Numéro 11182 du rôle Inscrit le 10 mars 1999 Audience publique du 21 juillet 1999 Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ, … contre un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail
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Vu la requête, inscrite sous le numéro 11182 du rôle, déposée le 10 mars 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Paul NOESEN, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 4 février 1999 lui refusant l’octroi d’un permis de travail;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mai 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juin 1999 par Maître Jean-Paul NOESEN, préqualifié, au nom de Monsieur SKRIJELJ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté attaqué;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Jean-Paul NOESEN, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.
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Depuis le 3 juin 1996, Monsieur … SKRIJELJ, demeurant à L-…, travailla sous le couvert de permis de travail de la catégorie A délivrés en dates des 30 septembre 1996 et 25 septembre 1997 en tant que jardinier-paysagiste auprès de la société à responsabilité limitée X., ci-après appelée « la société X. », établie à L-… Etant donné que le dernier permis de travail délivré expirait le 24 septembre 1998, la société X. et Monsieur SKRIJELJ soumirent le 13 août 1998 à l’administration de l’Emploi une demande en prorogation du permis de travail en faveur de ce dernier.
Par arrêté du 4 février 1999, le ministre du Travail et de l’Emploi rejeta cette demande aux motifs suivants:
« - des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place: 1.938 ouvriers non-qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - augmentation inquiétante de la moyenne des demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi durant les six dernières années: 3.526 en 1993 / 5.313 en 1998 ».
A l’encontre de cet arrêté de refus, Monsieur SKRIJELJ fit introduire un recours en annulation par requête déposée le 10 mars 1999.
Aucune disposition légale n’admettant un recours au fond en matière de prorogation de permis de travail, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond, le demandeur reproche à la décision attaquée de ne pas préciser en quoi des demandeurs d’emploi appropriés seraient disponibles sur place. Il expose à cet égard que le poste qu’il était appelé à occuper supposerait un minimum d’expérience professionnelle et de savoir-faire qu’il aurait acquis durant sa période d’engagement, de manière à ce qu’on ne devrait plus le considérer comme ouvrier non qualifié, mais comme ouvrier spécialisé. Dans la mesure où l’arrêté déféré du 4 février 1999 qualifierait son poste par contre comme celui d’un ouvrier non qualifié, le ministre manquerait d’établir concrètement que des demandeurs susceptibles de pourvoir à son poste sont disponibles sur place.
Le demandeur affirme en deuxième lieu que l’appréciation ministérielle de la situation du marché du travail aurait pour but de protéger aussi bien les travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays. Au vu de son travail antérieur durant trois années, de son expérience acquise par ce biais et enfin de sa capacité de travailler actuellement de façon totalement indépendante, il devrait être considéré non pas comme un nouveau demandeur d’emploi étranger, mais comme un étranger ayant déjà travaillé au Grand-Duché et bénéficier ainsi de la protection de la réglementation luxembourgeoise applicable. Le ministre aurait commis à cet égard une erreur manifeste d’appréciation en examinant quels aspects de la situation du marché du travail fourniraient une base pour lui refuser le permis de travail plutôt que de vérifier dans quelle mesure la situation du marché du travail autoriserait la prorogation de son permis de travail.
Quant aux faits, le demandeur confirme que la société X. a bien reçu un formulaire de l’administration de l’Emploi accusant réception de la demande en prorogation et annonçant l’assignation de demandeurs d’emploi à des dates à préciser par la société. Etant donné qu’aucun candidat ne se serait pourtant présenté, les exploitants de la société auraient publié des annonces dans les quotidiens, suite auxquelles quatre candidats auraient comparu, dont cependant un seul, auquel le demandeur attribue le nom …, aurait accepté le poste en cause.
2 Etant donné que ce dernier a quitté l’entreprise après deux mois de travail, la société aurait inséré une nouvelle annonce dans les journaux, suite à laquelle un seul candidat, un compagnon jardinier d’origine wallone, se serait présenté et aurait été engagé sur-le-champ, vu qu’il aurait réellement appris le métier de jardinier et pourrait travailler de façon entièrement autonome. Le demandeur en déduit que son employeur aurait encore davantage besoin de lui pour assister ce second jardinier professionnel dans la société X. et que son poste resterait de ce fait toujours vacant.
L’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, dispose dans son alinéa 1er que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés au travailleur étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi ».
Il s’ensuit que la délivrance du permis de travail, son renouvellement et son retrait sont conditionnés par la situation du marché de l’emploi (doc. parl. 13872, rapport de la commission juridique, ad art. 26, p. 8) et que le ministre est en droit, tout comme lors de la première délivrance d’un permis de travail, d’apprécier s’il y a lieu de le proroger au vu de la situation, de l’évolution et de l’organisation du marché du travail (cf. doc. parl. 2097, avis du Conseil d’Etat, p. 11, et 20971, rapport de la commission des affaires sociales, p. 1). Un travailleur étranger ne bénéficie par voie de conséquence pas d’un droit à la prorogation automatique de son permis de travail lorsque celui-ci vient à échéance et ne saurait se prévaloir d’une protection légale pour le maintien de son emploi.
Il est encore constant que la priorité à l’emploi à accorder aux ressortissants de l’E.E.E.
constitue un motif valable de refus de prorogation du permis de travail, sur base de l’article 10 (1) du règlement grand-ducal du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. Aux termes de la disposition en question, « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».
Ce texte trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 1er du règlement CEE N° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, tel que modifié, qui dispose que « 1. tout ressortissant d’un Etat membre, quelque soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2.
Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles », ainsi que dans l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972.
Il est encore vrai que le ministre doit en règle générale établir, in concreto, la disponibilité de ressortissants de l’E.E.E. sur place, susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé.
3 En l’espèce, il résulte des mémoires déposés par la partie demanderesse qu’indépendamment de la question de la coopération ou non des exploitants de la société X.
avec l’administration de l’Emploi afin de se voir assigner des demandeurs d’emploi, des demandeurs d’emploi inscrits auprès de l’administration de l’Emploi se sont présentés et que les dits exploitants ont recruté en fin de compte un travailleur ressortissant CEE pour pourvoir au poste occupé auparavant par le demandeur. La question si ce même poste est à considérer comme celui d’un travailleur spécialisé ou non qualifié reste sans incidence à cet égard, alors que la disponibilité concrète de demandeurs d’emploi sur place est établie et que le poste en cause est légalement occupé par un travailleur bénéficiant de la priorité à l’emploi. Le demandeur ne saurait prétendre qu’à occuper un nouveau poste à créer par la société X. et à déclarer dûment vacant auprès de l’administration de l’Emploi.
Les autres considérations du demandeur relatives à la situation et aux problèmes du marché du travail luxembourgeois et à certaines pratiques spécifiques au secteur de la viticulture ne sont pas de nature à énerver la légalité de l’arrêté déféré, quelle que soit par ailleurs leur pertinence en fait.
Il ressort des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.
PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, et lu à l’audience publique du 21 juillet 1999 par Madame le premier juge à ce déléguée, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
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