La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/07/1999 | LUXEMBOURG | N°11113

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 juillet 1999, 11113


1 N° 11113 du rôle Inscrit le 4 février 1999 Audience publique du 15 juillet 1999

==========================

Recours formé par Monsieur … ALUNA contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-----------------------------------------------------------

Vu la requête déposée le 4 février 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ALUNA, de nationalité moldave, résidant actuellement à L-â€

¦, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 décembre 1998, par laq...

1 N° 11113 du rôle Inscrit le 4 février 1999 Audience publique du 15 juillet 1999

==========================

Recours formé par Monsieur … ALUNA contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-----------------------------------------------------------

Vu la requête déposée le 4 février 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ALUNA, de nationalité moldave, résidant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 décembre 1998, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 avril 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

----------

Monsieur … ALUNA, de nationalité moldave, a obtenu un visa touristique de l’ambassade du Luxembourg à Moscou, valable pour la période du 23 octobre au 2 novembre 1997.

Le 4 décembre 1997, les autorités françaises demandèrent la reprise de Monsieur ALUNA en application de la convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile, signée à Dublin le 15 juin 1990, approuvée par une loi du 20 mai 1993. La reprise fut accordée le 9 janvier 1998 et Monsieur ALUNA fut refoulé vers le Luxembourg en date du 28 janvier 1998.

Il introduisit le même jour une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 28 janvier 1998, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

2 Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 14 juillet 1998, le ministre de la Justice informa Monsieur ALUNA, par lettre du 15 décembre 1998, notifiée le 4 janvier 1999, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants:

« (…) vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie ».

Par requête déposée en date du 4 février 1999, Monsieur ALUNA a introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle précitée du 15 décembre 1998.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient que la décision entreprise ne serait pas justifiée, étant donné qu’elle n’apprécierait pas à sa juste valeur la gravité des faits qu’il a invoqués pour justifier ses craintes de persécution et que les faits retenus par le ministre de la Justice ne seraient pas de nature à motiver sa décision de refus.

Lors de son audition du 28 janvier 1998, le demandeur a exposé que pendant les années 1988 à 1992, il aurait suivi des cours dans une école militaire en Russie et il y aurait obtenu le diplôme d’ingénieur économiste. Il aurait ensuite rejoint l’armée russe stationnée à Tiraspoli (Moldavie) et pendant son service militaire, du 24 juillet 1992 jusqu’au 16 avril 1997, il aurait obtenu le grade de lieutenant. Dans sa requête, il fait préciser qu’en 1992, la population moldave aurait exigé que les forces militaires russes quittent le territoire moldave et que les troupes russes, dont il faisait partie, étaient « directement et physiquement menacées ». Il soutient qu’à ce moment son père, directeur d’une école, aurait été informé qu’il perdrait son emploi, si « son fils devait continuer à se comporter comme un traître, en servant au sein de l’armée russe, considérée comme l’armée de l’occupant ». Afin de limiter les problèmes au sein de sa famille, il aurait préféré quitter l’armée en 1994.

Il expose ensuite avoir reçu au courant de l’année 1996 une convocation de la part de la Sécurité nationale de la Moldavie, en précisant qu’il s’agirait de l’ancien K.G.B., pour se présenter à un interrogatoire, lors duquel « on » lui aurait expliqué que la Sécurité nationale procédait à un contrôle de tous les membres de l’armée russe qui seraient restés en Moldavie après le conflit militaire ayant opposé l’armée de la Moldavie à l’armée russe y stationnée, au sein de laquelle il aurait été responsable de l’approvisionnement. Suite à cet interrogatoire, lors duquel un agent de la Sécurité nationale l’aurait informé qu’il lui serait interdit de quitter le territoire moldave et qu’il risquait une peine d’emprisonnement de 25 ans, s’il refusait de collaborer, il se serait réfugié auprès d’un ami en Ukraine, où il serait resté jusqu’en septembre 1996 pour ensuite rejoindre à nouveau sa famille. Lorsqu’il aurait reçu une 2e convocation pour se présenter à nouveau auprès de la Sécurité nationale, il aurait pris la décision de quitter son pays.

Le demandeur estime qu’il se dégagerait des éléments de l’espèce qu’il aurait été « victime de la part de la Sécurité nationale moldave, respectivement de l’ancien KGB, de persécutions à caractère politique intolérables ». Il soulève que même s’il 3 n’avait adopté aucune attitude à caractère politique, il n’en demeurerait pas moins que son comportement « ou plutôt son absence de comportement politique, a pu constituer aux yeux de la Sécurité nationale moldave une expression politique qu’il était urgent de réprimer ».

Il fait encore préciser qu’en sa qualité de simple responsable de l’approvisionnement dans l’armée russe stationnée en Moldavie, il n’aurait pas pu renseigner les agents de la Sécurité nationale sur ce qui aurait constitué l’objet de sa convocation, de sorte que son silence « forcé » aurait conduit les agents de la Sécurité nationale à le considérer comme un traître, susceptible d’être sanctionné conformément à leurs menaces.

Le délégué du gouvernement relève que le demandeur n’aurait versé aucune pièce à l’appui de sa demande qui pourrait corroborer les différents éléments de son récit. Il souligne que par ailleurs le dossier administratif du demandeur révélerait certaines incohérences au niveau de son entrée sur le territoire français, notamment en ce qu’il serait venu en avion en France le 28 août 1997, alors que son « visa Schengen » ne daterait que du 23 octobre 1997. Il note encore que le demandeur a réussi à obtenir un nouveau passeport de la part des autorités de son pays en date du 10 juin 1997, nonobstant l’interdiction de quitter le pays qui aurait été prononcée à son encontre.

Le délégué du gouvernement conclut que le demandeur n’a pas su établir de façon crédible une crainte justifiée de persécutions en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social.

En dernier lieu, il considère qu’à supposer que son récit relatif à son activité au sein de l’armée russe soit authentique, il ressortirait des rapports versés en cause que la situation politique en Moldavie serait telle que le demandeur n’encourrait pas de risques tels que sa vie lui serait intolérable en cas de retour dans son pays d’origine.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ce recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Concernant le seul moyen formulé par le demandeur à l’encontre de la décision entreprise, tiré de ce que le ministre aurait, à tort, retenu que les faits invoqués par lui ne constitueraient pas une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève, le tribunal, statuant en tant que juge du fond, procédera à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Concernant la justification, au fond, du refus d’accorder le statut de réfugié politique, il se dégage de l’article premier, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève, que le terme de « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec 4 raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de la dite crainte, ne veut y retourner. » Le demandeur invoque comme motif de persécution le fait d’avoir reçu en juin et en septembre 1996 deux convocations des agents de la Sécurité nationale moldave afin d’être interrogé par eux sur « des détails de l’armée ». Il soutient avoir répondu à toutes leurs questions, mais les agents de la Sécurité nationale lui auraient néanmoins imposé de ne pas quitter le pays et ils l’auraient informé qu’il risquerait une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 25 ans, s’il refusait de collaborer. Les prédits agents lui auraient encore dit qu’à l’heure actuelle, il « pourrait croire seulement à 5 à 7 ans de prison ». Le demandeur ne fait pas état d’autres événements mettant en évidence la persécution dont il aurait fait l’objet de la part des autorités de son pays.

Le tribunal retient que les explications fournies par le demandeur, indépendamment des incohérences soulevées par le délégué du gouvernement, ne sont pas susceptibles d’établir qu’il a fait l’objet de persécutions vécues ou de craintes qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays. En effet, le demandeur ne fait pas état de menaces concrètes ou de mauvais traitements envers sa personne de la part des autorités du pays.

Par ailleurs, il n’est pas établi que le demandeur, au vu de la situation en Moldavie, risque effectivement d’être condamné du fait de ses activités au sein de l’armée russe, activités d’ailleurs non autrement établies et précisées par le demandeur lors de son audition. A ce titre, il convient de préciser qu’il se dégage d’un rapport « UNHCR/Centre for documentation and research », concernant la situation générale en Moldavie au mois de juillet 1996, versé par le délégué du gouvernement, que la situation en Moldavie n’était pas telle que le demandeur doit présumer un danger sérieux pour sa personne en cas de retour dans son pays Il ressort encore du dossier administratif que le demandeur a pu obtenir un nouveau passeport en date du 10 juin 1997, de sorte que son affirmation quant à l’interdiction de quitter son pays est fortement mise en doute. Pour le surplus, il ne verse aucun élément de preuve pour établir la véracité de ses déclarations.

Il résulte des considérations qui précèdent, que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation des faits en estimant que le demandeur n’a pas fait valoir de raisons personnelles de nature à justifier, dans son chef, une crainte d’être persécuté pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

5 reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 15 juillet 1999, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11113
Date de la décision : 15/07/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-07-15;11113 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award