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15/07/1999 | LUXEMBOURG | N°11369

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 juillet 1999, 11369


N° 11369 du rôle Inscrit le 8 juillet 1999 Audience publique du 15 juillet 1999

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Recours formé par Monsieur … FERREIRA KAEFFER contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 1999 par Maître Philippe PENNING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg

, au nom de Monsieur … FERREIRA KAEFFER, de nationalité brésilienne, ayant été placé au Centr...

N° 11369 du rôle Inscrit le 8 juillet 1999 Audience publique du 15 juillet 1999

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Recours formé par Monsieur … FERREIRA KAEFFER contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 1999 par Maître Philippe PENNING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … FERREIRA KAEFFER, de nationalité brésilienne, ayant été placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 1er juillet 1999 ordonnant une mesure de placement à son égard;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Frank ROLLINGER, en remplacement de Maître Philippe PENNING, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … FERREIRA KAEFFER, né le …, de nationalité brésilienne, est arrivé au Grand-Duché de Luxembourg en avril 1979.

En date du 11 novembre 1981, il introduisit auprès de l’administration communale de Bettembourg une demande de carte d’identité d’étranger en déclarant habiter, à l’époque, à L-

…, ensemble avec ses parents. A la suite de cette demande, le ministre de la Justice lui délivra une carte d’identité d’étranger valable jusqu’au 31 mars 1987.

Par jugement rendu en date du 2 octobre 1990 par le tribunal correctionnel de Luxembourg, Monsieur FERREIRA KAEFFER fut condamné par défaut à une peine d’emprisonnement de 4 mois, ainsi qu’à une amende de 10.000.- francs du chef de la soustraction frauduleuse de la somme de 4.500.- francs au préjudice d’une personne privée.

1 En date du 3 octobre 1990, un procès-verbal fut dressé à son encontre par le commissariat de police de Differdange, dont il ressort qu’il était suspecté d’avoir, au cours de la période allant du 31 juillet 1989 au 31 août 1990, commis diverses infractions dont des vols, des falsifications de chèques bancaires, la possession et la consommation de drogues. Il ressort en outre dudit procès-verbal qu’il était suspecté d’avoir, à plusieurs reprises, commis des vols au détriment de sa mère, et ceci pour la dernière fois en date du 9 septembre 1990. L’agent verbalisant a encore noté dans ledit procès-verbal que Monsieur FERREIRA KAEFFER n’avait pas de domicile fixe à l’époque et qu’au lieu d’avoir un emploi salarié, il vivait des recettes provenant de vols et d’escroqueries. Enfin, il aurait passé une certaine période en prison à Strasbourg (France) en raison d’infractions liées à l’utilisation illégale de chèques.

Par jugement du tribunal correctionnel de Luxembourg du 20 mai 1994, Monsieur FERREIRA KAEFFER fut condamné à une peine d’emprisonnement de 3 ans ainsi qu’à une amende de 80.000.- francs du chef d’infractions à la loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie. Ce jugement fut confirmé, en ce qui concerne Monsieur FERREIRA KAEFFER, par un arrêt de la Cour d’appel du 11 octobre 1994.

La commission consultative en matière de police des étrangers, dont l’avis a été sollicité par le ministre de la Justice, en retenant, dans son avis du 16 mai 1995, d’une part, que Monsieur FERREIRA KAEFFER a été incarcéré depuis décembre 1993 pour les faits qui avaient donné lieu à la condamnation par la Cour d’appel dans son arrêt du 11 octobre 1994 et, d’autre part, que depuis le 3 janvier 1995, l’intéressé avait été transféré au Centre Pénitentiaire Agricole de Givenich, proposa, au vu de sa situation familiale et pour des « considérations purement humanitaires tenant au fait que l’intéressé n’a pas d’attache dans un autre pays que le Luxembourg », de lui donner « une dernière chance », en estimant qu’il n’y avait pas lieu, à l’époque, de prendre une « mesure de police des étrangers » à son encontre.

Par décision du ministre de la Justice du 22 juin 1995, Monsieur FERREIRA KAEFFER fut informé de ce que le ministre n’entendait pas prendre une « mesure de police des étrangers » à son encontre. Dans ce courrier le ministre insista sur le fait qu’une nouvelle carte d’identité d’étranger ne lui serait pas délivrée, alors qu’il entendait procéder à des contrôles ultérieurs de la situation et de la conduite de Monsieur FERREIRA KAEFFER. A la même occasion, il fut averti « qu’en cas de nouvelles infractions ou de nouvelles atteintes à l’ordre public une mesure de police des étrangers [serait] prise à son encontre ».

En date du 19 octobre 1995, Monsieur FERREIRA KAEFFER présenta une nouvelle demande en obtention d’une carte de séjour auprès de l’administration communale de Bettembourg, en déclarant habiter à l’époque à L-3260 Bettembourg, 28, route de Mondorf.

Monsieur FERREIRA KAEFFER a bénéficié, au cours de son incarcération au Centre Pénitentiaire Agricole de Givenich, d’une mesure de semi-liberté à partir du 1er novembre 1995, au motif qu’il souhaitait prendre un emploi auprès d’une entreprise luxembourgeoise, sur base d’un contrat à l’essai conclu pour une période de trois mois.

Il ressort des procès-verbaux de l’administration des douanes et accises, division anti-

drogues et produits sensibles, des 7 février 1997 et 9 octobre 1998 respectivement, que des 2 procès-verbaux ont été dressés contre Monsieur FERREIRA KAEFFER en raison d’infractions commises à la loi précitée du 19 février 1973.

En date du 31 décembre 1998, l’administration communale de la Ville de Luxembourg raya d’office Monsieur FERREIRA KAEFFER de la liste de la population habitant la Ville de Luxembourg, en indiquant qu’il avait été convoqué sans succès en date des 11 mai et 23 septembre 1998.

Il ressort d’un procès-verbal du commissariat de police de Luxembourg (Gare-

Hollerich) du 1er février 1999, qu’alors même que Monsieur FERREIRA KAEFFER disposait d’une adresse située à Luxembourg, 120, rue Adolphe Fischer, il n’y avait pas pu être trouvé.

Monsieur FERREIRA KAEFFER a été incarcéré du 5 juin au 3 juillet 1999 sur base d’une contrainte par corps à la suite d’amendes impayées.

En date du 14 juin 1999, le ministre de la Justice sollicita de la part de l’ambassade de la République Fédérative du Brésil un titre d’identité ou un laissez-passer permettant le rapatriement de Monsieur FERREIRA KAEFFER vers le Brésil.

Par courrier du 21 juin 1999, la prédite ambassade transmit au ministre de la Justice une « autorisation pour retour au Brésil ».

Par arrêté ministériel du 1er juillet 1999, le ministre de la Justice interdit l’entrée et le séjour à Monsieur FERREIRA KAEFFER, en se basant sur la condamnation encourue par lui sur base de l’arrêt de la Cour d’appel du 11 octobre 1994, sur son séjour illégal ainsi que sur son comportement personnel, établissant qu’il constituerait un danger pour l’ordre public.

Par décision séparée du ministre de la Justice du 1er juillet 1999, Monsieur FERREIRA KAEFFER a été placé, pour une durée maximum d’un mois, au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

Ladite décision est basée sur les considérants et motifs suivants:

« Considérant que l’intéressé est détenu en vertu d’un mandat d’amener et qu’il sera libéré en date du 3 juillet 1999;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un passeport valable;

Qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels;

Qu’il se trouve en situation irrégulière au Luxembourg;

Qu’un laissez-passer a été demandé à l’ambassade du Brésil à Bruxelles en date du 14 juin 1999 et a été délivré le 21 juin 1999;

Que son éloignement immédiat par avion vers son pays d’origine n’est pas possible;

Considérant que des raisons tenant à un risque de fuite nécessitent que l’intéressé soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son rapatriement ».

Par requête déposée le 8 juillet 1999, Monsieur FERREIRA KAEFFER a introduit un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle de placement du 1er juillet 1999.

3 Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.

l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée du 1er juillet 1999.

A l’audience à laquelle l’affaire a été plaidée, les mandataires des parties ont informé le tribunal que Monsieur FERREIRA KAEFFER a été rapatrié vers le Brésil en date du 11 juillet 1999.

S’il est vrai que la décision de placement prise à l’égard de Monsieur FERREIRA KAEFFER a pris fin avec son rapatriement au Brésil en date du 11 juillet 1999, le présent recours a néanmoins été valablement introduit contre la mesure de placement du 1er juillet 1999, étant donné qu’au moment de l’introduction du recours, soit le 8 juillet 1999, cette mesure déployait encore tous ses effets, de sorte que le demandeur possédait, au jour de l’introduction de son recours, un intérêt à attaquer la prédite mesure de placement.

Par ailleurs, le demandeur garde en tout état de cause un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en oeuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé, le cas échéant, aux particuliers par les décisions en question.

Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

La demande en annulation de la décision de placement, présentée en ordre subsidiaire, est partant à déclarer irrecevable, étant donné qu’en vertu de l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

A l’appui de son recours, le demandeur estime que la mesure prise à son encontre en date du 1er juillet 1999 serait « illégale, injustifiée et préjudiciable ». Il soutient dans ce contexte qu’il aurait résidé pendant de nombreuses années « en situation légale » au Grand-

Duché de Luxembourg, en indiquant plus particulièrement qu’il aurait résidé à L-7452 Obenthalt, maison 2a, qu’en 1998, son passeport aurait été renouvelé pour une durée de six mois par l’ambassade brésilienne et qu’au cours de cette période, le bureau des passeports, des visas et légalisations du ministère des Affaires étrangères aurait refusé de lui délivrer une autorisation de séjour, tout en affirmant que « son droit de séjour serait prolongé ». Partant, l’irrégularité de sa situation résulterait « du moins partiellement du comportement du bureau des passeports ». Dans ce contexte, il fait état de ce qu’il a introduit auprès du tribunal administratif un recours dirigé contre l’arrêté ministériel du 1er juillet 1999 portant refus d’entrée et de séjour à son encontre.

Il reproche en outre au ministre de la Justice de ne pas préciser les circonstances de fait ainsi que les raisons qui rendraient son éloignement impossible. Une telle imprécision dans la 4 motivation de la décision critiquée équivaudrait à une absence de motivation, sur base de laquelle la décision critiquée devrait encourir l’annulation.

A titre subsidiaire, le demandeur soutient qu’aucune mesure de refoulement n’aurait été prise à son encontre, que de même aucune tentative n’aurait été entreprise en vue d’exécuter une éventuelle mesure de refoulement et que partant les conditions prévues par l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, ne seraient pas remplies.

A titre encore plus subsidiaire, le demandeur estime qu’une mesure de placement au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig ne se justifierait pas en l’espèce alors qu’il n’existerait aucun danger qu’il essayerait de se soustraire à la mesure d’éloignement ultérieure, en faisant valoir que le ministre de la Justice n’aurait rapporté aucun risque de cette nature.

Dans ce contexte, il signale que la décision de placement a été prise à son encontre à un moment où il était en train de subir une contrainte par corps au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig et que son placement audit Centre ne pouvait prendre effet qu’à partir du jour où la prédite peine venait à échéance.

A titre tout à fait subsidiaire, le demandeur soutient qu’il ne se serait rendu coupable d’aucune infraction à la loi luxembourgeoise et que sa détention au Centre Pénitentiaire de Luxembourg, dans un régime de détention préventive, constituerait une violation de l’article 12 de la Constitution et de l’article 5.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par la loi luxembourgeoise du 29 août 1953, telle que modifiée par la suite, dénommée ci-après « la Convention européenne des droits de l’homme », en soutenant que le Centre Pénitentiaire de Luxembourg ne constituerait pas, au voeu de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, un établissement approprié à cet effet.

Dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le demandeur sollicite sa mise en liberté immédiate.

Le délégué du gouvernement estime que, contrairement aux arguments développés par le demandeur, celui-ci ne se serait pas trouvé en situation légale au Grand-Duché de Luxembourg, en ce que sa carte d’identité d’étranger aurait expiré en date du 31 mars 1987 et que depuis cette date, il n’aurait pas disposé d’une autorisation de séjour au pays. Il rejette encore les explications fournies au sujet du comportement du bureau des passeports du ministère des Affaires étrangères, en rappelant qu’aucune autorisation de séjour n’a été accordée par le ministère de la Justice après la date du 31 mars 1987.

Quant à l’impossibilité matérielle d’exécuter la mesure d’éloignement prise à l’encontre du demandeur, le représentant étatique soutient que cette impossibilité résulterait, d’une part, des difficultés liées à l’organisation du voyage vers le Brésil, et, d’autre part, de la disponibilité de deux agents des forces de l’ordre en vue de raccompagner le demandeur dans son pays d’origine, au vu du refus manifesté par celui-ci de quitter le Luxembourg.

Quant au moyen invoqué par le demandeur tiré de l’absence d’une mesure de refoulement susceptible de se trouver à la base de la décision de placement prise à son encontre, le délégué du gouvernement se réfère à l’arrêté ministériel du 1er juillet 1999 portant refus d’entrée et de séjour à l’encontre du demandeur, en estimant qu’en vertu de l’article 12 5 de la loi précitée du 28 mars 1972, un étranger pourrait faire l’objet d’une mesure d’éloignement au cas où il n’est pas autorisé à résider au pays.

En ce qui concerne le risque que le demandeur se soustraie à la mesure d’éloignement ultérieure, le délégué du gouvernement estime qu’au vu du fait que le demandeur réside au Luxembourg depuis de nombreuses années, on pourrait « légitimement supposer que l’intéressé refuse de se rendre au Brésil », en signalant encore que le demandeur aurait indiqué aux agents du service de police judiciaire qu’il refuserait de rentrer au Brésil. Partant, un risque de fuite serait établi dans son chef, d’autant plus qu’il ne posséderait aucune adresse fixe au pays et qu’il n’aurait pas pu être contacté aux différentes adresses qu’il avait indiquées aux agents des forces de l’ordre.

Enfin, il soutient qu’en l’espèce le placement au Centre Pénitentiaire de Luxembourg se justifierait, au motif que Monsieur FERREIRA KAEFFER constituerait un danger pour l’ordre public luxembourgeois, en se référant aux condamnations pénales encourues par lui ainsi qu’aux différents procès-verbaux établis à son encontre. Par ailleurs, il estime que le reproche de la violation de l’article 12 de la Constitution ne serait pas fondé, étant donné que l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose qu’un étranger pourrait, sous certaines conditions, être placé dans un établissement approprié sur décision du ministre de la Justice, cette procédure constituant une exception établie par la loi, telle que visée par l’article 111 de la Constitution. La procédure de la mise à la disposition du gouvernement serait partant prévue par des dispositions légales et constituerait de ce fait une exception, en ce qui concerne les étrangers séjournant sur le territoire luxembourgeois, à l’article 12 de la Constitution.

En ce qui concerne le moyen invoqué par le demandeur, tiré d’une absence de motivation de la décision déférée, dans la mesure où celle-ci ne préciserait pas les circonstances de fait rendant impossible son éloignement immédiat, il échet de constater qu’en l’absence d’une disposition légale instituant une obligation de motivation expresse et exhaustive d’une décision de placement, il suffit, pour que la décision de placement soit valable, que les motifs aient existé au moment où la décision a été prise, quitte à ce que l’administration concernée les produise a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours d’une procédure contentieuse.

En l’espèce, s’il est vrai que la décision de placement litigieuse omet de mentionner les circonstances de fait qui empêcheraient l’exécution matérielle de la mesure d’éloignement, le délégué du gouvernement a précisé dans son mémoire en réponse des circonstances de fait, à savoir la nécessité d’organiser matériellement le retour du demandeur au Brésil ainsi que les problèmes d’organisation de l’escorte devant accompagner le demandeur lors du voyage de retour, de sorte que le motif tiré du défaut de motivation n’est pas fondé et doit être rejeté.

Au fond, l’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit encore de vérifier si les dits motifs sont de nature à justifier légalement la décision qui a été prise.

Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 qu’une mesure de placement n’est légalement admissible que si l’éloignement de l’intéressé ne peut être mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.

Il s’agit partant d’analyser d’abord s’il existe une mesure d’éloignement et de vérifier ensuite si des circonstances de fait ont pu empêcher son exécution immédiate.

6 Il convient d’analyser en premier lieu le moyen tiré de la violation de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, en ce qu’il n’existerait aucune mesure de refoulement susceptible de se trouver à la base de la mesure de placement critiquée. Il échet de noter qu’il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) en question que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

Il est constant en cause que la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Il convient partant d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence:

« 1. qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage;

2. qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour;

3. auxquels l’entrée dans le pays a été refusé en conformité de l’article 2 [de la loi précitée du 28 mars 1972];

4. qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis;

5. qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2, paragraphe 2 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Il convient donc en premier lieu de vérifier l’existence et la légalité de la mesure de refoulement, condition préalable à la légalité de toute décision de placement.

Il est constant que le procès-verbal visé à l’article 12 précité n’a pas pour objet de constater l’un ou plusieurs des faits visés à l’énumération contenue audit article, mais qu’il est au contraire destiné à constater le fait de l’éloignement et à en informer le ministre. Il ne devra donc être dressé que dans l’hypothèse où l’éloignement immédiat est matériellement et légalement possible et qu’il a pu être exécuté (Cour adm., 8 juillet 1999, Ajlani, n° 11354C du rôle, non encore publié).

Un tel procès-verbal n’a donc pas dû être dressé, étant donné qu’en l’espèce, tel qu’il a été relaté ci-dessus, l’éloignement immédiat a été impossible.

A défaut de décision séparée, aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, tel que déterminées par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 sont 7 remplies et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé.

En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement.

Il appartient partant au tribunal de vérifier si les conditions justifiant une telle mesure de refoulement ont été remplies en l’espèce.

Il ressort des pièces et éléments du dossier et plus particulièrement du mémoire en réponse du délégué du gouvernement, que le ministre de la Justice s’est basé implicitement, tel que cela ressort du mémoire du délégué du gouvernement, toute référence expresse y relative faisant défaut, sur un arrêté de refus d’entrée et de séjour au Luxembourg, pris en date du 1er juillet 1999 à l’encontre de Monsieur FERREIRA KAEFFER. Le ministre s’est partant basé sur l’article 12, point 3) de la loi précitée du 28 mars 1972 et sa décision de refoulement a partant été légalement prise. Il échet dans ce contexte de constater que c’est à tort que le demandeur soutient qu’il aurait résidé de manière légale au Luxembourg, alors qu’il ressort des pièces et éléments du dossier que depuis l’expiration de sa carte d’identité d’étranger en date du 31 mars 1987, il ne disposait plus d’un titre de séjour au pays. L’argumentation présentée par le demandeur, tirée du comportement du bureau des passeports, de visas et légalisations du ministère des Affaires étrangères, ne saurait par ailleurs énerver la conclusion qu’il résidait illégalement au Luxembourg au moment où la décision de refoulement a été prise.

Le moyen tiré de l’inexistence d’une décision d’éloignement expresse manque donc de fondement et doit être écarté.

Il échet encore de déterminer si les circonstances de fait invoquées par le délégué du gouvernement ont pu justifier légalement une impossibilité de procéder à l’exécution immédiate de la mesure de refoulement.

En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que nonobstant le fait qu’un laissez-

passer a été émis par l’ambassade du Brésil en faveur du demandeur, par courrier du 21 juin 1999, l’exécution de la mesure d’éloignement, à la date où la mesure de placement a été prise, à savoir en date du 1er juillet 1999, était impossible en raison du fait qu’en l’absence d’une liaison aérienne directe, son rapatriement a dû être organisé (organisation du vol, escorte, permission de transit etc.). Etant donné que ces mesures requièrent un certain délai, il a valablement pu être estimé que, sur base des circonstances préexposées, l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement, à la date de la mesure de placement, était rendue impossible.

C’est à bon droit que le demandeur fait relever qu’une mesure de placement ne se justifie qu’au cas où il existe dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision de refoulement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure.

C’est cependant à tort que le demandeur conteste l’existence d’un tel danger. En effet, il échet de relever qu’il ressort des éléments du dossier que le demandeur était en séjour illégal au Luxembourg depuis le 31 mars 1987, date d’expiration de sa carte d’identité d’étranger, qu’il ne possédait aucune adresse fixe au Luxembourg et qu’il n’a pas pu être contacté aux différentes adresses qu’il avait indiquées aux agents des forces de l’ordre, de sorte qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque qu’il essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement ultérieure.

8 L’incarcération dans un centre pénitentiaire d’une personne sous le coup d’une mesure de placement ne se justifie qu’au cas où cette personne constitue en outre un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics.

C’est à tort que le demandeur soutient ne s’être rendu coupable d’aucune infraction à la loi luxembourgeoise, alors qu’il résulte, au contraire, des faits de l’espèce, se dégageant du dossier à charge du demandeur, que ce dernier a été condamné par un jugement rendu en date du 2 octobre 1990 par le tribunal correctionnel de Luxembourg à une peine d’emprisonnement de 4 mois ainsi qu’à une amende de 10.000.- francs du chef d’une soustraction frauduleuse d’une somme d’argent au préjudice d’une personne privée et qu’il a été condamné par un arrêt de la Cour d’appel du 11 octobre 1994 à une peine d’emprisonnement de 3 ans, ainsi qu’à une amende de 80.000.- francs du chef d’infractions à la loi précitée du 19 février 1973. Il ressort encore des procès-verbaux précités de l’administration des douanes et accises des 7 février 1997 et 9 octobre 1998, que le demandeur a commis des infractions à la loi précitée du 19 février 1973. L’ensemble de ces faits caractérise le comportement d’un étranger susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics et ce comportement justifie dans les circonstances de l’espèce qu’il soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg afin d’éviter qu’il porte à nouveau atteinte à la sécurité et à l’ordre public et pour garantir qu’il soit à la disposition des autorités en vue de son éloignement ultérieur.

En d’autres termes, le Centre Pénitentiaire est à considérer, en l’espèce, comme constituant un établissement approprié tel que visé par l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972.

Par ailleurs, concernant la prétendue violation de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, le paragraphe 1, point f) dudit article 5 dispose que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: f.) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ». Il convient de relever que ladite disposition prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays. En effet, il est admis que, lorsqu’en raison des circonstances de fait, le refoulement d’un étranger se révèle impossible, sa détention peut être ordonnée conformément à cette disposition. Le moyen afférent est partant à rejeter.

Quant à la prétendue violation de l’article 12 de la Constitution, qui dispose, entre autre, que « hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les vingt quatre heures », il échet de relever que cet article, nonobstant le fait qu’il se trouve sous le chapitre II « des Luxembourgeois et de leurs droits », bénéficie, en principe, également aux ressortissants étrangers séjournant sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en vertu de l’article 111 de la Constitution, qui dispose que « tout étranger qui se trouve sur le territoire du Grand-Duché, jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi ».

9 Comme l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose qu’un étranger peut, sous certaines conditions, être placé dans un établissement approprié, sur décision du ministre de la Justice, cette procédure constitue une exception établie par la loi, telle que visée à l’article 111 de la Constitution, et partant la procédure de la mise à disposition du gouvernement, légalement établie, constitue une exception, en ce qui concerne les étrangers séjournant sur le territoire luxembourgeois, à l’article 12 de la Constitution. Le moyen afférent présenté par le demandeur est partant à abjuger.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 15 juillet 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11369
Date de la décision : 15/07/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-07-15;11369 ?

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