N° 11005 du rôle Inscrit le 2 décembre 1998 Audience publique du 25 octobre 1999 Recours formé par Monsieur … PARISE, (F) Paris contre une décision du ministre de la Justice en matière d’inscription sur la liste des experts assermentés
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Vu la requête inscrite sous le numéro 11005 du rôle, déposée le 2 décembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Nathalie PRUM-CARRE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … PARISE, expert judiciaire, demeurant à F-… Paris, …, tendant à l’annulation des décisions du ministre de la Justice des 6 juillet et 25 novembre 1998 portant rejet de sa demande d’admission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés en matière répressive et administrative ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 janvier 1999 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 juin 1999 par Maître Nathalie PRUM-CARRE, au nom du demandeur ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 août 1999 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nathalie PRUM-
CARRE et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 octobre 1999.
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Considérant qu’ayant été agréé en qualité d’expert notamment à la Cour de Cassation française, près la Cour d’appel de Paris et le tribunal administratif de Paris dans les branches de l’architecture et de la décoration, Monsieur … PARISE, demeurant à F-… Paris, … , a posé en date du 13 septembre 1995 sa candidature en vue de son inscription sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés en matière répressive et administrative suivant les dispositions de la loi du 7 juillet 1971 y afférentes, en mentionnant comme spécialités visées les :
« - constructions hôtelières - constructions de prestige - constructions de sécurité » ;
Que cette demande a été rencontrée par une première décision du ministre de la Justice datant du 6 juillet 1998 libellée comme suit :
« Monsieur, Je me réfère à votre demande en vue de votre inscription sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés.
Le nombre des experts, traducteurs et interprètes assermentés et le nombre de demandes d’admissions sur la liste des experts a très fortement augmenté depuis le début des années 1990. Cette contestation a incité le ministère de la Justice à instaurer en 1996 un groupe de travail en vue de préparer une réforme de la législation en matière d’experts et à tenir en suspens les candidatures introduites auprès du ministère de la Justice. Vous avez été informé de cette démarche par une lettre du 4 janvier 1996.
Le ministère a repris depuis peu l’examen des demandes déposées. En ce qui concerne votre cas particulier, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande étant donné que le ministère ne prend en considération que les demandes émanant de personnes résidant au Luxembourg, celles-
ci étant seules disponibles pour accepter à tout moment les missions qui peuvent leur être confiées par les autorités judiciaires ou administratives.
Le présent refus est susceptible d’un recours en annulation devant le tribunal administratif, recours qui doit être intenté par requête signée par un avocat de la liste I dans un délai de trois mois de la réception de la présente.
Veuillez agréer, Monsieur, …. » ;
Que par courrier de son mandataire entré au ministère de la Justice en date du 6 octobre 1998, Monsieur PARISE a fait introduire un recours gracieux contre la prédite décision ministérielle ;
Que le ministre de la Justice a pris position en date du 25 novembre 1998 en confirmant son refus initial dans les termes suivants :
« Maître, Suite à votre recours gracieux en date du 6 octobre 1998, j’ai l’honneur de prendre position comme suit.
Vous n’ignorez pas que le ministère de la Justice a repris depuis peu l’examen des demandes d’admission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés.
Le ministère a, dans ce contexte, redéfini les critères appliqués pour examiner les demandes. En particulier, le ministère a décidé de ne retenir à l’avenir que les candidatures de personnes résidant au Luxembourg ou y ayant leur seule adresse professionnelle.
Ce critère a été retenu principalement en considération du fait que la liste a pour objet de constituer un « réservoir » d’experts auxquels les juridictions répressives et les administrations peuvent recourir sans qu’il y ait lieu à chaque fois de reprendre la formalité de l’assermentation. Cette liste n’a d’intérêt que si les experts sont disponibles pour accepter à tout moment les missions qui peuvent leur être confiées, ce qui n’est pas le cas de votre client qui réside à Paris.
D’ailleurs je constate que votre client est déjà repris comme expert à la cour d’appel de Paris. Il est intéressant de noter que le décret français 74-1184 du 31 décembre 1974 pose – sur base des mêmes considérations – comme condition à l’inscription sur une liste d’une cour d’appel d’exercer son activité professionnelle principale dans le ressort de cette cour ou, pour ceux qui n’exercent plus d’activité professionnelle, d’y avoir sa résidence (article 2-8).
En tout état de cause, la liste n’a pas pour objet de restreindre la possibilité d’exercer les fonctions d’interprète, de traducteur ou d’expert pour les personnes non inscrites ou de permettre aux personnes inscrites de se prévaloir de leur qualité d’expert assermenté dans leurs relations avec leur clientèle. Rien n’empêche donc votre client d’offrir ses services comme expert sans être repris sur la liste arrêtée par le ministère.
On ne peut donc pas considérer que le critère retenu par le ministère constitue une infraction au principe de la libre prestation de services tel qu’il est ancré dans le traité de Rome.
En considération de ce qui précède, je suis au regret de vous informer qu’il n’est pas possible de réserver une suite favorable à la demande de Monsieur PARISE en l’absence d’éléments nouveaux.
Veuillez agréer, Maître, … » ;
Considérant que par requête déposée en date du 2 décembre 1998 Monsieur PARISE a fait introduire un recours en annulation dirigé contre les deux décisions ministérielles précitées des 6 juillet 25 novembre 1998 ;
Qu’à l’appui de son recours il fait valoir en premier lieu que la condition de résidence au Luxembourg posée par le ministre ajouterait à la loi de façon prohibée, entraînant que les décisions critiquées encouraient l’annulation de ce seul chef ;
Que pour le surplus il fait valoir que les décisions en question seraient totalement incompatibles avec le principe de libre prestation de services figurant aux articles 59 et 66 du Traité de Rome, tels qu’interprétés par la Cour de Justice des Communautés Européennes, entraînant que les décisions critiquées seraient encore à annuler pour cause d’excès de pouvoir ;
Considérant que le délégué du Gouvernement relève en premier lieu que la loi du 7 juillet 1971 portant en matière répressive et administrative institution d’experts, de traducteurs et d’interprètes assermentés et complétant les dispositions légales relatives à l’assermentation des experts, traducteurs et interprètes ne prévoit pas les conditions auxquelles l’inscription est subordonnée, laissant ainsi au ministre de la Justice le pouvoir de définir celles-ci ;
Qu’ainsi, en dehors des conditions de qualification et d’honorabilité professionnelles le ministre exigerait que l’expert assermenté réside au Grand-Duché pour deux raisons essentielles consistant d’une part dans son aptitude à se présenter à bref délai devant une juridiction ou une autorité administrative ayant recours à ses services dans les délais, parfois brefs, impartis en raison de l’urgence du cas à traiter et, d’autre part, à la nécessaire surveillance du procureur général d’Etat devant pouvoir être exercée conformément à l’article 2 alinéa 2 de ladite loi du 7 juillet 1971, étant donné que l’admission à ladite liste des experts assermentés, de par sa publication au Mémorial, les revêtirait aux yeux du public des qualités de sérieux et d’honorabilité telles que leur vérification devrait pouvoir s’opérer à tout moment, condition qui exigerait que l’expert admis soit résident luxembourgeois, quelle que soit par ailleurs sa nationalité ;
Que les violations des articles 59 et 66 du Traité de Rome alléguées ne seraient données en aucune façon, alors que la libre prestation de services ne serait pas en cause en l’espèce, l’intéressé étant investi d’une mission officielle réalisée à travers l’inscription sur la liste publiée au journal officiel luxembourgeois ;
Que la partie demanderesse fait répliquer que la condition de disponibilité dans les heures qui suivent l’appel constituerait une ajoute prohibée à la loi du 7 juillet 1971, de même que celle d’une résidence au Grand-Duché pour des raisons de nécessaire vérification à tout moment des garanties de sérieux et d’honorabilité dans le chef de l’expert inscrit, étant donné que d’autres moyens de contrôle au-delà des frontières seraient à la disposition du procureur général d’Etat ;
Que le représentant étatique de dupliquer que le contrôle du procureur général d’Etat ne porterait pas seulement sur l’activité proprement dite de l’expert inscrit, mais s’étendrait à la transmission de toutes informations nécessaires à effectuer au ministre de tutelle pour permettre à ce dernier d’agir le cas échéant dans l’intérêt des justiciables ;
Que ce contrôle n’existant que pour les experts résidant au Grand-Duché, ces derniers seraient en définitive défavorisés par rapport à ceux résidant en dehors du pays et pourtant inscrits sur la liste en question ;
Considérant que ni la loi du 7 juillet 1971 précitée, ni aucune autre disposition ne prévoient un recours de pleine juridiction en la matière, de sorte que le recours en annulation, introduit par ailleurs suivant les formes et délai prévus par la loi est recevable comme étant dirigé contre les deux décisions ministérielles déférées, celle intervenue sur recours gracieux ne tirant pas seulement son existence de celle l’ayant devancée, mais y ajoutant pour le surplus des éléments de motivation complémentaire ;
Considérant au fond que d’après l’article 1er de ladite loi du 7 juillet 1971 « le ministre de la Justice peut, en matière répressive et administrative, désigner des experts, des traducteurs et des interprètes assermentés, chargés spécialement d’exécuter les missions qui leurs seront confiées par les autorités judiciaires et administratives »;
Considérant que dans les matières répressive et administrative, à l’exclusion notamment des matières civile et commerciale, le ministre de la Justice s’est dès lors vu conférer un pouvoir qui, loin d’être discrétionnaire, d’après les auteurs de la loi, se trouve être conditionné par des critères objectifs résultant en premier lieu des besoins des destinataires que sont les autorités judiciaires et administratives ainsi désignées par le législateur et précisées dans l’exposé des motifs du projet de loi en question (cf. doc.
parl. 1422 page 3);
Que le procureur général d’Etat figure à cet instar comme interlocuteur à la fois du ministre de la Justice et des autorités judiciaires concernées, étant entendu que conformément aux dispositions de l’article 2 de ladite loi, l’expert assermenté sera soumis à la surveillance dudit procureur général d’Etat, dont l’avis préalable est également impérativement requis avant toute décision de révocation de l’inscription sur la liste en question;
Considérant que liminairement il échet de relever que si le tribunal ne peut tenir compte que des motifs expressément invoqués, voire de ceux se dégageant des éléments et pièces du dossier, il ne saurait se référer à ceux expressément écartés par l’autorité administrative ou à ceux pour lesquels aucun élément de fait n’a été produit en cause, sauf les moyens par lui à soulever d’office;
Considérant que si les arguments tenant au besoin des autorités administratives et judiciaires concernant les traducteurs dans les matières renseignées n’ont pas été expressément exclus comme motifs à la base de la décision déférée par le représentant étatique, il n’en reste pas moins qu’aucune indication y relative n’a été fournie au dossier ;
Que même si pareils éléments de fait avaient le cas échéant pu être susceptibles de constituer des motifs légaux valables à la base de la décision a qua (cf. trib. adm. 23 juillet 1998, TONNEAU, n°s 9657 et 9819 du rôle, Pas. adm. 2/99, V° Experts n° 1, p. 101 et autres décisions y citées), ils ne sauraient en l’occurrence servir de la sorte, comme ne constituant pas un moyen susceptible d’être soulevé d’office par le tribunal;
Considérant que l’augmentation du nombre de candidatures de même que l’information de l’institution en 1996 d’un groupe de travail en vue de préparer une réforme de la législation en la matière, sans indication de l’état actuel du dossier, ainsi que celle que le ministère a repris depuis peu l’examen des demandes déposées, tout en représentant des explicitations d’un intérêt certain, n’en constituent cependant pas une motivation suffisante pouvant justifier le refus déféré;
Considérant que les exigences de disponibilité se résolvant, d’après les motifs indiqués dans la décision déférée, en la nécessité d’une résidence au Grand-Duché de Luxembourg manquent de caractère pertinent;
Considérant que le non-résident demeurant dans des régions frontalières somme toute peu éloignées du siège des autorités judiciaires et administratives concernées est normalement aussi disponible que le résident demeurant dans les parties du Grand-Duché plus éloignées du siège des autorités judiciaires ou administrataives concernées (trib. adm. 22 mars 1999, n° 10143 du rôle, Faignaert, Pas. adm. 02/99, loc. cit., confirmé par Cour adm. 19 octobre 1999, n° 11257C du rôle) ;
Considérant que pareil constat d’une disponibilité suffisante est à son tour vérifié dans le chef d’un non-résident demeurant dans une localité d’un pays limitrophe reliée avec ledit siège des autorités judiciaires ou administratives concernées par des moyens de communication développés lui permettant de se mettre à disposition de celles-ci dans un délai rapproché ;
Que tel est les cas en l’espèce pour un résident de la Ville de Paris ;
Considérant que si la ligne suivie par le ministère répondait aux critères et buts posés par la loi du 7 juillet 1971, aucune personne non résidente ne devrait figurer sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés;
Que force est de constater, en ayant égard à la dernière liste coordonnée publiée en date du 31 mars 1995 au Mémorial B, que des dizaines d’experts, de traducteurs ou d’interprètes ne résident pas au Grand-Duché de Luxembourg, certains d’entre eux y ayant même été admis de date relativement récente;
Considérant que la loi du 7 juillet 1971 prévoit elle-même en son article 3 que les autorités judiciaires et administratives concernées peuvent avoir recours à des experts non assermentés dans la mesure où ceux figurant sur la liste, pour cause notamment d’éloignement ou d’impossibilité de recourir promptement à leur service, ne sauraient être utilement contactés;
Considérant que le représentant étatique a encore précisé que la condition de disponibilité était posée au-delà des questions d’honorabilité et de qualification professionnelle;
Que dans cette mesure la référence faite au pouvoir de contrôle du procureur général d’Etat doit s’analyser essentiellement par rapport à l’activité proprement dite de l’expert, de traducteur ou d’interprète assermenté visée en l’espèce;
Que le contrôle en question est nécessairement celui s’exerçant par rapport à l’accomplissement par le candidat en question, une fois admis, des missions lui conférées respectivement par les autorités judiciaires et administratives;
Que dans la mesure où les missions ainsi visées sont ancrées pour l’essentiel, d’un point de vue géographique, au territoire du Grand-Duché de Luxembourg, ne fût-
ce qu’à travers la localisation des autorités mandantes et leurs champs de compétence respectifs, ainsi que celle des dossiers nécessairement déposés en leurs sièges et bureaux, y compris les pièces relatives aux expertises, traductions et interprétations à livrer, les possibilités matérielles du contrôle à exercer par le procureur général d’Etat se trouvent être données à suffisance dans le chef d’un résident d’un pays limitrophe tel le demandeur, compte tenu des possibilités d’entraide judiciaire et administrative existant pour le surplus (trib. adm. 22 mars 1999, n° 10943 du rôle, Faignaert, confirmé par Cour adm. 19 octobre 1999, n° 11257C du rôle précités) ;
Considérant que l’exigence de disponibilité, telle que formulée par les décisions ministérielles déférées, ne répondant pas aux critères posés par la loi du 7 juillet 1971 ensemble les buts lui assignés par ses auteurs, la décision déférée encourt l’annulation pour violation de la loi, sans qu’il faille analyser plus loin la question de savoir dans quelle mesure l’expert visé est à considérer comme prestataire de services au sens de l’article 59 du Traité CE (devenu, après modification, article 49 CE);
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en la forme;
au fond le dit justifié;
partant annule les décisions ministérielles déférées et renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 octobre 1999 par:
M. Delaporte, premier vice-président M. Campill, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Delaporte