 janvier 1999. Elle estime que l’unique motif de ces perquisitions consisterait dans les opinions politiques défendues par son époux et, en ordre subsidiaire, dans son appartenance au parti SDF.
Elle estime qu’il se dégage de ses déclarations, ensemble les pièces soumises au tribunal, qu’elle remplit les conditions posées par la Convention de Genève pour la reconnaissance du statut de réfugié.
Le délégué du gouvernement rétorque que lors des deux auditions auxquelles un agent du ministère de la Justice a procédé, la demanderesse aurait effectué une description très vague de ses craintes de persécution et que de toute façon, les craintes de celle-ci se limiteraient aux activités politiques poursuivies par son mari. Il relève par ailleurs que les prétendues convocations à la police « pour incitation à la révolte » n’auraient donné lieu à aucune suite de la part des autorités camerounaises, nonobstant le fait qu’elle ne se serait pas 2 présentée à la police. En se référant auxdits rapports d’audition, le représentant étatique constate que les réponses de la demanderesse aux questions qui lui ont été posées par un agent du ministère de la Justice auraient été évasives notamment lorsqu’il a été question de la situation actuelle et du sort subi par son mari. Il constate encore que les faits tels que relatés dans la requête introductive d’instance seraient partiellement nouveaux et contredits par des déclarations faites par la demanderesse lors de ses différentes auditions. Il cite comme exemple le fait que lors de son audition du 2 mars 1999, elle a déclaré ne pas avoir subi de violences physiques alors que dans sa requête elle fait état d’agressions physiques et de violences que les forces de l’ordre lui auraient fait subir. Par ailleurs, lors de ces auditions elle n’a pas fait état du fait qu’elle aurait été emprisonnée à deux reprises. En ce qui concerne la destruction de son salon de coiffure, et contrairement aux explications fournies par la demanderesse dans son recours, il relève qu’elle a déclaré, lors de son audition du 23 février 1999, que ledit salon aurait été détruit en raison de considérations d’urbanisme.
Le représentant étatique conclut en affirmant que ce serait à juste titre que le ministre de la Justice a décidé que la demanderesse n’avait pas fait état d’une façon crédible d’une crainte raisonnable de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
L’examen des déclarations faites par Madame YOMACHE HAPPI lors de ses auditions des 23 février et 2 mars 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments, pièces et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, 3 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 17 novembre 1999 par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 4