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15/07/1999 | LUXEMBOURG | N°11071

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 juillet 1999, 11071


N° 11071 du rôle Inscrit le 15 janvier 1999 Audience publique du 15 juillet 1999

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Recours formé par Madame … KOCAN-BABCIC contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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Vu la requête déposée le 15 janvier 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … KOCAN-BABCIC, femme de charge, dem

eurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 19 octo...

N° 11071 du rôle Inscrit le 15 janvier 1999 Audience publique du 15 juillet 1999

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Recours formé par Madame … KOCAN-BABCIC contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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Vu la requête déposée le 15 janvier 1999 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … KOCAN-BABCIC, femme de charge, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 19 octobre 1998 lui refusant l’octroi d’un permis de travail;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mai 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Sarah TURK, en remplacement de Maître Valérie DUPONG, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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Par déclaration datée du 5 août 1998, entrée le 7 août 1998 à l’administration de l’Emploi, ci-après dénommée « l’ADEM », la société à responsabilité limitée X. SARL introduisit une demande en obtention d’un permis de travail, pour un poste de « femme de ménage », en faveur de Madame … KOCAN-BABCIC, de nationalité yougoslave, demeurant à L-…. La prédite déclaration indique comme date d’entrée en service le 1er juillet 1998 et fixe la rémunération brute à 46.275 francs par mois.

Le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé le « ministre », refusa la délivrance d’un permis de travail par arrêté du 19 octobre 1998 «pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes:

- des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place: 1998 ouvriers non-

qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi, dont 6 ont été assignés à l’employeur - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - occupation irrégulière depuis le 01.07.1998 - augmentation inquiétante de la moyenne des demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi durant les cinq dernières 1 années: 3.526 en 1993, 4.643 en 1994, 5.130 en 1995, 5.680 en 1996 et 6.357 en 1997».

Par requête déposée le 15 janvier 1999, Madame KOCAN-BABCIC a fait introduire un recours en annulation contre ledit arrêté ministériel du 19 octobre 1998.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir principalement que la décision attaquée serait insuffisamment motivée dans la mesure où les motifs énoncés dans l’arrêté ministériel litigieux seraient trop généraux et ne contiendraient aucune référence à sa situation particulière. Elle considère que la décision de refus d’un permis de travail devrait être motivée d’après les éléments de fait objectifs tirés du marché de l’emploi et qu’il faudrait dans cette optique analyser la situation particulière du demandeur d’emploi en question, ce que le ministre aurait omis d’effectuer dans le cas d’espèce.

A ce titre, elle soutient que son employeur n’aurait pas cherché une « personne quelconque » sans aucune qualification, mais qu’il aurait cherché une personne de confiance à qui il pouvait confier les clefs de l’hôtel et qui, outre les tâches ménagères, saurait préparer les petits-déjeuner pour les clients de l’hôtel. Elle relève que même si l’ADEM a assigné certaines personnes à l’employeur, ces dernières ne correspondraient pas au profil recherché.

Elle relève encore qu’il y aurait une contradiction entre les motifs consistant à dire, d’une part, que le permis de travail est refusé faute d’avoir introduit une déclaration de poste vacant et, d’autre part, que six personnes ont été assignées à l’employeur. Elle soutient que ou bien l’employeur n’aurait pas déclaré le poste vacant et dans ce cas l’ADEM n’aurait pas pu assigner des candidats ou bien l’employeur aurait déclaré une vacance de poste et dans ce cas l’ADEM aurait été en mesure d’assigner des candidats. Elle estime dès lors que la décision du 19 octobre 1998 devrait être annulée pour violation de la loi, sinon pour erreur de fait, sinon pour erreur manifeste d’appréciation.

Le délégué du gouvernement rétorque que la motivation de l’arrêté litigieux serait légale, réelle et suffisante.

Ensuite, le représentant étatique soutient que le ministre du Travail et de l’Emploi aurait le pouvoir de refuser un permis de travail pour des raisons liées à la situation, à l’évolution et à l’organisation du marché du travail. Or, les statistiques officielles renseigneraient que la situation du marché de l’emploi aurait été et serait toujours mauvaise, et que l’accès à l’emploi devrait été réservé aux demandeurs qui bénéficient d’une priorité.

Par ailleurs, dans la mesure où la « fonction de femme de charge rémunérée à concurrence du salaire social minimum » ne requerrait aucune qualification particulière, tous les 1.998 ouvriers non-qualifiés inscrits aux bureaux de placement auraient été concrètement disponibles. A ce titre, il soutient que « toute personne étant capable de nettoyer et de préparer un petit-déjeuner » et que la demanderesse ne serait rémunérée qu’à concurrence du salaire social minimum. Il soutient enfin que l’argument que l’employeur cherchait une personne qualifiée ne pourrait être avancé que par l’employeur même qui ne serait pas partie à l’instance. Quant au moyen tiré de la relation de confiance qui devrait exister entre l’employeur et le salarié, il estime qu’il s’agit d’une notion subjective qui ne pourrait se créer qu’une fois le poste occupé.

Le représentant étatique relève encore que la priorité à l’emploi des ressortissants de l’E.E.E. constitue une obligation imposée aux Etats membres de l’Union européenne par le 2 droit communautaire et qu’en cas de non-respect de cette obligation, l’Etat luxembourgeois risquerait d’être sanctionné par la Cour de Justice des Communautés européennes suite à un recours en manquement.

Quant au motif tiré de l’occupation irrégulière de la demanderesse depuis le 1er juillet 1998, ainsi que quant à celui tiré du fait que le poste de travail n’aurait pas été déclaré vacant, il se réfère aux dispositions des articles 4 du règlement grand-ducal du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et 9 de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, pour conclure qu’aucun contrat d’emploi n’aurait légalement pu se former au mépris de ces dispositions.

Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Une obligation de motivation expresse exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.

l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-

d’oeuvre étrangère, ni par le règlement grand-ducal d’exécution précité du 12 mai 1972.

En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et les circonstances de fait à sa base.

Dès lors que la motivation expresse d’une décision peut se limiter, conformément à l’article 6 précité, à un énoncé sommaire de son contenu, il suffit en l’occurrence, pour que l’acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment du refus, quitte à ce que l’administration concernée les complète a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours d’une procédure contentieuse (cf. Cour adm., 13 janvier 1998, Pas. adm. 1-

99, V° Travail, II. Permis de travail, n° 15 et autres références y citées).

En l’espèce, l’arrêté du 19 octobre 1998 énonce 5 motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère et il suffit ainsi aux exigences de l’article 6 précité, cette motivation étant utilement complétée par le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, de sorte que la demanderesse n’a pas pu se méprendre sur la portée à attribuer à la décision litigieuse.

L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit encore d’examiner si lesdits motifs sont de nature à justifier la décision attaquée.

L’article 10 (1) du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 précité dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés au travailleur étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».

3 Cette disposition trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi » et dans l’article 1er du règlement CEE précité n° 1612/68, qui dispose que « 1. Tout ressortissant d’un Etat membre, quelque soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2. Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles ».

Lesdits articles 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 et 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, confèrent à l’autorité investie du pouvoir respectivement d’octroyer et de renouveler le permis de travail, la faculté de le refuser en raison de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays (v. trav. parl. relatifs au projet de loi n° 2097, exposé des motifs, page 2).

Au voeu de l’article 28 de la loi précitée du 28 mars 1972, et de l’article 1er du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, seuls les travailleurs ressortissants des Etats membres de l’Union européenne (U.E.) et des Etats parties à l’Accord sur l’E.E.E. sont dispensés de la formalité du permis de travail.

En l’espèce, la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’U.E et de l’E.E.E. se justifie donc, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité yougoslave, c’est-à-dire originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’U.E. et des Etats parties à l’Accord sur l’E.E.E.

Après avoir vérifié que la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’U.E. et de l’E.E.E. est, en principe, justifiée en l’espèce, le tribunal doit encore examiner si des demandeurs d’emploi prioritaires aptes à occuper le poste vacant étaient concrètement disponibles sur le marché de l’emploi.

S’il faut, en principe, que le ministre établisse, in concreto, la disponibilité sur place de ressortissants d’un Etat membre de l’E.E.E., susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé, il n’en reste pas moins que l’employeur doit mettre l’ADEM en mesure d’établir cette disponibilité concrète de ressortissants de l’E.E.E., en introduisant auprès d’elle une déclaration de vacance de poste.

La déclaration de poste vacant, qui peut ressortir le cas échéant d’autres pièces ou documents introduits auprès de l’ADEM, doit être faite avant l’entrée en service du travailleur. Faute par l'employeur de ce faire, l'ADEM est mise dans l'impossibilité de lui assigner utilement des candidats et de rapporter ainsi la preuve de la disponibilité concrète de main-d'oeuvre apte à occuper le poste vacant, de sorte qu’aucune autorisation de travail ne saurait être délivrée au travailleur étranger (trib. adm. 30 avril 1998, Pas. adm. 1/99 V° Travail, II. Permis de travail, n° 11, p.175 et autres références y citées).

En l’espèce, il est constant en cause que l’employeur a introduit le 7 août 1998 auprès de l’ADEM une déclaration d’engagement pour un poste de femme de ménage, cette 4 déclaration valant demande en obtention d’un permis de travail pour Madame KOCAN-

BABCIC. Comme ladite déclaration mentionne comme date d’entrée en service le 1er juillet 1998, soit une date antérieure à la date d’introduction auprès de l’ADEM et que la demande d’embauche est limitée à une seule personne, l’administration n’était pas tenue d’assigner d’autres candidats à l’employeur qui n’avait manifestement pas l’intention d’engager une autre personne que celle nommément visée et d’ores-et-déjà entrée en service.

Le fait que nonobstant l’entrée en service de la demanderesse antérieurement à la remise de la déclaration d’engagement à l’ADEM, celle-ci a assigné des personnes susceptibles d’occuper le poste, qui en fait était déjà occupé par la demanderesse, est indifférent en l’espèce, étant donné qu’il ressort de cet engagement et de cette entrée en service préalable que l’employeur n’était pas disposé à engager une autre personne et plus particulièrement un ressortissant de l’U.E. ou de l’E.E.E. et que partant ces assignations étaient, ab initio, vouées à l’échec.

Dans ces circonstances, le ministre n’a pas été mis en mesure d’établir concrètement l’existence de travailleurs appropriés et disponibles sur place, qui auraient pu bénéficier d’une priorité d’emploi en leur qualité de ressortissant d’un Etat membre de l’U.E. ou de l’E.E.E., avant l’entrée en service effective de la demanderesse.

Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle de refus litigieuse se trouve légalement justifiée par les motifs analysés et le recours en annulation est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 15 juillet 1999, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11071
Date de la décision : 15/07/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-07-15;11071 ?

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