N° 11118 du rôle Inscrit le 9 février 1999 Audience publique du 27 septembre 1999
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Recours formé par Monsieur … GASPAR QUITERIO contre une décision du ministre de la Justice en matière de gardiennage et surveillance
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 février 1999 par Maître Karine BICARD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … GASPAR QUITERIO, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 décembre 1998 lui ayant refusé l’agrément en vue d’être engagé par la société anonyme Securitas S.A.
et d’y exercer les activités de gardiennage;
Vu le mémoire en réponse déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif le 23 avril 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mai 1999 au nom de Monsieur … GASPAR QUITERIO;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Karine BICARD et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Monsieur … GASPAR QUITERIO, né …, demeurant à L-…, ayant sollicité l’autorisation prévue par la loi du 6 juin 1990 relative aux activités privées de gardiennage et de surveillance, en vue d’être engagé en qualité d’agent de sécurité auprès de la société anonyme Securitas S.A., établie et ayant son siège social à L-…, le ministre de la Justice, par décision du 29 décembre 1998, notifiée le 11 janvier 1999 à la société anonyme Securitas S.A., refusa l’autorisation sollicitée « en raison des antécédents judiciaires de [Monsieur … GASPAR QUITERIO] et suite à l’avis négatif de la part des autorités judiciaires ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 février 1999, Monsieur GASPAR QUITERIO a fait introduire un recours en réformation contre la prédite décision du ministre de la Justice du 29 décembre 1998.
L’article 4 (5) de la loi précitée du 6 juin 1990 disposant que les juridictions administratives statuent en dernière instance et comme juge du fond au cas où des décisions ministérielles concernant l’octroi, le refus ou la révocation des autorisations prévues par la loi en question sont déférées devant elles, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision entreprise du 29 décembre 1998.
Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur reproche d’abord au ministre de la Justice d’avoir à tort basé sa décision sur ses antécédents judiciaires, au motif qu’à la date de l’introduction de sa demande en autorisation, à savoir en date du 11 janvier 1997, il n’aurait eu aucun antécédent judiciaire et que ce serait par ailleurs à tort que le ministre s’est basé sur un jugement correctionnel du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 5 juin 1997, intervenu après l’introduction de sa demande d’agrément en vue de l’exercice de l’activité de gardiennage auprès de la société anonyme Securitas S.A.. Il estime plus particulièrement que le ministre n’aurait pas pu se fonder sur un motif qui n’aurait pas existé au jour de l’introduction de la demande d’agrément.
C’est à bon droit que le délégué du gouvernement demande le rejet de ce moyen, étant donné que le ministre analyse le bien-fondé d’une demande introduite auprès de lui au moment où il statue, en considération de la situation de fait et de droit se présentant au jour en question. Etant donné que le jugement correctionnel du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg date du 5 juin 1997, et que, bien qu’il soit postérieur à la date d’introduction de la demande en agrément du 11 janvier 1997, il est antérieur à la prise de décision du ministre en date du 29 décembre 1998, et le ministre a partant valablement pu le prendre en considération en vue d’analyser le bien-
fondé de la demande d’agrément.
Le demandeur reproche encore au ministre de la Justice de s’être basé sur un prétendu avis négatif émis par les autorités judiciaires, qui, en réalité, ne figurerait pas au dossier. Le ministre se serait partant basé sur un motif qui ne serait pas « valable », en ce que l’avis en question n’existerait pas.
Le délégué du gouvernement, tout en admettant que « matériellement » l’avis du parquet de Luxembourg et du parquet général, qui aurait été transmis en date du 21 juin 1997 au ministère de la Justice, a été égaré et, de ce fait, ne figure plus au dossier du demandeur, relève qu’il ressort d’un transmis daté du 26 septembre 1998 et envoyé en date du 29 septembre 1998 par le procureur général d’Etat au ministre de la Justice, que le dossier du demandeur « a été retourné au ministre de la Justice le 21 juin 1997 avec avis défavorable et du parquet et du parquet général ». L’existence d’un avis négatif ne pourrait partant pas être niée.
Ni la loi précitée du 6 juin 1990 ni aucune autre disposition légale ou réglementaire n’impose au ministre de la Justice de recueillir l’avis des autorités judiciaires lorsqu’il est amené à analyser le bien-fondé d’une demande en vue de l’agrément du personnel d’une entreprise de gardiennage et de surveillance. L’avis ainsi recueilli auprès des autorités judiciaires est partant un avis simplement facultatif.
Un avis facultatif d’un organisme consultatif sur lequel une autorité administrative se base pour prendre sa décision et auquel cette décision fait expressément référence, doit être conforme aux dispositions du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes. L’inobservation de ces règles emporte l’illégalité, pour vice de procédure, de la décision prise au vu de l’avis émis, à condition toutefois, dans le cas de la consultation facultative, que cette inobservation ait exercé une influence soit sur l’avis, soit sur la décision prise, soit ait porté préjudice au respect des droits de la défense (trib. adm. 19 juin 1997, n° 9563 du rôle, Pas. adm. 2/99, V° Procédure administrative non contentieuse, II. avis d’organismes consultatifs, n° 11, p. 219).
En l’espèce, s’il est vrai que le seul avis des autorités judiciaires figurant au dossier, et daté du 26 septembre 1998, viole l’article 4, alinéa 1er du règlement grand-
ducal précité du 8 juin 1979, dans la mesure où il n’indique ni les motifs ni les éléments de fait et de droit se trouvant à sa base, cet avis n’a pas eu d’influence décisive sur la décision prise par le ministre de la Justice, dans la mesure où celui-ci s’est également référé expressément dans la prédite décision aux « antécédents judiciaires » du demandeur, dont ce dernier avait parfaitement connaissance pour avoir fait l’objet du jugement correctionnel du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 5 juin 1997 précité et partant ses droits de la défense n’ont pas été lésés du fait de l’illégalité de l’avis des autorités judiciaires. Il est dans ce contexte indifférent de savoir qu’un avis, antérieurement émis par les mêmes autorités judiciaires, a été égaré, étant donné qu’un avis ne saurait être considéré comme tel qu’à partir du moment où non seulement son existence mais également son contenu sont établis à l’exclusion de tout doute. Le fait que cet avis ne figure pas au dossier équivaut partant à une absence d’avis.
Le moyen afférent invoqué par le demandeur est partant à rejeter.
Le demandeur fait encore valoir que la décision devrait être annulée du fait d’une violation de ses droits de la défense, en ce qu’il n’a pas pu prendre connaissance de l’avis des autorités judiciaires et qu’il n’a partant pas pu en discuter le bien-fondé.
Le délégué du gouvernement soutient que les avis rendus par le procureur général d’Etat en matière de sociétés de gardiennage et de surveillance ne seraient basés que sur les renseignements figurant au casier judiciaire.
S’il est vrai qu’un administré doit pouvoir prendre connaissance du contenu intégral d’un avis sur lequel un ministre s’est fondé en vue de refuser de faire droit à sa demande, afin qu’il soit en mesure d’en discuter les motifs en droit et en fait, dans le cadre de l’exercice de ses droits de la défense, il n’en reste pas moins qu’en l’espèce le ministre s’est fondé sur deux motifs différents en vue de justifier sa décision, tirés, d’une part, des antécédents judiciaires du demandeur et, d’autre part, de l’avis négatif des autorités judiciaires, et comme il existe en l’espèce des antécédents judiciaires résultant du jugement précité du 5 juin 1997, de nature à justifier à eux-seuls la décision entreprise, il importe peu de connaître en l’espèce le contenu de l’avis des autorités judiciaires, d’autant plus que le délégué du gouvernement a affirmé que la condamnation pénale en question était exclusivement déterminante en vue de refuser l’agrément sollicité.
Le moyen afférent invoqué par le demandeur est partant à rejeter.
Le demandeur invoque ensuite un moyen tiré de la violation de l’article 11 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, tiré d’un prétendu refus de communication intégrale de son dossier.
A défaut d’indication, par le demandeur, en quoi aurait consisté la violation en question, le tribunal est dans l’impossibilité d’analyser le bien-fondé de ce moyen. Le moyen est partant à rejeter.
Le demandeur critique encore le délai d’instruction de sa demande, en rappelant qu’il avait introduit sa demande le 11 janvier 1997 et que ce n’est qu’au mois de janvier 1999 qu’il s’est vu notifier la décision de refus. Un tel délai porterait atteinte à ses droits de la défense, alors que l’administration serait tenue d’apporter une réponse à tout administré dans un délai raisonnable.
Le représentant étatique signale qu’il n’existerait aucune prescription légale imposant à l’administration de prendre une décision dans un certain délai. Il soutient en outre que le délai qui s’est écoulé entre l’introduction de la demande et la prise de décision n’aurait pas empêché le demandeur de travailler au service de la société anonyme Securitas, de sorte qu’il n’aurait aucun intérêt à soulever le moyen en question.
Il est vrai qu’il n’existe aucune prescription légale ou réglementaire fixant un délai dans lequel une décision administrative, en matière de gardiennage et de surveillance, doit être prise par l’administration. Partant, la décision entreprise n’encourt pas l’annulation à défaut d’une telle prescription légale qu’elle aurait pu violer. Si néanmoins le demandeur estime que le délai de deux ans en question est exagéré, il lui appartient d’établir un fonctionnement défectueux des services de l’Etat, en établissant son dommage éventuel ainsi que le lien de causalité existant entre les deux, en assignant l’Etat devant les autorités judiciaires compétentes. Le tribunal administratif étant incompétent pour analyser une telle demande, le moyen afférent est à écarter.
C’est encore à tort que le demandeur entend voir écarter les arguments soumis par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse en vue de justifier, au fond, la décision entreprise, en se référant à l’article 5 de la loi précitée du 6 juin 1990, étant donné que loin de constituer un nouveau moyen permettant de justifier la décision en question, celle-ci s’est nécessairement référée, implicitement mais sans aucun doute possible, à l’article 5 en question, en refusant l’agrément sollicité par la référence faite aux antécédents judiciaires du demandeur. En effet, l’article 5, qui constitue d’ailleurs le seul article figurant dans la loi précitée du 6 juin 1990 faisant référence à l’agrément du personnel des sociétés de gardiennage et de surveillance, dispose que « l’autorisation est refusée pour l’engagement .. c) [des personnes] qui ne remplissent pas les conditions de moralité ».
En l’espèce, le jugement correctionnel précité du 5 juin 1997, en ce qu’il a condamné le demandeur à dix mois de prison avec sursis et à une amende de 30.000.-
francs pour avoir soustrait frauduleusement au préjudice d’une personne physique un sac à main avec la circonstance que la tentative de vol a été commise à l’aide de violence, pour avoir fait usage d’un faux commis en écritures de banque et pour avoir de manière illicite fait usage d’un stupéfiant, en l’espèce de l’héroïne, prouve à suffisance de droit que le demandeur ne remplit pas les conditions de moralité lui permettant d’accomplir les fonctions d’agent d’une société de gardiennage et de surveillance, ayant pour but de protéger leurs clients et notamment la propriété de ceux-ci ou d’assurer des transports de fonds. C’est partant à bon droit que le ministre de la Justice a refusé l’agrément sollicité par le demandeur.
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent, que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 27 septembre 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s.
Schockweiler