La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/10/1999 | LUXEMBOURG | N°11055

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 octobre 1999, 11055


N° 11055 du rôle Inscrit le 24 décembre 1998 Audience publique du 18 octobre 1999 Recours formé par Monsieur … DIEDERICH, … contre une décision du bureau RTS–Luxembourg I de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur les traitements et salaires

_____________________________________________________________________

____

Vu la requête inscrite sous le numéro 11055 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 1998 par Maître Roy REDING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de Monsieur … DIEDERICH, …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à...

N° 11055 du rôle Inscrit le 24 décembre 1998 Audience publique du 18 octobre 1999 Recours formé par Monsieur … DIEDERICH, … contre une décision du bureau RTS–Luxembourg I de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur les traitements et salaires

_____________________________________________________________________

____

Vu la requête inscrite sous le numéro 11055 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 1998 par Maître Roy REDING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DIEDERICH, …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’un bulletin d’appel en garantie daté du 29 octobre 1997 émis par le bureau RTS Luxembourg 1 de la section RTS du service d’imposition de l’administration des Contributions directes ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 1999 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 août 1999 par Maître Roy REDING pour compte de Monsieur … DIEDERICH ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Martine LAUER et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 septembre 1999.

_____________________________________________________________________

______

En date du 29 octobre 1997 le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 a émis à l’encontre de Monsieur … DIEDERICH, …, demeurant à L-…, pris en sa qualité d’associé-gérant de la société X. s.à r.l., ci-après appelée « la société », ayant eu son siège social à L-…, entretemps déclarée en état de faillite, un bulletin d’appel en garantie (Haftungsbescheid) en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts, dite « Abgabenordnung », ci-après appelée « AO », pour le paiement des sommes retenues ou qui auraient dû être retenues au titre d’impôt sur les traitements et salaires par la société pour les exercices 1992 et 1993, ainsi que des intérêts de retard y relatifs, pour un montant total s’élevant à ….- LUF.

Par courrier de son mandataire datant du 15 janvier 1998, Monsieur … DIEDERICH a fait introduire une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes à l’encontre de ce bulletin. Celle-ci étant restée sans suite, il a fait déposer en date du 24 décembre 1998 un recours tendant principalement à l’annulation pour défaut de base légale et subsidiairement à la réformation du bulletin d’appel en garantie du 29 octobre 1997.

Le bulletin déféré émis le 29 octobre 1997 à l’encontre du demandeur étant à assimiler, conformément aux dispositions du paragraphe 119 AO, à un bulletin d’impôt fixant une cote d’impôt en ce qui concerne le régime des voies de recours, le tribunal administratif a compétence pour connaître des contestations y relatives en tant que juge du fond.

Dans la mesure où l’existence de la possibilité d’un recours en réformation rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision, le recours en annulation introduit en ordre principal est irrecevable (cf. trib. adm. 4.12.1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 02/99, V° Recours en réformation, n° 2 et autres références y citées).

Le contribuable dont la réclamation n’a pas fait l’objet d’une décision définitive du directeur dans un délai de six mois ayant le droit, en vertu des dispositions de l’article 8 (3) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, de déférer directement au tribunal le bulletin qui a fait l’objet de la réclamation, le recours subsidiaire en réformation introduit en date du 24 décembre 1998 est recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi.

La décision déférée a déclaré le demandeur co-débiteur solidaire des retenues d’impôt sur les traitements et salaires, ainsi que des intérêts de retard y relatifs dus par la société pour les années 1992 et 1993 au motif qu’ « en vertu des paragraphes 103 et 108 de la loi générale des impôts (AO) vous êtes obligé en votre qualité d’associé-

gérant de la société, de payer sur les fonds administrés les impôts, dont la société est redevable. En omettant de verser à l’administration des contributions les sommes retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d’impôt sur les salaires, vous avez commis une faute engageant votre responsabilité personnelle (paragraphe 109 AO), responsabilité qui continue à exister après la cessation de commerce de la société (paragraphe 110 AO) ».

Pour décliner sa propre responsabilité dans le non-paiement des impôts dus par la société, le demandeur fait d’abord valoir à l’appui de son recours que le gérant d’une personne morale ne serait pas obligé de payer par des deniers personnels une dette d’impôt de la personne gérée. Il soutient ensuite que le simple non-paiement d’impôts ne s’analyserait pas en une « Verkürzung der Steueransprüche » au sens de l’article 109 AO et que, même à admettre que le non-paiement d’impôts soit visé par le texte en question, l’administration resterait en l’espèce en défaut de prouver la « schuldhafte Verletzung » de ses devoirs de gérant. Le demandeur estime par conséquent que le vice ainsi relevé permettrait à lui seul d’annuler le bulletin déféré.

Il expose à titre subsidiaire n’avoir disposé à aucun moment de la signature isolée qui lui aurait permis de signer un ordre de virement pour le paiement de l’impôt dû et rend attentif au fait que les salaires à la base de l’obligation des retenues d’impôt auraient bénéficié exclusivement à l’autre gérant actif, en l’occurrence Monsieur Eric BRAUSCH. Il signale en outre avoir cessé de revêtir la fonction de gérant depuis l’assemblée générale extraordinaire de la société du 28 septembre 1993 pour soutenir qu’il serait en tout état de cause à décharger du paiement des impôts redus à partir de cette date.

Le délégué du Gouvernement rencontre ces moyens en exposant que c’est à bon droit que le bulletin rappelle qu’en vertu du paragraphe 103 AO le gérant d’une société doit, au nom de l’employeur qu’est la société, retenir l’impôt sur les salaires payés et verser ponctuellement les retenues au receveur des contributions et qu’il engage sa responsabilité personnelle sur base du paragraphe 109 AO pour l’impôt qui, par sa faute, n’a pas été versé, le tout pour conclure que le moyen tenant à un défaut de base légale ne serait pas fondé en l’espèce.

Il soutient en outre que l’insuffisance de l’impôt payé par rapport à l’impôt légalement dû serait constitutive du dommage couvert par le paragraphe 109 AO et que le gérant de société répondrait de toute inexécution fautive des obligations lui incombant en vertu du paragraphe 103 AO, étant entendu que cette disposition insiste particulièrement sur l’obligation de veiller à ce que les impôts de la société soient payés à l’aide des fonds administrés. Il estime en outre que si le salarié qui n’a pas subi la retenue peut certes être contraint, cette simple possibilité n’excluerait en tout état de cause pas en raison et en équité la poursuite du gérant fautif pour tout ou partie de l’insuffisance dont il est responsable.

En vertu des dispositions de l’article 136 (4) de la loi modifiée du 4 novembre 1967 sur l’impôt sur le revenu (LIR), l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que « die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ; inbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ».

Il s’ensuit que le gérant en titre d’une société à responsabilité limitée est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.

Il se dégage en l’espèce des extraits du Mémorial C versés parmi les pièces du dossier fiscal, mais revêtant en tout état de cause un caractère public, que la société X.

s.à r.l. fut constituée en date du 9 mai 1990 et que lors de l’assemblée générale extraordinaire qui s’est tenue le même jour, les associées ont pris la résolution de nommer Monsieur Y. gérant technique et Monsieur … DIEDERICH gérant administratif, en prenant soin de préciser que « la société est valablement engagée en toutes circonstances par la signature isolée d'un des gérants ». Il s’en dégage également qu’en date du 28 septembre 1993, le demandeur … DIEDERICH a cédé la totalité de ses parts sociales à Y., qui, ainsi devenu associé unique, s’est désigné lui-même comme gérant unique et a donné décharge au gérant administratif sortant DIEDERICH.

Il est dès lors constant que le demandeur, en sa qualité de gérant administratif pouvant engager la société sous sa seule signature, a manqué à son obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO énoncée ci-avant en ce qui concerne les retenues d’impôt sur les traitements et salaires à effectuer par la société pour l’année 1992, ainsi que pour une partie de l’année 1993, en l’occurrence celle correspondant à la période de l’exercice de ses fonctions de gérant.

Il n’en demeure cependant pas moins que le gérant d’une société ne peut être tenu personnellement responsable du non-paiement de ces impôts que dans les conditions plus particulièrement prévues au paragraphe 109 AO, qui dispose dans son alinéa (1) que : « die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind ».

Il se dégage de ces dispositions légales que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO précité dans le chef d’un gérant de société n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité personnelle en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive -« schuldhafte Verletzung »- des obligations du représentant de la société envers le fisc (cf. trib. adm. 31.5.1999, MIHNJAK, n° 10808 du rôle, Pas. adm. 2/99, v° Impôts, sous M. Exigibilité, n°80).

Le paragraphe 7 (3) de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934 maintenue en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, appelée « Steueranpassungsgesetz » (StAnpG), disposant par ailleurs que « jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et ensuite en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

Conformément au paragraphe 2 StAnpG disposant dans son alinéa (1) que « Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessensentscheidungen) müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen », l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision (cf. trib. adm. 31.5.1999 précité).

En l’espèce, le bureau d’imposition a décidé de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du demandeur en sa qualité de gérant en titre de la société en relevant à l’appui de sa décision l’omission dans son chef de verser à l’administration des Contributions directes les sommes retenues ou qui auraient dû l’être à titre d’impôt sur les salaires.

Force est de constater que la décision litigieuse se limite à constater objectivement le manquement du demandeur à ses obligations fiscales, sans pour autant qualifier un quelconque comportement fautif dans son chef tenant à des circonstances particulières de l’espèce, ni encore retracer les raisons susceptibles, en raison et en équité, de justifier la décision de poursuivre le demandeur plutôt que son co-associé, le gérant technique Eric BRAUSCH ayant pourtant touché les salaires à la base des retenues non effectuées, rendant ainsi impossible toute vérification du caractère légal et réel des motifs à la base de la décision critiquée.

Dans la mesure où le contrôle de la légalité externe d’un acte doit précéder celui de son bien-fondé, il y a lieu de retenir en l’espèce que dans le cadre du recours en réformation, la décision déférée encourt l’annulation pour ne pas être motivée à suffisance de droit, dès lors que le bureau a méconnu à la fois les conditions de qualification de la responsabilité personnelle du gérant de société au sens du paragraphe 109 AO et l’obligation d’appréciation inhérente à sa propre compétence pour la mettre en œuvre.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours principal en annulation irrecevable ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule le bulletin d’imposition déféré du 29 octobre 1997 et renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes aux fins de transmission au bureau d’imposition compétent ;

met les frais à charge de l’Etat.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 octobre 1999 par :

M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11055
Date de la décision : 18/10/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-10-18;11055 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award