N°11089 du rôle Inscrit le 20 janvier 1999 Audience publique du 20 octobre 1999
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Recours formé par l’administration communale de Nommern et consorts contre une décision du ministre de l’Environnement et une décision du ministre du Travail et de l'Emploi en présence de Monsieur X., Nommern en matière d’établissements dangereux, insalubres ou incommodes
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 janvier 1999 par Maître Jean BRUCHER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, aux noms de:
1.) l’administration communale de Nommern, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, établie à la maison communale de Nommern, 31, rue Principale, L-7465 Nommern, 2.) – 10.) … tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation 1. de la décision n°3/98/0517 du ministre de l’Environnement du 5 novembre 1998 et 2. de la décision n°3/98/0517/91373/105 du ministre du Travail et de l'Emploi du 13 novembre 1998, portant autorisation de transformer une étable existante de 40 animaux en porcherie de 60 bêtes de plus de 10 semaines ainsi que de transformer une étable existante de 60 animaux en porcherie de 280 bêtes de moins de 10 semaines sur un fonds sis à Nommern et inscrit au cadastre de la commune de Nommern, …;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 20 janvier 1999, par lequel cette requête a été signifiée à Monsieur X., demeurant à L-…;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 mars 1999 par le délégué du gouvernement;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 31 mai 1999 par Maître François BILTGEN, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur X.;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Jean BRUCHER au greffe du tribunal administratif en date du 8 juin 1999 au nom des parties demanderesses;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 9 juin 1999, par lequel ce mémoire en réplique a été signifié à Monsieur X.;
Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif en date du 29 juillet 1999;
Vu le mémoire en duplique déposé par Maître Elisabeth ALEX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur X. au greffe du tribunal administratif en date du 6 septembre 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maîtres Marc SUNNEN, en remplacement de Maître Jean BRUCHER et Elisabeth ALEX ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 16 août 1998, Monsieur X., cultivateur, demeurant à L-…, introduisit une demande d’autorisation de transformer une étable existante de 40 animaux en porcherie de 60 bêtes de plus de 10 semaines ainsi que de transformer une étable existante de 60 animaux en porcherie de 280 bêtes de moins de 10 semaines sur un fonds sis à Nommern et inscrit au cadastre de la commune de Nommern.
Par décisions respectives des 5 et 13 novembre 1998, le ministre de l’Environnement et le ministre du Travail et de l'Emploi ont autorisé ladite exploitation, relevant de la classe 3, conformément au règlement grand-ducal modifié du 18 mai 1990 déterminant la liste et le classement des établissements dangereux, insalubres ou incommodes, sous respect de divers conditions y énoncées.
Par requête déposée le 20 janvier 1999, l’administration communale de Nommern et 9 autres consorts habitant pour la plus grande part également à Nommern, à proximité de la porcherie projetée, deux d’entre eux étant propriétaires de terrains à Nommern sans y habiter, demandent la réformation sinon l’annulation à la fois de la décision du ministre de l’Environnement du 5 novembre 1998 et de celle du ministre du Travail et de l'Emploi du 13 novembre 1998.
QUANT A LA COMPETENCE Conformément à l’article 3 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif n’est compétent pour connaître comme juge du fond que des recours en réformation dont les lois spéciales lui attribuent connaissance.
La loi modifiée du 9 mai 1990 relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes, applicable au présent litige, prévoyant en son article 13 un recours en réformation contre les décisions portant autorisation pour les établissements de la classe 3, le tribunal est compétent pour connaître du recours introduit par les demandeurs contre les décisions critiquées. - Il s’ensuit que le recours en annulation, introduit en ordre subsidiaire, est à déclarer irrecevable.
QUANT A LA RECEVABILITE DU RECOURS EN ANNULATION 2 Monsieur X., bénéficiaire des autorisations précitées, conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef des parties demanderesses.
Il fait valoir plus précisément que les parties sub 6.) à 10.) n’auraient pas d’intérêt à agir, étant donné qu’elles ne seraient pas de proches voisins de l’exploitation projetée. A ce sujet, il précise que les demandeurs sub 6.) et 7.) seraient propriétaires du café exploité par le demandeur sub 2.), mais qu’ils n’habiteraient pas à Nommern. Il souligne encore que le demandeur sub 10.) est échevin de la commune de Nommern, de sorte que son recours serait irrecevable, celui-ci se confondrait avec celui de la commune de Nommern.
Concernant le demandeur sub 5) il fait valoir, d’une part, que ce dernier ne serait pas un voisin immédiat et, d’autre part, qu’il serait lui même agriculteur et qu’il érigerait une grande étable pour vaches au centre du village de Nommern, de sorte que son “ intérêt à agir serait dès lors illégitime ”.
Concernant les demandeurs sub 3.) et 4.), il considère qu’il s’agirait d’agriculteurs “ animés d’un sentiment d’animosité inter-professionnelle ” et qu’ils disposeraient eux-mêmes d’une porcherie dans le village.
Il relève ensuite que le demandeur sub 2.) n’aurait aucun intérêt à agir, au motif que le restaurant-café qu’il exploite se situerait en plein milieu d’un village à caractère rural, dans lequel des activités agricoles s’exerceraient depuis toujours.
Il soutient finalement que l’administration communale de Nommern ne possèderait pas un intérêt individuel propre, né et actuel pour agir, pour conclure qu’aucune des parties demanderesses n’aurait intérêt à agir.
Toute partie demanderesse introduisant un recours contre une décision administrative doit justifier d’un intérêt personnel distinct de l’intérêt général. Les voisins d’une porcherie, qu’ils soient des habitants du village concerné ou qu’ils soient simplement propriétaires de terrains situés à proximité de la porcherie projetée sans y habiter, ont un intérêt évident à agir contre les décisions ministérielles d’autorisation d’exploiter ladite porcherie, étant donné qu’ils ont intérêt à voir respecter les dispositions légales et réglementaires qui régissent l’octroi des autorisations d’exploiter un tel établissement dont l’existence ou l’exploitation peuvent présenter des causes de danger ou des inconvénients, soit pour la sécurité, la salubrité ou la commodité, par rapport au voisinage, cette proximité de situation étant pour un tel établissement à elle seule suffisante pour fonder l’intérêt à agir.
En l’espèce, les demandeurs repris sub 2.) à 10.) habitent, ou sont propriétaires de terrains, dans un rayon approximatif de 300 mètres au plus du site appelé à recueillir la porcherie. Il est constant qu’une porcherie affecte la situation préexistante des demandeurs et leur cause des inconvénients de voisinage, notamment du point de vue du bruit et des odeurs qu’un tel établissement est appelé à dégager. La défense contre une détérioration de leur situation de voisin constitue, dans leur chef, un intérêt personnel suffisant pour agir à l’encontre des autorisations litigieuses.
Concernant l’intérêt à agir de l’administration communale de Nommern, celle-ci doit avoir à charge de veiller à ce que l’établissement projeté soit installé dans le respect des dispositions arrêtées par la commune dans le cadre du plan d’aménagement général et du 3 règlement sur les bâtisses qui tend notamment à préserver un environnement naturel non pollué, de sorte que la défense et la préservation de ces prérogatives constitue dans le chef de la commune, un intérêt personnel à agir (C.E. 6 juillet 1993, Commune de Kehlen, n°8843 et n°8846 du rôle et C.E. 3 mai 1995, Commune de Mertert, n°9088 et n°9111 du rôle).
Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que les dix parties demanderesses justifient, chacune en ce qui la concerne, d’un intérêt suffisant à agir.
Le recours en réformation, introduit par ailleurs suivant les formes et délai prévus par la loi, est recevable dans le chef de toutes les parties demanderesses.
QUANT AU FOND Monsieur X. invoque en deuxième lieu un moyen tenant à “ l’assiette du recours ”. Il développe à ce sujet qu’il ne serait assujetti à aucune autorisation concernant la transformation de l’étable existante de 60 animaux en porcherie de 280 bêtes de moins de 10 semaines, au motif que le règlement grand-ducal modifié du 18 mai 1990 déterminant la liste et le classement des établissements dangereux, insalubres ou incommodes ne prévoit pas qu’un tel établissement soit soumis à autorisation. Il estime dès lors que le jugement à intervenir devrait se limiter à l’examen de l’autorisation de transformer l’étable en porcherie de 60 bêtes de plus de 10 semaines.
Les parties demanderesses ainsi que le délégué du gouvernement font rétorquer que s’il est vrai que la liste des établissements dangereux, insalubres ou incommodes telle que prévue par le règlement grand-ducal précité du 18 mai 1990 ne mentionne que deux classes de porcheries soumises expressément à autorisation, il n’en resterait pas moins que cette liste ne serait pas exhaustive et que le libellé de l’article 1er de la loi précitée du 9 mai 1990 aurait une portée générale en soumettant tout établissement ou toute activité pouvant présenter des causes de danger ou des inconvénients pour la sécurité, la salubrité ou la commodité, par rapport au public, au voisinage ou au personnel de l’établissement à autorisation de la part des autorités compétentes.
Le règlement grand-ducal précité du 18 mai 1990 prévoit dans la nomenclature des établissements classés au numéro 324 “ porcherie ” que les établissements renfermant entre 10 à 80 bêtes de plus de 10 semaines sont soumis à autorisation dans la classe 3 et que les établissements renfermant plus de 80 bêtes de plus de 10 semaines sont soumis à autorisation dans la classe 1. S’il est vrai que le numéro 324 ne vise pas l’hypothèse des porcheries renfermant des bêtes de moins de 10 semaines, il n’en demeure pas moins que la nomenclature des établissements classés prévoit, d’une part, au numéro 166 que les écuries de plus de 10 bêtes et, d’autre part, au numéro 178 que les étables de plus de 50 animaux sont soumises à autorisation dans la classe 3. Si le terme d’écurie vise plutôt à abriter des chevaux, les termes généraux “ étable ” et “ animaux ” employés par le numéro 178 de la nomenclature précitée englobent toutes les hypothèses qui ne sont pas expressément reprises par ladite liste et concernant notamment les exploitations agricoles. Une porcherie renfermant 280 bêtes de moins de 10 semaines, tombe dès lors dans le champ d’application de la rubrique 178 de la liste précitée et cet établissement est dès lors soumis aux conditions d’exploitation telles que définies pour les établissements de la classe 3.
4 Par ailleurs c’est à bon droit que les parties demanderesses soulèvent que même si la porcherie qui renferme des bêtes de moins de 10 semaines n’est pas expressément prévue par le numéro 324 de la nomenclature des établissements classés, néanmoins par référence à l’article 1er de la loi précitée du 9 mai 1990, cet établissement est constitutif d’une exploitation agricole annexe soumise à ce titre à autorisation ministérielle.
Le moyen afférent de Monsieur X. est dès lors à rejeter.
Les parties demanderesses reprochent en premier lieu aux autorisations ministérielles critiquées de reposer “ sur une base légale fausse et inexistante ”.
Elles font valoir plus particulièrement que l’autorisation délivrée par le ministre du Travail et de l'Emploi en date du 13 novembre 1998 indiquerait en tant que base légale le règlement grand-ducal du 18 mars 1981 fixant les prescriptions générales pour l’établissement des porcheries de la classe 3. Elles relèvent que le prédit règlement grand-ducal a été abrogé et remplacé par le règlement grand-ducal du 3 juin 1993 et que ce règlement grand-ducal a, à son tour, été abrogé par le règlement grand-ducal du 15 juin 1994 portant abrogation du règlement grand-ducal du 3 juin 1993 fixant les prescriptions générales pour les établissements agricoles de la classe 3. Comme le règlement grand-ducal précité du 15 juin 1994 n’a pas fixé de nouvelles prescriptions en la matière, il n’existerait dès lors à l’heure actuelle aucun texte légal ou réglementaire qui régit les conditions d’établissement et d’exploitation des établissements agricoles de la classe 3. Elles en déduisent que “ tant la base légale que les conditions générales imposées par l’autorisation délivrée par le ministre du Travail et de l'Emploi sont illégales et inexistantes ”.
Elles concluent encore que les autorisations querellées du ministre de l’Environnement et du ministre du Travail et de l'Emploi seraient contraires aux prescriptions spécifiques des articles 15 et 16 de la loi précitée du 9 mai 1990, dans la mesure où ces articles disposent que les établissements de la classe 3 sont soumis aux prescriptions générales édictées par règlement grand-ducal, qui, dans le cas d’espèce, n’existeraient pas. Elles soutiennent que l’exigence d’édicter des règlements grand-ducaux d’exécution, en vue de l’exécution de la loi précitée du 9 mai 1990, serait une “ condition de validité sine qua non des autorisations ”. Comme la définition des conditions générales d’exploitation des établissements de la classe 3, éventuellement complétées par des conditions spécifiques s’appuyant sur les critères de l’article 1er de la loi précitée du 9 mai 1990, relèveraient “ exclusivement du pouvoir réglementaire du Grand-Duc, sans que le pouvoir exécutif ne puisse s’y substituer ”, les autorisations querellées seraient à annuler.
Le délégué du gouvernement expose que le ministre pourrait, même en l’absence de règlements d’exécution, délivrer des autorisations sur base des articles 1, 9 et 16 de la loi précitée du 9 mai 1990 et qu’il pourrait les assortir des conditions nécessaires non seulement à la sauvegarde des droits et intérêts des tierces personnes mais également à la sauvegarde de l’environnement naturel et humain.
Le tribunal est donc amené à examiner en premier lieu le moyen d’illégalité des décisions ministérielles litigieuses, soulevé par les parties demanderesses, tiré de l’absence de base légale justifiant la fixation de conditions relatives à l’exploitation d’une porcherie.
5 L’article 1er de la loi précitée du 9 mai 1990 détermine le champ d’application de la réglementation relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes, en soumettant à autorisation, d’une part, “ tout établissement industriel, artisanal ou commercial, public ou privé, dont l’existence ou l’exploitation peuvent présenter des causes de danger ou des inconvénients, soit pour la sécurité, la salubrité ou la commodité, par rapport au public, au voisinage ou au personnel de l’établissement, soit pour l’environnement humain et naturel ” et, d’autre part, “ toute installation, (…) toute activité et (…) toute activité connexe ou (…) tout procédé de fabrication dont l’existence, l’exploitation ou la mise en oeuvre peuvent présenter des causes de danger ou des inconvénients, soit pour la sécurité, la salubrité ou la commodité, par rapport au public, au voisinage ou au personnel de l’établissement, soit pour l’environnement humain et naturel ”.
Comme il a été développé ci-dessus, il est constant en cause que l’exploitation d’une porcherie constitue un établissement tombant sous ledit champ d’application notamment en ce qu’elle relève de la classe 3 figurant au règlement grand-ducal précité du 18 mai 1990.
Par conséquent, au voeu de l’article 3 de la loi précitée du 9 mai 1990, l’autorisation relative à son exploitation relève respectivement de la compétence du ministre ayant dans ses attributions le travail et du ministre ayant dans ses attributions l’environnement, chacun agissant dans le cadre de ses compétences respectives.
Conformément à l’article 9 de la loi précitée de 1990, “ les autorisations fixent les réserves et conditions d’aménagement et d’exploitation qui sont jugées nécessaires pour la protection des intérêts visés à l’article 1er, en tenant compte de la meilleure technologie disponible, dont l’application n’entraîne de coûts excessifs. (…) L’autorisation du ministre ayant dans ses attributions l’environnement déterminera les conditions d’exploitation visant la protection de l’air, de l’eau, du sol, de la faune et de la flore, la lutte contre le bruit et l’élimination des déchets.
L’autorisation du ministre ayant dans ses attributions le travail déterminera les conditions d’exploitation relatives à la sécurité et l’hygiène sur le lieu de travail, la salubrité, l’ergonomie et d’une façon générale les autres intérêts visés à l’article 1er. (…) Les autorisations pourront prescrire une distance à respecter entre l’établissement concerné et notamment d’autres établissements, maisons d’habitation et cours d’eau. (…) ”.
Force est de constater que l’article 9 de la loi précitée de 1990 attribue une compétence générale au ministre de l’Environnement pour déterminer, en tenant compte des particularités de chaque cas d’espèce, les réserves et conditions d’exploitation d’un établissement de la classe 3. Il convient de rappeler dans ce contexte que ladite loi conditionne l’exploitation d’un établissement tombant dans son champ d’application par l’obtention préalable des autorisations requises, partant elle réserve nécessairement, sous peine de vider la notion d’autorisation de tout sens, un pouvoir d’appréciation à l’autorité compétente.
Il convient cependant encore de circonscrire cette notion de compétence générale. D’un côté, compétence générale ne signifie pas compétence illimitée ou discrétionnaire. Si le ministre de l’Environnement a une compétence générale dans le domaine en question, sa compétence doit nécessairement s’exercer dans le cadre tracé par la législation spécifique. En effet, la 6 législation spécifique, à supposer qu’elle existe, définit et délimite le pouvoir d’appréciation du ministre. D’un autre côté, en l’absence de réglementation spécifique, on ne saurait conclure que l’exploitation de l’entreprise ou de l’installation en cause serait permise sans autorisation.
L’exigence de pareille autorisation préalable subsiste et le ministre recouvre son pouvoir d’appréciation général, lequel consiste, sous le contrôle du juge, à concilier les intérêts qui s’opposent, à savoir l’intérêt privé avec l’intérêt général ou, autrement dit, à concilier le droit de tout citoyen d’appliquer librement son intelligence à toute espèce de travail ou d’industrie avec les droits des autres individus à se voir protéger contre des dangers ou des inconvénients, soit pour la sécurité, la salubrité ou la commodité, soit pour l’environnement humain et naturel (trib. adm. 15 mars 1999, Pas. adm. 2/99, V° établissements dangereux, n°14, p.84).
En ce qui concerne plus particulièrement les établissements de la classe 3, l’article 15 de la loi précitée de 1990 dispose que ces établissements “ sont soumis aux prescriptions générales édictées par règlement grand-ducal dans l’intérêt de la sécurité, de la salubrité ou de la commodité par rapport au public, au voisinage ou au personnel de l’établissement ainsi que de l’environnement ”. Il est précisé à l’article 16 que “ les établissements de la classe 3 font l’objet, avant leur ouverture ou mise en exploitation, d’une demande écrite en double exemplaire adressée à l’inspection du travail et des mines qui en communique un exemplaire au ministre ayant dans ses attributions l’environnement. Les autorisations simplifiées pour les établissements de la classe 3 et délivrées en vertu du présent article sont assorties de conditions générales visées à l’article 15 et au besoin de conditions spéciales pour la protection des intérêts visés à l’article 1er ”.
Force est de constater que s’il existait bien un règlement grand-ducal modifié du 3 juin 1993 fixant les prescriptions générales pour les établissements agricoles de la classe 3, ce règlement grand-ducal a été abrogé par le règlement grand-ducal précité du 15 juin 1994 sans qu’il ait été remplacé.
Or, comme il a été relevé ci-dessus, l’absence de réglementation spécifique n’implique cependant pas que le ministre se voie les mains liées et que l’autorisation doive être délivrée de plein droit. Par ailleurs, cette absence de réglementation ne saurait pas non plus impliquer qu’un tel établissement ne pourrait en aucun cas être autorisé, étant donné que pareille interdiction générale constituerait une restriction inadmissible à l’exercice du droit de propriété et de la liberté du commerce et de l’industrie, ainsi que de la liberté du travail agricole.
Il en découle que le ministre, titulaire d’une compétence générale telle que définie par la loi précitée de 1990, a le droit et l’obligation de soumettre pareil établissement à telles réserves et conditions qui sont nécessaires, en conciliant la liberté d’exploiter un établissement agricole avec les intérêts des tiers concernés et de l’environnement humain et naturel en général.
Ainsi, comme la loi précitée de 1990 fixe des critères objectifs, dans la mesure où le ministre doit tenir compte, lors de l’émission d’une autorisation, des “ dangers et inconvénients, soit pour la sécurité, la salubrité ou la commodité, soit pour l’environnement humain et naturel ” et comme, en vertu des dispositions des articles 1, 9 et 16 de la loi précitée de 1990, le ministre peut assortir les autorisations des conditions nécessaires à la sauvegarde des droits et intérêts des tierces personnes mais aussi à la sauvegarde de l’environnement naturel et humain, la loi précitée de 1990 peut être exécutée, en attendant l’élaboration du règlement grand-ducal prescrit par son article 15, étant donné qu’elle est suffisamment 7 explicite pour rendre son exécution possible (C.E. 21 avril 1995, HOFFMANN n° du rôle 9029).
Il ressort des considérations qui précèdent que la décision du ministre de l’Environnement du 5 novembre 1998 et la décision du ministre du Travail et de l'Emploi du 13 novembre 1998 ne sont pas entachées de nullité en ce que les ministres auraient excédé leurs pouvoirs respectifs.
Concernant le deuxième moyen avancé par les demandeurs à l’appui de leur recours introductif d’instance, tiré de ce que le ministre de l’Environnement aurait statué “ ultra petita ” en délivrant une autorisation relative à l’aménagement d’une fosse étanche destinée à recueillir le lisier de la porcherie, alors qu’une telle demande n’aurait pas été expressément formulée par Monsieur X., le tribunal relève que l’obligation d’aménager une fosse étanche constitue l’une des conditions auxquelles le ministre de l’Environnement a subordonné l’exploitation de la porcherie, et à laquelle Monsieur X. doit se soumettre, de sorte que ce moyen est à rejeter comme étant non fondé.
Il est encore fait grief aux décisions entreprises d’avoir autorisé l’exploitation d’une porcherie, dégageant des odeurs “ nauséabondes ” et des bruits au milieu d’une agglomération, ce qui causerait des inconvénients anormaux de voisinage contraire à l’esprit de la loi précitée de 1990. S’y ajouterait que l’étable devant abriter la porcherie se situerait à la limite du terrain loué par Monsieur … et appartenant aux époux … et que le café-restaurant y exploité serait éloigné de moins de 10 mètres de la porcherie, alors que l’autorisation du ministre de l’Environnement, dans les “ conditions concernant les porcheries ”, prévoirait l’obligation d’installer les porcheries à une distance d’au moins 10 mètres des locaux habités et des établissements fréquentés par des tiers (article III 1). Les demandeurs considèrent dès lors que l’exploitation d’une porcherie au milieu de la localité de Nommern serait inconciliable avec leur droit à un environnement salubre. A titre subsidiaire, ils considèrent que les conditions imposées par les autorisations entreprises seraient totalement insuffisantes, sinon irréalistes, inadéquates et imprécises, ce qui équivaudrait à une absence totale de conditions.
Le tribunal estime qu’en l’état actuel du dossier, il ne dispose pas de tous les éléments d’appréciation nécessaires pour déterminer si les conditions d’installation et d’exploitation de la porcherie sont appropriées et suffisantes, de sorte qu’il est nécessaire de procéder à une visite des lieux.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme;
déclare le recours en annulation irrecevable;
quant au fond, avant tout progrès en cause, tous autres droits des parties étant réservés, ordonne une visite des lieux, 8 dit qu’il sera procédé à cette mesure d’instruction en date du vendredi 5 novembre 1999 à 16.00 heures, rendez-vous étant donné aux parties et à leurs représentants à l’exploitation agricole de Monsieur X., … L-…, réserve les frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 20 octobre 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 9