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28/07/1999 | LUXEMBOURG | N°s11149,11148

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juillet 1999, s11149,11148


N°s 11149 et 11148 du rôle Inscrits le 25 février 1999 Audience publique du 28 juillet 1999

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Recours formés par Monsieur … MOURAO SALGADO SANTOS contre une décision du ministre de la Justice en matière de carte d’identité d’étranger

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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11149 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 février 1999 par Maître Stéphane LATASTE, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Yves HUBERTY, avocat inscrit...

N°s 11149 et 11148 du rôle Inscrits le 25 février 1999 Audience publique du 28 juillet 1999

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Recours formés par Monsieur … MOURAO SALGADO SANTOS contre une décision du ministre de la Justice en matière de carte d’identité d’étranger

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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11149 et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 février 1999 par Maître Stéphane LATASTE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Yves HUBERTY, avocat inscrit au prédit tableau, au nom de Monsieur … MOURAO SALGADO SANTOS, de nationalité portugaise, ayant été incarcéré au Centre pénitentiaire agricole de Givenich, déclarant habiter actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Justice du 21 janvier 1999 lui refusant la carte d’identité d’étranger et lui enjoignant de quitter le pays un mois après notification de l’arrêté et en cas de détention, immédiatement après sa mise en liberté;

Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 11148 et déposée le 25 février 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Stéphane LATASTE, assisté de Maître Yves HUBERTY, préqualifiés, au nom de Monsieur … MOURAO SALGADO SANTOS, préqualifié, tendant au sursis à exécution de la décision précitée du ministre de la Justice du 21 janvier 1999;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mars 1999;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 1999 par Maître Stéphane LATASTE au nom de Monsieur … MOURAO SALGADO SANTOS;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Yves HUBERTY, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Par demande du 25 août 1997, Monsieur … MOURAO SALGADO SANTOS, de nationalité portugaise, sollicita auprès de l'administration communale de Larochette l’octroi d’une carte d’identité d’étranger, en indiquant comme lieu de résidence L-…. Le 27 novembre 1997, la brigade de gendarmerie de Larochette dressa un rapport dans lequel elle a relevé que « Der Antragsteller MOURAO SALGADO SANTOS José tätigte bei seiner Antragstellung 1 falsche Angaben indem derselbe nicht in hiesiger Residenz wohnhaft ist. Wo derselbe wohnhaft ist konnte nicht in Erfahrung gebracht werden. Gemäss Angaben eines Familienangehörigen war MOURAO vor zwei Jahren für kurze Zeit an der umseitig genannten Adresse wohnhaft. Desweiteren kann noch angegeben werden dass derselbe weder bei der Krankenkasse noch bei der Sozialversicherung gemeldet ist ».

Par jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 22 juillet 1998, Monsieur MOURAO SALGADO SANTOS fut condamné à une peine d’emprisonnement de 18 mois, dont 6 mois assortis du sursis, pour avoir 1. a.) de manière illicite, fait usage d’un stupéfiant et de l’avoir pour son usage personnel, transporté, détenu et acquis à titre onéreux, en l’espèce une quantité indéterminée d’héroïne, b.) de manière illicite, importé et vendu des stupéfiants, en l’espèce d’avoir importé une quantité indéterminée d’héroïne, mais au moins environ 60 grammes d’héroïne par semaine et d’en avoir vendu la moitié, c.) en vue d’un usage par autrui, de manière illicite, transporté, détenu et acquis à titre onéreux un stupéfiant, en l’espèce une quantité indéterminée d’héroïne par semaine et notamment 12,3 grammes le 10.02.1998; 2. le 10 mars 1998 à Luxembourg, d’avoir résisté avec violence envers les agents de la force publique, agissant pour l’exécution des lois, en l’espèce d’avoir opposé une résistance matérielle à l’action de l’autorité et d’avoir empêché l’inspecteur M.C. et le brigadier-chef S.R. d’accomplir la mission dont ils étaient chargés, à savoir procéder à l’arrestation et au contrôle de José MOURAO SALGADO SANTOS.

Sur base des articles 5 à 7 de la loi du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main d'oeuvre étrangère, telle que modifiée par la suite, le ministre de la Justice prit le 21 janvier 1999 un arrêté motivé par la condamnation pénale du 22 juillet 1998 et par le fait que par son comportement, Monsieur MOURAO SALGADO SANTOS constituerait un danger pour l’ordre et la sécurité publics, pour lui refuser la carte d’identité d’étranger et il fut invité à quitter le pays.

Par requête déposée le 25 février 1999, Monsieur MOURAO SALGADO SANTOS a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 21 janvier 1999, notifié en date du 31 janvier 1999, lui refusant la délivrance d’une carte d’identité d’étranger et lui enjoignant de quitter le pays un mois après la notification dudit arrêté et en cas de détention, immédiatement après la mise en liberté.

Par requête séparée déposée également le 25 février 1999, Monsieur MOURAO SALGADO SANTOS a introduit un recours tendant au sursis à exécution de la décision précitée du ministre de la Justice du 21 janvier 1999.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’au début du mois de novembre 1998, il avait été transféré du Centre pénitentiaire de Schrassig au Centre pénitentiaire agricole de Givenich, ce transfert en régime de semi-liberté étant justifié par sa conduite exemplaire, et que par la suite des congés pénaux lui auraient été accordés pour lui permettre de rechercher un emploi. En décembre 1998, il se serait inscrit comme demandeur d’emploi auprès de l'administration de l’Emploi, étant donné qu’il était prévu de le mettre en liberté le 5 mars 1999 et qu’il souhaitait s’installer « définitivement au Grand-Duché de Luxembourg pour fonder une famille propre et pour reprendre un emploi ».

2 Le demandeur soulève d’abord le « non-respect du principe du contradictoire et des droits de la défense », au motif que le ministre de la Justice ne lui aurait pas fourni la possibilité d’intervenir dans l’élaboration de la décision lui ayant refusé l’octroi d’une carte d’identité d’étranger. A ce titre, il estime que l’exigence de communiquer les motifs à la base de la décision litigieuse impliquerait notamment, de la part de l’Etat, une communication à l’intéressé au moment même où la mesure restrictive prise à son égard lui a été notifiée, des motifs précis et complets de la décision, en vue de le mettre en mesure d’assurer utilement sa défense.

Il soulève ensuite l’absence d’un avis de la part de la commission consultative en matière de police des étrangers, qui serait pourtant requis conformément à l’article 1 - 3.) du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif à la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission consultative en matière de police des étrangers.

Il fait encore valoir que la décision critiquée ne répondrait pas aux conditions jurisprudentielles de la précision des motifs, en soutenant qu’elle emploierait des formules générales et abstraites prévues par la loi, sans préciser les raisons de fait concrètes permettant de justifier la décision.

Le demandeur souligne le « caractère disproportionné de la décision » tant au niveau du volet « refus d’entrée et de séjour » qu’au niveau du volet « expulsion » en soutenant que la seule existence d’une condamnation pénale à la charge d’un ressortissant communautaire ne pourrait automatiquement motiver une mesure d’ordre public, l’Etat devant vérifier dans chaque cas d’espèce si l’individu qu’il entend expulser ou dont il entend interdire l’entrée et le séjour constitue une menace réelle, grave et actuelle pour l’ordre public. Il appuie ces propos sur l’article 3, paragraphes 1 et 2 de la directive du Conseil n° 64/221/CEE du 25 février 1964 pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique et fait référence à un arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 27 octobre 1977, aff. 30/77 Bouchereau.

Il soutient qu’en l’espèce le ministre n’aurait pas motivé en quoi lui-même constituerait, en dehors de la condamnation pénale intervenue, une menace grave et actuelle pour l’ordre public. Il précise que « pour apprécier la légalité de la mesure d’expulsion, il convient de se placer à l’époque où l’arrêté a été pris ». Or, en l’espèce, à cette date, il était en train de purger sa peine d’emprisonnement, de sorte qu’il aurait été dans l’impossibilité absolue de troubler l’ordre public et que même à l’intérieur du Centre pénitentiaire, son comportement aurait été « exemplaire ». Il conteste dès lors qu’il constituerait une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société pour qu’on lui interdise le séjour au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fait finalement soutenir qu’il remplirait toutes les conditions pour bénéficier d’une carte d’identité d’étranger au Luxembourg.

Le délégué du gouvernement estime d’abord que le moyen ayant trait à la lésion des droits de la défense du demandeur serait à écarter, au motif que celui-ci aurait pu consulter son dossier administratif en application de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes.

3 Quant à l’obligation de saisir la commission consultative, il conclut à la non-

applicabilité de l’article 1-3) du règlement grand-ducal précité du 28 mars 1972.

Il estime que la référence au jugement du tribunal d’arrondissement du 22 juillet 1998 suffit aux exigences de motivation de la décision litigieuse et, concernant le bien-fondé de celle-ci, il soutient que le ministre s’est basé sur les éléments du prédit jugement, pour considérer qu’au regard de la gravité des infractions commises, le demandeur constituerait un danger pour l’ordre public.

Il souligne dans ce contexte que le demandeur a été condamné pour avoir importé et vendu une quantité importante d’héroïne, qu’il a effectué ce « rituel » chaque semaine et qu’il s’est rendu coupable d’un acte de rébellion lors de son arrestation. Ce ne serait partant pas sans avoir porté une appréciation sur la situation du demandeur que la mesure aurait été prise, mais ce seraient les particularités du cas d’espèce qui auraient conduit le ministre à refuser la carte d’identité d’étranger au demandeur.

Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il y a lieu de joindre pour raison de connexité les deux recours introduits sous les numéros 11148 et 11149 du rôle et de statuer par un seul et même jugement.

La demande en sursis à exécution de la décision précitée du 21 janvier 1999, déposée le 25 février 1999, est devenue sans objet, l’affaire étant en état de recevoir une solution au fond.

La loi précitée du 28 mars 1972 ne prévoyant pas de recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le tribunal relève de prime abord que dans son mémoire en réplique, le demandeur énonce un certain nombre de considérations ayant trait à sa prétendue expulsion. Cependant, il est constant que l’arrêté déféré du ministre de la Justice du 21 janvier 1999 se limite à refuser au demandeur la délivrance d’une carte d’identité d’étranger, tout en l’invitant à quitter le pays un mois après la notification de ladite décision, de sorte que l’arrêté en question ne prononce aucunement l’expulsion du demandeur, comme ce dernier semble le soutenir. Dans la mesure où la décision litigieuse, telle que précisée ci-avant, n’est pas constitutive d’une mesure d’expulsion et que par ailleurs il n’est pas établi que le demandeur aurait été expulsé ou refoulé du pays, le tribunal écarte ces moyens et arguments du débat.

Concernant la violation « du principe du contradictoire et des droits de la défense », il convient de noter qu’en date du 25 août 1997, le demandeur sollicita auprès de la commune de Larochette la délivrance d’une carte d’identité d’étranger et que par arrêté ministériel du 21 janvier 1999 cette dernière lui fut refusée. Le demandeur estime que le ministre aurait dû lui fournir la possibilité d’intervenir dans l’élaboration de sa décision. Force est cependant de constater qu’il n’existe aucun texte légal ou réglementaire imposant au ministre d’informer au préalable le destinataire d’une décision de refus de délivrance d’une carte d’identité d’étranger les motifs sur lesquels il entend baser sa décision, de sorte que ce moyen est à rejeter.

4 Concernant le moyen tiré de la violation de la loi du 28 mars 1972 et du règlement grand-ducal du 28 mars 1972, précités, et selon lequel un avis aurait dû être émis par la commission consultative en matière de police des étrangers, il échet de constater que l’article 1er dudit règlement grand-ducal dispose que « l’avis de la commission consultative en matière de police des étrangers sera, sauf urgence, obligatoirement pris avant toute décision portant 1. refus de renouvellement de la carte d’identité d’étranger, 2. retrait de la carte d’identité, 3. expulsion du titulaire d’une carte d’identité valable, 4. révocation de l’autorisation temporaire de séjour, 5. éloignement d’un réfugié reconnu au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, ou d’un apatride au sens de la Convention de New York du 28 septembre 1954 se trouvant régulièrement au pays ».

Il se dégage des éléments du dossier que le demandeur n’était à aucun moment titulaire d’une carte d’identité d’étranger et qu’il ne bénéficiait ni du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève ni du statut d’apatride au sens de la Convention de New-York.

Le cas du demandeur ne figure donc pas parmi ceux énumérés limitativement à l’article 1er précité et une consultation de la commission consultative n’était donc pas obligatoire. Ce moyen, tiré de l’irrégularité de la procédure, est donc à abjuger.

Ce raisonnement ne saurait être mis en doute par l’affirmation du demandeur qu’il était titulaire d’une carte d’identité d’étranger valable émise par les autorités portugaises, étant donné que l’hypothèse visée à l’alinéa 3 du prédit article, à savoir l’expulsion du titulaire d’une carte d’identité valable, suppose que deux conditions soient remplies cumulativement. Il s’agit, d’une part, de la condition qu’une carte d’identité d’étranger ait été émise par les autorités luxembourgeoises et, d’autre part, de la condition que le demandeur fait l’objet d’une mesure d’expulsion, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Concernant le moyen tiré de l’absence de motivation sinon de l’insuffisance de motivation, le tribunal constate que l’arrêté en question vise expressément comme base légale les articles 5 à 7 de la loi précitée du 28 mars 1972. L’article 5 précité, par référence à l’article 2 de la même loi, dispose que la carte d’identité d’étranger peut être refusée à l’étranger qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics. Pour justifier le refus de délivrer une carte d’identité d’étranger, le ministre s’est référé à la condamnation prévisée du 22 juillet 1998, ainsi que sur le comportement personnel du demandeur qui constituerait un danger pour l’ordre et la sécurité publics. C’est dès lors à tort que le demandeur conclut à l’insuffisance des motifs invoqués par le ministre, étant donné que la référence à la condamnation pénale du 22 juillet 1998 est suffisamment précise et complète pour lui permettre de cerner les reproches retenus à son encontre et d’assurer en conséquence sa défense. Il ressort dès lors des considérations qui précèdent que la décision déférée est motivée à suffisance de droit et que le demandeur n’a pas su se méprendre sur la portée à attribuer à la décision déférée et qu’il a su utilement introduire un recours en vue d’assurer ses droits de la défense.

En ce qui concerne le reproche tiré du caractère disproportionné de la mesure prise, il échet de constater que par l’arrêté ministériel du 21 janvier 1999, la carte d’identité d’étranger a été refusée au demandeur et il lui a été enjoint de quitter le pays un mois après la notification 5 de cet arrêté, au motif que « l’intéressé a été condamné le 22 juillet 1998 par le Tribunal d’Arrondissement de Luxembourg à une peine d’emprisonnement de 18 mois, dont 6 mois avec sursis, ainsi qu’à une amende de 50.000.- Luf du chef d’infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie », et que « par son comportement personnel l’intéressé constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics ».

L’arrêté déféré vise comme base légale la loi précitée du 28 mars 1972. La loi envisage les hypothèses dans lesquelles l’autorisation de séjour ainsi que la carte d’identité d’étranger peuvent être refusées à un étranger, défini à l’article 1er de la loi précitée comme étant une personne qui ne rapporte pas la preuve qu’elle possède la nationalité luxembourgeoise. Le demandeur étant un ressortissant portugais, cette loi est, en principe, susceptible de s’appliquer.

Cependant dans la mesure où le demandeur est un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne (U.E.) et dans la mesure où le juge administratif doit d’office rechercher la base légale d’une décision administrative, il y a lieu de retenir qu’en exécution de l’article 37 de la loi précitée du 28 mars 1972 « le gouvernement est autorisé à prendre par voie de règlement grand-ducal les mesures nécessaires à l’exécution des obligations assumées en vertu de conventions internationales dans le domaine régi par la présente loi. Ces règlements pourront déroger aux dispositions de la présente loi dans la mesure requise par l’exécution de l’obligation internationale. » Sur base de la loi habilitante précitée du 28 mars 1972 a été pris le règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, qui, dans sa section 1, comprend des dispositions applicables aux ressortissants des Etats membres de l’U.E. et des Etats ayant adhéré à l’Accord sur l’Espace économique européen (E.E.E.) En effet, les dispositions communautaires actuellement en vigueur en la matière ont été transposées dans le droit national par le biais du règlement grand-ducal précité afin de tenir compte du principe de la liberté de circulation des travailleurs communautaires ainsi que du principe relatif au droit de séjour des ressortissants des Etats membres y visés.

Les Etats membres ne peuvent déroger à ces principes que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. L’article 9 du règlement grand-ducal précité dispose à ce sujet « (…) La carte de séjour ne peut être refusée ou retirée (…) et une mesure d’éloignement du pays ne peut être prise (…) que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique (…). La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. (…) Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet. » En ce qui concerne le premier reproche formulé par le demandeur à l’encontre de la décision ministérielle déférée, tiré de ce que le ministre aurait violé l’article 3, paragraphes 1 et 2 de la directive précitée 64/221/CEE, dans la mesure où, d’un côté, une condamnation pénale subie par lui ne suffirait pas pour justifier la décision de refus d’octroi d’une carte d’identité d’étranger, et, d’un autre côté, le ministre n’aurait pas rapporté la preuve de l’existence d’un élément nouveau tiré du comportement du demandeur postérieurement à la condamnation pénale du 22 juillet 1998, il échet de relever que l’article 3, paragraphe 1 de la directive en question dispose que « les mesures d’ordre public et de sécurité publique doivent 6 être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet » et que le paragraphe 2 dudit article dispose que « la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures ».

Une condamnation pénale, sans constituer une cause péremptoire pour refuser l’entrée et le séjour à un étranger ainsi que pour refuser de délivrer une carte d’identité d’étranger, peut cependant, de par la teneur et la gravité des faits sanctionnés, dénoter un comportement révélant une atteinte grave et actuelle à l’ordre public et justifier le refus de délivrer une carte d’identité d’étranger ainsi que le refus d’entrée et de séjour sur le territoire luxembourgeois.

Il ressort par ailleurs de l’arrêt Bouchereau de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 27 octobre 1977, cité par la partie demanderesse, « qu’il peut arriver aussi que le seul fait du comportement passé réunisse les conditions de pareille menace pour l’ordre public » et que partant la seule existence d’une condamnation pénale peut être retenue dans la mesure où les circonstances qui ont donné lieu à cette condamnation font apparaître l’existence d’un comportement personnel constituant une menace actuelle pour l’ordre public.

Dans la décision ministérielle déférée, le ministre s’est non seulement référé à la condamnation pénale subie par le demandeur, mais également au comportement personnel de celui-ci.

Ainsi, il se dégage des pièces versées, et notamment du rapport dressé par la brigade de gendarmerie de Larochette le 27 novembre 1997 que le demandeur a fait de fausses déclarations concernant sa situation au Luxembourg, en indiquant notamment une fausse adresse. Il avait en outre déclaré qu’il bénéficierait d’un contrat à durée indéterminée auprès d’un employeur, mais il s’est révélé qu’en fait il n’y avait travaillé que pendant 4 jours, à savoir du 10 avril au 13 avril 1997. Il ressort également du jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 22 juillet 1998 que le demandeur était un trafiquant de drogues dures et que chaque semaine il avait importé et vendu une quantité importante d’héroïne. Il ressort encore du jugement qu’il s’était également rendu coupable d’un acte de rébellion lors de son arrestation en agressant les forces de l’ordre avec violence. Les faits à la base de cette condamnation ont été souverainement constatés par les juridictions pénales dans le cadre du procès ayant donné lieu à une peine privative de liberté de 18 mois, assortis d’un sursis de 6 mois et ils sont de nature à dénoter de par leur gravité un comportement du demandeur compromettant la tranquillité, l’ordre et la sécurité publics.

La circonstance que depuis les faits à la base de ladite condamnation pénale, qui remonte à l’année 1998, le demandeur aurait eu un comportement irréprochable, n’est pas de nature à écarter toute potentialité dans son chef de compromettre à nouveau la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, étant donné que le demandeur, justement à cause de son incarcération, se trouvant dès lors dans le cadre d’une surveillance rapprochée, n’avait plus ou difficilement l’occasion de récidiver. En effet, tant la circonstance que les faits retenus à charge du demandeur dans le jugement précité se sont produits à une date rapprochée de son arrivée au Luxembourg et que surtout le fait qu’il s’était déjà rendu coupable dans son pays d’origine de ces mêmes infractions à la loi sur les stupéfiants, tel que cela ressort de sa requête en sursis à exécution, sont des éléments dénotant un certain état d’esprit du demandeur face aux institutions et notamment à la législation du pays d’accueil emportant la persistance d’un comportement de nature à compromettre la sécurité et l’ordre publics dans son chef.

7 C’est partant à juste titre que le ministre a pu estimer que le comportement du demandeur ayant conduit à sa condamnation pénale a fait apparaître un comportement personnel portant atteinte à l’ordre public.

Il suit de ce qui précède que la décision de refus de délivrer la carte d’identité d’étranger du 21 janvier 1999 est légalement justifiée et que le recours en annulation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

joint les rôles introduits respectivement sous les numéros du rôle 11148 et 11149;

déclare la demande en sursis à exécution sans objet;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 28 juillet 1999, par le vice-président, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Schockweiler 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : s11149,11148
Date de la décision : 28/07/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-07-28;s11149.11148 ?

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