N° 10663 du rôle Inscrit le 10 avril 1998 Audience publique du 14 juillet 1999
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Recours formé par Monsieur … LIBDIRI contre deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10663 et déposée le 10 avril 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … LIBDIRI, de nationalité algérienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation de deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi intervenues respectivement les 30 décembre 1997 et 16 mars 1998, la première refusant de lui accorder le permis de travail sollicité, et la seconde rejetant un recours gracieux exercé contre la première décision;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 novembre 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Caroline ROLLER, en remplacement de Maître Jean-Georges GREMLING, et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Le 27 octobre 1997, la société X. sàrl, établie à L-…, exploitant un restaurant, introduisit auprès de l’administration de l’Emploi, ci-après dénommée « l’ADEM », une déclaration d’engagement, tenant lieu de demande en obtention d’un permis de travail en faveur de Monsieur … LIBDIRI, de nationalité algérienne, pour le poste d’ouvrier-plongeur. La prédite déclaration indique comme date d’entrée en service le 15 octobre 1997.
Le permis de travail a été refusé à Monsieur LIBDIRI par arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après le « ministre », du 30 décembre 1997, aux motifs suivants: « -des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place: 2.459 ouvriers non-qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi; - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.); - occupation irrégulière depuis le 15 1 octobre 1997; - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur; - augmentation inquiétante du nombre de demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’emploi durant les quatre dernières années: 4.317 en 1993, 5.115 en 1994, 6.369 en 1996 et 6.544 en 1997 ».
Sur recours gracieux du 2 mars 1998, introduit par le mandataire de Monsieur LIBDIRI, le ministre a confirmé, en date du 16 mars 1998, sa décision initiale du 30 décembre 1997.
A l’encontre de l’arrêté du 30 décembre 1997 ainsi que de la décision confirmative du 16 mars 1998, Monsieur LIBDIRI a fait introduire un recours en annulation par requête déposée en date du 10 avril 1998 « pour violation de la loi, sinon pour insuffisance des motifs, équivalent à une absence de motifs, sinon pour erreur manifeste d’appréciation ».
Concernant les motifs tirés de la situation difficile du marché de l’emploi et de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.), le demandeur soutient que si l’article 27 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.
l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère prévoit que l’octroi d’un permis de travail peut être refusé à un étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, le refus du permis de travail serait néanmoins facultatif, dans la mesure où le ministre disposerait d’une faculté d’appréciation pour refuser ou non un permis de travail, même en cas de situation difficile du marché, si des considérations particulières militeraient en sa faveur. Il estime dès lors que le ministre, en ne tenant pas compte de sa situation particulière, aurait commis une erreur d’appréciation des éléments de fait et de droit.
Il expose à cet effet qu’il aurait résidé et travaillé pendant plus de 10 ans en Espagne et qu’il y aurait disposé d’un permis de travail et de séjour. Même s’il est de nationalité algérienne, il ne saurait néanmoins être considéré comme un nouveau demandeur d’emploi au sein de l’E.E.E. du fait de son occupation antérieure sur le territoire d’un Etat membre. Il considère devoir être assimilé à un demandeur d’emploi de l’E.E.E., notamment parce qu’il aurait abandonné un poste de travail en Espagne qui aurait pu être occupé par un autre demandeur d’emploi de l’E.E.E.. Il conclut que le ministre du Travail et de l'Emploi, en lui refusant le permis de travail, aurait fait une application erronée de l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972 et il aurait également violé le principe de la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union Européenne.
Il reproche encore au ministre de ne pas avoir tenu compte des « raisons familiales impérieuses » qui l’auraient conduit à abandonner son poste de travail en Espagne. A ce titre, il fait valoir qu’il serait venu au Grand-Duché de Luxembourg pour assister financièrement et moralement sa soeur, qui serait domiciliée à Luxembourg et qui aurait vécu un divorce particulièrement éprouvant. Il ajoute que sa soeur aurait gravement souffert des sévices de son mari qui continuerait à la harceler malgré une « condamnation correctionnelle ».
2 Le demandeur fait encore contester l’obligation de déclarer le poste vacant par l’employeur avant d’introduire une déclaration d’engagement, au motif que ni l’article 4 du règlement grand-ducal du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, ni l’article 9 de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, ni encore aucun autre texte ne contiendrait une telle exigence.
Le délégué du gouvernement fait valoir en premier lieu que le ministre peut refuser le permis de travail s’il existe des motifs réels qui ont trait à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi. Or, tant la situation sur le marché luxembourgeois que celle sur le marché européen de l’emploi, avec un taux croissant de chômage et avec de nombreuses demandes de travail émanant surtout d’ouvriers non qualifiés, permettraient de prendre une telle décision. Il précise encore que, dans la mesure où la fonction de plongeur ne nécessiterait aucune qualification particulière, tous les ouvriers non qualifiés entreraient en ligne de compte pour occuper le poste en question. Or, au moment de la prise de décision, 2.459 ouvriers non qualifiés auraient été inscrits comme demandeurs d’emplois aux bureaux de placement publics. Il fait enfin valoir que malgré le fait que l’ADEM n’était pas tenue d’assigner des demandeurs d’emploi à l’employeur faute de déclaration de poste vacant, elle aurait néanmoins adressé en date du 2 décembre 1997 une lettre à l’employeur l’informant qu’elle était en mesure de lui assigner des candidats appropriés.
Le représentant étatique relève en deuxième lieu que la priorité à l’emploi des ressortissants de l’E.E.E. constitue une obligation imposée aux Etats membres de l’Union européenne par le droit communautaire et qu’en cas de non-respect de cette obligation, l’Etat luxembourgeois risquerait d’être sanctionné par la Cour de Justice des Communautés européennes suite à un recours en manquement. Le fait que le demandeur aurait résidé et travaillé pendant dix ans en Espagne serait sans incidence, étant donné que même dans cette hypothèse, aucune disposition légale ou réglementaire ne donnerait à un non-ressortissant de l’E.E.E. des droits assimilables à ceux des ressortissants de l’E.E.E.
Quant au motif tiré de l’occupation irrégulière du demandeur depuis le 15 octobre 1997, ainsi que quant à celui tiré du fait que le poste de travail n’aurait pas été déclaré vacant, il se réfère aux dispositions des articles 9 de la loi précitée du 21 février 1976 et 4 du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 pour conclure qu’aucun contrat d’emploi n’aurait légalement pu se former au mépris de ces dispositions.
Le délégué du gouvernement constate encore que le demandeur n’avait et n’a toujours pas d’autorisation de séjour au Luxembourg. Cette situation le mettrait sur un pied d’égalité avec un travailleur recruté à l’étranger et partant l’article 16 de la loi précitée du 21 février 1976 devrait être respecté.
Le recours en annulation, introduit par ailleurs suivant les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
Le reproche d’une absence ou insuffisance de motivation de la décision attaquée est à abjuger, dès lors que l’arrêté ministériel attaqué ensemble le complément 3 de motivation fourni en cours d’instance par le délégué du gouvernement indiquent de manière suffisamment détaillée les motifs en droit et en fait sur lesquels l’administration s’est basée pour justifier sa décision de refus d’accorder le permis de travail sollicité, de sorte que le demandeur n’a pas pu se méprendre sur la portée à attribuer aux décisions litigieuses.
A la base de sa décision de refus, le ministre a invoqué, entre autres, comme motifs de refus, la priorité à accorder à l’emploi de ressortissants de l’E.E.E., en soutenant en outre que de tels demandeurs d’emploi seraient disponibles sur place. Le tribunal est partant amené à analyser ces deux motifs pris en leur ensemble.
L’article 10 (1) du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 précité dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés au travailleur étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».
Cette disposition trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi » et dans l’article 1er du règlement CEE précité n° 1612/68, qui dispose que « 1. Tout ressortissant d’un Etat membre, quelque soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2. Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles ».
Lesdits articles 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 et 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, confèrent à l’autorité investie du pouvoir respectivement d’octroyer et de renouveler le permis de travail, la faculté de le refuser en raison de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays (v. trav. parl. relatifs au projet de loi n° 2097, exposé des motifs, page 2).
Au voeu de l’article 28 de la loi précitée du 28 mars 1972, et de l’article 1er du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, seuls les travailleurs ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’E.E.E sont dispensés de la formalité du permis de travail.
Cette réglementation s’applique d’abord aux ressortissants luxembourgeois et, ensuite, par assimilation, sur base de la réglementation communautaire, aux ressortissants des Communautés Européennes voire aux ressortissants de l’E.E.E. Le demandeur soutient à tort qu’il devrait être assimilé à un demandeur d’emploi 4 ressortissant de l’E.E.E., en considération du fait qu’il aurait résidé et travaillé pendant plus de dix ans en Espagne. En effet, force est de constater qu’aucune disposition légale ou réglementaire, nationale ou communautaire, ne prévoit que dans ces conditions un non-ressortissant de l’E.E.E. aurait les mêmes droits qu’un ressortissant de l'E.E.E. et qu’il pourrait accéder à une activité salariée sur le territoire d’un autre Etat membre dans les mêmes conditions qu’un ressortissant de l’E.E.E.
En l’espèce, la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’E.E.E. se justifie donc, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité algérienne, c’est-à-dire originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’E.E.E.
S’il faut cependant encore, en principe, que le ministre établisse, in concreto, la disponibilité sur place de ressortissants d’un Etat membre de l’Espace Economique Européen, susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé, il n’en reste pas moins que l’employeur doit mettre l’ADEM en mesure d’établir cette disponibilité concrète de ressortissants de l’E.E.E., en introduisant auprès d’elle une déclaration de vacance de poste. La déclaration de poste vacant, qui peut ressortir le cas échéant d’autres pièces ou documents introduits auprès de l’ADEM, doit être faite avant l’entrée en service du travailleur. Faute par l'employeur de ce faire, l'ADEM est mise dans l'impossibilité de lui assigner utilement des candidats et de rapporter ainsi la preuve de la disponibilité concrète de main-d'oeuvre apte à occuper le poste vacant, de sorte qu’aucune autorisation de travail ne saurait être délivrée au travailleur étranger (trib. adm. 30 avril 1998, Pas. adm. 1/99 V° Travail, II. Permis de travail, n° 11, p.175 et autres références y citées).
En l’espèce, il est constant en cause que l’employeur a introduit le 27 octobre 1997 auprès de l’ADEM une déclaration d’engagement pour un poste d’ouvrier-
plongeur, cette déclaration valant demande en obtention d’un permis de travail pour Monsieur LIBDIRI. Comme ladite déclaration mentionne comme date d’entrée en service le 15 octobre 1997, soit une date antérieure à la date d’introduction auprès de l’ADEM et que la demande d’embauche est limitée à une seule personne, l’administration n’était pas tenue d’assigner d’autres candidats à l’employeur qui n’avait manifestement pas l’intention d’engager une autre personne que celle nommément visée et d’ores-et-déjà entrée en service. Ce raisonnement est confirmé par le fait que l’employeur, averti par l’ADEM qu’elle serait en mesure de lui assigner des candidats appropriés et qu’à cette fin, elle demandait à l’employeur de la contacter, afin de lui communiquer une date et une plage horaire pour l’assignation des candidats retenus pour le poste de plongeur, n’a donné aucune suite à cette invitation.
Dans ces circonstances, le ministre n’a pas été mis en mesure d’établir concrètement l’existence de travailleurs appropriés et disponibles sur place, qui auraient pu bénéficier d’une priorité d’emploi en leur qualité de ressortissant d’un Etat membre de l’E.E.E.
5 Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle de refus litigieuse se trouve légalement justifiée en droit et en fait sur base du motif analysé ci-
dessus.
Ce raisonnement ne saurait être énervé par la prise en considération de la situation familiale du demandeur. En effet, c’est à tort qu’il soutient que la loi prévoirait des dérogations au principe de la priorité à l’emploi des ressortissants de l’E.E.E. dans des cas particuliers tels que celui du demandeur, alors qu’aucun texte de loi applicable en la matière ne prévoit une telle dérogation. Il est cependant certain qu’en cas de présence de main-d’oeuvre prioritaire et disponible pour occuper l’emploi en question, le ministre, sous peine de violer la loi, doit refuser aux étrangers non ressortissants de l’E.E.E. l’octroi d’un permis de travail.
Etant donné que la décision se justifie pour le motif analysé ci-dessus, l’examen des autres motifs, sur lesquels le ministre a encore basé sa décision de refus du 30 décembre 1997, confirmée sur recours gracieux le 16 mars 1998, devient surabondant et le recours en annulation est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 14 juillet 1999 par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
Legille Schockweiler 6