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11/10/1999 | LUXEMBOURG | N°11085

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 1999, 11085


N° 11085 du rôle Inscrit le 18 janvier 1999 Audience publique du 11 octobre 1999

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Recours formé par Monsieur … SELIMI contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11085 et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 1999 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SELIMI, demeurant

à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 199...

N° 11085 du rôle Inscrit le 18 janvier 1999 Audience publique du 11 octobre 1999

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Recours formé par Monsieur … SELIMI contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11085 et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 1999 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SELIMI, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 septembre 1998, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été rejetée, ainsi que d’une décision confirmative de la décision initiale, prise par ledit ministre le 9 décembre 1998, suite à un recours gracieux introduit le 3 décembre 1998;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mars 1999;

Vu le mémoire en réplique du demandeur déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 1999;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sonja VINANDY, en remplacement de Maître Guy THOMAS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 11 septembre 1997, Monsieur … SELIMI, né le … à … (Macédoine), de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, sollicita oralement auprès des services compétents du ministère de la Justice la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur SELIMI fut entendu en date des 11 et 16 septembre 1997 et 29 juin 1998 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 5 août 1998, le ministre de la Justice informa Monsieur SELIMI, par lettre du 23 septembre 1998, notifiée le 4 1 novembre 1998, que sa demande en obtention du statut de réfugié a été rejetée au motif qu’« (…) il ressort de votre dossier que vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile (…) ».

Suite à un recours gracieux, introduit par le mandataire de Monsieur SELIMI le 3 décembre 1998, le ministre de la Justice confirma, par lettre du 9 décembre 1998, notifiée le 17 décembre 1998, sa décision initiale.

Par requête déposée le 18 janvier 1999, Monsieur SELIMI a introduit un recours en réformation contre les décisions précitées des 23 septembre et 9 décembre 1998.

Le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir à tort déclaré sa demande en obtention du statut de réfugié politique comme étant non fondée, en soutenant que le ministre aurait méconnu la réalité et la gravité des persécutions auxquelles il a été exposé avant de fuir son pays et que ces motifs de persécution continueraient à exister à l’heure actuelle.

Il reproche plus particulièrement au ministre de ne pas avoir tenu compte du fait qu’en sa qualité de musulman bosniaque habitant un secteur majoritairement serbe, à savoir la ville de Bratunac, située à quelques 7 kilomètres au nord de Srebrenica et à quelques kilomètres seulement de la frontière serbe, il aurait risqué chaque jour sa vie et sa santé et qu’il aurait été obligé de s’enfuir en 1992, à l’instar de milliers d’autres musulmans bosniaques qui auraient trouvé refuge à l’époque dans les pays européens.

Il estime que eu égard à la connaissance que les autorités compétentes des pays européens auraient actuellement des épurations ethniques qui se sont passées en Bosnie, il serait excessif « d’exiger de la part de chaque représentant d’un groupe persécuté que ce soient les musulmans bosniaques ou les musulmans albanais du Kosovo, de prouver en outre qu’il était persécuté individuellement ». Il fait encore valoir que « du moment que les responsables de ces crimes sont poursuivis par le tribunal pénal de LA HAYE du chef de crimes contre l’humanité, de génocide et de purification ethnique, la preuve d’une persécution de groupe est rapportée à suffisance de droit et rend inutile la preuve supplémentaire d’une persécution individuelle ». Il conclut qu’une crainte de persécution serait établie sans qu’il doive par ailleurs justifier qu’il ait effectivement subi des persécutions.

Le délégué du gouvernement rétorque que le demandeur, lors de son audition, aurait donné une description des faits survenus dans sa patrie au cours des années 1992 à 1995, à savoir à une époque où il n’y vivait déjà plus, de sorte qu’il n’aurait pas établi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social. Il conçoit encore que le retour du demandeur dans un pays qui a été ravagé par la guerre civile peut s’avérer difficile, néanmoins, à l’heure actuelle, il n’existerait plus de persécutions systématiques et généralisées des bosniaques, même pour ceux vivant dans la partie serbe du pays.

2 L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ce recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Concernant le seul moyen formulé par le demandeur à l’encontre des décisions entreprises, tiré de ce que le ministre aurait, à tort, retenu que les faits invoqués par lui ne constitueraient pas une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève, le tribunal, statuant en tant que juge du fond, procédera à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Concernant la justification, au fond, du refus d’accorder le statut de réfugié politique, il se dégage de l’article premier, section A, 2) de la Convention de Genève, que le terme de « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de la dite crainte, ne veut y retourner. » Force est de constater que lors des auditions précitées en date des 11 et 16 septembre 1997 et 29 juin 1998, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendu figurant au dossier, le demandeur n’a pas fait état de motifs de persécution qui justifieraient l’octroi du statut de réfugié politique, tels que prévus par l’article 1er, section A, 2) de la Convention de Genève. En effet, lors desdites auditions le demandeur a basé sa demande en obtention du statut de réfugié politique surtout sur des motifs d’ordre personnel, en invoquant encore que, d’une manière générale, en sa qualité de musulman bosniaque, il risquerait d’être exposé à une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Lors de ses auditions, le demandeur a plus particulièrement déclaré qu’il n’était pas membre d’un parti politique ou groupe social défendant les intérêts de personnes, qu’il a quitté son pays en 1991 pour demander l’asile politique en Allemagne (Berlin), que pendant cette procédure il serait retourné environ 2 fois par an en Bosnie, mais qu’après le commencement de la guerre en Bosnie, il n’y serait plus retourné. Comme sa demande d’admission au statut de réfugié politique a été rejetée en Allemagne, il serait retourné en Macédoine et en 1993, il serait reparti pour demander l’asile politique en Suisse. Il y serait resté jusqu’en 1997 et ensuite il serait venu au Luxembourg. Questionné plus précisément sur les motifs à la base de sa demande d’asile, il a répondu avoir sollicité l’asile au Luxembourg du fait que « mon argent ne suffisait que pour venir au Luxembourg » et « parce que je sais pas où aller, je veux avoir un avenir ». Il a encore déclaré que « je veux vivre et travailler ici. Pour faire quelque chose ici, pour gagner un peu de sous, pour recommencer en Bosnie ou pour avoir une aide afin de partir quelque part dans le monde et pour y travailler et pour aider ma famille ».

Il se dégage de ces déclarations que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation des faits en estimant que le demandeur n’a pas fait valoir des raisons personnelles 3 de nature à justifier, dans son chef, une crainte d’être persécuté pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève.

Il a encore tort de soutenir que la situation générale de son pays d’origine serait à elle seule suffisante pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève. En effet, une crainte « avec raison » d'être persécuté implique à la fois un élément subjectif et un élément objectif qui doivent tous les deux être pris en considération.

La situation générale du pays d'origine ne justifie, en principe, pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié (Cour adm. 12 juin 1997, n° 9879C du rôle, Pas. adm. 2/99, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n°22, p. 92, et autres références y citées).

En l’espèce, concernant la situation générale dans son pays d’origine, il ressort des pièces et renseignements dont dispose le tribunal que, s’il existe toujours des tensions entre les populations serbe et bosniaque et une certaine insécurité selon les différentes régions en cause, cette situation n’est néanmoins pas telle qu’elle est susceptible de rendre au demandeur la vie intolérable dans son pays et qu’il doit craindre avec raison d’être persécuté du fait de sa seule appartenance à la population bosniaque musulmane.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Le mandataire du demandeur ayant informé le tribunal que son client bénéficie de l’assistance judiciaire, il échet de lui en donner acte.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 11 octobre 1999, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11085
Date de la décision : 11/10/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-10-11;11085 ?

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