La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/07/1999 | LUXEMBOURG | N°10672

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 1999, 10672


N° 10672 du rôle Inscrit le 20 avril 1998 Audience publique du 14 juillet 1999

===========================

Recours formé par Monsieur … RASTODER contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

--------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10672 et déposée le 20 avril 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem

bourg, au nom de Monsieur … RASTODER, de nationalité yougoslave, demeurant à L-4754 Pétang...

N° 10672 du rôle Inscrit le 20 avril 1998 Audience publique du 14 juillet 1999

===========================

Recours formé par Monsieur … RASTODER contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

--------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10672 et déposée le 20 avril 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RASTODER, de nationalité yougoslave, demeurant à L-4754 Pétange, 35, rue de la Liberté, tendant à l’annulation d’une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 23 janvier 1998, lui refusant le permis de travail sollicité;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 1998;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Caroline ROLLER, en remplacement de Maître Jean-Georges GREMLING, et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------

----------

Le 20 octobre 1997, la société X., établie à L-…, introduisit auprès de l’administration de l’Emploi, ci-après dénommée « l’ADEM », une déclaration d’engagement, datée du 1er octobre 1997, tenant lieu de demande en obtention d’un permis de travail en faveur de Monsieur … RASTODER, de nationalité yougoslave, pour un poste de manoeuvre. La prédite déclaration indique comme date d’entrée en service le 15 octobre 1997.

Le permis de travail fut refusé à Monsieur RASTODER par arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après le « ministre », du 23 janvier 1998, aux motifs suivants: « -des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place: 219 manoeuvres en bâtiment inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi; - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.); - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur; - augmentation inquiétante du nombre de demandeurs d’emploi inscrits 1 aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi durant les quatre dernières années: 4.317 en 1993, 5.115 en 1994, 6.369 en 1996 et 6.544 en 1997 ».

A l’encontre de l’arrêté du 23 janvier 1998, Monsieur RASTODER a fait introduire un recours en annulation par requête déposée en date du 20 avril 1998 « pour violation de la loi, sinon pour insuffisance des motifs, équivalent à une absence de motifs, sinon pour erreur manifeste d’appréciation ».

Concernant les motifs tirés de la situation difficile du marché de l’emploi et de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.), le demandeur soutient que si l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.

l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère prévoit que l’octroi d’un permis de travail peut être refusé à un étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, le refus du permis de travail serait néanmoins facultatif, dans la mesure où le ministre disposerait d’une faculté d’appréciation pour refuser ou non un permis de travail, même en cas de situation difficile du marché, si des considérations particulières militeraient en sa faveur. Il estime dès lors que le ministre, en ne tenant pas compte de sa situation particulière, aurait commis une erreur d’appréciation des éléments de fait et de droit.

Il expose à cet effet qu’il aurait des liens particulièrement étroits avec le Grand-

Duché de Luxembourg, notamment à cause du fait que sa fille y serait née et que ses 3 frères et sa soeur se trouveraient également au Luxembourg, où ils seraient parfaitement intégrés. Il relève encore que ses frères et sa soeur seraient propriétaires de leur immeuble d’habitation. Il soutient que lui et son épouse feraient tous les efforts nécessaires pour s’intégrer au Luxembourg et il souligne que l’entreprise X. serait prête à l’engager dès qu’il bénéficierait d’un permis de travail.

Concernant le motif tiré de ce que 219 manoeuvres en bâtiment seraient inscrits auprès de l’ADEM, il considère que ce moyen devrait encourir l’annulation, étant donné qu’il violerait le principe du « libre choix de ses salariés qui doit appartenir à chaque employeur ».

Le demandeur fait encore contester l’obligation de déclarer le poste vacant par l’employeur avant d’introduire une déclaration d’engagement, au motif que ni l’article 4 du règlement grand-ducal du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, ni l’article 9 de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, ni encore aucun autre texte ne contiendrait cette exigence.

Le délégué du gouvernement fait valoir en premier lieu que le ministre peut refuser le permis de travail s’il existe des motifs réels qui ont trait à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi. Or, tant la situation sur le marché luxembourgeois que celle sur le marché européen de l’emploi, avec un taux croissant de chômage et avec de nombreuses demandes de travail émanant surtout d’ouvriers non qualifiés, permettraient de prendre une telle décision. Il précise encore qu’au moment de la prise de décision, 219 manoeuvres en bâtiment étaient à la 2 recherche d’un emploi, dont bon nombre émaneraient d’entreprises de construction déclarées en état de faillite au cours de l’année 1997.

Il estime encore que le moyen tiré de ce que la décision de refus du permis de travail violerait la liberté du chef d’entreprise de choisir les personnes qu’il entend employer ne saurait être invoqué que par l’employeur, qui ne serait pas partie à la présente affaire. En outre, il soutient que sur base des textes de loi applicables le ministre pourrait légitimement s’immiscer dans l’organisation de l’entreprise de l’employeur.

Le représentant étatique relève en deuxième lieu que la priorité à l’emploi des ressortissants de l’E.E.E. constitue une obligation imposée aux Etats membres de l’Union européenne par le droit communautaire et qu’en cas de non-respect de cette obligation, l’Etat luxembourgeois risquerait d’être sanctionné par la Cour de Justice des Communautés Européennes suite à un recours en manquement.

Quant au reproche que la décision attaquée n’aurait pas pris en considération les liens particuliers que le demandeur aurait avec le Luxembourg, le délégué du gouvernement relève qu’une telle dérogation au principe de la priorité de l’emploi aux ressortissants de l’E.E.E. ne serait prévue par aucun texte légal.

Quant au motif tiré de ce que le poste de travail n’aurait pas été déclaré vacant, il se réfère aux dispositions des articles 9 de la loi précitée du 21 février 1976 et 4 du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, pour conclure qu’aucun contrat d’emploi n’aurait légalement pu se former au mépris de ces dispositions. Par ailleurs, faute de déclarer un poste vacant, et compte tenu de la limitation de la déclaration d’engagement au seul demandeur, l’ADEM n’aurait pas été tenue d’assigner des candidats à l’employeur.

Le délégué du gouvernement constate encore que le demandeur n’avait et n’a pas d’autorisation de séjour au Luxembourg et qu’en date du 28 juillet 1998, il a été invité à quitter le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. Dans ce contexte, il affirme que l’absence de toute autorisation de séjour, voire l’invitation de quitter le Luxembourg, constituerait un motif de refus du permis de travail. Par ailleurs, cette situation le mettrait sur un pied d’égalité avec un travailleur recruté à l’étranger et partant l’article 16 de la loi précitée du 21 février 1976 devrait être respecté.

Le recours en annulation, introduit suivant les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Le reproche d’une absence ou insuffisance de motivation de la décision attaquée est à abjuger, dès lors que l’arrêté ministériel attaqué ensemble le complément de motivation fourni en cours d’instance par le délégué du gouvernement indiquent de manière suffisamment détaillée les motifs en droit et en fait sur lesquels l’administration s’est basée pour justifier sa décision de refus d’accorder le permis de travail sollicité, de sorte que le demandeur n’a pas pu se méprendre sur la portée à attribuer à la décision litigieuse.

3 A la base de sa décision de refus, le ministre a invoqué, entre autres, comme motifs de refus, la priorité à accorder à l’emploi de ressortissants de l’E.E.E., en soutenant en outre que de tels demandeurs d’emploi seraient disponibles sur place. Le tribunal est partant amené à analyser ces deux motifs pris en leur ensemble.

L’article 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés au travailleur étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».

Cette disposition trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi » et dans l’article 1er du règlement CEE précité n° 1612/68, qui dispose que « 1. Tout ressortissant d’un Etat membre, quelque soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2. Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles ».

Lesdits articles 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 et 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, confèrent à l’autorité investie du pouvoir respectivement d’octroyer et de renouveler le permis de travail, la faculté de le refuser en raison de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays (v. trav. parl. relatifs au projet de loi n° 2097, exposé des motifs, page 2).

Au voeu de l’article 28 de la loi précitée du 28 mars 1972, et de l’article 1er du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, seuls les travailleurs ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’E.E.E sont dispensés de la formalité du permis de travail.

En l’espèce, la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’E.E.E. se justifie donc, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité yougoslave, c’est-à-dire originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’E.E.E.

S’il faut cependant encore, en principe, que le ministre établisse, in concreto, la disponibilité sur place de ressortissants d’un Etat membre de l’E.E.E., susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé, il n’en reste pas moins que, par l’effet combiné des 4 articles 9 de la loi précitée du 21 février 1976, qui pose une obligation générale de déclarer toute vacance de poste à l’ADEM et 4 du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, qui interdit l’occupation d’un travailleur étranger non muni d’un permis sans avoir au préalable fait une déclaration à l’ADEM relative au poste de travail à occuper, l’omission de l’employeur de déclarer son intention d’engager un travailleur provenant d’un Etat tiers dans un délai utile préalablement à la date projetée d’entrée en service met l’ADEM dans l'impossibilité de lui assigner utilement des candidats et de rapporter ainsi la preuve de la disponibilité concrète de main-d'oeuvre apte à occuper le poste vacant, de sorte qu’aucune autorisation de travail ne saurait être délivrée au travailleur étranger.

En l’espèce, il est constant qu’en date du 20 octobre 1997, l’employeur a introduit auprès de l’ADEM une déclaration d’engagement datée au 1er octobre 1997 pour un poste de manoeuvre, cette déclaration valant demande en obtention d’un permis de travail pour Monsieur RASTODER. Comme ladite déclaration mentionne comme date d’entrée en service le 15 octobre 1997, soit une date antérieure à la date d’introduction auprès de l’ADEM, l’administration a été mise dans l'impossibilité d’assigner utilement d’autres candidats à l’employeur.

Dans ces circonstances, le ministre n’a pas été mis en mesure d’établir concrètement l’existence de travailleurs appropriés et disponibles sur place, qui auraient pu bénéficier d’une priorité d’emploi en leur qualité de ressortissant d’un Etat membre de l’Union Européenne ou d’un Etat membre de l’E.E.E.

Ce raisonnement ne saurait être énervé par la prise en considération de la situation familiale du demandeur. En effet, c’est à tort qu’il soutient que la loi prévoirait des dérogations au principe de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’E.E.E. dans des cas particuliers tels que le sien, alors qu’aucun texte de loi applicable en la matière ne prévoit une telle dérogation. Il est cependant certain qu’en cas de présence de main-d’oeuvre prioritaire et disponible pour occuper l’emploi en question, le ministre, sous peine de violer la loi, doit refuser aux étrangers non ressortissants d’un Etat membre de l’Union Européenne ou de l’E.E.E. l’octroi d’un permis de travail.

C’est également à tort que le demandeur estime que par la décision de refus d’accorder un permis de travail, le ministre restreindrait illégalement la liberté d’un chef d’entreprise de choisir les personnes qu’il entend employer. En effet, le ministre peut légitimement s’immiscer dans l’organisation de l’entreprise de l’employeur, sur base des textes de loi applicables, notamment par référence à l’accès prioritaire aux emplois disponibles des ressortissants d’un Etat membre de l’Union Européenne ou de l’E.E.E., qui implique une limitation à la liberté de l’employeur de recruter les personnes qu’il veut engager.

Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle de refus litigieuse se trouve légalement justifiée en droit et en fait.

Etant donné que la décision se justifie pour le motif analysé ci-dessus, l’examen des autres motifs, sur lesquels le ministre a encore basé sa décision de refus du 23 5 janvier 1998, devient surabondant et le recours en annulation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 14 juillet 1999 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10672
Date de la décision : 14/07/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-07-14;10672 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award