Numéro 11143 du rôle Inscrit le 25 février 1999 Audience publique du 25 octobre 1999 Recours formé par Monsieur … BREUER, … contre une décision du ministre des Transports en matière de permis de conduire
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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11143, déposée le 25 février 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BREUER, …, demeurant à L-
…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre des Transports du 11 février 1999 rejetant sa demande en obtention d’un permis de conduire pour des véhicules des catégories C et E;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 avril 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Joëlle CHOUCROUN-KARP, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Monsieur … BREUER, ouvrier, demeurant à L-…, se vit refuser l’octroi du permis de conduire des catégories C et E par arrêté du ministre des Transports du 16 juin 1994, confirmé sur recours gracieux par décision ministérielle du 1er septembre et sur recours contentieux par arrêt du Comité du Contentieux du Conseil d’Etat du 3 mai 1995, par décision du même ministre du 22 juin 1995, confirmé par arrêt du Comité du Contentieux du Conseil d’Etat du 26 juin 1996, et finalement une itérative décision ministérielle du 31 octobre 1997.
Par courrier de son mandataire du 17 décembre 1998, Monsieur BREUER sollicita un réexamen de sa demande en obtention du permis de conduire des catégories C et E en renvoyant à un avis des docteurs …, exerçant auprès des Universitätskliniken des Saarlandes, du 26 mai 1998.
Le ministre rencontra cette demande par décision du 11 février 1999, adressée au mandataire de Monsieur BREUER, en retenant que « le dossier de votre client a été réexaminé par la commission médicale en date du 15 janvier 1999. Celle-ci s’est basée e.a.
sur le rapport du Dr … de la Clinique universitaire de la Sarre versé par vos soins. Suite à cet examen je suis au regret de ne pas faire droit à la demande en obtention d’un permis de conduire de Monsieur BREUER. Faute d’éléments nouveaux justifiant une mainlevée de l’arrêté ministériel du 16 juin 1994 portant rejet de la demande en obtention d’un permis de conduire le refus de lui délivrer un permis de conduire reste maintenu ».
A l’encontre de cette décision, Monsieur BREUER fit introduire un recours en annulation, sinon en réformation par requête déposée le 25 février 1999.
Alors même que le tribunal est principalement saisi d’un recours en annulation, il est tenu d’examiner en premier lieu l’existence éventuelle d’un recours au fond en la matière, étant donné que, d’après l’article 2 (2) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif , un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’un recours au fond rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction en matière de refus de permis de conduire, le tribunal est incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation. Le recours principal en annulation est par contre recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et le délai de la loi.
Au fond, le demandeur signale d’abord qu’il est, depuis 1982, titulaire d’un permis de conduire des catégories A, A1, B et F et qu’il serait dès lors incompréhensible pourquoi il ne peut pas bénéficier d’un permis pour les catégories C et E. Il estime encore que la motivation de la décision critiquée serait insuffisante en fait « alors qu’une disposition sérieuse ne pourrait être émise quant au permis de conduire litigieux surtout au regard de l’avis des professeurs de la clinique d’université de SAARLANDES, les Dr. … du 26 mai 1998 ».
Le délégué du Gouvernement renvoie d’abord aux antécédents administratifs et judiciaires de l’affaire sous examen et soutient qu’il résulterait clairement des différents certificats médicaux versés que le demandeur a souffert de séquelles d’encéphalopathie post-
traumatique voire de crises comitiales avec troubles de la conscience, un autre rapport mentionnant encore des crises épileptiques jusqu’en 1977. Au vu des termes formels de l’article 77 § 5 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques code de la route, la commission médicale, ayant constaté l’absence d’éléments nouveaux fournis par le rapport précité du 26 mai 1998, n’aurait pu que proposer le rejet de la demande.
Il résulte des éléments du dossier que le demandeur s’est déjà vu refuser l’octroi du permis de conduire des catégories C et E par arrêté ministériel du 16 juin 1994, confirmé sur recours gracieux le 1er septembre 1994, un recours contentieux afférent ayant été rejeté par arrêt du Comité du contentieux du Conseil d’Etat du 3 mai 1995 (n° 9173 du rôle). Une nouvelle demande formulée le 10 mai 1995 par le mandataire du demandeur a pareillement été rencontrée par une décision négative du ministre du 22 juin 1995, la commission médicale ayant maintenu le 24 mai 1995 son avis négatif antérieur à la base de l’arrêté du 16 juin 1994 prédit. Par arrêt du 26 juin 1996 (n° 9367 du rôle), le Comité du contentieux du Conseil d’Etat a également rejeté le recours à l’encontre de cette décision sur base des motifs suivants :
2 « Considérant qu’il résulte cependant du dossier médical du requérant que Monsieur … Breuer a souffert de séquelles d’encéphalopathie post-traumatique et de crises comitiales avec troubles de la conscience, c’est-à -dire de manifestations épileptiques ;
Considérant que d’après le paragraphe 5 de l’article 77 du Code de la Route, 3e alinéa « la délivrance et le renouvellement des catégories C, D et E sont refusés aux personnes qui sont atteintes ou qui ont souffert dans le passé de manifestations épileptiques » ;
Considérant que ce texte légal s’oppose à la délivrance des permis sollicités, aucune latitude n’étant laissée ni à la Commission médicale, ni au ministre des Transports, même si comme en l’espèce Monsieur Breuer, d’après le certificat médical du docteur …, n’a plus eu de crises de contusion cérébrale depuis 1977 ;
Que partant le ministre des Transports a fait une juste application de la loi de sorte que le recours en annulation est à rejeter ».
Les décisions administratives et les arrêts précités ont été pris sur base de l’article 77 § 5 précité dans sa teneur énoncée dans les motifs de l’arrêt prévisé du 26 juin 1996.
Force est cependant de constater que le même article 77 § 5 a été remplacé par le règlement grand-ducal du 11 août 1996 modifiant l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, pour lui conférer la teneur suivante : « 5. Les maladies du système nerveux. Si l’intéressé souffre d’une affectation neurologique centrale ou périphérique, congénitale ou acquise, le permis n’est délivré ou renouvelé que sur avis de la Commission médicale émis en fonction du déficit réel intellectuel ou physique. Les mêmes dispositions s’appliquent à l’épilepsie et aux autres perturbations brutales de l’état de conscience. Dans son avis la Commission médicale tiendra compte de la réalité de l’épilepsie ou d’autres troubles de la conscience, de sa forme et de son évolution clinique, du traitement suivi et des résultats thérapeutiques. La délivrance et le renouvellement des catégories C, C+E, D et D+E et des sous-catégories C1, C1+E, D1 et D1+E sont refusés aux personnes présentant ou susceptibles de présenter des crises d’épilepsie ou d’autres perturbations brutales de l’état de conscience ».
Il se dégage de la comparaison des deux textes réglementaires que contrairement à l’ancien article 77 § 5 qui interdisait la délivrance du permis de conduire des catégories C et E à des personnes ayant souffert dans le passé de manifestations épileptiques sans autre égard à leur état de santé actuel, le nouveau texte applicable lors de la prise de la décision actuellement déférée ne se réfère qu’à l’état de santé actuel du candidat et fait dépendre l’octroi dudit permis de la seule absence d’un risque présent ou futur de la survenance de crises d’épilepsie ou d’autres perturbations brutales de l’état de conscience.
Il résulte des pièces du dossier administratif qu’antérieurement à la demande sous analyse, le demandeur avait soumis le 24 avril 1997 au ministre une itérative demande tendant aux mêmes fins et que la commission médicale avait retenu que le demandeur est susceptible de présenter des crises d’épilepsie et qu’il souffre ainsi d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire, avis qui a amené le ministre à maintenir son arrêté de refus du 16 juin 1996 par décision du 31 octobre 1997.
Dans la mesure où la commission a confirmé sa position par l’avis prévisé du 15 janvier 1999, que d’un autre côté le certificat médical des docteurs … du 26 mai 1998 admet 3 un état de santé justifiant, d’après les normes allemandes, l’aptitude de principe du demandeur à conduire un véhicule d’un poids maximal autorisé supérieur à 7,5 tonnes, les éléments de fait à la base du contrôle de la légalité de la décision déférée ne se trouvent pas fixés à suffisance de droit en l’état actuel du dossier. Le tribunal estime dès lors qu’il y a lieu, au vu de la réglementation luxembourgeoise actuellement applicable, de requérir l’avis spécifique d’un collège d’experts afin d’évaluer si le demandeur risque encore à l’heure actuelle ou dans le futur de subir des crises épileptiques ou d’autres perturbations brutales de son état de conscience et s’il souffre, le cas échéant, d’autres déficiences intellectuelles ou physiques, le tout au sens de l’article 77 § 5 actuel précité.
PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, avant tout autre progrès en cause nomme experts :
1. …, psychologue diplômé, demeurant à L-…, 2. …, médecin spécialiste en neurologie, établi à L-…, 3. …, médecin spécialiste en neuro-psychiatrie, établi à L-…, avec la mission de se prononcer dans un rapport écrit et motivé sur l’existence d’un risque actuel ou futur de crises épileptiques ou d’autres perturbations brutales de l’état de conscience dans le chef de Monsieur … BREUER et la question de savoir s’il souffre d’autres déficiences intellectuelles ou physiques, le tout au sens de l’article 77 § 5 actuel de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955, autorise les experts à entendre de tierces personnes toujours dans le respect du contradictoire, invite les experts à déposer leur rapport au greffe pour le 6 décembre 1999 au plus tard, ordonne au demandeur de déposer une provision de 45.000 LUF à la Caisse des consignations ou auprès d’un établissement de crédit à convenir avec l’autre partie et d’en justifier au greffe du tribunal, réserve les frais, fixe l’affaire au rôle général.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 octobre 1999 par:
4 M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
s. SCHMIT s. DELAPORTE 5