N° 11254 du rôle Inscrit le 19 avril 1999 Audience publique du 15 novembre 1999 Recours formé par Monsieur … GIERENS, Vianden contre une décision du ministre de la Justice en présence de la société anonyme X. LUXEMBOURG, Luxembourg en matière de gardiennage et surveillance Vu la requête inscrite sous le numéro 11254 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 avril 1999 par Maître Guy CASTEGNARO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … GIERENS, employé privé, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 mars 1999 portant refus d’agrément d’exercer une activité de gardiennage et de surveillance ;
Vu la requête en intervention déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 mai 1999 par Maître Guy CASTEGNARO, au nom de Monsieur … GIERENS, prédits, tendant à voir déclarer le jugement à intervenir commun à la société anonyme X.
LUXEMBOURG S.A., établie et ayant son siège social à L-…;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Roland FUNK, demeurant à Luxembourg, du 20 mai 1999 portant signification desdits recours et requête en intervention à la société anonyme X. LUXEMBOURG S.A. ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 juin 1999 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 octobre 1999 par Maître Guy CASTEGNARO, au nom de Monsieur … GIERENS ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre BIEL, demeurant à Luxembourg, du 20 septembre 1999 portant signification de ce mémoire en réplique à la société anonyme X.
LUXEMBOURG S.A. ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 octobre 1999 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Roger NOTHAR et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 novembre 1999.
1 Considérant que Monsieur … GIERENS, né le …, demeurant à L-…, ayant sollicité l’autorisation prévue par la loi du 6 juin 1990 relative aux activités privées de gardiennage et de surveillance, en vue d’être engagé en qualité d’agent de sécurité auprès de la société anonyme X. LUXEMBOURG S.A., établie et ayant son siège social à L-…, le ministre de la Justice, par décision du 9 mars 1999, notifiée le 18 suivant à ladite société anonyme X.
LUXEMBOURG, refusa l’agrément demandé au vu de l’avis négatif exprimé par les autorités judiciaires ;
Que par requête déposée en date du 19 avril 1999, Monsieur … GIERENS a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle de refus d’agrément prévisée ;
Que par requête en intervention déposée le 28 mai 1999 il demanda à voir déclarer commun le jugement à intervenir à la société anonyme X. LUXEMBOURG ;
Considérant que dans la mesure où d’après l’article 4 (5) de la loi précitée du 6 juin 1990 les juridictions de l’ordre administratif sont appelées à statuer comme juge du fond à l’encontre de la décision ministérielle concernant l’octroi, le refus et la révocation des autorisations prévues par ladite loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal quant à la décision critiquée portant refus de pareille autorisation ;
Considérant que le même article 4 (5) prévoit dans son alinéa second que le recours doit être introduit, sous peine de forclusion, par les requérants dans le délai d’un mois à partir de la notification et par les tiers intéressés dans le délai d’un mois à partir de la publication de ladite décision ;
Considérant que les requérants visés par ledit article comprennent à la fois l’agent de sécurité à engager et son futur employeur, entreprise de gardiennage et de surveillance ;
Que dès lors à défaut de notification de la décision intervenue dans le chef de Monsieur GIERENS, au nom duquel la demande d’agrément avait été posée, aucun délai de recours n’a commencé à courir;
Considérant que la société anonyme X. LUXEMBOURG étant à comprendre comme requérant au sens de l’article 4, (5) précité, la signification lui faite par exploit de l’huissier de justice du 20 mai 1999 de la requête introductive d’instance est à considérer comme lui ayant été valablement adressée en tant que partie intéressée au sens de l’article 4 de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux applicable en l’espèce ;
Que dès lors la requête en intervention du 28 mai 1999 est à déclarer sans objet, les frais afférents devant rester à charge de Monsieur GIERENS et n’entrent pas en taxe ;
Considérant que pour le surplus le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit conformément aux dispositions légales applicables ;
Que par voie de conséquence le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est à déclarer irrecevable ;
2 Considérant qu’au fond le demandeur fait valoir que la décision critiquée serait insuffisamment motivée au regard de l’article 4 (4) de la loi précitée du 6 juin 1990, dans la mesure où elle se limiterait à renvoyer à l’avis négatif exprimé par les autorités judiciaires, sans préciser dans laquelle des trois hypothèses de refus émargées par l’article 5 alinéa second de ladite loi elle se situerait ;
Que si le refus devait être fondé sur des conditions de moralité, le requérant estime être en droit de connaître les insuffisances de moralité qui lui sont opposées ;
Considérant que dans son mémoire en réponse le délégué du Gouvernement de préciser que le ministre de la Justice a estimé en l’espèce que les conditions de moralité ne sont pas remplies dans le chef du demandeur ;
Que le refus ministériel serait pris sur base des avis défavorables des procureurs général d’Etat et procureur d’Etat de Diekirch, ce dernier se basant sur un rapport de la gendarmerie grand-ducale, brigade de Diekirch, du 15 janvier 1999 relatant un différend avec son ancien patron au sujet de différences de caisse ;
Que dans la mesure où la profession d’agent de sécurité et de surveillance consisterait notamment à protéger la propriété d’autrui et assurer des transports de fonds, une personne dont on saurait qu’elle vient d’abuser de la confiance de son précédent employeur dans les conditions décrites dans le rapport de la gendarmerie ne saurait se voir reconnaître les qualités morales nécessaires pour exercer la profession envisagée ;
Considérant que Monsieur GIERENS fait répliquer que les allégations imputées à son ancien employeur, la boulangerie …, par le rapport de la gendarmerie de Diekirch serait inventées de toutes pièces ;
Qu’il n’aurait jamais détourné de l’argent de la caisse de son employeur et que les opérations d’inventaire y relatives, ayant certes établi une différence de caisse, n’auraient cependant jamais permis d’en déterminer la cause, ni a fortiori de l’imputer à des agissements frauduleux de sa part ;
Que lui-même aurait pris l’initiative d’une démission et se serait arrangé avec son ancien employeur, de sorte qu’aucune plainte n’aurait été déposée par ce dernier, le parquet n’ayant pas non plus poursuivi l’affaire ;
Que dès lors le ministre n’aurait pas fondé sa décision sur des faits légalement établis et l’aurait prise en dehors des conditions légalement prévues telles que contenues dans la loi du 6 juin 1990 précitée ;
Que le représentant étatique de dupliquer que le ministre se serait à l’époque basé sur les avis des autorités judiciaires lui transmis et en aurait déduit que le vol y décrit dans le chef de Monsieur GIERENS, même en l’absence de plainte portée contre lui, constitue néanmoins un élément très grave en raison duquel les qualités morales requises pour l’exercice des missions de confiance inhérentes à l’activité de gardiennage et de surveillance feraient défaut ;
Considérant que l’article 5 alinéa 2 de la loi du 6 juin 1990 précitée dispose que « l’autorisation est refusée pour l’engagement :
a) de personnes âgées de moins de 18 ans ;
3 b) de celles exerçant des activités jugées incompatibles avec la mission de surveillance ;
c) de celles qui ne remplissent pas les conditions de moralité » ;
Considérant que s’il est vrai que la décision déférée ne se place pas directement dans le cadre d’un des trois cas d’ouverture précités, les compléments de motifs fournis par le représentant étatique dans son mémoire en réponse permettent de retenir sans ambiguïté qu’elle est basée sur le défaut des conditions de moralité requises tel que se dégageant des avis des autorités judiciaires par lui expressément cités ;
Considérant que dans la mesure où la partie demanderesse a pu valablement prendre position par rapport aux compléments de motivation fournis par le représentant étatique en cours d’instance contentieuse, ces derniers suffisent aux exigences posées par l’article 4 (4) de la loi du 6 juin 1990 précitée portant que lorsque l’autorisation est refusée, la décision ministérielle doit être motivée ;
Considérant que la motivation à la base de la décision déférée s’appuie à travers les avis négatifs du procureur général d’Etat et du procureur d’Etat de Diekirch sur le rapport de la gendarmerie grand-ducale, brigade de Diekirch, du 15 janvier 1999 à leur base, lequel retient sous ses points essentiels :
« …… Der Interessent ist weder national noch international signalisiert.
…… Im hiesigem Dienstbezirk ist der Interessent bislang weder in moralischer noch in polizeilicher Hinsicht in Erscheinung getreten.
…… Der Interessent übt zur Zeit keine weitere Beschäftigung aus, er schliesst es jedoch nicht aus, dass er noch eine weitere Arbeit annehmen wird, falls sich dazu eine Gelegenheit bieten sollte.
…… Eine Nachfrage beim vorherigen Arbeitgeber, der Bäckerei … aus …, ergab, dass der Interessent dort 50.000.- bis 80.000.- Franken gestohlen hatte. Dies tat er indem er Geld aus der Kasse abzweigte. Der Interessent war hier als Ausfahrer beschäftigt. Der Gesuchsteller einigte sich mit … und kam für den Schaden auf und es kam nicht zu einer Anklage.
Daraufhin wurde GIERENS entlassen da sein Arbeitgeber kein Vertrauen mehr zu ihm hatte. » ;
Considérant que les conditions de moralité pouvant être légitimement posées à l’encontre d’un candidat à l’exercice d’une activité de gardiennage et de surveillance pour le compte de tiers sont mesurées par rapport aux exigences spécifiques posées dans le chef du futur agent de sécurité en raison de la nature même de la mission dont il désire être revêtu ;
Considérant que d’après l’article 2 de la loi du 6 juin 1990 précitée, les activités de gardiennage et de surveillance y visées comprennent :
« a) la surveillance de biens mobiliers et immobiliers ;
b) la protection de personnes ;
c) le transport, le convoyage et la surveillance de transports de fonds et d’objets mobiliers ;
d) l’installation et la gestion de centres d’alarmes privés » ;
4 Considérant qu’il découle de cette définition des tâches que les critères de moralité posés par l’article 5 alinéa 2 point c) prérelaté appellent une appréciation d’autant plus stricte que le comportement du candidat par rapport à l’intégrité physique ainsi qu’à la propriété d’autrui est visé ;
Considérant qu’au moment où il a statué, le ministre a ainsi pu valablement retenir sur base des éléments mis à sa disposition à ce stade de la procédure pré-contentieuse que même en l’absence de plainte, les indications faites à travers le rapport de la gendarmerie grand-
ducale en question relatant dans le chef de Monsieur GIERENS un vol d’argent de la caisse de son employeur « dass der Interessent doch 50.000.- bis 80.000.- Franken gestohlen hatte.
Dies tat er indem er Geld aus der Kasse abzweigte » impliquaient que les conditions de moralité requises n’étaient pas remplies dans le chef du demandeur ;
Considérant que dans le cadre d’un recours en réformation, le juge est amené à apprécier la décision déférée quant à son bien-fondé et à son opportunité avec le pouvoir d’y substituer sa propre décision impliquant que cette analyse s’opère au moment où il est appelé à statuer, les deux parties en cause étant autorisées à compléter leurs arguments respectifs en cours d’instance et à les étayer le cas échéant par des pièces nouvelles (Cour adm. 19 février 1998, Kijamet, n° 10259C du rôle, Pas. adm. 02/99, V° Recours en réformation, n° 9, p. 268 et autres décisions y citées) ;
Considérant qu’intervenu dans le cadre d’un arrangement entre parties, le courrier du mandataire de l’ancien employeur de Monsieur GIERENS versé au dossier impute à ce dernier la différence de caisse suivant inventaires des 6 janvier et 3 mars 1998, évaluée à 81.672.- francs, sans cependant prendre position d’une quelconque manière par rapport à la cause de celle-ci ;
Qu’en tout état de cause l’employeur de Monsieur GIERENS n’a pas, à travers ce courrier officiel de son avocat, élevé l’hypothèse d’un vol, tout comme il n’a pas exclu celle d’une perte de l’argent en question due à la négligence du chauffeur-livreur GIERENS, voire au fait d’autrui ;
Considérant que le fait que ni l’employeur n’a déposé plainte, ni le procureur d’Etat de Diekirch n’a poursuivi Monsieur GIERENS en raison de la différence de caisse ci-avant dégagée, amène le tribunal à retenir qu’au regard des éléments d’information lui actuellement soumis, le fait du vol simplement affirmé dans le rapport de gendarmerie précité se trouve être du moins tenu en échec, sinon même énervé par les points soulevés par la partie demanderesse et les faits de non-poursuite ci-avant relatés ;
Considérant que dans la mesure où, au stade actuel des informations du tribunal, aucune instance pénale ne sera appelée à statuer sur les différences de caisse ci-avant relatées, lesquelles constituent dans le chef de Monsieur GIERENS le seul élément négatif dénoté au dossier au regard des critères de moralité posés par la loi, la décision ministérielle déférée est à réformer en ce sens que sur base des éléments du dossier actuellement soumis, Monsieur GIERENS remplit les conditions de moralité telles que posées par l’article 5 alinéa 2 point c) de la loi du 6 juin 1990 précitée, de sorte qu’aucun refus d’agrément ne peut intervenir dans son chef sur cette base au stade actuel de la procédure ;
Par ces motifs, 5 le tribunal administratif, première chambre, statuant par défaut à l’égard de la société anonyme X. Luxembourg et contradictoirement pour le surplus ;
déclare le recours en réformation recevable ;
au fond le dit justifié ;
réformant, dit que le demandeur remplit, au stade actuel des éléments du dossier, les conditions de moralité fixées par la loi du 6 juin 1990 et renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice ;
déclare le recours en annulation et la requête en intervention irrecevables et laisse les frais afférents à charge de la partie demanderesse ;
condamne pour le surplus l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 novembre 1999 par :
M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Delaporte 6