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14/07/1999 | LUXEMBOURG | N°10871

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 1999, 10871


Numéro 10871 du rôle Inscrit le 4 septembre 1998 Audience publique du 14 juillet 1999 Recours formé par Monsieur … MACHADO DE SOUSA, Luxembourg contre une décision de la ministre des Transports en matière de permis de conduire

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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10871, déposée le 4 septembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude WASSENICH, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de Monsieur … MACHADO DE SOUSA, demeurant à L-…, tendant à l’annulation pr...

Numéro 10871 du rôle Inscrit le 4 septembre 1998 Audience publique du 14 juillet 1999 Recours formé par Monsieur … MACHADO DE SOUSA, Luxembourg contre une décision de la ministre des Transports en matière de permis de conduire

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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10871, déposée le 4 septembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude WASSENICH, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MACHADO DE SOUSA, demeurant à L-…, tendant à l’annulation principalement d’une décision de la ministre des Transports du 10 juin 1998 confirmant, sur recours gracieux introduit le 5 mai 1998, sa décision du 25 mars 1998 portant retrait administratif de son permis de conduire des véhicules des catégories C, D et E, ainsi que, pour autant que de besoin, de la décision initiale;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 1998;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Claude WASSENICH, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 9 avril 1997, Monsieur … MACHADO DE SOUSA, demeurant à L-…, travaillant comme chauffeur-livreur auprès de la société X., fut victime d’un accident de la circulation avec un autre véhicule. Ayant subi des blessures à cette occasion, il dut arrêter son travail durant plusieurs mois.

Le 12 mai 1997, Monsieur MACHADO DE SOUSA fut convoqué pour le 4 juin 1997 devant la commission médicale auprès du ministère des Transports « aux fins de vérification de vos aptitudes physiques par la commission médicale instituée par les dispositions de l’article 90 du code de la route ». Dans un premier avis non daté, cette commission estima que le dossier devrait être soumis au docteur … pour avis. Par un nouvel avis du 25 juillet 1997, la même commission sollicita de Monsieur MACHADO DE SOUSA la présentation de deux rapports neurologiques datant de l’année 1993, ainsi que de résultats d’analyses effectuées en 1995, suite à un accident antérieur survenu le 15 avril 1993. Après consultation de ces documents, la commission proposa le 10 octobre 1997 à la ministre des Transports, ci-après appelée « la ministre », de requérir du docteur … une expertise concernant l’aptitude de Monsieur MACHADO DE SOUSA à conduire des camions et autobus, proposition qui fut entérinée par la ministre en date du 21 octobre 1997.

Le docteur … soumit son rapport concernant Monsieur MACHADO DE SOUSA le 21 novembre 1997 à la commission médicale. A partir d’une analyse circonstanciée de l’état de santé de l’intéressé et des séquelles des accidents par lui subis, ledit rapport dégage la conclusion que « d’après toutes ces considérations je suis d’avis que l’état de santé de Mr.

Machado ne constitue pas une contre-indication médicale formelle au permis de conduire ».

Par avis du 25 février 1998, la commission fit état d’une inspection du dossier par le docteur … le 28 janvier 1998 et de sa soumission pour avis au docteur … et formula à l’adresse de la ministre les propositions suivantes: « cf. entretien avec le Dr…: retrait permis CDE.

Nouvel examen neurologique dans 1 an. Accord permis B ».

Suivant arrêté du 25 mars 1998, la ministre retira à Monsieur MACHADO DE SOUSA les permis de conduire des catégories C, D et « D+E » au motif qu’il « souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ».

Par courrier du 5 mai 1998, le mandataire de Monsieur MACHADO DE SOUSA forma un recours gracieux contre cet arrêté en se fondant primordialement sur un avis médical du docteur … retenant notamment « qu’une capacité réduite de gérer le stress suite à cet accident est crédible et ma proposition était de le laisser dans sa profession mais de réduire la durée de travail pas nécessairement par journée mais peut-être par semaine ou par mois permettant au patient des plages de récupération. Je propose de réduire la durée de travail en fonction du pourcentage d’invalidité accordé ».

Ce recours gracieux fut cependant rencontré par une décision confirmative de la ministre du 10 juin 1998 prise sur avis de la commission médicale proposant de maintenir la décision antérieure en l’absence de fait nouveau et étant donné que « le certificat du Dr. … du 13 avril 1998 n’a aucune incidence sur la décision prise. Confirme son incapacité ».

A l’encontre de la décision confirmative du 10 juin 1998, ainsi que, pour autant que de besoin, contre la première décision du 25 mars 1998, Monsieur MACHADO DE SOUSA fit introduire un recours en annulation par requête déposée le 4 septembre 1998.

Encore à la suite de ce recours contentieux, le mandataire de Monsieur MACHADO DE SOUSA soumit au ministère de nouveaux certificats médicaux qui furent néanmoins rejetés, par prises de position des 2 septembre 1998 et 1er avril 1999, comme ne justifiant pas une décision en sens contraire.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en matière de retrait du permis de conduire, le recours en annulation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, étant entendu que la décision intiale du 25 mars 1998 et celle purement confirmative du 10 juin 1998 doivent être considérées comme formant un tout.

2 Quant au fond, le demandeur estime que l’article 2 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques confère à la ministre une faculté de prendre une mesure mais non pas une obligation de prendre une « sanction ». Tout en admettant que les rapports médicaux n’étaient pas en sa faveur au moment de la prise de la première décision, le demandeur renvoie aux certificats postérieurs pour considérer que le pouvoir discrétionnaire de l’administration ne peut avoir pour effet de priver l’administré de ses droits quand ceux-ci sont fondés et que, face aux éléments nouveaux résultant des dits certificats, la ministre aurait dû revenir sur sa décision et ordonner du moins un nouveau contrôle médical, étant donné que les faits ayant justifié les décisions attaquées n’étaient plus exacts. Il conclut ainsi à l’annulation des décisions litigieuses pour violation de la loi, sinon pour excès de pouvoir.

Le délégué du Gouvernement renvoie à l’article 77 point 5 du règlement grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, pour considérer que, sur base de cette disposition ainsi que des rapports médicaux versés et de l’examen du dossier par la commission médicale, la ministre était en droit de prendre la mesure en cause, le demandeur admettant par ailleurs lui-même que son état de santé laissait à désirer au moment de la prise des décisions déférées et que les rapports médicaux ne lui étaient pas favorables à cette époque. Il rappelle que dans le cadre d’un recours en annulation le juge administratif serait appelé à examiner la légalité de la procédure et à vérifier la matérialité des faits sur base desquels l’autorité administrative a pris sa décision, de sorte que l’argument du demandeur tendant à obliger la ministre à revenir sur sa décision confirmative suite à la production de nouveaux certificats médicaux après le réexamen du dossier ne saurait être accueilli.

Aux termes de l’article 2 paragraphe 1er de la loi prévisée du 14 février 1955, « le ministre des Transports ou son délégué délivre les permis de conduire civils; il peut refuser leur octroi, restreindre leur emploi ou leur validité, les suspendre et les retirer, refuser leur restitution, leur renouvellement ou leur transcription et même refuser l’admission aux épreuves si l’intéressé: … 4) souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ».

Cette disposition s’est vu conférer sa teneur actuelle par l’article 1er de la loi du 9 juillet 1982 modifiant et complétant la loi du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, alors que le texte initial du paragraphe 1er de l’article 2 de la loi prévisée du 14 février 1955 précisait seulement que « les permis de conduire civils seront délivrés, renouvelés et retirés par le ministre des Transports ou son délégué ». La modification législative est présentée dans les travaux parlementaires comme suit: « Cet article énonce le principe que le Ministre des Transports délivre tous les permis de conduire civils et que c’est lui également qui peut les renouveler. Le corollaire de ce principe veut que la même autorité puisse aussi les retirer ou les suspendre selon les cas, de même qu’elle puisse prendre des décisions allant du refus d’octroi, de renouvellement ou de transcription des permis de conduire jusqu’à la restriction de leur emploi ou de leur validité.

La faculté des mesures à prendre doit cependant être strictement limitée aux cas prévus par le texte de loi qui ne doit permettre aucune interprétation extensive » (doc. parl. 2505, exposé des motifs, p. 3, ad art. 1er).

Il suit ainsi de l’économie générale de ce texte législatif qu’il prévoit une certaine gradation des mesures dont le ministre est appelé à user afin d’assurer la sécurité sur les voies publiques, afin de proportionner la mesure prise à la gravité de la situation telle qu’elle se 3 présente à lui. Le retrait pur et simple, sans limitation dans le temps, constitue à l’égard d’un permis de conduire en cours de validité une mesure plus grave qu’une restriction temporaire de l’emploi ou de la validité, voire une suspension temporaire du permis de conduire.

Dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif vérifie l’exercice conforme de son pouvoir d’appréciation par l’administration en considération de la situation de droit et de fait au jour où la décision en cause a été prise (trib. adm. 23 décembre 1998, Muller, n° 10386 du rôle, Pas. adm. 1/99, v° recours en annulation, n° 11, et autres décisions y citées), de sorte que le moyen du demandeur tendant à voir reconnaître l’incidence en l’espèce des certificats médicaux postérieurs pour l’appréciation de la légalité des décisions déférées doit être écarté.

Il est constant que la commission médicale propose dans son avis du 25 février 1998 un nouvel examen neurologique dans un an et que tant l’avis de la commission médicale que les décisions attaquées des 25 mars et 10 juin 1998 ont limité la mesure du retrait aux catégories C, D et E tout en n’affectant pas le droit du demandeur de conduire des véhicules de la catégorie B. Il ressort encore des éléments de la cause que le demandeur a subi le 9 avril 1997 l’accident de la circulation qui est à l’origine directe de ses problèmes de santé en cause, tandis que la première décision attaquée a été prise le 25 mars 1998, soit presqu’un an plus tard. Il s’y ajoute que parmi les pièces versées au dossier administratif, les seules analyses médicales de l’état de santé du demandeur sont la référence, dans le premier avis non daté de la commission médicale, à un certificat du docteur … avec un résumé succinct de ses conclusions, ainsi que le rapport du docteur …, rédigé sur base de la demande afférente de la commission médicale du 10 octobre 1997. Ni l’un, ni l’autre ne fournissent néanmoins des indices d’un état de santé du demandeur si gravement affecté que sa capacité de conduire des véhicules des catégories C, D et E serait durablement mise en cause.

En présence d’une décision prise avec un écoulement de temps considérable depuis l’événement censé la justifier et faute de preuve d’infirmités ou de troubles dirimants, le retrait pur et simple du permis de conduire sans limitation de temps, même s’il se confine à certaines catégories de véhicules, doit être qualifié de mesure disproportionnée, alors que les éléments concrets de l’affaire n’auraient justifié au plus qu’une suspension prononcée dans un délai rapproché, limitée dans le temps et assortie d’un réexamen à la fin de la période de suspension.

La commission médicale elle-même conforte cette appréciation en suggérant dans son avis du 25 février 1998 un nouvel examen neurologique dans un an. Il s’ensuit que la ministre a commis en l’occurrence une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de l’article 2 de la loi prérelatée du 14 février 1955.

Les décisions attaquées ne se justifient non plus à l’égard de l’article 77 point 5. du règlement grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 précité qui dispose que « la délivrance et le renouvellement des catégories C, D ou E sous 2) sont refusés aux personnes qui sont atteintes ou qui ont souffert dans le passé de manifestations épileptiques, d’une maladie cérébrovasculaire ou d’une lésion de la moëlle épinière ayant entraîné une paraplégie ». En l’absence en effet d’un rapport médical circonstancié afférent, voire d’un avis motivé de la commission, la seule référence par cette dernière dans son avis du 25 février 1998 à une inspection du dossier par le docteur … et un avis oral du docteur …, sans que les dépositions circonstanciées de ces derniers ne soient connues, ne sauraient valoir comme preuve que les conditions d’application de cette disposition se trouvent vérifiées en l’espèce à l’époque des décisions prises.

4 Il résulte de ces développements que le recours est fondé et que les décisions attaquées des 25 mars 1998 et 10 juin 1998 encourent l’annulation.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours en annulation recevable en la forme, au fond le dit justifié, partant annule les décisions ministérielles des 25 mars 1998 et 10 juin 1998, renvoie l’affaire devant la ministre des Transports, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 juillet 1999 par:

M DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT DELAPORTE 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 10871
Date de la décision : 14/07/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-07-14;10871 ?

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