Numéro 11161 du rôle Inscrit le 3 mars 1999 Audience publique du 25 octobre 1999 Recours formé par Monsieur … DEDIC, …, contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11161, déposée le 3 mars 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DEDIC, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 8 décembre 1998 lui refusant le permis de travail pour un poste d’enseignant auprès de l’association sans but lucratif X.;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juin 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 août 1999 par Maître Georges PIERRET au nom de Monsieur DEDIC;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté attaqué;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Georges PIERRET, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Par déclaration d’engagement datée au 17 mars 1998, parvenue à l’administration de l’emploi, ci-après appelée « ADEM », le 9 septembre 1998, l’association sans but lucratif X., établie à L-…, sollicita un permis de travail en faveur de Monsieur … DEDIC, de nationalité bosniaque, pour un poste d’enseignant, la date d’entrée en service ayant été fixée au 15 septembre 1998 et la rémunération mensuelle pour ce poste à … LUF en plus de la mise à disposition d’un logement, le tout en contre-partie d’un nombre d’heures de travail par semaine de « 27 + 13 préparatifs » ainsi qualifié.
Par arrêté du 8 décembre 1998, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé « le ministre » refusa le permis de travail à Monsieur DEDIC sur base des motifs suivants :
« -5.724 demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’emploi ;
- des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place et 3 personnes ont été assignées à l’asbl X. ;
- priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (quelque 17 millions de chômeurs dans les Etats membres de l’Union Européenne) ;
- salaire sans rapport avec les qualifications exigées ;
- profil exigé non justifié compte tenu du fait que l’Etat luxembourgeois assure l’enseignement et la formation des élèves et étudiants ;
- recrutement à l’étranger non-autorisé ».
A l’encontre de cette décision, Monsieur DEDIC a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 3 mars 1999.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en matière de permis de travail, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est par contre recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
La décision de refus litigieuse est fondée notamment sur le motif tiré du recrutement à l’étranger non autorisé du demandeur.
Le délégué du Gouvernement expose à cet égard que le demandeur n’aurait pas été et ne serait toujours pas sous le couvert d’une autorisation de séjour et serait dès lors à considérer comme ayant été recruté à l’étranger par l’association X., de sorte que celle-ci aurait dû se faire autoriser préalablement par l’ADEM à procéder à un recrutement de travailleur à l’étranger, conformément à l’article 16 de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi.
Pour conclure qu’il n’y a en l’espèce pas eu de recrutement d’un travailleur à l’étranger au sens de l’article 16 de la loi précitée du 21 février 1976, le demandeur fait valoir dans son mémoire en réplique qu’il serait « faux de prétendre ab initio que l’asbl X. ait procédé à un recrutement actif à l’étranger. Etant donné que le sieur DEDIC est le frère du secrétaire de l’asbl, il y a maintes explications sur la façon dont le sieur DEDIC a eu connaissance du problème qui se posait pour l’asbl ». Il fait valoir qu’il faudrait en outre qu’il soit absolument clair de qui l’initiative concernant l’embauche partait, de l’employeur ou de l’employé potentiel, afin de pouvoir utilement conclure à l’existence d’un recrutement à l’étranger.
L’article 16 de la loi précitée du 21 février 1976, dans sa teneur applicable au moment de la prise de l’arrêté litigieux, c’est-à-dire avant sa modification par la loi du 12 février 1999 portant diverses mesures en faveur de l’emploi des jeunes, dispose dans ses deux premiers 2 alinéas que « (1) le recrutement de travailleurs à l’étranger est de la compétence exclusive de l’administration de l’emploi. Tout autre recrutement, sauf celui spécifié au paragraphe qui suit, est prohibé sous peine des sanctions prévues à l’article 41 de la présente loi. Cette disposition ne porte pas atteinte à la réglementation concernant la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté Européenne ; (2) L’administration de l’emploi peut, sur demande préalable, autoriser un ou plusieurs employeurs ou une organisation professionnelle d’employeurs, à recruter des travailleurs à l’étranger ».
D’après la jurisprudence de la Cour administrative, l’article 16 (1) précité fixe en principe pour l’administration de l’Emploi le monopole de procéder au recrutement de travailleurs à l’étranger et, même si les règlements grand-ducaux des 28 mars 1972 et 12 mai 1972 fixent respectivement les conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales et déterminent les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, il n’en reste pas moins que la loi du 21 février 1976 impose dans son article 16 une condition supplémentaire à l’employeur qui veut recruter un travailleur à l’étranger, à savoir solliciter préalablement l’autorisation auprès de l’administration de l’Emploi, de sorte que le ministre, ayant compétence pour vérifier le respect de toutes les dispositions légales en la matière, peut refuser le permis de travail en cas d’absence d’une telle autorisation (Cour adm. 10 novembre 1998, Petosevic, Pas. adm. 2/99, V° Travail, n° 28).
En l’espèce, il résulte des éléments du dossier que le demandeur a indiqué, sur le formulaire de la déclaration d’engagement daté du 17 mars 1998, comme lieu de résidence la commune de Srebrenik en Bosnie Herzégovine et n’a pas fourni d’indication sur une résidence éventuelle au Luxembourg, la question afférente – « depuis quand le travailleur réside-t-il sans interruption au Grand-Duché ? » - étant restée sans réponse.
S’il est constant en cause que, par la suite et au courant de l’année 1998, le demandeur est arrivé au Grand-Duché, il reste en défaut de justifier l’existence d’un visa ou d’une autre base légalisant son entrée au pays, voire d’une autorisation de séjour en sa faveur, de sorte que les affirmations du délégué du Gouvernement relatives à l’absence d’une autorisation de séjour dans son chef restent inébranlées en l’état actuel du dossier.
Or, comme l’article 16 prévisé a instauré le principe du monopole de recrutement de travailleurs à l’étranger pour des raisons inhérentes à la surveillance du marché de l’emploi, ensuite pour des motifs concernant la santé publique, l’ordre public et la sécurité publique, enfin dans l’intérêt de la protection de l’emploi de la main-d’oeuvre occupée dans le pays (projet de loi concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, doc. parl. n° 1682, exposé des motifs), il est indifférent de savoir si l’initiative pour engager un travailleur étranger émane de l’employeur luxembourgeois ou non, l’élément déterminant au regard de l’application de l’article 16 étant de conférer à l’administration de l’emploi une compétence exclusive en la matière, quelles que puissent être par ailleurs les raisons ayant déterminé tant l’employeur potentiel que le travailleur étranger à entrevoir la possibilité d’une relation de travail.
Dans la mesure où l’on ne saurait admettre qu’un travailleur séjournant irrégulièrement au pays puisse tirer avantage de cette situation illégale et se voir considérer comme travailleur disponible sur le marché du travail interne pour ainsi contourner les contraintes administratives supplémentaires découlant de l’article 16 précité, c’est à bon droit que le demandeur a été qualifié de travailleur demeurant en dehors de l’Espace Economique 3 Européen et qu’à défaut de preuve d’un séjour régulier au pays, le ministre lui a refusé l’octroi du permis de travail pour l’emploi d’enseignant auprès de l’association X. sur cette base.
Etant donné que l’arrêté ministériel en cause est justifié sur cette seule base, le recours laisse d’être fondé et l’examen des autres motifs de refus du permis, de même que les moyens d’annulation y afférents soulevés par le demandeur devient surabondant.
PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 octobre 1999 par:
M. CAMPILL, premier juge, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
SCHMIT CAMPILL 4