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20/09/1999 | LUXEMBOURG | N°10919

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 septembre 1999, 10919


N° 10919 du rôle Inscrit le 22 septembre 1998 Audience publique du 20 septembre 1999

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Recours formé par Madame … DELIC contre deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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Vu la requête déposée le 22 septembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

adame … DELIC, de nationalité yougoslave, demeurant à B-…, tendant à l’annulation, d’une part,...

N° 10919 du rôle Inscrit le 22 septembre 1998 Audience publique du 20 septembre 1999

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Recours formé par Madame … DELIC contre deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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Vu la requête déposée le 22 septembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DELIC, de nationalité yougoslave, demeurant à B-…, tendant à l’annulation, d’une part, d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 10 février 1998 lui refusant le permis de travail sollicité par elle, et, d’autre part, d’une décision implicite de refus d’octroyer un tel permis de travail à la suite du silence gardé par le ministre du Travail et de l’Emploi après l’introduction d’un recours gracieux en date du 9 avril 1998;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 mars 1999;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse au greffe du tribunal administratif en date du 22 mars 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté ministériel attaqué du 10 février 1998;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Marc MODERT ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Par déclaration du 1er janvier 1994, introduite auprès de l’administration de l’Emploi, ci-après dénommée « l’ADEM », Madame Marie-Antoinette X., exploitante de la pharmacie X. située à L-…, introduisit une demande en obtention d’un permis de travail en faveur de Madame … DELIC, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à B-… La prédite déclaration indique comme date d’entrée en service le 1er septembre 1993.

Le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé « le ministre », refusa la délivrance d’un permis de travail par arrêté du 23 février 1994.

Le 1er juin 1996, Madame DELIC a contracté mariage avec Monsieur Achille LOUIS, né le 16 octobre 1957, de nationalité belge.

Une nouvelle déclaration d’engagement datée du 10 septembre 1997, entrée le 12 septembre 1997 à l’ADEM, fut introduite par Madame X., préqualifiée, en vue de l’obtention d’un permis de travail, pour un poste « d’aide en pharmacie/préparation », en faveur de Madame DELIC. La prédite déclaration indique comme date d’entrée en service le 1er novembre 1996.

Le ministre refusa une nouvelle fois la délivrance d’un permis de travail par arrêté du 10 février 1998 « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes:

- des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place: 29 aides en pharmacie inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - occupation irrégulière depuis le 01.11.1996 -augmentation inquiétante de la moyenne des demandeurs d‘emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’emploi durant les cinq dernières années: 3526 en 1993, 4643 en 1994, 5130 en 1995, 5680 en 1996 et 6357 en 1997 ».

En date du 9 avril 1998, un recours gracieux fut introduit par le mandataire de Madame DELIC à l’encontre de l’arrêté ministériel précité. Ce recours gracieux est resté sans suite de la part du ministre.

Par requête déposée le 22 septembre 1998, Madame DELIC a fait introduire un recours en annulation contre ledit arrêté ministériel du 10 février 1998 ainsi que contre le silence gardé par l’administration à la suite de son recours gracieux.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose qu’elle est détentrice d’un diplôme de pharmacienne délivré par l’université de Belgrade, faculté de pharmacie, en date du 23 avril 1987 et qu’en date du 1er juin 1996 elle a épousé Monsieur Achille LOUIS, de nationalité belge, engagé en tant qu’ouvrier auprès de la société à responsabilité limitée STONES STEAK HOUSE Pétange s.à r.l., ayant son siège social à Bertrange. Elle fait encore valoir que du fait de son mariage avec un ressortissant belge, elle serait autorisée à séjourner en Belgique, lieu de résidence des époux.

Elle reproche au ministre une violation du droit communautaire, et plus particulièrement, d’une part, de l’article 48 du traité instituant la communauté économique européenne et, d’autre part, du règlement CEE 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, en ce qu’en tant que conjoint d’un ressortissant communautaire, habitant en Belgique et travaillant au Grand-Duché de Luxembourg, le permis de travail ne saurait lui être refusé. En cette qualité, elle aurait en effet le droit de prendre un emploi au Grand-Duché de Luxembourg, qui constitue le pays où travaille également son époux, ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union européenne.

2 Le délégué du gouvernement soutient, en ce qui concerne la prétendue violation du règlement CEE précité n° 1612/68, que les dispositions de celui-ci ne s’appliqueraient pas à la famille d’un ressortissant communautaire qui ne se trouve pas dans une situation de circulation entre Etats membres de l’Union européenne. Dans ce contexte, il conteste les affirmations de la demanderesse selon lesquelles son époux serait engagé et travaillerait auprès de la « Pizzeria …» à …, en se basant sur différentes recherches effectuées par l’administration. Il estime partant que les indications fournies sur la déclaration d’engagement seraient inexactes et que partant le ministre était en droit de refuser le permis de travail à la demanderesse.

Ensuite, le représentant étatique soutient que le ministre aurait le pouvoir de refuser un permis de travail pour des raisons liées à la situation, à l’évolution et à l’organisation du marché du travail. Or, les statistiques officielles renseigneraient que la situation du marché de l’emploi aurait été et serait toujours mauvaise, et que l’accès à l’emploi devrait être réservé aux demandeurs qui bénéficient d’une priorité.

Par ailleurs, il soutient qu’au moment de la prise de la décision ministérielle, 29 personnes auraient été concrètement à la recherche d’un emploi comme aide en pharmacie et que partant des personnes devant bénéficier de la priorité à l’emploi en leur qualité de ressortissants d’un Etat membre de l’Espace Economique Européen auraient été concrètement disponibles en vue d’occuper le poste au sujet duquel une demande en obtention d’un permis de travail a été effectuée en faveur de Madame DELIC.

Quant au motif tiré de l’occupation irrégulière de la demanderesse depuis le 1er novembre 1996, ainsi que quant à celui tiré du fait que le poste de travail n’aurait pas été déclaré vacant, il se réfère aux dispositions de l’article 4 du règlement grand-ducal du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, pour conclure qu’aucun contrat d’emploi n’aurait légalement pu se former au mépris de cette disposition. En outre, l’ADEM n’aurait pas été tenue d’assigner des candidats à l’employeur faute de déclaration de vacance de poste préalable et compte tenu de la limitation de la déclaration d’engagement à la seule demanderesse.

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse précise, à la suite des contestations soulevées par le délégué du gouvernement, que son mari serait « livreur » à l’établissement « Chez …- RISTORANTE-PIZZERIA à Pétange », en spécifiant encore que cet établissement serait exploité par la société à responsabilité limitée « … », ayant son siège social à… A l’appui de ses dires, elle verse notamment une copie d’une fiche de salaire de son époux du mois de février 1999 dont il ressort que Monsieur … est engagé en tant que livreur de pizzas auprès de « …».

Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

L’article 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».

Cette disposition trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle 3 médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, qui dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi » et dans l’article 1er du règlement CEE précité n° 1612/68, qui dispose que « 1. tout ressortissant d’un Etat membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2. Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles ».

Lesdits articles 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 et 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, confèrent à l’autorité investie du pouvoir respectivement d’octroyer et de renouveler le permis de travail, la faculté de le refuser en raison de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays (v. trav. parl. relatifs au projet de loi n° 2097, exposé des motifs, page 2).

Au voeu de l’article 28 de la loi précitée du 28 mars 1972, et de l’article 1er du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, seuls les travailleurs ressortissant des Etats membres de l’Union européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen sont dispensés de la formalité du permis de travail.

S’il est vrai que la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Union européenne et de l’Espace Economique Européen se justifie donc, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité yougoslave, c’est à dire originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’Union européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, il n’en reste pas moins qu’en l’espèce la demanderesse invoque le fait qu’en raison de son mariage avec un ressortissant belge, habitant en Belgique et travaillant au Grand-Duché de Luxembourg, elle devrait bénéficier des dispositions du règlement CEE précité n° 1612/68 et être, à ce titre, assimilée aux ressortissants de l’Union européenne en vue de l’obtention d’un permis de travail au Luxembourg.

Pour que la demanderesse tombe sous le champ d’application du règlement CEE précité, il y a d’abord lieu de vérifier si son mari remplit les conditions prévues par l’article 1er dudit règlement CEE, à savoir s’il possède la nationalité d’un Etat membre de l’Union européenne et s’il exerce sur le territoire d’un autre Etat membre une activité salariée.

En l’espèce, il n’est pas contesté, et il ressort d’ailleurs des pièces versées à l’appui du recours, que Monsieur …, l’époux de la demanderesse, est un ressortissant belge. Par ailleurs, la demanderesse a fait verser, après la prise en délibéré de l’affaire, sur demande du tribunal et avec l’accord du délégué du gouvernement, un certificat d’affiliation émis par le Centre commun de la sécurité sociale en date du 20 mai 1999, dont il ressort que Monsieur … a travaillé du 1er juin 1997 jusqu’au jour de l’émission du certificat en question, auprès de l’employeur « …». Cette information est encore confirmée par la fiche de salaire précitée relative au mois de février 1999. Monsieur … est partant un ressortissant d’un Etat membre exerçant une activité salariée sur le territoire d’un autre Etat membre, le fait qu’il ait conservé son domicile en Belgique étant indifférent au voeu de l’article 1er du règlement CEE précité.

4 En vertu de l’article 11 du règlement CEE précité « le conjoint et les enfants de moins de 21 ans ou à charge d’un ressortissant d’un Etat membre exerçant sur le territoire d’un Etat membre une activité salariée ou non salariée ont le droit d’accéder à toute activité salariée sur l’ensemble du territoire de ce même Etat, même s’ils n’ont pas la nationalité d’un Etat membre ».

Sur base de l’article 11 précité, la demanderesse, en sa qualité de conjoint d’un ressortissant communautaire exerçant la liberté de circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne, a le droit, au même titre que tout ressortissant communautaire bénéficiant de la liberté de circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne, d’accéder à un emploi sur le territoire de l’Etat membre sur lequel est employé son conjoint. En l’espèce, comme le conjoint de la demanderesse poursuit légalement une activité salariée au Grand-

Duché de Luxembourg, la demanderesse est en droit de bénéficier du même droit et d’être dispensée, au même titre que son conjoint, de la formalité du permis de travail.

Il découle des développements qui précèdent que le ministre était obligé de dispenser de la formalité du permis de travail Madame DELIC et que les motifs invoqués à l’appui de ses décisions de refus sont illégaux dans la mesure où ils ne sauraient être invoqués à l’encontre d’une personne assimilée aux ressortissants communautaires. Par conséquent, il y a lieu d’annuler celles-ci pour violation de la loi.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare justifié et partant annule l’arrêté ministériel du 10 février 1998 ainsi que la décision implicite de confirmation, à la suite du recours gracieux introduit par lettre du 9 avril 1998;

renvoie le dossier pour prosécution de cause au ministre du Travail et de l’Emploi;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 20 septembre 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10919
Date de la décision : 20/09/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-09-20;10919 ?

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