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25/10/1999 | LUXEMBOURG | N°10635

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 octobre 1999, 10635


N° 10635 du rôle Inscrit le 23 mars 1998 Audience publique du 25 octobre 1999

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Recours formé par Monsieur … GAJDOS contre deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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Vu la requête déposée le 23 mars 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Gérard SCHANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … GAJDOS, déclarant demeurer à

…, Slovaquie, tendant à la réformation sinon à l’annulation de deux décisions du ministre du Travail et ...

N° 10635 du rôle Inscrit le 23 mars 1998 Audience publique du 25 octobre 1999

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Recours formé par Monsieur … GAJDOS contre deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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Vu la requête déposée le 23 mars 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Gérard SCHANK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … GAJDOS, déclarant demeurer à …, Slovaquie, tendant à la réformation sinon à l’annulation de deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi intervenues respectivement les 19 septembre et 23 décembre 1997, la première refusant de lui accorder le permis de travail sollicité, et la seconde rejetant un recours gracieux exercé contre la première décision;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 1998;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 28 juin 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Denis CASIES, en remplacement de Maître Gérard SCHANK, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Par une déclaration d’engagement datée du 3 juillet 1997, entrée à l’administration de l'Emploi, ci-après dénommée « l’ADEM », le 7 juillet 1997, la société à responsabilité limitée X. sàrl, établie et ayant son siège social à L-…, introduisit une demande en obtention d’un permis de travail en faveur de Monsieur … GAJDOS pour le poste d’ingénieur chimique. La prédite déclaration indiquait que Monsieur GAJDOS devait entrer en service le 1er août 1997 et que la rémunération brute était fixée à …- francs. Dans un courrier daté du 4 juillet 1997, joint à la prédite déclaration d’engagement, le mandataire de la société X. sàrl, à savoir la fiduciaire …, a précisé que « notre client X. sàrl a engagé Monsieur GAJDOS pour s’occuper de la clientèle slovaque. Monsieur GAJDOS possède personnellement une société pétro-

chimique occupant plus de 500 personnes en Slovaquie. Il connaît bien le marché et la langue, ce qui est très important pour notre client. En annexe vous trouverez une copie de l’assemblée générale extraordinaire du 2 juillet 1997 où Monsieur GAJDOS est nommé co-gérant (…) ».

Le permis de travail fût refusé à Monsieur GAJDOS par arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé le « ministre », du 19 septembre 1997 « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes:

- priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - occupation irrégulière depuis le 01.08.1997 - n’a pas d’autorisation de séjour. » Sur recours gracieux formé par le mandataire de Monsieur GAJDOS en date du 17 décembre 1997, le ministre confirma, en date du 23 décembre 1997, sa décision initiale du 19 septembre 1997.

Par requête déposée le 23 mars 1998, Monsieur GAJDOS a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre ledit arrêté ministériel du 19 septembre 1997, ainsi que contre la décision confirmative du 23 décembre 1997.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, la loi ne prévoyant pas un recours de pleine juridiction en la matière.

Ni la loi du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main d'oeuvre étrangère, telle que modifiée par la suite, ni aucune autre disposition légale ne prévoyant un recours en réformation en matière de refus du permis de travail, le tribunal est incompétent pour connaître de ce recours introduit en ordre principal.

Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le demandeur fait exposer qu’il serait titulaire d’un diplôme d’ingénieur chimiste et qu’il possèderait une société pétrochimique en Slovaquie, laquelle occuperait plus de 500 personnes. Eu égard à sa formation et son expérience professionnelle, il aurait été contacté par la société X. sàrl, ayant comme objet social « le commerce d’installations et de produits pour le contrôle et l’élimination de la pollution des eaux souterraines et de surface ainsi que du sol contaminé, des équipements et outillages de protection et de sécurité… », qui chercherait à conquérir de nouveaux marchés notamment par l’exportation de son matériel et de ses services vers la Slovaquie. A l’occasion de l’assemblée générale extraordinaire du 2 juillet 1997, le demandeur aurait investi 3.000.000.- francs dans la société X. sàrl et lors de cette assemblée, il aurait été nommé co-gérant de la société. Il expose encore qu’afin de pouvoir bénéficier de la protection attachée au statut légal de salarié, il aurait souhaité, en sa qualité d’associé-gérant, être lié par un contrat de travail à la société X.

sàrl.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir en premier lieu que les décisions critiquées seraient insuffisamment motivées dans la mesure notamment où les motifs énoncés dans l’arrêté ministériel litigieux 19 septembre 1997 seraient trop généraux et ne contiendraient aucune référence à sa situation particulière. Il considère que la décision de refus d’un permis de travail devrait être motivée d’après les éléments de fait objectifs tirés du marché de l’emploi et qu’il faudrait dans cette optique analyser la situation particulière du demandeur d’emploi en question, ce que le ministre aurait omis de faire dans le cas d’espèce.

Le délégué du gouvernement rétorque que la motivation de l’arrêté litigieux serait légale, réelle et suffisante.

Il est constant qu’une obligation de motivation expresse exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi précitée du 28 mars 1972, ni par le règlement grand-ducal d’exécution du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et les circonstances de fait à sa base.

Dès lors que la motivation expresse d’une décision peut se limiter, conformément à l’article 6 précité, à un énoncé sommaire de son contenu, il suffit en l’occurrence, pour que l’acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment du refus, quitte à ce que l’administration concernée les complète a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours d’une procédure contentieuse ( Cour adm., 13 janvier 1998, Pas. adm. 2-99, V° Travail, II. Permis de travail, n° 23 et autres références y citées).

En l’espèce, l’arrêté du 19 septembre 1997 énonce 3 motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère ainsi qu’un motif tiré de la législation relative aux autorisations de séjour et il suffit ainsi aux exigences de l’article 6 précité, cette motivation étant utilement complétée, d’une part, par la décision confirmative du 23 décembre 1997 et, d’autre part, par le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, de sorte que le demandeur n’a pas pu se méprendre sur la portée à attribuer aux décisions litigieuses.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit encore d’examiner si lesdits motifs sont de nature à justifier les décisions critiquées.

Concernant le motif tiré de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.), le demandeur fait valoir qu’il n’existerait pas sur le marché de l’emploi luxembourgeois un demandeur d’emploi qui répondrait aux critères de qualification professionnelle requise pour le poste en question, qui s’adresserait « à un salarié hautement spécialisé devant avoir une parfaite connaissance du marché slovaque » et que l’ADEM resterait à l’heure actuelle en défaut d’assigner à la société X. sàrl un candidat disponible ayant toutes les aptitudes requises pour le poste en question.

La législation spécifique existant en matière de permis de travail vise à réglementer l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire luxembourgeois et conditionne l’exercice d’un emploi salarié à l’obtention d’un permis de travail préalablement à l’entrée en service, tout en fixant notamment l’accès prioritaire des ressortissants de l’E.E.E.

L’autorité investie du pouvoir respectivement d’octroyer et de renouveler le permis de travail a la faculté de le refuser en raison de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays (v. trav. parl. relatifs au projet de loi n° 2097, exposé des motifs, page 2).

Au voeu de l’article 28 de la loi précitée du 28 mars 1972, et de l’article 1er du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, seuls les travailleurs ressortissants des Etats membres de l’Union européenne (U.E.) et des Etats parties à l’Accord sur l’E.E.E. sont dispensés de la formalité du permis de travail.

En l’espèce, la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’U.E et de l’E.E.E. se justifie donc, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité slovaque, c’est-à-dire originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’U.E. et des Etats parties à l’Accord sur l’E.E.E.

Après avoir vérifié que la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’U.E. et de l’E.E.E. est, en principe, justifiée en l’espèce, le tribunal doit encore examiner si des demandeurs d’emploi prioritaires aptes à occuper le poste vacant étaient concrètement disponibles sur le marché de l’emploi.

S’il faut, en principe, que le ministre établisse, in concreto, la disponibilité sur place de ressortissants d’un Etat membre de l’E.E.E., susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé, il n’en reste pas moins que l’employeur doit mettre l’ADEM en mesure d’établir cette disponibilité concrète de ressortissants de l’E.E.E., en introduisant auprès d’elle une déclaration de vacance de poste. La déclaration de poste vacant, qui peut ressortir le cas échéant d’autres pièces ou documents introduits auprès de l’ADEM, doit être faite dans un délai utile avant l’entrée en service du travailleur.

Faute par l'employeur de ce faire, l'ADEM est mise dans l'impossibilité de lui assigner utilement des candidats et de rapporter ainsi la preuve de la disponibilité concrète de main-d'oeuvre apte à occuper le poste vacant, de sorte qu’aucune autorisation de travail ne saurait être délivrée au travailleur étranger (trib. adm. 30 avril 1998, Pas.

adm. 2/99 V° Travail, II. Permis de travail, n° 14, p.280 et autres références y citées).

En l’espèce, il est constant que l’employeur a introduit le 7 juillet 1997 auprès de l’ADEM une déclaration d’engagement pour un poste d’ingénieur chimique, cette déclaration valant demande en obtention d’un permis de travail pour Monsieur GAJDOS. Même si cette déclaration mentionne comme date d’entrée en service le 1er août 1997, soit une date postérieure à la date d’introduction auprès de l’ADEM, il ressort néanmoins des faits de l’espèce que l’employeur n’avait manifestement pas l’intention d’engager une autre personne que celle nommément visée par la déclaration.

En effet, il ressort notamment d’une lettre du 4 juillet 1997 de la Fiduciaire …, annexée à la prédite déclaration, que Monsieur GAJDOS « a été engagé pour s’occuper de la clientèle slovaque » et que le permis de travail était demandé en sa qualité de co-gérant de la société X. sàrl. Par ailleurs, un contrat de travail à durée indéterminée avait été conclu entre le demandeur et l’employeur en date du 2 juillet 1997, donc à une date antérieure à l’introduction de la prédite déclaration, et une déclaration d’entrée pour travailleur salarié, avec effet au 1er août 1997, avait été envoyée le 17 juillet 1997 au Centre Commun de la sécurité sociale.

Ainsi, la volonté fermement affirmée par l’employeur, de vouloir exclusivement engager Monsieur GAJDOS et non pas l’un quelconque demandeur d’emploi envoyé ou à envoyer par l’ADEM, le tout en insistant sur des exigences s’analysant en des critères excessifs par rapport au poste à pourvoir, a court-circuité la procédure légale suivant laquelle l’ADEM est appelée à assigner d’autres candidats susceptibles d’occuper le poste à pourvoir et a ainsi empêché l’ADEM de rapporter la preuve de la disponibilité concrète de main-d’oeuvre apte à occuper le poste en question (trib. adm.

10 juin 1999, Pas. adm. 2/99 V° Travail, II. Permis de travail, n° 22, p.283) Il se dégage de ces éléments que l’employeur n’était pas disposé à engager une autre personne et plus particulièrement un ressortissant de l’U.E. ou de l’E.E.E. et que partant toute assignation était, ab initio, vouée à l’échec.

Il suit des considérations qui précèdent que les décisions ministérielles litigieuses se trouvent légalement justifiées par le motif analysé ci-dessus et que l’examen des autres motifs à la base des décisions ministérielles, de même que les moyens d’annulation y afférents invoqués par le demandeur, devient surabondant.

Le recours en annulation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 25 octobre 1999 par le vice-président, en présence de M.

Legille greffier.

s. Legille s.

Schockweiler


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10635
Date de la décision : 25/10/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-10-25;10635 ?

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