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28/10/1999 | LUXEMBOURG | N°11045

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 octobre 1999, 11045


N° 11045 du rôle Inscrit le 21 décembre 1998 Audience publique du 28 octobre 1999

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Recours formé par Monsieur … BENDJAMAÏ contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11045 et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 1998 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BEND

JAMAÏ, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation de deux décis...

N° 11045 du rôle Inscrit le 21 décembre 1998 Audience publique du 28 octobre 1999

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Recours formé par Monsieur … BENDJAMAÏ contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11045 et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 1998 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BENDJAMAÏ, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation de deux décisions du ministre de la Justice intervenues respectivement les 22 septembre et 25 novembre 1998, la première rejetant sa demande tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié politique, et la seconde rejetant le recours gracieux exercé contre la première décision;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 1999;

Vu le mémoire en réplique du demandeur déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Philippine RICOTTA PERI, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 31 janvier 1997, Monsieur … BENDJAMAÏ, né le … à … (Algérie), demeurant actuellement à L-…, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le 5 février 1997 par un agent de la police judiciaire et en date des 11 septembre 1997 et 15 mai 1998 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 15 juillet 1998, le ministre de la Justice informa Monsieur BENDJAMAÏ, par lettre du 22 septembre 1998, notifiée le 8 octobre 1998, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants: « Me ralliant 1 à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés à laquelle j’avais soumis votre demande et dont je joins une copie en annexe à la présente, je regrette de devoir vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

En effet, il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie (…) ».

Le recours gracieux, formé par Monsieur BENDJAMAÏ le 20 octobre 1998, fut rejeté à son tour par lettre du 25 novembre 1998.

Par requête déposée en date du 21 décembre 1998, Monsieur BENDJAMAÏ a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre les décisions ministérielles précitées des 22 septembre et 25 novembre 1998.

L’article 13 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées infondées, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Il s’ensuit que le recours en annulation, introduit à titre subsidiaire, est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation ayant été formé dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le demandeur soulève d’abord une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, de l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 ainsi que de l’article « 2A1 » de la Convention de Genève, au motif que les refus ministériels seraient insuffisamment motivés en droit et en fait. Dans ce contexte, il fait soutenir que le fait de reprendre uniquement l’avis de la commission consultative pour les réfugiés, sans autrement motiver le refus de la reconnaissance du statut de réfugié, ne satisferait pas à l’obligation de motivation telle que requise par les textes légaux précités.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen d’annulation tiré d’un défaut de motivation des décisions déférées, au motif que la référence à l’avis de la commission consultative pour les réfugiés constituerait une motivation légale suffisante.

Une décision administrative est motivée à suffisance de droit si l’auteur de la décision déclare se rallier à l’avis d’une commission consultative et que cet avis est annexé en copie à la décision (trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693 du rôle, Pas. adm. 2/99, V° Procédure administrative non contentieuse, III Motivation de la décision administrative, n° 35 et autres références y citées).

Par conséquent, le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que les décisions ministérielles critiquées seraient entachées d’illégalité pour absence de motivation, n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort des pièces versées au dossier que les décisions du ministre de la Justice des 22 septembre et 25 novembre 1998, ensemble l’avis de 2 la commission consultative pour les réfugiés auquel le ministre s’est rallié, en en adoptant également les motifs, et qui a été annexé en copie à la décision initiale, de sorte qu’il en fait partie intégrante, indiquent de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur.

Le demandeur soulève encore que l’instruction de son dossier aurait été faite de manière irrégulière dans la mesure où le ministre de la Justice n’aurait pas tenu compte d’un document attestant son identité. Il expose à ce sujet, qu’à la demande de la commission consultative pour les réfugiés, il aurait envoyé au ministère de la Justice en date du 4 août 1998, un document permettant d’établir son identité et qu’en annexe à son recours gracieux du 20 octobre 1998, il aurait également joint ce document. Le ministre, dans son courrier du 25 novembre 1998 rejetant son recours gracieux, se serait cependant borné à déclarer qu’il maintient en entier sa décision du 22 septembre 1998 à défaut d’éléments pertinents nouveaux.

La décision aurait dès lors été rendue sans prendre en considération une « pièce fondamentale ».

Le demandeur estime que le document qu’il a versé en cause, notamment lors de son recours gracieux, « constitue le gage de la reconnaissance de [son] identité ». L’avis rendu par la commission consultative, laquelle ne disposait pas de ce document, serait dès lors vicié, étant donné qu’elle aurait rendu son avis sur basse de fausses prémisses. Il considère dès lors que l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996, qui dispose que le ministre statue sur le bien fondé d’une demande d’asile sur avis de la commission consultative des réfugiés, aurait été violé.

Le demandeur conclut des faits exposés ci-avant, que la décision du ministre de la Justice devrait encourir l’annulation, d’une part, en ce qu’elle n’aurait pas pris en considération un élément fondamental et qu’elle serait dès lors basée sur des faits matériellement inexacts, étant donné qu’il serait « faux de prétendre que cet élément n’est que simplement un élément parmi d’autres, alors qu’il constitue la trame de l’avis de la Commission » et, d’autre part, en ce que le ministre de la Justice ne pourrait pas fonder sa décision sur l’avis de la commission consultative « puisque celui-ci est à considérer comme non avenu alors qu’obsolète ».

Le délégué du gouvernement considère que la pièce produite par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile, à savoir son acte de naissance, ne serait pas de nature à conforter la crédibilité de son récit et les craintes de persécution qu’il aurait invoquées. Par ailleurs, l’avis de la commission consultative ne serait pas devenu « obsolète » du fait de la production de cette pièce à une date postérieure à celle de l’émission du prédit avis, étant donné que le ministre de la Justice aurait pris en considération cette pièce dans le cadre de l’instruction de son recours gracieux et que ce document ne serait qu’un élément parmi d’autres.

Quant au moyen de nullité soulevé par le demandeur tiré de ce que l’instruction de sa demande d’asile serait viciée, il convient en premier lieu de relever que l’administration, saisie d’un recours gracieux, n’est pas tenue, en principe, de refaire la procédure suivie pour l’acte critiqué: elle statue au vu du dossier qui lui est présenté (v. Encyclopédie Dalloz, Contentieux Administratif, V° Recours administratif, n°185).

3 Hormis le cas où la procédure suivie a été irrégulière, il ne saurait en être autrement que si les requérants sur recours gracieux font état de circonstances nouvelles. Ainsi, une procédure consultative est susceptible de périmer, si, suite à une première décision de l’autorité compétente, voire, le cas échéant, suite à l’avis émis, il s’est produit une modification sensible des circonstances de fait ou de droit. En d’autres termes, l’intervention d’éléments nouveaux qui sont de nature à influer sur la mesure prise implique que l’administration ne peut plus se contenter de l’avis qu’elle avait recueilli et l’oblige à provoquer une nouvelle consultation (trib.

adm. 16 novembre 1998, n° du rôle 10831).

Le tribunal est partant appelé à examiner si, en l’espèce, la pièce que le demandeur a produite à l’appui de son recours gracieux constitue ou documente de tels éléments nouveaux.

Il s’agit plus spécialement d’un acte de naissance établissant l’identité du demandeur.

Force est de constater que ladite pièce a été produite à l’appui du recours gracieux dans le but de démontrer l’identité de Monsieur BENDJAMAÏ. S’il s’agit certes d’un élément de preuve dont la commission consultative avait souhaité obtenir communication, il ne s’agit cependant pas d’un élément de fait nouveau, c’est-à-dire d’un élément nouveau postérieur à la décision initiale ou encore à l’avis de la commission consultative. Par conséquent, en l’absence d’une modification des circonstances de fait ou de droit, le moyen tendant à l’annulation de l’avis de la commission consultative ainsi que des décisions ministérielles litigieuses subséquentes, est à rejeter.

Par ailleurs, le demandeur ne peut pas éterniser l’instruction de sa demande en omettant de fournir les pièces qui pourraient être utiles à l’instruction de son dossier. Comme le demandeur a omis de transmettre la pièce demandée par la commission consultative dans le délai indiqué par celle-ci, il ne saurait plus reprocher à celle-ci d’avoir statué au vu d’un dossier prétendument incomplet.

Quant au fond, le demandeur fait valoir qu’il aurait dû fuir son pays d’origine étant donné que du fait de son activité professionnelle de photographe, lui et son associé auraient été la « cible des islamistes ». Il expose qu’ils avaient été invités par les islamistes à arrêter leur travail et lorsqu’ils n’auraient pas suivi cette « invitation », les menaces seraient devenues plus « explicites et devinrent de véritables menaces de mort ». Quelques jours plus tard, les islamistes auraient exécuté leurs menaces en assassinant son collaborateur. Par crainte légitime de subir le même sort, il aurait été dans « l’obligation salvatrice de quitter son pays d’origine ». Il expose encore qu’il ne pourrait pas se réclamer de la protection des autorités de son pays, étant donné qu’eu égard « aux circonstances et au climat de suspicion qui règne en Algérie, il risque d’être soupçonné par les autorités publiques de faire cause commune avec les islamistes. En effet si mon mandant devait retourner dans son pays d’origine, les autorités publiques interpréteraient son départ non pas comme faisant suite à une menace de mort proférée par les islamistes mais, au contraire, comme la preuve d’une collaboration de mon mandant dans l’attentat commis par les islamistes ».

Il estime qu’il se dégage de ses déclarations, ainsi que du fait qu’il a pu établir son identité, qu’il remplit les conditions posées par la Convention de Genève pour la reconnaissance du statut de réfugié.

4 Le délégué du gouvernement rétorque que le demandeur aurait été entendu à 3 reprises, que ses déclarations seraient souvent incohérentes et peu crédibles et que ses craintes de persécutions ne seraient pas « très claires ».

Ce serait dès lors à juste titre que le ministre de la Justice a décidé que le demandeur n’aurait pas fait état d’une façon crédible d’une crainte raisonnable de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

L’examen des déclarations faites par Monsieur BENDJAMAÏ lors de ses auditions des 5 février 1997, 11 septembre 1997 et 15 mai 1998, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes-rendus figurant au dossier, ensemble les arguments et précisions apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit de raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

5 Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 28 octobre 1999, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11045
Date de la décision : 28/10/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-10-28;11045 ?

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