N° 11004 du rôle Inscrit le 2 décembre 19998 Audience publique du 8 novembre 1999 Recours formé par Monsieur … DOMINGUES CARMO, … contre une décision de l’administration des Contributions directes, service d’imposition, section personnes physiques, bureau RTS en matière d’appel en garantie Vu la requête inscrite sous le numéro 11004 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 1998 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DOMINGUES CARMO, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un bulletin d’appel en garantie du 15 décembre 1997 émis à son encontre par le bureau d’imposition RTS de … ainsi que du silence du directeur de l’administration des Contributions directes faisant suite à son recours gracieux;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 1999 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporateur en son rapport, ainsi que Maître Céline BOTTAZZO et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 octobre 1999.
En date du 15 décembre 1997, le bureau d’imposition RTS de … a émis à l’encontre de Monsieur … DOMINGUES CARMO, demeurant à L-… pris en sa qualité de gérant de la société à responsabilité limitée « X. », ayant eu son siège social à L-…, alors en état de faillite, un bulletin d’appel en garantie pour le paiement des impôts, intérêts et frais redus par ladite société au titre de l’impôt sur les salaires pour les exercices 1995, 1996, 1997, ainsi que de frais et d’intérêts y relatifs s’élevant à un total de …- Luf.
Un premier recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation notamment du bulletin d’appel en garantie prévisé du 15 décembre 1997 introduit au nom de Monsieur DOMINGUES CARMO par requête déposée en date du 14 mars 1998 au tribunal administratif ayant été déclaré irrecevable suivant jugement du tribunal du 25 novembre 1998 (n° 10594 du rôle) au motif qu’au jour du dépôt de la requête introductive d’instance le délai de six mois prévu à l’article 8 (3), 3. de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif n’était pas encore révolu et l’appel interjeté par Monsieur DOMINGUES CARMO à l’encontre de ce jugement par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 24 décembre 1998 ayant été déclaré non fondé par arrêt du 10 juin 1999 (n° 11054C du rôle), Monsieur DOMINGUES CARMO a fait déposer en date du 2 décembre 1998 un nouveau recours devant le tribunal administratif tendant à l’annulation, sinon à la 1 réformation dudit bulletin d’appel en garantie, ainsi que du « silence faisant suite au recours gracieux ».
Le délégué du Gouvernement conclut principalement à l’irrecevabilité du recours comme étant prématuré en faisant valoir que le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après appelé « le directeur », aurait été dessaisi du dossier depuis la première requête déposée par le demandeur en date du 4 mars 1998, de sorte qu’il n’aurait jamais disposé des six mois que la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif lui réservait pour statuer sur réclamation. Il signale à cet effet que ledit délai de six mois aurait été suspendu par l’application des principes généraux du droit, - contra non valentem, nemo auditur - , ceci tant pendant l’instance devant le tribunal administratif que pendant l’instance d’appel.
Il se dégage du jugement du tribunal administratif prévisé du 25 novembre 1998, confirmé par arrêt de la Cour administrative du 10 juin 1999, que Monsieur … DOMINGUES CARMO a introduit une réclamation écrite contre le bulletin d’appel en garantie litigieux, par courrier de son mandataire du 13 janvier 1998 et que cette réclamation n’a pas fait l’objet d’une réponse de la part du bureau d’imposition RTS de …, ni encore d’une décision du directeur vidant ledit recours.
En vertu des dispositions de l’article 8 (3), 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le contribuable dont la réclamation n’a pas fait l’objet d’une décision définitive du directeur dans un délai de six mois peut déférer directement au tribunal le bulletin qui a fait l’objet de la réclamation, étant entendu que, s’agissant d’une condition de recevabilité, l’observation de ce délai de six mois s’apprécie au jour de l’introduction du recours (cf. Cour adm. 10 juin 1999, Domingues Carmo, n° 11054C du rôle).
Cette disposition légale, en accordant au contribuable la possibilité de recourir directement au tribunal administratif contre un bulletin d’imposition seulement dans l’hypothèse où sa réclamation n’a pas fait l’objet d’une décision définitive dans un délai de six mois, consacre la compétence exclusive du directeur de statuer en la matière visée pendant ledit délai.
Il s’ensuit que le fait pour le demandeur d’avoir introduit prématurément au regard des dispositions claires et précises de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 précitée, un recours contentieux irrecevable, n’est pas de nature à tenir en échec la compétence du directeur pour statuer sur une réclamation valablement introduite et de suspendre dans son chef ledit délai de six mois par le biais d’un dessaisissement du dossier, tel qu’allégué par le représentant étatique.
En l’espèce, le recours introduit par le demandeur contre le bulletin d’appel en garantie litigieux du 15 décembre 1997 fut déposé en date du 2 décembre 1998, soit plus de six mois après l’introduction de sa réclamation afférente en date du 13 janvier 1998, de sorte que le recours principal en réformation, prévu en la matière, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
La décision déférée a déclaré le demandeur codébiteur solidaire des retenues sur les traitements et salaires, ainsi que des intérêts de retard y relatifs dus par la société pour les années 1995, 1996 et 1997 au motif qu’il « est tenu aux paiements des impôts, intérêts et frais 2 amplement spécifiés sub 2 en tant que gérant responsable personnellement du non paiement de ces impôts et frais par la société en question (§§ 103 ; 106 et 109 AO) ».
Pour décliner sa responsabilité dans le non-paiement des impôts dus par la société, le demandeur fait valoir qu’il n’aurait jamais accepté d’être nommé gérant de la société en signalant qu’un extrait afférent du Mémorial renseignerait que sa nomination ne serait pas signée par lui et qu’il n’aurait pas assisté à cette prétendue assemblée générale au cours de laquelle sa nomination a été décidée.
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où sa nomination en qualité de gérant serait jugée valable, il soutient que les montants réclamés ne seraient pas justifiés dans la mesure où ils correspondent aux exercices 1995 et 1996, étant entendu que sa nomination date du 22 juillet 1996 seulement.
En vertu des dispositions de l’article 136 (4) de la loi modifiée du 4 novembre 1967 sur l’impôt sur le revenu (LIR), l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est assurée par les représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 de la loi générale des impôts, dite « Abgabenordnung », ci-après appelée AO, qui dispose que « die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».
S’il s’ensuit certes que le gérant en titre d’une société à responsabilité limitée est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable, il n’en demeure cependant pas moins que le gérant d’une société ne peut en tout état de cause être tenu personnellement responsable du non-paiement des impôts dus par la société que dans les conditions plus particulièrement prévues au paragraphe 109 AO, qui dispose dans son alinéa (1) que : « die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind ».
Il se dégage de ces dispositions légales que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO en ce qui concerne les retenues d’impôt sur les traitements et salaires à effectuer par la société dans le chef d’un gérant de société n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité personnelle en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive -« schuldhafte Verletzung »- des obligations du représentant de la société envers le fisc (cf. trib. adm.
31.5.1999, MIHNJAK, n° 10808 du rôle, Pas. adm. 2/99, v° Impôts, sous Exigibilité, n°80).
Le paragraphe 7 (3) de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934 maintenue en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, appelée « Steueranpassungsgesetz » (StAnpG), disposant par ailleurs que « jeder Gesamtschuldner 3 schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et ensuite en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.
Conformément au paragraphe 2 StAnpG disposant dans son alinéa (1) que « Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessensentscheidungen) müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen », l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision (cf. trib. adm. 31.5.1999 précité).
En l’espèce, le bureau d’imposition a décidé de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du demandeur en sa qualité de gérant en titre de la société en relevant à l’appui de sa décision l’omission dans son chef de verser à l’administration des Contributions directes les sommes retenues ou qui auraient dû l’être à titre d’impôt sur les salaires.
Force est de constater que la décision litigieuse se limite à constater objectivement le manquement du demandeur à ses obligations fiscales, sans pour autant qualifier un quelconque comportement fautif dans son chef tenant à des circonstances particulières de l’espèce, rendant ainsi impossible toute vérification du caractère légal et réel des motifs à la base de la décision critiquée.
Dans la mesure où le contrôle de la légalité externe d’un acte doit précéder celui de son bien-fondé, il y a lieu de retenir en l’espèce que dans le cadre du recours en réformation, la décision déférée encourt l’annulation pour ne pas être motivée à suffisance de droit, dès lors que le bureau a méconnu à la fois les conditions de qualification de la responsabilité personnelle du gérant de société au sens du paragraphe 109 AO et l’obligation d’appréciation inhérente à sa propre compétence pour la mettre en œuvre, ceci même abstraction faite des contestations élevées par le demandeur quant à sa qualité de gérant de la société.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond le dit justifié ;
partant, dans le cadre du recours en réformation, annule le bulletin d’appel en garantie déféré du 15 décembre 1997 et renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes aux fins de transmission au bureau d’imposition compétent ;
4 déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;
met les frais à charge de l’Etat.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 novembre 1999 par :
M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Delaporte 5