N° 11588 du rôle Inscrit le 15 octobre 1999 Audience publique du 11 novembre 1999
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Recours formé par Monsieur … HUSOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11588 et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 1999 par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Gülcan DOYDUK, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HUSOVIC, de nationalité yougoslave, originaire du Monténégro, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 23 juillet 1999, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée, ainsi que d’une décision confirmative du 14 septembre 1999, rendue sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 1999 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Gülcan DOYDUK, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.
Monsieur … HUSOVIC, de nationalité yougoslave, originaire du Monténégro, demeurant actuellement à L-…, avait introduit au Grand-Duché de Luxembourg en date du 30 août 1995 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ». Cette demande fut avisée négativement par le ministre de la Justice par une décision datée du 29 février 1996. Un recours contentieux introduit par Monsieur HUSOVIC en date du 4 juin 1996 auprès du comité du contentieux du Conseil d’Etat a été rejeté par un jugement du tribunal administratif du 27 février 1997 comme n’étant pas fondé.
Par courrier du 5 août 1997, le ministre de la Justice invita Monsieur HUSOVIC à quitter le Luxembourg dans un délai de quinze jours.
En date du 14 mai 1998, il sollicita à nouveau auprès du ministre de la Justice la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève.
1 Il fut entendu en date du 3 mars 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.
Sur avis défavorable de la Commission consultative pour les réfugiés du 14 juillet 1999, le ministre de la Justice informa Monsieur HUSOVIC, par lettre du 23 juillet 1999, notifiée le 29 juillet 1999, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Me ralliant à l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.
En effet, vous n’invoquez aucune crainte sérieuse de persécution pour une des raisons visées de la Convention de Genève.
Votre demande en obtention du statut des réfugiés est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».
Un recours gracieux formé par lettre du 20 août 1999 à l’encontre de la décision précitée du 23 juillet 1999 fut rejeté par une décision confirmative du ministre de la Justice du 14 septembre 1999.
Par requête du 15 octobre 1999, Monsieur HUSOVIC a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions déférées des 23 juillet et 14 septembre 1999.
C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation étant donné que l’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit expressément qu’en matière de demande d’asile déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.
Le tribunal est partant incompétent pour connaître de la demande en réformation des décisions critiquées.
Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’à la suite du refus par les autorités luxembourgeoises de lui accorder le statut de réfugié politique, il aurait tenté de retourner dans son pays d’origine, mais qu’à la frontière de celui-ci, la police yougoslave lui aurait interdit de pénétrer sur le territoire monténégrin, en le retenant au poste de police de la frontière pendant une période de 15 jours au cours de laquelle il aurait été « battu, insulté et maltraité par la police qui lui reprochait d’être un traître ». Au cours de cette période de détention, il aurait néanmoins pu téléphoner à son père et celui-ci se serait rendu au poste de police en question afin de remettre à la police yougoslave le passeport du demandeur, tel que réclamé. Son père, à qui les agents de police auraient interdit de voir son fils, aurait été battu par ces mêmes agents et le passeport du demandeur aurait été confisqué par eux. A la fin de cette période de détention, il aurait été refoulé vers la Hongrie dont les autorités lui auraient 2 enjoint de retourner au Luxembourg, malgré une « demande orale formulée … pour avoir le droit de rester dans ce pays ».
Le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que les décisions ministérielles critiquées seraient entachées d’illégalité pour défaut de motivation suffisante n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort des pièces versées au dossier que les décisions querellées et plus particulièrement celle du 23 juillet 1999 ensemble l’avis de la commission consultative pour les réfugiés auquel le ministre s’est rallié, et qui a été annexé en copie à la prédite décision, de sorte qu’il en fait partie intégrante, indiquent de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur (v. trib. adm. 3 mars 1997, n°9693 du rôle, Pas. adm. 2/99, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 35, page 224 et autres références y citées).
Concernant le deuxième moyen d’annulation, tiré de ce que le ministre de la Justice a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits en ce qu’il n’aurait pas tenu compte des éléments nouveaux ayant trait à la situation du demandeur, tels qu’ils seraient apparus à la suite du jugement précité du tribunal administratif du 27 février 1997, il échet de relever que l’avis de la commission consultative pour les réfugiés du 14 juillet 1999, faisant partie intégrante de la décision déférée du 23 juillet 1999, s’est spécifiquement référé à ces éléments nouveaux dans la mesure où la commission a analysé les conditions dans lesquelles le demandeur est retourné en Yougoslavie ainsi que le prétendu emprisonnement dans ce pays et le refoulement subséquent vers la Hongrie.
Le demandeur soutient que le ministre de la Justice aurait encore fait une mauvaise appréciation des faits à la base de sa demande étant donné qu’il se dégagerait de ses déclarations qu’il serait à considérer comme réfugié au sens de la Convention de Genève. Il fait valoir plus particulièrement que ni son pays d’origine, à savoir le Monténégro, ni « aucun pays » ne l’autoriserait à entrer sur son territoire et que partant, en l’absence d’un pays d’accueil, il n’existerait aucun territoire sur lequel il pourrait séjourner. En outre, un retour dans son pays d’origine serait impossible, étant donné que soit il y serait à nouveau battu et refoulé vers la Hongrie, soit les autorités monténégrines l’autoriseraient à y séjourner, ce qui risquerait d’avoir pour conséquence « les pires exactions du fait de sa désertion et du fait de sa fuite à l’étranger », alors qu’elles risqueraient de le considérer comme traître puisqu’il a présenté une demande d’asile à l’étranger. Dans ce contexte, il invoque comme preuve de ses dires le fait que lors de son dernier retour dans son pays d’origine, en 1998, il aurait été battu par la police à la frontière yougoslave.
Le délégué du gouvernement conclut au non fondé du recours au motif que le demandeur invoquerait des faits qui resteraient non seulement à l’état de simples allégations mais qui en outre seraient difficilement crédibles.
Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement … ».
En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra 3 être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».
Le tribunal est partant amené à analyser en premier lieu si le demandeur a invoqué des faits constituant un motif susceptible de justifier une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève. A cette fin, il échet d’analyser les déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 3 mars 1999 au cours de laquelle il a déclaré qu’il serait retourné en janvier 1998 en Yougoslavie, après que le statut de réfugié politique lui a été refusé au Luxembourg. A cette occasion, il a exposé que les autorités yougoslaves lui auraient refusé l’entrée sur le territoire de la Yougoslavie, au motif qu’il ne serait plus citoyen de ce pays, en ce qu’ils le considéreraient comme un « traître » pour avoir « critiqué leur pays à l’étranger », que dès sa tentative d’entrée sur le territoire yougoslave, il aurait été emprisonné et que son emprisonnement aurait duré deux semaines, à la suite duquel il aurait été refoulé vers la Hongrie. Il a encore précisé qu’au cours de cette détention, il aurait été battu par les autorités douanières yougoslaves, et ceci plus particulièrement au cours des interrogatoires qu’il aurait dû subir.
En principe, les faits présentés par le demandeur sont susceptibles de constituer un motif de persécution ou de crainte de persécution, tel que prévu par l’article 1er, section A, 2) de la Convention de Genève. En effet, ce faisant, le demandeur fait état d’une crainte de persécution au titre de ses opinions politiques, en ce que les autorités yougoslaves ont pu percevoir son comportement comme étant l’expression d’une opinion politique, du fait qu’il a recherché une protection juridique à l’étranger, en se fondant sur le fait que ses autorités nationales risqueraient de le persécuter ou le persécuteraient.
Il ne suffit toutefois pas que le demandeur d’asile invoque un ou des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, pour que l’administration doive analyser sa demande quant au fond. Il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles. En d’autres termes, au cas où, bien qu’invoquant un motif visé par la Convention de Genève en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique, les faits se trouvant à la base de ces motifs sont manifestement incrédibles, la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.
Le tribunal doit partant examiner, de manière sommaire, et sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles.
En l’espèce, la nature des faits portés initialement à la connaissance du ministre de la Justice lors de l’audition du 3 mars 1999 et tels qu’ils figurent également dans la requête introductive d’instance, est totalement différente de la nature des faits qui ont été invoqués dans le recours gracieux du 20 août 1999 dirigé contre la décision ministérielle initiale du 23 juillet 1999. En ce qui concerne certains de ces faits, non seulement des versions différentes sont présentées par le demandeur, mais les déclarations de celui-ci au sujet de ces faits sont tellement vagues, incohérentes et contradictoires que le tribunal arrive à la conclusion que les faits ainsi présentés par le demandeur sont manifestement incrédibles.
Il résulte des développements qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a retenu que le demandeur d’asile n’a pas basé sa demande d’asile sur un des critères de fond définis par la Convention de Genève et qu’il a déclaré cette demande comme étant 4 manifestement infondée. Il s’ensuit que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 11 novembre 1999 par le vice-président, en présence de M.
Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Schockweiler 5