N° 11297 du rôle Inscrit le 25 mai 1999 Audience publique du 18 octobre 1999 Recours formé par la société anonyme SECURITAS, … et Monsieur X., Luxembourg contre une décision du ministre de la Justice en matière de gardiennage et surveillance
_____________________________________________________________________
______
Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 mai 1999 par Maître Pierrot SCHILTZ, avocat à la Cour, assisté de Maître Steve COLLART, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1) la société anonyme SECURITAS S.A. société de surveillance et de sécurité, établie et ayant son siège social à L-…, et 2) Monsieur X., demeurant à L-…., tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 29 décembre 1998 portant refus d’agrément d’exercer une activité de gardiennage et de surveillance dans le chef de Monsieur X. pour le compte de la société anonyme SECURITAS ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 21 mai 1999, par lequel cette requête a été signifiée tant à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, qu’à son ministre de la Justice ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé en date du 7 juin 1999 au greffe du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Steve COLLART et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 octobre 1999.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------
------------
Considérant que Monsieur X., né le …, demeurant à L-…, ayant sollicité l’autorisation prévue par la loi du 6 juin 1990 relative aux activités privées de gardiennage et de surveillance, en vue d’être engagé en qualité d’agent de sécurité auprès de la société anonyme SECURITAS S.A., établie et ayant son siège social à L-
…, le ministre de la Justice, par décision du 29 décembre 1998, notifiée le 11 janvier 1999 à la société anonyme SECURITAS, refusa l’agrément demandé « en raison des antécédents judiciaires de [Monsieur X.] et suite à l’avis négatif de la part des autorités judiciaires » ;
Que par courrier de leur mandataire du 27 janvier 1999, tant Monsieur X. que la société anonyme SECURITAS ont formulé un recours gracieux contre la décision ministérielle de refus en question ;
Que ce recours étant resté sans réponse, les deux réclamants ont fait déposer en date du 25 mai 1999 un recours devant ce tribunal tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle ainsi critiquée ;
Considérant que dans la mesure où d’après l’article 4 (5) de la loi précitée du 6 juin 1990 les juridictions de l’ordre administratif sont appelées à statuer comme juge du fond à l’encontre des décisions ministérielles concernant l’octroi, le refus ou la révocation des autorisations prévues par ladite loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal contre la décision critiquée portant refus de pareille autorisation ;
Que le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi est recevable ;
Que par voie de conséquence le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire encourt l’irrecevabilité ;
Considérant que conformément aux conclusions du représentant étatique, il échet en toute hypothèse de laisser à charge des parties demanderesses les frais de la signification du recours effectuée tant à l’Etat qu’au ministre de la Justice, pareille formalité étant superfétatoire au regard des dispositions de l’article 18 de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d’Etat, applicable au présent litige, la communication de la requête à l’Etat étant effectuée par la voie du greffe, chaque fois notamment que le recours est dirigé contre une décision émanant d’un organe étatique ;
Considérant qu’au fond les parties demanderesses font valoir que la décision critiquée serait insuffisamment motivée au regard de l’article 4 (4) de la loi précitée du 6 juin 1990, dans la mesure où elle ne préciserait pas dans laquelle des trois hypothèses de refus émargées par l’article 5 alinéa second de ladite loi elle se situerait ;
Que les parties demanderesses de prendre position par rapport à l’avis négatif des autorités judiciaires datées du 12 décembre 1997 ayant proposé le rejet de l’agrément en raison des condamnations de Monsieur X. du chef de coups et blessures volontaires ainsi que de vol ;
Qu’ils insistent sur les dates relativement éloignées de la perpétration des faits en question ainsi que sur le caractère modique des peines prononcées pour conclure que les reproches ainsi formulés à l’encontre de Monsieur X. ne relèveraient pas du caractère de gravité requis justifiant le refus déféré ayant entraîné son licenciement et menaçant la ruine de toute sa famille, soulignant que Monsieur X. est devenu père à la date du 1er octobre 1998 ;
Considérant que l’article 5 alinéa 2 de la loi du 6 juin 1990 précitée dispose que « l’autorisation est refusée pour l’engagement :
de personnes âgées de moins de 18 ans ;
de celles exerçant des activités jugées incompatibles avec la mission de surveillance ;
de celles qui ne remplissent pas les conditions de moralité » ;
Considérant que s’il est vrai que la décision déférée ne se place pas expressis verbis dans le cadre d’un des trois cas d’ouverture précités, elle ne se réfère pas moins à la fois aux antécédents judiciaires de Monsieur X., ainsi qu’à l’avis négatif porté devant le ministre de la Justice par les autorités judiciaires consultées ;
Considérant que la référence faite à la fois aux antécédents judiciaires ainsi qu’aux avis négatifs donnés par les autorités judiciaires concernées constitue une motivation suffisante au regard de l’article 4 (4) de ladite loi du 6 juin 1990 portant que lorsque l’autorisation est refusée, la décision ministérielle doit être motivée ;
Considérant qu’il découle des deux branches de la motivation fournie et se fondant plus particulièrement sur l’extrait du casier judiciaire versé – bulletin n° 2 -, ainsi que sur les avis du parquet de Luxembourg du 10 décembre 1997 ensemble la prise de position du commandant de la brigade de Luxembourg de la gendarmerie grand-ducale du 14 octobre 1997 et celui du parquet général du 3 décembre 1997 que la décision ministérielle s’insère dans l’hypothèse c) prévue par l’article 5 alinéa 2 prérelaté en ce que Monsieur X. ne remplit pas les conditions de moralité y prévues ;
Considérant que les conditions de moralité pouvant être légitimement posées à l’encontre d’un candidat à l’exercice d’une activité de gardiennage et de surveillance pour le compte de tiers sont mesurées par rapport aux exigences spécifiques posées dans le chef du futur agent de sécurité en raison de la nature même de la mission dont il désire être revêtu ;
Considérant que d’après l’article 2 de la loi du 6 juin 1990 précitée, les activités de gardiennage et de surveillance y visées comprennent :
« a) la surveillance de biens mobiliers et immobiliers ;
b) la protection de personnes ;
c)le transport, le convoyage et la surveillance de transports de fonds et d’objets mobiliers ;
d)l’installation et la gestion de centres d’alarmes privés » ;
Considérant qu’il découle de cette définition des tâches que les critères de moralité posés par l’article 5 alinéa 2 point c) prérelaté appellent une appréciation d’autant plus stricte que le comportement du candidat par rapport à l’intégrité physique ainsi qu’à la propriété d’autrui est visé ;
Considérant que l’extrait du casier judiciaire versé au dossier administratif, non autrement critiqué quant à son contenu par les parties demanderesses, relève pour la période du 27 juillet 1992 au 24 avril 1997 sept condamnations, dont quatre émanant d’un tribunal correctionnel ;
Que parmi ces dernières, il convient de mentionner plus particulièrement le jugement sur opposition du 17 mai 1995 ayant condamné Monsieur X. du chef de coups et blessures volontaires ayant causé une incapacité de travail à une amende de 20.000.- francs ainsi qu’à la prestation de travaux d’intérêt général à concurrence de 120 heures, de même qu’un jugement du 20 novembre 1996 emportant une amende de 15.000.- francs du chef de vol ;
Considérant que la gravité des peines prononcées n’est pas à elle seule déterminante pour apprécier les conséquences à tirer des faits perpétrés au regard des exigences spécifiques des conditions de moralité ci-avant posées ;
Considérant que le tribunal relève la gravité accentuée de l’infraction à la base du jugement prédit du 17 mai 1995 en ce que non seulement Monsieur X. a été condamné du chef de coups et blessures volontaires mais encore que cette infraction était caractérisée dans la mesure où elle a entraîné dans le chef de la victime une incapacité de travail ;
Considérant que par ailleurs le dossier relève l’établissement à l’encontre de Monsieur X. en date du 31 mars 1997 d’un procès-verbal pour coups et blessures volontaires ayant également causé une incapacité de travail dans le chef de la victime concernée;
Considérant que l’existence de faits non isolés, même remontant à plusieurs années, portant atteinte de façon caractérisée tant à l’intégrité physique de tierces personnes, qu’aux biens de ceux-ci, sanctionnés pour l’essentiel par des jugements coulés en force de chose jugée est de nature à avoir permis au ministre de la Justice de retenir que les conditions de moralité prévues par l’article 5.2 point c) de la loi du 6 juin 1990 prévisée ne sont pas remplies dans le chef d’un candidat à l’agrément pour l’exercice d’une activité de gardiennage et de surveillance pour le compte de tiers, abstraction faite des conséquences financières que compte pour lui pareil refus, dont l’origine incombe, en définitive, au comportement même dudit intéressé;
Considérant qu’il résulte des développements qui précèdent que le recours laisse d’être fondé ;
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en réformation recevable ;
au fond le dit non justifié ;
dit le recours en annulation irrecevable ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi fait et jugé à l’audience publique du 18 octobre 1999 par :
M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Delaporte