N° 10841 du rôle Inscrit le 17 août 1998 Audience publique du 28 juillet 1999
=============================
Recours formé par Monsieur … CELEBIC contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour
-------------------------------------------------------------
Vu la requête déposée le 17 août 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CELEBIC, de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 18 mai 1998 lui refusant l’autorisation de séjour au Luxembourg;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé le 25 mai 1999 au nom du demandeur;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Monique ADAMS, en remplacement de Maître Anne-Marie SCHMIT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
---
Monsieur … CELEBIC, de nationalité yougoslave, né le 20 décembre 1975, demeurant actuellement à L-…, introduisit le 30 octobre 1995, au Luxembourg, une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés.
Le 25 juin 1996, le ministre de la Justice rejeta ladite demande. Suite à un recours gracieux formé par Monsieur CELEBIC le 26 juillet 1996, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale en date du 19 février 1997.
Par jugement du 23 juillet 1997, le tribunal administratif rejeta comme n’étant pas fondé un recours contentieux introduit par requête déposée le 19 mars 1997 et dirigé contre les prédites décisions ministérielles des 25 juin 1996 et 19 février 1997.
1 Suite à un appel relevé par Monsieur CELEBIC en date du 25 août 1997, la Cour administrative confirma le susdit jugement par arrêt du 11 décembre 1997.
Par arrêté du 4 mars 1997, le ministre du Travail et de l’Emploi refusa à Monsieur CELEBIC l’octroi d’un permis de travail.
Le 6 février 1998, Monsieur CELEBIC se maria avec Madame F. D., de nationalité belge, demeurant à Luxembourg.
Il ressort d’un courrier émanant du mandataire de Madame M. P., la mère de l’épouse de Monsieur CELEBIC, adressé le 27 mars 1998 au ministère de la Justice que: « (…) La fille de ma mandante, Madame F. D., s’est mariée à l’insu de ses parents avec Monsieur … CELEBIC, demeurant à…, par-devant l’officier de l’état civil de Luxembourg le 6 février 1998.
Ma partie a été informée du mariage civil lorsque Monsieur CELEBIC a voulu faire un changement d’adresse en se déclarant domicilié auprès de ma mandante ainsi que de son mari.
Depuis le 6 février 1998, Madame D. et Monsieur CELEBIC continuent à résider à leurs adresses respectives.
Il n’y a pas de vie commune.
Ayant examiné le dossier de Monsieur CELEBIC au Ministère de la Justice, il appert que Monsieur CELEBIC s’est marié avec une ressortissante CEE après que tous ses recours successifs devant le Tribunal administratif et Fiscal, respectivement, devant la Cour Administrative, avaient été rejetés.
Ma partie est persuadée que le mariage de sa fille est intervenu par une pure complaisance et sur insistance de Monsieur CELEBIC.
Elle me demande dès lors de vous informer de la présente situation afin que Monsieur CELEBIC ne puisse pas se prévaloir de l’existence d’une prétendue famille au Luxembourg, qui n’en est pas une.
Madame D., qui ne gagne que le salaire social minimum, ne peut certainement pas fournir à Monsieur CELEBIC les moyens de subsistance légaux nécessaires alors qu’il est sans emploi depuis plusieurs mois déjà. (…) ».
Il ressort d’un procès-verbal du commissariat de police de Merl/Belair en date du 27 avril 1998 que: « laut Angaben von D. F., lebt sie von ihrem Ehemann CELEBIC … getrennt.
Die Scheidung ist beantragt. D. lebt im Haushalt ihrer Mutter, zu Luxemburg, 88, Av. G.
Diderich. CELEBIC soll in …wohnhaft sein. Er soll keiner lohnbringenden Arbeit nachgehen.
D. arbeitet im Geschäft L. (…) und verdient …Franken brutto monatlich ».
Suite à une demande afférente, le ministre de la Justice informa Monsieur CELEBIC par lettre du 18 mai 1998 de ce que « suite à un réexamen de votre dossier, j’ai dû constater qu’il n’existe plus de communauté de vie après 2 mois de mariage. Comme vous n’êtes pas en 2 possession d’un permis de travail établi par le Ministère du Travail, et par conséquent sans moyens d’existence propres, une autorisation de séjour ne vous saurait être accordée. Vous êtes par conséquent invité à quitter le pays. (…) ».
Le 3 juin 1998, le ministre du Travail et de l’Emploi refusa une nouvelle demande de Monsieur CELEBIC en vue de l’octroi d’un permis de travail.
Il ressort encore d’un rapport du 6 juillet 1998 de la brigade de Béreldange de la gendarmerie grand-ducale que : « CELEBIC … ist bis dato noch immer zu …bei seinem Bruder CELEBIC H. wohnhaft.
CELEBIC verfügt hierlands weder über eigene Existenzmittel noch ist derselbe Eigentümer von Immobilien. Der Interessent gibt an vom Einkommen seines Bruders zu leben, dieser arbeitet bei der Firma I. zu Steinsel und bezieht einen monatlichen Bruttolohn von zirka …- Franken.
Der Interessent ging am 6. Februar 1998 die Ehe mit D. F. [suivent la date de naissance et l’adresse de résidence] ein.
D. wohnt an obenerwähnter Adresse bei ihren Eltern.
CELEBIC wohnte jedoch bis dato noch nicht mit seiner Frau zusammen und hat derzeit auch keinen Kontakt zu derselben, dies da die Schwiegereltern seine Präsenz nicht dulden.
CELEBIC beauftragte seinen Anwalt F. F. gegen den Entscheid des Justizministeriums Berufung einzulegen.
Hiesige Stelle wartet auf weitere Anweisungen dortiger Stelle, unsererseits wird sich vorerst auf Gegenwärtiges beschränkt (…) ».
Par requête déposée le 17 août 1998, Monsieur CELEBIC a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre la décision précitée du 18 mai 1998.
Le demandeur soutient en premier lieu que la formulation de la décision litigieuse serait trop vague pour valoir motivation légale.
Ensuite, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise appréciation de sa situation de fait, en faisant valoir que s’il est vrai que lui et son épouse connaissent des problèmes « dus à l’intolérance des parents de l’épouse » envers lui, cette situation ne saurait justifier la décision litigieuse de refus. Il en serait de même de la décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 3 juin 1998, laquelle ne saurait suffire pour lui refuser l’octroi d’un permis de séjour.
Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif qu’un recours au fond ne serait pas prévu par les dispositions légales applicables en la matière.
3 Concernant le recours en annulation, il soutient que la décision serait suffisamment motivée et qu’elle serait également fondée sur des circonstances de fait suffisantes et dûment établies par les éléments du dossier administratif.
Dans sa réplique, le demandeur insiste encore sur ce que le ministre de la Justice ne saurait faire dépendre l’octroi d’un permis de séjour de l’obtention préalable d’un permis de travail. - Par ailleurs, il soutient que la décision de refus du ministre du Travail et de l’Emploi ne serait pas encore définitive, qu’un recours contentieux serait actuellement pendant devant le tribunal administratif et que s’il obtenait « gain de cause dans ce litige qui est toujours pendant, il est incontestable qu’en tant que électricien, il trouvera rapidement un emploi qui lui permettra de subvenir lui-même à ses besoins ».
Il fait encore préciser qu’il serait actuellement soutenu financièrement par son épouse, avec laquelle il serait en train de se réconcilier et que leur vie en communauté « a été partiellement reprise ».
Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2/99, V° Recours en réformation, n° 5, p. 267 et 268, et autres références y citées).
En l’espèce, aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction contre une décision de refus d’un permis de séjour, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Le tribunal est en premier lieu appelé à examiner le moyen d’annulation tiré d’un défaut de motivation suffisante.
Or, le reproche tiré d’une absence ou insuffisance de motivation est à abjuger, dès lors que la décision ministérielle litigieuse ensemble les compléments apportés au cours de la procédure contentieuse indiquent de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus d’accorder une autorisation de séjour, à savoir l’absence de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de séjour et de voyage dans le chef du demandeur, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur.
En présence d’un recours en annulation, le rôle du juge administratif consiste encore à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif critiqué.
L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, dispose que: «l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) -
qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».
4 La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise. Il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute.
Il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que Monsieur CELEBIC ne disposait pas de moyens personnels propres au moment où la décision attaquée a été prise.
En effet, c’est à tort que le demandeur entend justifier l’existence de moyens personnels suffisants par des rémunérations qu’il pourrait obtenir si son recours contentieux contre la décision précitée du ministre du Travail et de l’Emploi aboutissait et s’il obtiendrait un permis de travail lui permettant d’exercer une profession au Luxembourg. Abstraction faite de toutes autres considérations, force est de relever que le demandeur n’était pas en possession, au moment de la prise de décision, d’un permis de travail et il n’était dès lors pas autorisé à occuper un emploi au Grand-Duché de Luxembourg et à toucher des revenus provenant de cet emploi.
Le demandeur ne prouve pas l’existence d’autres moyens personnels. A cet égard, abstraction faite de ce que la prétendue aide financière que l’épouse du demandeur a pu lui apporter reste à l’état de pure allégation et qu’elle est même contredite par les éléments du dossier administratif qui documentent, pour le moins au moment de la prise de la décision ministérielle, une séparation de fait du demandeur et de son épouse, une aide financière qui lui est apportée par son épouse ou par d’autres membres de sa famille n’est pas à considérer comme constituant des moyens personnels au sens de l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 (cf. trib. adm. 9 juin 1997, n°9781 du rôle, Pas. adm. 2/99, V° Etrangers, II Autorisation de séjour - Expulsion, n° 69, et autres références y citées).
Il suit des considérations qui précèdent que c’est donc à juste titre que le ministre a refusé l’autorisation de séjour sollicitée et que le recours en annulation est à écarter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
5 Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 28 juillet 1999 par le vice-président, en présence de M.
Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Schockweiler 6