La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/09/1999 | LUXEMBOURG | N°11049

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 septembre 1999, 11049


N° 11049 du rôle Inscrit le 23 décembre 1998 Audience publique du 20 septembre 1999

===============================

Recours formé par Madame A. LOPES DA COSTA contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

-------------

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 1998 par Maître Lucy DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Madame A. LOPES DA COSTA, de nationalité cap-

verdienne, demeurant à L-…, tendant, d’une part,...

N° 11049 du rôle Inscrit le 23 décembre 1998 Audience publique du 20 septembre 1999

===============================

Recours formé par Madame A. LOPES DA COSTA contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

-------------

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 1998 par Maître Lucy DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame A. LOPES DA COSTA, de nationalité cap-

verdienne, demeurant à L-…, tendant, d’une part, à l’annulation, et, d’autre part, au sursis à exécution de deux décisions du ministre de la Justice, datées respectivement des 17 avril et 2 décembre 1998 lui refusant l’octroi d’une autorisation de séjour;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 1999;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe au nom de la demanderesse le 1er février 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Dean SPIELMANN, en remplacement de Maître Lucy DUPONG et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

-------------

Madame A. LOPES DA COSTA est née le 30 août 1979 à …(Grand-Duché de Luxembourg), de parents de nationalité cap-verdienne. A l’âge de 18 mois, elle a quitté le Grand-Duché de Luxembourg pour se rendre, ensemble avec ses parents, au Cap-

Vert. A l’âge de 7 ans, elle s’est installée à nouveau au Grand-Duché de Luxembourg et, par après, elle est de nouveau retournée au Cap-Vert.

Au mois de mai 1994, Madame A. LOPES DA COSTA s’est vu délivrer un visa de tourisme d’une durée de validité de 3 mois en vue de séjourner auprès de sa soeur, Madame C. LOPES DA COSTA, demeurant à Luxembourg et bénéficiant à l’époque d’une carte d’identité d’étranger valable jusqu’au 15 août 1995.

Par lettre du 22 octobre 1996, Madame B. LOPES DA COSTA sollicita au nom et pour compte de sa soeur Madame A. LOPES DA COSTA une autorisation de séjour au Luxembourg en spécifiant, d’une part, que leurs parents continuaient à habiter au Cap-Vert et, d’autre part, que sa soeur A. habiterait chez elle dans son domicile situé à Esch-sur-Alzette.

Par lettre du 19 février 1997, le ministre de la Justice, ci-après dénommé « le ministre », informa Madame B. LOPES DA COSTA de ce que sa demande avait été rejetée au motif, d’une part, que « le regroupement familial est limité aux ascendants à charge et descendants mineurs à charge », et, d’autre part, que sa soeur était un parent collatéral qui n’avait pas encore atteint l’âge de la majorité et qui restait donc sous l’autorité de ses parents.

Un recours gracieux introduit en date du 15 mars 1997 par le mandataire de l’époque de Madame B. LOPES DA COSTA, et dirigé contre la décision ministérielle précitée du 19 février 1997, a été rejeté par décision ministérielle du 11 juin 1997.

Par lettre du 26 septembre 1997, Madame B. LOPES DA COSTA introduisit une nouvelle demande en vue de la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de sa soeur Madame A. LOPES DA COSTA en faisant état des « éléments nouveaux » suivants: « Mademoiselle LOPES DA COSTA s’est inscrite aux cours du Centre de Langues Luxembourg; elle dispose de l’assurance de son père d’une caution de 100.000.- Flux; en plus, son père a souscrit un ordre permanent de 8.000.- Flux/mois pour subvenir à ses besoins pendant ses études ».

Le ministre informa Madame B. LOPES DA COSTA, par courrier du 9 janvier 1998, qu’il n’était pas en mesure de faire droit à sa requête « alors que l’assistance à des cours à raison de 10 heures par semaine ne justifie pas l’octroi d’une A.

autorisation [de séjour], un minimum de 20 heures par semaine étant requis », en précisant encore que « l’intéressée est par conséquent invitée à quitter le pays sans délai ».

A la suite, d’une part, d’un recours gracieux introduit par Madame B. LOPES DA COSTA en date du 16 janvier 1998, à l’encontre de la décision précitée du 9 janvier 1998, par laquelle elle rendit le ministre attentif au fait qu’en réalité Madame A.

LOPES DA COSTA suivait des cours au Centre de Langues Luxembourg d’une durée totale de 20 heures par semaine et, d’autre part, d’une lettre du mandataire de Madame A. LOPES DA COSTA du 18 février 1998 adressée au ministre, en annexe à laquelle différents documents ont été transmis à ce dernier, le ministre informa Madame B. LOPES DA COSTA, par courrier du 17 mars 1998, qu’il n’était pas « en mesure de faire droit à votre requête, alors que toute demande introduite pour l’année scolaire 1997/1998 parvenant au ministère après le 31 octobre de l’année scolaire en cours n’est plus prise en considération, l’année scolaire étant déjà entamée.

Vous voudrez par conséquent présenter votre demande avant le début de l’année scolaire 1998/1999 (dernier délai: 30 septembre 1998) en joignant les documents suivants:

- un certificat attestant qu’un montant de 100.000.- Flux est consigné pour la durée d’une année en faveur du ministère de la Justice - un certificat d’inscription du Centre de Langues mentionnant le paiement des frais d’inscription pour le premier semestre (3 sessions) de l’année 1998/1999 - un certificat d’affiliation à la sécurité sociale - des renseignements et des preuves concernant le logement de l’intéressée au pays - une copie conforme du passeport de l’intéressée », en spécifiant encore que les documents précités étaient susceptibles de changement en cours d’année.

Une copie de cette décision ministérielle a été envoyée au mandataire de Madame A. LOPES DA COSTA par courrier du ministre du 17 avril 1998. Dans la lettre de transmission, le ministre rappela que « l’intéressée n’a pas satisfait aux conditions prévues pour le regroupement familial » et qu’elle était « par conséquent invitée à quitter le pays sans délai, alors qu’elle y réside illégalement depuis plus ou moins 1 an malgré les divers refus d’autorisation de séjour ».

Par courrier du 12 octobre 1998, le mandataire de Madame A. LOPES DA COSTA introduisit auprès du ministre une nouvelle demande en vue de la délivrance d’une autorisation de séjour en y joignant les pièces suivantes:

« - un certificat attestant qu’un montant de 100.000.- Flux est consigné en faveur du ministère de la Justice;

- un certificat d’inscription du Centre des Langues du 23 septembre 1998;

- copie du virement de la somme d’inscription au Centre des Langues;

- attestation de scolarité du 30 octobre 1998;

- copie de la carte d’affiliation à la sécurité sociale;

- copie d’un acte de vente de l’immeuble appartenant à la soeur de la requérante chez laquelle celle-ci réside; ..

- un extrait de l’acte de naissance; ».

Par lettre du 2 décembre 1998, le ministre informa le mandataire de Madame A.

LOPES DA COSTA qu’il n’était pas « en mesure de faire droit à votre requête, alors que toute demande parvenant au ministère de la Justice après le 15 septembre de l’année en cours n’est plus prise en considération », en insistant encore sur le fait qu’«une autorisation de séjour ne saurait être délivrée à l’intéressée alors qu’elle a résidé illégalement au pays », en rappelant enfin le contenu de sa lettre du 17 avril 1998.

Par requête déposée le 23 décembre 1998, Madame A. LOPES DA COSTA a introduit un recours tendant à l’annulation des décisions prévisées du ministre des 17 avril et 2 décembre 1998. Dans la même requête, elle sollicite également le sursis à l’exécution des décisions ministérielles précitées.

La demande en sursis à exécution des décisions ministérielles attaquées des 17 avril et 2 décembre 1998 est devenue sans objet, l’affaire étant en état de recevoir une solution au fond.

Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

En premier lieu, la demanderesse soulève un moyen tiré de l’incompétence du fonctionnaire ayant signé les décisions attaquées, en faisant valoir que du fait de l’illisibilité de la signature et du défaut d’indication du nom du fonctionnaire ayant signé les décisions déférées, il lui aurait été impossible de vérifier la compétence du fonctionnaire en question au regard de l’organigramme du ministère de la Justice. Elle estime plus particulièrement que l’identité du signataire d’une décision administrative devrait être clairement établie afin de pouvoir vérifier sa compétence et de sanctionner le cas échéant un excès de pouvoir. Dans ce contexte, elle soutient que la régularité d’un acte administratif devrait ressortir de l’acte lui-même.

Le délégué du gouvernement soutient que les deux décisions attaquées des 17 avril et 2 décembre 1998 auraient été signées par Monsieur …, conseiller de direction première classe au ministère de la Justice, en se basant sur le spécimen de signature de Monsieur … tel qu’il ressort d’une délégation de signature donnée en date du 4 février 1998 par le ministre à Monsieur …, pièce qui a été déposée par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal, ensemble avec le mémoire en réponse.

Un administré qui conteste la qualité du signataire d’un acte administratif doit spécifier en quoi les dispositions de l’ordonnance grand-ducale du 31 janvier 1970 concernant la délégation de signature par le gouvernement n’ont pas été respectées. Il lui appartient, le cas échéant, de s’enquérir au ministère d’Etat si la signature apposée sur la décision attaquée est conforme au spécimen de la signature du fonctionnaire délégué, conformément à l’article 3 de l’ordonnance précitée (trib. adm. 27 février 1997, Pas. adm. 2/99, V° Actes administratifs, V- divers, n°36, page 21).

En l’espèce, la demanderesse a été informée en cours d’instance que le signataire des actes incriminés était Monsieur …, conseiller de direction première classe au ministère de la Justice. Sur base de cette information, elle était donc en mesure de vérifier la régularité et la conformité de sa signature.

Par ailleurs, il ressort, d’une part, de la délégation de signature précitée du 4 février 1998 que Monsieur …, en sa qualité de conseiller de direction première classe au ministère de la Justice est autorisé à « signer toutes affaires relatives aux attributions du ministère de la Justice » en tant que délégué du ministre de la Justice, à l’exception essentiellement des affaires financières. Il ressort, d’autre part, d’une comparaison entre les signatures apposées sur les décisions déférées des 17 avril et 2 décembre 1998 et de celle figurant sur la délégation de signature précitée, qu’en l’occurrence c’est bien Monsieur … qui a signé les deux décisions déférées en sa qualité de délégué du ministre.

La demanderesse était donc en mesure, au cas où elle aurait eu des doutes raisonnables quant à la qualité du signataire des décisions déférées, de s’enquérir au ministère d’Etat, dépositaire des délégations de signature et plus particulièrement de la délégation de signature donnée à Monsieur …, en vue d’établir la conformité de la signature figurant sur les décisions attaquées par rapport à celle figurant sur la délégation de signature.

Pour le surplus, la demanderesse n’a pas fait valoir de violation spécifique de l’ordonnance grand-ducale précitée du 31 janvier 1970 et partant le moyen afférent doit être écarté.

La demanderesse invoque encore une absence de motivation de la décision précitée du 2 décembre 1998 en relevant que du fait que celle-ci a exigé que toute demande tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour devrait parvenir au ministère de la Justice avant le 15 septembre de l’année en cours, alors que la décision précitée du 17 mars 1998 l’a invitée à produire certains documents avant le 30 septembre de l’année en cours, la motivation de la décision en question serait « fallacieuse » et équivaudrait partant à une absence de motifs. Dans ce contexte, la demanderesse fait encore valoir que les délais ainsi indiqués seraient « purement arbitraires » dans la mesure où ils n’auraient aucune base légale.

Quant à cette prétendue absence de motivation, le délégué du gouvernement fait valoir qu’au cas où il serait estimé que la décision attaquée en question serait insuffisamment motivée, l’administration était en droit de produire ou de compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif.

L’analyse du moyen ainsi développé par la demanderesse fait ressortir que celle-ci soulève à tort une prétendue absence de motivation de la décision, mais qu’en réalité elle soulève l’illégalité des motifs invoqués par le ministre à l’appui de la décision ministérielle de refus du 2 décembre 1998. Par ailleurs, une analyse tant de la décision précitée du 2 décembre 1998 que de celle du 17 avril 1998 révèle que celles-ci contiennent une motivation précise, la légalité ou l’illégalité de la motivation étant analysée ci-après lors de l’analyse au fond des décisions de refus.

Il ressort des développements qui précèdent que le moyen tiré d’une prétendue absence de motivation de la décision déférée du 2 décembre 1998 est à écarter.

Le tribunal est ensuite amené à analyser le moyen invoqué par la demanderesse et tiré de la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par une loi luxembourgeoise du 29 août 1953, telle que modifiée par la suite, ci-après dénommée « la Convention européenne des droits de l’homme », en ce que « l’ordre de quitter le territoire .. violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le respect de la vie privée et familiale ».

Lors des plaidoiries, le litismandataire de la demanderesse a développé son moyen en invoquant le droit au regroupement familial de la demanderesse dans la mesure où la mère de celle-ci habiterait également au Luxembourg et qu’il y existerait partant une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en rappelant que l’une des soeurs de la demanderesse, à savoir Madame B. LOPES DA COSTA y vit également légalement en vertu d’une autorisation de séjour, qu’elle y disposerait d’un permis de travail et qu’elle vient d’acquérir un appartement en vue de son logement privé.

Le délégué du gouvernement estime que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme serait inapplicable au cas d’espèce en soutenant que la demanderesse aurait vécu au Cap-Vert avec ses parents avant sa venue au Luxembourg et que les parents de celle-ci « semblent toujours vivre à l’heure actuelle au Cap-Vert ». Il conteste l’existence d’une vie familiale effective au Luxembourg, tout en soutenant qu’il n’y aurait aucune impossibilité pour la demanderesse de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays.

Il est constant en cause que lors de la prise des décisions litigieuses, Madame A. LOPES DA COSTA ne disposait pas de moyens personnels propres suffisants lui permettant d’assurer son séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle de tierces personnes, de sorte que le refus ministériel est, en principe, légalement fondé sur base de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-

d’oeuvre étrangère.

Toutefois, et indépendamment du constat fait ci-avant, le tribunal est amené à analyser le moyen d’annulation soulevé par la demanderesse et tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où elle estime qu’il y aurait eu violation de son droit au regroupement familial, lequel tiendrait la disposition précitée de la loi du 28 mars 1972 en échec.

Si les ressortissants de l’Union européenne et ceux assimilés, c’est-à-dire ceux originaires des pays ayant adhéré à l’Espace Economique Européen, bénéficient, en application - et dans les limites - du règlement CEE 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, d’un droit de se faire rejoindre par 1. leur conjoint et leurs descendants de moins de 21 ans ou à charge et 2. les ascendants du ressortissant visé et ceux de son conjoint s’ils sont à sa charge, il n’existe cependant aucune disposition en droit national luxembourgeois ou en droit communautaire qui confère un droit au regroupement familial aux ressortissants des Etats tiers.

En droit international, il est de principe que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. Cependant les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de cette convention.

Dans ce contexte, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que:

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, l’article 8 en question implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière ne soit pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle tienne compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

L’article 8, en tant que tel, ne confère cependant pas aux membres de la famille d’un étranger le droit d’être accueilli dans n’importe quel pays, ni à un étranger le droit à ne pas être expulsé d’un pays où résident les membres de sa famille.

Il n’en reste pas moins que les décisions de refus d’accès et d’établissement, de même que les décisions d’expulsion risquent de compromettre la vie familiale.

Il faut donc examiner en l’espèce et en premier lieu, s’il y a ingérence au sens de l’article 8, paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme et, dans l’affirmative, se placer ensuite sur le terrain de l’article 8, paragraphe 2, pour examiner si la mesure prise était justifiée.

Pour qu’il y ait ingérence au sens de l’article 8, paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, il faut d’abord qu’il existe une vie familiale effective en ce sens qu’un lien de fait réel et suffisamment étroit entre les différents membres est exigé. En effet, la garantie du respect de la vie privée et familiale ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de la vie familiale, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux. En outre, cette garantie ne s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmis ses membres, et existantes, voire préexistantes.

Au cas où, comme en l’espèce, la demanderesse entend accéder et séjourner sur le territoire national pour vivre ensemble avec sa famille, elle vise partant à voir reconstituer son unité familiale. Dans ce cas, le tribunal est appelé à vérifier la préexistence à l’immigration d’une vie familiale effective.

En l’espèce, saisi d’une demande relative au regroupement familial, le tribunal est appelé à examiner la situation des intéressés au regard des principes susénoncés et à examiner si le but légitime poursuivi par l’administration est proportionné ou non à la gravité de l’éventuelle atteinte au droit de la demanderesse au respect de sa vie privée et familiale.

Il ressort des informations non contestées par la partie demanderesse, soumises par le délégué du gouvernement au tribunal, sur demande de celui-ci, avant l’audience à laquelle l’affaire a été refixée pour continuation des débats, que la mère de la demanderesse, à savoir Madame X. et son époux, Monsieur Y., avaient fait leur déclaration de départ à destination du Cap-Vert en date du 20 août 1992, accompagnés de la demanderesse et qu’à la suite de l’introduction d’une demande d’autorisation de résidence pour compte de Madame X. en juin 1998, une carte d’identité étranger fut délivrée à celle-ci le 30 juin 1998 avec une durée de validité jusqu’au 8 octobre 2003. Il ressort encore de ces informations que Madame X. a 6 enfants et qu’elle vit actuellement au Luxembourg à charge de sa fille Madame C.

LOPES DA COSTA.

Il est constant en cause que deux soeurs de la demanderesse à savoir Mesdames B. et C. LOPES DA COSTA, habitent légalement au Grand-Duché de Luxembourg depuis plusieurs années et que leur mère les a rejoint en juin 1998.

Il est encore constant que la demanderesse a vécu depuis sa naissance avec ses parents qu’elle a suivi dans leurs séjours respectifs au Cap-Vert et au Grand-Duché de Luxembourg. Ce n’est qu’au cours de l’année 1996 qu’elle a quitté ses parents au Cap-

Vert pour venir s’installer auprès de sa soeur au Luxembourg. Il ressort encore du dossier administratif versé au greffe du tribunal que moins de deux ans après l’arrivée de la demanderesse au Luxembourg, sa mère l’a rejoint et a obtenu une carte d’identité d’étranger au titre du regroupement familial.

Eu égard aux circonstances de fait particulières ci-avant relatées, et notamment au fait que la demanderesse est née au Luxembourg, qu’elle y a passé une partie de sa jeunesse, qu’elle a vécu auprès de ses parents pendant la quasi totalité de sa jeunesse, que deux de ses soeurs sont déjà installées légalement au Luxembourg, que ses parents vivent séparés et que sa mère bénéficie, au titre du regroupement familial, d’une autorisation de séjour au Luxembourg, que la demanderesse, du fait de sa scolarité, est à charge de sa famille, le tribunal arrive à la conclusion que le ministre de la Justice, en accordant une autorisation de séjour à la mère de la demanderesse, afin de lui permettre de rejoindre deux de ses enfants, qui sont régulièrement établis au Luxembourg, tout en refusant l’octroi d’un tel permis à la demanderesse, les deux ayant auparavant habité ensemble pendant la quasi totalité de la jeunesse de la demanderesse, brise de manière irrévocable le lien de la demanderesse avec sa mère.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le refus porte notamment atteinte au droit de Madame A. LOPES DA COSTA au respect de sa vie familiale et privée.

La considération invoquée par le délégué du gouvernement et tirée du fait que la demande d’autorisation de séjour de la demanderesse a été introduite antérieurement à celle de la mère est indifférente dans la mesure où la décision déférée du 2 décembre 1998 a été rendue à la suite de l’octroi d’une carte d’identité d’étranger à la mère de la demanderesse.

S’agissant d’une ingérence au sens de l’article 8, paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme dans la vie familiale et privée de la demanderesse, qui n’a pas été justifiée pour l’une quelconque des causes énoncées à l’article 8, paragraphe 2 de la convention précitée, il y a lieu d’annuler les décisions ministérielles attaquées, sans qu’il y ait lieu d’analyser les autres moyens invoqués à l’encontre des décisions en question.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

déclare la demande en sursis à exécution des décisions des 17 avril et 2 décembre 1998 sans objet;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare justifié;

partant annule les décisions du ministre de la Justice des 17 avril et 2 décembre 1998 et renvoie le dossier devant ledit ministre;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 20 septembre 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11049
Date de la décision : 20/09/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-09-20;11049 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award