N° 11222 du rôle Inscrit le 29 mars 1999 Audience publique du 12 juillet 1999
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Recours formé par Monsieur … MULLER contre une décision du ministre de la Culture en matière de discipline
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 11222 et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mars 1999 par Maître Luc SCHAACK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MULLER, fonctionnaire, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’un arrêté du ministre de la Culture du 19 mars 1999 par lequel il a été suspendu avec effet immédiat de ses fonctions de directeur de la Bibliothèque nationale;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mai 1999 par Maître Jean HOSS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son ministre de la Culture;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Alex MERTZIG, demeurant à Diekirch, du 27 mai 1999, portant signification de ce mémoire en réponse à Monsieur … MULLER;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Luc SCHAACK, Jean HOSS et Patrick SANTER en leurs plaidoiries respectives.
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Monsieur … MULLER, fonctionnaire, demeurant à L-…, a été engagé au service de l’Etat, au cours de l’année 1990, en tant qu’attaché d’administration, après avoir réussi l’examen d’admission à la carrière supérieure de l’Etat.
Après avoir exercé ses fonctions pendant six ans au service Information et Presse du gouvernement, il a été nommé directeur de la Bibliothèque nationale par arrêté grand-ducal du 14 avril 1997.
Par lettre recommandée du 31 juillet 1998, le ministre de la Culture informa Monsieur MULLER qu’à la suite d’un audit mené par la firme … sur le fonctionnement de la Bibliothèque nationale, conclusions dont Monsieur MULLER aurait pu prendre connaissance et dont le ministre et Monsieur MULLER auraient discuté lors d’une entrevue en date du 16 juillet 1998, « il présumait qu’il n’a pas su », depuis sa nomination comme directeur de la Bibliothèque nationale, assumer sa tâche « comme il faudrait ». Après avoir cité un extrait dudit rapport d’audit, le ministre porta à la connaissance de Monsieur MULLER que « pour éclaircir la situation et notamment savoir si vous avez commis des fautes professionnelles, je voudrais vous informer qu’en référence à l’article 56, 3 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, je viens d’ordonner à votre égard une instruction disciplinaire. L’instruction pourra être élargie, au fur et à mesure qu’elle progresse, à d’autres aspects, situations dont vous seriez évidemment informé en dû temps ».
Il l’informa enfin de ce qu’il venait de déléguer Monsieur X., premier conseiller de gouvernement, chargé de la direction du ministère de la Culture, conformément à l’article 56, 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, pour procéder à l’égard de Monsieur MULLER à une instruction préalable dans le cadre du régime disciplinaire des fonctionnaires.
Par une note de service en date du même jour, le ministre de la Culture chargea Monsieur X., préqualifié, de procéder à l’encontre de Monsieur MULLER à une instruction préalable dans le cadre de la procédure disciplinaire des fonctionnaires, telle qu’elle est prévue par les articles 56-73 de la loi précitée du 16 avril 1979, en l’informant que sur base du rapport d’audit précité de la firme …, il présumait que Monsieur MULLER n’aurait pas su, « depuis sa nomination comme directeur de la Bibliothèque nationale, assumer sa tâche comme il faudrait ».
Par règlement grand-ducal du 3 août 1998, une commission de surveillance a été instituée auprès de la Bibliothèque nationale avec la mission de conseiller le directeur de ladite bibliothèque en vue de « rétablir et développer les fonctions de la Bibliothèque nationale du Luxembourg ». En vertu de l’article 7 dudit règlement grand-ducal, ladite commission de surveillance a été nommée pour la durée d’un an renouvelable et elle devra, au terme de sa mission, établir un rapport d’évaluation à adresser au ministre de la Culture.
A la suite de plusieurs entrevues, non seulement avec Monsieur MULLER mais également avec d’autres membres du personnel de la Bibliothèque nationale, dans le cadre de l’instruction du dossier disciplinaire, Monsieur X. remit à Monsieur MULLER, au cours d’une réunion qui s’est tenue en date du 17 décembre 1998, un projet de rapport à soumettre au ministre de la Culture, en vue de recueillir ses observations éventuelles.
Le ministre de la Culture convoqua Monsieur MULLER, par courrier du 21 décembre 1998, à une entrevue fixée au 7 janvier 1999, en l’informant qu’il lui était possible « soit de classer l’affaire, soit de prononcer à votre encontre une des trois premières sanctions telles que prévues par la loi [précitée du 16 avril 1979], soit de transmettre votre dossier au Conseil de discipline » en l’informant encore qu’il « envisage, au cas où la procédure disciplinaire continuerait, de vous suspendre, par application de l’article 48, 1 de la loi précitée. Si tel devait être le cas, vous aurez le droit de présenter vos explications (article 51,1 de la loi précitée) lors de la réunion susvisée ».
Par lettre du 25 décembre 1998 adressée à Monsieur X., Monsieur MULLER prit position en détail, non seulement sur le projet de note précité de Monsieur X. mais également sur d’autres aspects du fonctionnement de la Bibliothèque nationale. En conclusion à cette note, longue de neuf pages, Monsieur MULLER affirma « qu’au ministère de la Culture, on m’a empêché et on continue à m’empêcher de remplir ma fonction directoriale définie par la loi ».
Le projet de rapport dont Monsieur MULLER reçut une copie en date du 17 décembre 1998, fut finalisé par Monsieur X. en date du 4 janvier 1999 en vue de sa remise au ministre de la Culture.
2 Monsieur X., en sa qualité de chargé de l’enquête préalable dirigée contre Monsieur MULLER, soumit au ministre de la Culture une note portant la date du 1er mars 1999, qui retient, dans les grandes lignes, les reproches suivants adressés à l’encontre de Monsieur MULLER, tel que cela ressort du chapitre « conclusions » des pages 14 à 16 de ladite note:
1. Incompétence administrative, en ce qu’il ferait preuve d’une « inaptitude générale tant dans l’administration courante que quotidienne, dans le traitement de la correspondance, dans les rapports avec les lecteurs et les collègues étrangers », en notant que « les responsabilités ne sont pas clairement définies ni réparties entre les membres de la Bibliothèque nationale »;
2. Inaptitude dans la gestion du personnel et dans les relations individuelles avec lui, en ce qu’il aurait commis des « maladresses, provocations voire agressions verbales, manque de communication générale, gestion par oukases, interventions intempestives dans les services, parfois au point de les désorganiser », en suscitant un climat de méfiance générale et en ce que des haines inexpiables seraient nées des humiliations qu’il aurait infligées à certains membres de son personnel;
3. Incompétence « bibliothéconomique »;
4. Inaptitude d’exécuter ses fonctions de directeur, en ce qu’il aurait été incapable « d’exécuter la mission principale de la Bibliothèque nationale », qu’il y aurait un « classement physique défaillant, et un non-catalogage des nouvelles entrées », qu’il n’aurait pas de politique d’acquisition, qu’il se perdrait « dans des détails » et qu’il n’aurait pas de « concept cohérent sur le rôle de la Bibliothèque nationale et de sa mission comme directeur »;
5. Attitude incorrecte à l’égard de ses supérieurs prouvée par le fait qu’il « ne répond pas à des convocations », qu’il « ne répond pas, ou seulement avec un retard considérable aux demandes du ministère », qu’il donne « au ministère des informations erronées ou incomplètes », qu’il « n’exécute pas les ordres reçus », qu’il ne « communique pas avec le ministre » et qu’il aurait détruit la base de confiance nécessaire pour y asseoir une collaboration franche de la part du ministre.
En conclusion, Monsieur X. a indiqué qu’il « estime donc que Monsieur MULLER n’est pas apte à remplir ses obligations de directeur d’un grand institut culturel comme la Bibliothèque nationale » et que « selon son appréciation, les fautes imputables à Monsieur MULLER sont d’une gravité telle que les sanctions mineures prévues à l’article 56, 6 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat ne paraissent guère appropriées pour être appliquées en l’occurrence. Partant, ce serait l’une des sanctions plus lourdes qui s’appliquerait, sous réserve de votre appréciation. Je vous conseille donc de saisir le Conseil de discipline de ce dossier ».
Par lettre du 16 mars 1999 adressée à Monsieur MULLER, le ministre de la Culture informa ce dernier de ce que « les faits établis sont d’une gravité telle que les sanctions mineures prévues à l’article 56, 6 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat n’entrent pas en ligne de compte. Partant j’ai décidé de transmettre le dossier de l’instruction préalable au Conseil de discipline par l’intermédiaire de Monsieur le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, au voeu de l’article 56, 6 de la loi précitée ».
3 Par courrier du même jour, le ministre de la Culture invita Monsieur MULLER à participer à un entretien en vue de discuter de divers problèmes concernant la Bibliothèque nationale, de son rôle « dans ces problèmes » ainsi que des conclusions qu’il conviendrait d’en tirer, en l’informant d’ores et déjà qu’il envisageait de faire prononcer à son encontre une suspension de ses fonctions de directeur de la Bibliothèque nationale par application de l’article 48, 1 de la loi précitée du 16 avril 1979 et en l’invitant à présenter ses explications éventuelles, conformément à l’article 51, 1 de ladite loi, lors d’une entrevue fixée au 17 mars 1999.
Après avoir refusé de se voir délivrer les deux lettres précitées datées du 16 mars 1999, qu’un « messager » du ministre de la Culture a entendu lui remettre, ces lettres ont été envoyées par télécopieur et ensuite remises par un huissier de justice à Monsieur MULLER.
Lors de l’entrevue qui s’est tenue en date du 17 mars 1999, Monsieur MULLER s’est présenté ensemble avec son conseil juridique. Il ressort d’un procès-verbal de l’entrevue en question, rédigé par un fonctionnaire du ministère de la Culture, qu’au cours de cette entrevue le ministre de la Culture l’informa qu’il « soumettra une proposition de suspension au Conseil de gouvernement ».
Par arrêté du 19 mars 1999, le ministre de la Culture a suspendu Monsieur MULLER de ses fonctions de directeur de la Bibliothèque nationale avec effet immédiat, en se référant notamment à l’instruction disciplinaire ordonnée par lui à l’encontre de Monsieur MULLER le 31 juillet 1998, au procès-verbal précité du 17 mars 1999 et à un arrêté grand-ducal du 19 mars 1999 portant transmission du dossier au Conseil de discipline.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 mars 1999, Monsieur MULLER a introduit un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel précité du 19 mars 1999.
En vertu de l’article 54, paragraphe 2 de la loi précitée du 16 avril 1979, le tribunal administratif est compétent pour statuer en tant que juge du fond sur tout recours dirigé contre une décision de suspension d’un fonctionnaire, prise conformément à l’article 48, paragraphe 1er de la loi en question, qui dispose qu’un fonctionnaire poursuivi administrativement peut faire l’objet d’une mesure de suspension de l’exercice de ses fonctions pendant tout le cours de la procédure administrative jusqu’à la décision définitive.
Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Avant d’analyser les moyens et arguments développés par les parties à l’instance, il convient de situer le cadre du présent litige.
Il ressort de la requête déposée par Monsieur MULLER en date du 29 mars 1999, que son recours est dirigé contre un arrêté ministériel daté du 19 mars 1999 ayant prononcé la suspension avec effet immédiat de ses fonctions de directeur de la Bibliothèque nationale.
Au voeu de l’article 48, paragraphe 1er de la loi précitée du 16 avril 1979, « la suspension de l’exercice de ses fonctions peut être ordonnée à l’égard du fonctionnaire poursuivi judiciairement ou administrativement, pendant tout le cours de la procédure jusqu’à la décision définitive ».
La suspension constitue une mesure, non pas disciplinaire mais d’urgence (ou « conservatoire »), destinée, dans l’intérêt du service, à interdire à titre provisoire l’exercice 4 de ses fonctions à un agent public auquel une faute est reprochée, de façon que sa présence ne risque pas de troubler le fonctionnement du service (cf. R. Chapus, Droit administratif général, tome 2, 11e édition, n° 404, page 329).
Une telle mesure n’est pas destinée à sanctionner le comportement fautif du fonctionnaire, mais elle est justifiée par des motifs relevant de l’organisation du service (cf. J.-
M. Bauler et F. Moyse, Le droit de la fonction publique au Luxembourg, Bruylant, 1998, n° 357). Ainsi, elle a plus particulièrement pour objet de prémunir, à titre conservatoire, le service public et sa réputation, en attendant l’issue de la procédure disciplinaire en cours (C.E. belge, 8 mai 1985, Suinen, cité par MM. Bauler et Moyse dans leur ouvrage précité).
Même si une telle mesure provisoire ne préjuge en rien du fond de l’affaire disciplinaire, il n’en reste pas moins qu’une telle suspension témoigne du moins de l’apparence de gravité de la faute reprochée au fonctionnaire et de la nécessité de veiller, dans l’intérêt du service, à ce que la présence du fonctionnaire dans son service, d’une part, ne risque pas de gêner le bon déroulement de l’instruction préalable à accomplir dans le cadre de l’enquête disciplinaire, et, d’autre part, ne porte pas atteinte au bon fonctionnement, à l’image et à la réputation du service.
La loi précitée du 16 avril 1979 n’exige pas qu’une mesure de suspension puisse seulement être décidée à l’encontre d’un fonctionnaire lorsqu’il existe un ensemble d’éléments permettant de présumer qu’il a commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave. La gravité de la sanction que le fonctionnaire risque d’encourir à la clôture de l’enquête disciplinaire n’a une influence que pour déterminer quelle autorité est compétente pour décider la suspension.
Ainsi, si en principe, seul le ministre du ressort peut, conformément à l’article 52, alinéa 1er de la loi précitée du 16 avril 1979, prononcer la suspension, le chef hiérarchique peut, par exception, prendre la décision en question, en vertu de l’article 56, paragraphe 3, alinéa 3 de la prédite loi, à condition que « le fonctionnaire [soit] suspecté d’avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave ». Dans cette dernière hypothèse, la décision du chef hiérarchique en question doit, lorsqu’il n’est pas membre du gouvernement, être confirmée, dans la huitaine, par le ministre du ressort.
Il découle de ce qui précède que la gravité de la sanction, loin de constituer une condition qui doit être remplie lors de la prise d’une décision de suspension, a seulement pour objet de déterminer l’autorité compétente.
Le fonctionnaire concerné peut être suspendu par l’autorité compétente dès le début de la procédure disciplinaire, pendant le cours de celle-ci et ce jusqu’à la clôture de la procédure en question.
Le chef hiérarchique ou le ministre du ressort du fonctionnaire poursuivi disciplinairement dispose en principe d’une faculté de prendre une mesure de suspension à l’encontre de l’agent en question, en considération de la gravité des reproches adressés au fonctionnaire, de l’intérêt du service auquel le fonctionnaire est affecté ainsi que des intérêts du fonctionnaire concerné. Cette appréciation de l’autorité compétente est susceptible, conformément à l’article 54, paragraphe 2 de la loi précitée du 16 avril 1979, d’un contrôle au fond par le tribunal administratif en cas de recours dirigé contre la mesure de suspension.
L’autorité en question devra plus particulièrement tenir compte du fait que la mesure de suspension risque de porter gravement atteinte à la considération et à l’autorité du fonctionnaire en raison du fait qu’il se trouve temporairement écarté du service. Partant, elle ne 5 saurait être appliquée que dans les cas limitativement prévus par la loi, lesquels, pour la même raison, sont d’interprétation stricte (C.E. 17 janvier 1975, Pas. 23, p. 49).
Par exception, la suspension doit être obligatoirement prononcée dans les 4 cas limitativement énumérés par le paragraphe 2 de l’article 48 de la loi précitée.
Pour qu’une suspension puisse être décidée à l’égard d’un fonctionnaire contre lequel une procédure disciplinaire est en cours, et qui ne tombe partant pas dans une des 4 hypothèses visées par le paragraphe 2 de l’article 48 précité, les griefs qui lui sont reprochés dans le cadre de cette procédure doivent être vraisemblables et d’une gravité suffisante afin de justifier une mesure qui, même si elle n’a qu’un caractère provisoire et conservatoire, risque de porter gravement atteinte à l’image ainsi qu’aux intérêts financiers du fonctionnaire concerné.
La suspension, qui est conçue dans le but d’éviter à l’administration les conséquences fâcheuses qui pourraient résulter pour elle de la présence, dans ses services, d’un agent sous le coup de poursuites disciplinaires et qui a pour but de faciliter l’exercice de ces poursuites (A.
Plantey, La fonction publique, traité général, Litec. 1991, n° 828, p. 346), ne préjudicie en rien la pertinence et le bien-fondé des reproches faits au fonctionnaire se trouvant sous le coup d’une procédure disciplinaire.
A l’appui de son recours, le demandeur soutient tout d’abord que la décision entreprise du 19 mars 1999 serait entachée de nullité en ce qu’elle n’indiquerait pas les motifs qui se trouvent à sa base et qu’elle violerait partant l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.
Le défendeur conclut à l’inapplicabilité du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, au motif qu’il ne viserait pas les fonctionnaires, ceux-ci n’étant pas à considérer comme administrés dans leurs rapports statutaires avec leur propre administration.
Dans ses relations avec sa propre administration, le fonctionnaire est à considérer comme administré, de sorte qu’en principe les dispositions du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 lui sont applicables dans la mesure où les règles spécifiques régissant son statut ne présentent pas pour lui des garanties équivalentes (trib. adm. 18 juin 1998, Pas. adm. 1/1999, V° Fonction publique, n° 93, p. 124 et autres références y citées; v. par analogie, J.P.
Luxembourg 22 janvier 1997, n° 468/97, qui a refusé d’écarter les fonctionnaires du champ d’application de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques).
Par application de l’article 4 de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, les dispositions du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 s’appliquent à toutes les décisions administratives individuelles pour lesquelles un texte particulier n’organise pas une procédure spéciale présentant au moins des garanties équivalentes pour l’administré.
S’il est vrai que la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires de l’Etat est prévue aux articles 44 et suivants de la loi précitée du 16 avril 1979 et qu’elle constitue une procédure spéciale non contentieuse réglementant de manière détaillée l’élaboration d’un type déterminé de décisions administratives, en l’occurrence celles prononçant une sanction disciplinaire à l’égard des fonctionnaires concernés, il n’en reste pas moins qu’une mesure de suspension ne constitue pas, tel que cela résulte des développements qui précèdent, une sanction disciplinaire et partant les garanties offertes aux fonctionnaires du point de vue 6 notamment des droits de la défense ne s’appliquent pas lorsqu’une mesure de suspension est décidée par l’autorité compétente. Comme, d’une part, les garanties tendant à assurer le respect des droits de la défense du fonctionnaire faisant l’objet d’une procédure disciplinaire, qui vont au-delà de celles prévues à cet égard par le règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, ne sont pas applicables en l’espèce, du fait que la prise d’une décision de suspension à l’égard d’un fonctionnaire n’est pas à qualifier de décision disciplinaire, et comme, d’autre part, les articles 48 et suivants de la loi précitée du 16 avril 1979 n’offrent pas de garanties équivalentes à celles figurant au règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, ce dernier s’applique dans son intégralité au fonctionnaire ayant fait l’objet d’une mesure de suspension.
(cf. trib. adm. 2 juin 1999, n°10958 du rôle, non encore publié).
Il échet encore d’analyser si, en l’espèce, l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 s’applique à la décision de suspension prise à l’encontre de Monsieur MULLER.
L’article 6, alinéa 2 dudit règlement grand-ducal prévoit que lorsqu’une décision modifie une décision antérieure, elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base.
Le demandeur estime que l’article 6 en question s’appliquerait dans la mesure où le ministre de la Culture, du fait de prendre une décision de suspension à son encontre, aurait révoqué ou modifié sa décision de nomination, notamment dans la mesure où cette mesure l’empêcherait d’exercer ses fonctions.
Comme il vient d’être retenu ci-avant, une décision de suspension est de nature provisoire et a un caractère conservatoire en ce que, conformément notamment à l’article 48, paragraphe 3 de la loi précitée du 16 avril 1979, la période pendant laquelle la mesure de suspension a déployé ses effets sera prise en compte comme « temps de service pour les majorations biennales, l’avancement en traitement et la pension » au cas où la procédure disciplinaire intentée contre l’intéressé a donné lieu à un non-lieu. La décision de nomination est suspendue dans ses effets sans que toutefois elle ne soit remise en cause de quelque manière que ce soit.
Il découle de ce qui précède que la mesure de suspension ne modifie pas la décision de nomination du demandeur ni, a fortiori, ne procède à une révocation de celle-ci.
Le demandeur estime encore, à titre subsidiaire, que par la décision de suspension le ministre de la Culture aurait refusé de faire droit à sa demande tendant à le maintenir à son poste de travail, et que partant l’article 6 serait applicable en ce qu’il vise la décision qui « refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ».
En l’espèce, la demande afférente formulée par Monsieur MULLER lors de l’entrevue avec le ministre de la Culture en date du 17 mars 1999, n’est pas à considérer comme constituant une demande au sens du premier tiret de l’alinéa 2 de l’article 6 précité, étant donné que cette demande tend en réalité à éviter une mesure à prendre par le ministre en question.
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent, que l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 n’est pas applicable en l’espèce et le moyen afférent invoqué par le demandeur, tiré de la violation de l’article 6 précité, est à écarter.
7 Le demandeur estime ensuite que la décision déférée violerait l’article 6, paragraphe 3, point a) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, telle qu’approuvée par la loi luxembourgeoise du 29 août 1953, telle que modifiée par la suite, dénommée ci-après « la Convention européenne des droits de l’homme », dans la mesure où il n’aurait pas été informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui. De ce fait, il aurait été dans l’impossibilité d’introduire utilement un recours contre la décision de suspension.
C’est à bon droit que la partie défenderesse soutient que la décision de suspension ne constitue pas une sanction, mais une mesure conservatoire, urgente et provisoire.
En effet, le champ d’application de l’obligation prévue par le paragraphe 3, point a) de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme est déterminé par le paragraphe 1er dudit article qui le rend applicable, d’une part, aux contestations sur des droits et obligations de caractère civil, et, d’autre part, quant au bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre une personne. C’est à ce dernier critère de rattachement que le demandeur fait référence afin de rendre l’article 6 applicable à sa situation. Or, comme il vient d’être constaté ci-avant, la décision de suspension n’a pas un caractère de sanction et partant cette mesure ne saurait être assimilée ni à une décision prise en matière disciplinaire ni, a fortiori, à une décision pénale. Partant, et sans qu’il y ait lieu d’analyser si les autres conditions prévues par l’article 6 sont remplies en l’espèce, le moyen tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 3, a) précité est à rejeter.
Le demandeur s’oppose encore à toute motivation a posteriori de la décision entreprise, en estimant qu’une telle possibilité de motivation à fournir le cas échéant en cours d’instance ne serait pas compatible avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, étant donné que la décision de suspension aurait un caractère pénal et que partant la motivation aurait dû être portée à sa connaissance par la décision querellée.
C’est encore à bon droit que la partie défenderesse rappelle que la décision de suspension ne constitue pas une sanction et que partant ni les principes énoncés par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ni ceux ressortant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et notamment de l’arrêt Engel du 8 juin 1976, ne sauraient trouver application en l’espèce. Partant, rien ne s’oppose en principe à ce que la motivation de la décision querellée, ayant existé au moment où la décision a été prise, soit fournie en cours d’instance, sous réserve que dans cette hypothèse les délais de recours ne commencent pas à courir.
Abstraction faite de la question de savoir si, en l’espèce, la décision déférée était suffisamment motivée, il échet de rappeler dans ce contexte que même si conformément à l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, la décision querellée ne doit pas formellement indiquer les motifs, le demandeur avait néanmoins la possibilité d’exiger la communication des motifs conformément à l’alinéa 3 dudit article 6. Ainsi, si éventuellement le fait que la décision querellée ne contienne pas les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, aurait porté atteinte à ses droits de la défense, il aurait pu faire fruit du droit d’exiger la communication des motifs, tel qu’énoncé ci-avant. Il ne ressort toutefois pas des pièces et éléments du dossier que le demandeur ait exercé le droit en question.
Le moyen soulevé par le demandeur tendant à éviter à ce que l’administration fournisse la motivation après la prise de décision, et notamment au cours de l’instance contentieuse, est partant à rejeter.
8 Le demandeur conclut par ailleurs à la nullité de la procédure, au motif que celle-ci aurait été « confiée au seul Monsieur X. », en soutenant que « la participation à l’enquête administrative ne fait absolument pas partie des attributions réglementaires de la commission de surveillance ».
C’est à bon droit que la partie défenderesse soutient que ce moyen de nullité ne concerne pas la décision de suspension, qui constitue la seule décision visée par la requête introductive d’instance. En effet, il résulte des faits de l’espèce que Monsieur X. a été chargé par le ministre de la Culture, sur base d’une note de service du 31 juillet 1998, à procéder à l’encontre du demandeur à une instruction préalable dans le cadre de la procédure disciplinaire des fonctionnaires, telle que prévue par les articles 56 à 73 de la loi précitée du 16 avril 1979.
Comme le présent litige n’est dirigé ni contre une procédure disciplinaire ni contre une décision rendue en cette manière, alors que le recours sous discussion est exclusivement dirigé contre l’arrêté du ministre de la Culture du 19 mars 1999 par lequel Monsieur MULLER a été suspendu de ses fonctions de directeur de la Bibliothèque nationale, le moyen tendant à obtenir la nullité d’une procédure disciplinaire au motif que l’instruction préalable n’aurait pas été accomplie conformément aux dispositions précitées de la loi du 16 avril 1979, est à rejeter.
Le demandeur conclut encore à un non-respect du principe du contradictoire, en se basant sur le fait que le rapport … n’aurait pas été établi contradictoirement.
La partie défenderesse estime que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, sur lequel le demandeur s’est basé dans le cadre de ce moyen, ne serait pas applicable à la présente espèce. Elle fait valoir en outre que le demandeur a pu avoir une connaissance intégrale du rapport … et que de toute façon un rapport, même établi non contradictoirement, pourrait être pris en considération dans le cadre de la procédure dirigée contre Monsieur MULLER.
Il ressort du rapport établi par … Belgium, portant la date du 13 juillet 1998, versé au dossier par la partie défenderesse, qu’en janvier 1998, le ministre de la Culture avait confié à la société … « la mission d’auditer la Bibliothèque nationale » à la suite de « difficultés de fonctionnement [qui] s’étaient manifestées avec insistance au sein de cette institution ». La mission de l’auditeur consistait à analyser « les systèmes d’information et de communication, les organigrammes et les types de fonctions, les tâches existantes, les procédures, les styles de gestion, les niveaux de charge de travail ».
Il ressort partant de la mission confiée à la société … que le rapport précité n’a été établi ni dans le cadre d’une procédure disciplinaire dirigée contre le demandeur ni surtout dans le cadre de la décision de suspension prise à son encontre. Il est partant indifférent de savoir si ledit rapport a été établi contradictoirement ou non, étant donné qu’un tel rapport n’est pas exigé par les textes légaux applicables à la procédure à respecter en vue de la prise d’une décision de suspension à l’encontre d’un fonctionnaire, et que de toute façon ledit rapport ne se trouve pas à la base de la prise de la décision déférée. Le moyen afférent présenté par le demandeur est partant à écarter.
Le demandeur tend encore à obtenir l’annulation de la procédure disciplinaire dirigée contre lui en invoquant notamment une imprécision des reproches qui lui sont adressés et en soutenant qu’il y aurait eu une extension de l’enquête à des faits nouveaux..
9 Ce moyen doit également être écarté étant donné qu’il concerne la procédure disciplinaire dirigée contre Monsieur MULLER, qui ne fait pas l’objet du présent litige.
Le demandeur reproche par ailleurs au fonctionnaire chargé de l’instruction préalable, d’une part, de ne pas avoir rassemblé tous les éléments à charge et à décharge, en soutenant que le rapport soumis par Monsieur X. au ministre de la Culture ne serait qu’un « réquisitoire du début jusqu’à la fin », et, d’autre part, un défaut d’impartialité. Ce moyen doit également être rejeté, au motif qu’il vise la procédure disciplinaire qui ne fait pas l’objet du présent recours.
En ce qui concerne la décision de suspension proprement dite, le demandeur soutient qu’aucune faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave, telle que visée par l’article 56 de la loi précitée du 16 avril 1979, justifiant qu’une mesure de suspension devait être prise à son égard, ne pourrait lui être reprochée. Il estime dans ce contexte que l’article 48 de ladite loi donnerait une « appréciation de la gravité requise » et il conteste qu’en l’espèce, il existerait des indices sérieux qu’il aurait commis des fautes professionnelles graves. Il estime en outre qu’il n’existerait aucun élément de nature à rendre intolérable son maintien dans ses fonctions de directeur de la Bibliothèque nationale.
La partie défenderesse estime qu’une suspension pourrait être décidée même en l’absence de motifs graves et qu’une telle décision aurait essentiellement pour objet d’éviter qu’une situation ne devienne plus difficile en raison du maintien du demandeur à son poste de directeur.
L’article 48, paragraphe 1er de la loi précitée du 16 avril 1979 dispose que «la suspension de l’exercice de ses fonctions peut être ordonnée à l’égard du fonctionnaire poursuivi judiciairement ou administrativement, pendant tout le cours de la procédure jusqu’à la décision définitive ».
En l’espèce, il est constant, d’une part, que Monsieur MULLER a été suspendu, non pas en raison d’une procédure judiciaire intentée contre lui, mais en raison d’une procédure disciplinaire engagée contre lui par décision du ministre de la Culture du 31 juillet 1998, et, d’autre part, que la décision de suspension, prise le 19 mars 1999, a été prise après l’engagement d’une procédure administrative contre lui, à savoir au cours de la procédure disciplinaire. Les conditions posées par le paragraphe 1er précité sont partant remplies afin qu’une mesure de suspension puisse être prise à l’encontre du demandeur.
L’article 52, alinéa 1er de la prédite loi détermine l’autorité compétente en vue de la prise de la décision de suspension, dans la mesure où il y est disposé que « la suspension visée au paragraphe 1er de l’article 48 est prononcée par le ministre du ressort, sous réserve des pouvoirs accordés aux chefs d’administration par le troisième alinéa du paragraphe 3 de l’article 56 ». Cette dernière disposition légale dispose que « si le fonctionnaire est suspecté d’avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave, le chef hiérarchique peut le suspendre conformément au paragraphe 1er de l’article 48. La suspension prononcée par un chef hiérarchique qui n’est pas membre du gouvernement, devient caduque si elle n’est pas confirmée dans la huitaine par le ministre du ressort ».
Il résulte des deux dispositions légales qui précèdent, que le ministre du ressort est en tout état de cause l’autorité compétente en vue de la prise d’une décision de suspension. Par exception, le chef hiérarchique du fonctionnaire concerné peut également prendre une décision de suspension à l’encontre du fonctionnaire en question, suspecté d’avoir commis une faute, à condition que cette faute soit susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave. La 10 gravité de la sanction, et par ricochet de la faute, a partant seulement une influence sur l’autorité compétente en vue de la prise de la décision, mais elle ne constitue pas une condition nécessaire qui doit être remplie avant la prise d’une décision de suspension. Il en résulte qu’une décision de suspension peut être prise en l’absence de toute faute grave commise par le fonctionnaire concerné.
C’est encore à tort que le demandeur entend établir que l’article 48 de la loi précitée du 16 avril 1979 déterminerait ce qu’il faudrait entendre par faute grave, étant donné que le paragraphe 2 dudit article, qui est le seul à avoir une pertinence dans le cadre de ce raisonnement, a pour seul objet de déterminer les cas dans lesquels la suspension devra de plein droit être prononcée à l’égard du fonctionnaire. Il ne contient de ce fait aucune indication quant aux circonstances devant être prises en considération, en dehors des cas limitativement déterminés par le paragraphe 2 en question, en vue de prononcer une suspension à l’égard d’un fonctionnaire.
La gravité de la faute susceptible d’être commise par un fonctionnaire n’est par conséquent pas un élément déterminant en vue de justifier une décision de suspension, mais elle constitue l’un des éléments qui sont de nature à être pris en considération par l’autorité compétente, en l’absence de critères légaux à cet égard.
Enfin, le demandeur soutient que ni l’application du principe de proportionnalité ni les conditions posées par l’article 56 de la loi précitée du 16 avril 1979 ne justifieraient la décision de suspension entreprise. Dans ce contexte, il estime que la « sanction » serait « très contraignante par rapport à la prétendue infraction », et que partant du fait qu’aucune faute suffisamment grave ne pourrait lui être reprochée, la décision de suspension ne serait pas justifiée en l’espèce. Il sollicite ainsi la réformation de la décision entreprise, en priant le tribunal d’ordonner sa « réintégration immédiate ».
La partie défenderesse soutient que le principe de proportionnalité, visé à l’article 53 de la loi précitée du 16 avril 1979, viserait les sanctions infligées à un fonctionnaire, à l’exclusion des mesures de suspension.
S’il est vrai, comme il a été retenu ci-avant, qu’une décision de suspension ne constitue pas une sanction disciplinaire et que par ailleurs le fonctionnaire concerné ne doit pas, en vertu des textes légaux applicables, avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave, afin qu’une mesure de suspension puisse être prise à son encontre, il n’en reste pas moins qu’une mesure de suspension doit être dûment justifiée, en considération non seulement de l’intérêt du service auquel le fonctionnaire est affecté, mais en prenant également en considération les intérêts du fonctionnaire en question.
Il n’appartient par conséquent pas au tribunal, dans le cadre d’un recours dirigé contre une décision de suspension, de décider du bien-fondé des reproches faits au fonctionnaire faisant l’objet d’une telle décision de suspension et, de ce fait, il ne sera pas procédé ci-après à une analyse des mérites du déclenchement de la procédure disciplinaire dirigée contre Monsieur MULLER. Le tribunal se limitera à analyser, dans le cadre de ce recours, le fonctionnement du service auquel le demandeur est affecté, à savoir en l’espèce, la Bibliothèque nationale, en vue de décider si, au vu de l’intérêt de la Bibliothèque nationale, d’une part, ou dans l’intérêt de Monsieur MULLER, en sa qualité de directeur de la Bibliothèque nationale, d’autre part, le ministre de la Culture a pu estimer à bon droit qu’il était opportun de suspendre Monsieur MULLER de ses fonctions de directeur, au cours de la procédure disciplinaire dirigée contre lui, par une décision antérieure. Le tribunal, statuant comme juge du fond, fera son appréciation au jour où il statue, en prenant en considération à la 11 fois les faits et reproches ayant mené au déclenchement de la procédure disciplinaire, les faits qui se sont produits entre cette décision et la mesure de suspension, et les faits qui ont pu survenir après la suspension.
Le tribunal devra partant tenir compte non seulement des reproches faits au fonctionnaire ayant fait l’objet de la suspension, à savoir en l’espèce, essentiellement l’incapacité de gérer la Bibliothèque nationale dont il est le directeur, mais également leur incidence quant au fonctionnement du service en question.
En ce qui concerne la situation de la Bibliothèque nationale au cours de la période, assez brève, pendant laquelle Monsieur MULLER a exercé ses fonctions de directeur, à savoir du 14 avril 1997 jusqu’au 19 mars 1999, date de la suspension décidée par le ministre de la Culture, il échet de constater, sur base de l’ensemble des pièces et documents soumis au tribunal et des explications fournies par les parties à l’instance, qu’il y a existé un climat de travail difficilement supportable, et qu’il s’est détérioré au fil des mois. Ainsi, tous, sinon la majeure partie des intervenants dans « l’affaire de la Bibliothèque nationale », ont noté un profond malaise existant au sein de cette institution culturelle, qui existerait depuis des années déjà. A titre d’exemple, il y a lieu de relever que le rapport … a cité des problèmes préexistants à l’engagement de Monsieur MULLER ainsi que le fait que le prédécesseur de Monsieur MULLER avait déjà fait l’objet d’une procédure disciplinaire, alors qu’il manifestait son mécontentement quant à la manière dont la Bibliothèque nationale était traitée par le gouvernement. Une partie des dysfonctionnements existants au sein de la Bibliothèque nationale semblent donc s’être accumulés au fil des années et avoir été hérités, du moins en partie, par Monsieur MULLER.
En-dehors d’un problème d’organisation interne de la Bibliothèque nationale, susceptible d’avoir pour conséquence une détérioration des services offerts au public, le tribunal constate qu’il existe essentiellement un problème de relations humaines et de gestion du personnel faisant partie de cette institution.
Il ressort en effet des pièces et éléments du dossier, d’une part, qu’il existait des problèmes de communication entre Monsieur MULLER, en sa qualité de directeur de la Bibliothèque nationale et le personnel de celle-ci. Ce problème est notamment illustré par le ton, le style ainsi que le vocabulaire utilisé dans les nombreuses notes de service adressées par Monsieur MULLER au personnel de son institution. Il ressort de l’ensemble des éléments à disposition du tribunal que Monsieur MULLER semble avoir éprouvé des problèmes de gérer convenablement son personnel et de motiver celui-ci en vue d’assurer un bon fonctionnement de la Bibliothèque nationale. Cet état des choses peut toutefois s’expliquer par la considération qu’il ressort, d’autre part, des pièces et éléments du dossier, qu’une partie du personnel ne semble pas accepter Monsieur MULLER en tant que chef hiérarchique de la Bibliothèque nationale et que ces personnes semblent avoir eu pour but d’affaiblir la position du directeur au sein de cette institution, en désobéissant notamment à ses ordres, ce qui a eu pour conséquence que le directeur a été de plus en plus isolé au sein de la Bibliothèque nationale et qu’il n’avait plus de pouvoir sur une partie du personnel. Dans ce contexte hautement préjudiciable à un bon climat de travail, il semble s’être formé au sein du personnel de la Bibliothèque nationale deux groupes différents, l’un soutenant ou tolérant le directeur de la Bibliothèque nationale et l’autre s’opposant farouchement à ses ordres ainsi qu’aux initiatives prises par lui. Il ressort ainsi des rapports de Monsieur X., des notes et lettres de Monsieur MULLER ainsi que du rapport …, que cette division du personnel a eu pour conséquence une désorganisation des services de la Bibliothèque nationale.
12 Le fait que d’autres membres du personnel de la Bibliothèque nationale semblent avoir contribué à la détérioration des relations de travail est notamment établi par les procédures disciplinaires intentées contre deux conservateurs de la Bibliothèque nationale.
Il ressort, de troisième part, des pièces et éléments du dossier, qu’au moment où la mesure de suspension a été décidée par le ministre de la Culture, une relation de confiance n’existait plus entre ce dernier et le directeur de la Bibliothèque nationale. Le fait qu’une collaboration entre le ministre et le directeur s’est révélée être impossible est notamment établie par le fait que Monsieur MULLER a refusé de réceptionner les deux lettres précitées du 16 mars 1999, qu’un « messager » du ministre de la Culture a entendu lui remettre en mains propres.
Il ressort du rapport d’évaluation du 3 décembre 1998 de la commission de surveillance instituée par le règlement grand-ducal précité du 3 août 1998 que, comme il a déjà été indiqué ci-avant, le personnel a été divisé en « clans », qu’une partie du personnel s’opposait à l’autorité du directeur, que la gestion de la Bibliothèque nationale de Luxembourg n’a jamais été facile, qu’il y a eu une détérioration progressive du climat de travail et que cette situation s’est aggravée avec l’arrivée de Monsieur MULLER, qu’il n’existe pas un organigramme valable, qu’il y a une absence de concertation de la part de la direction ainsi qu’une absence de collégialité. Ladite commission proposait dans son rapport précité que dans l’intérêt de la Bibliothèque nationale, il y avait lieu d ’«éloigner » non seulement les deux conservateurs précités faisant actuellement l’objet d’une procédure disciplinaire mais également le directeur ou de suspendre les trois personnes « en même temps », et en exigeant notamment le remplacement des deux conservateurs en question.
En conclusion, il y a lieu de retenir qu’il existe au sein du personnel de la Bibliothèque nationale une méfiance générale et des désaccords permanents touchant toutes les fonctions de ladite institution, et entraînant des conflits permanents entre différents membres du personnel.
En outre, des maladresses commises non seulement par Monsieur MULLER, mais également par des membres du ministère de la Culture et par certains membres du personnel de la Bibliothèque nationale, n’ont pas amélioré les relations sociales déjà très difficiles.
Sans qu’il y ait lieu de prendre position, dans le cadre de ce procès, sur le bien-fondé des reproches faits de part et d’autre, le tribunal est amené à vérifier la légalité et l’opportunité de la mesure de suspension décidée à l’égard de Monsieur MULLER.
Alors qu’il est constant en cause que les capacités scientifiques, intellectuelles et professionnelles de Monsieur MULLER ne sont pas mises en doute, il n’en reste pas moins que cette mesure de suspension a été prise, d’une part, dans l’intérêt évident du bon fonctionnement de la Bibliothèque nationale en vue d’éviter que l’image de marque de cette institution se détériore encore davantage. Il y a en effet lieu d’assurer la sérénité du fonctionnement de la Bibliothèque nationale, d’assurer le service public en question et d’éviter que des querelles internes ne débordent sur la place publique et nuisent ainsi gravement à l’image de marque de cette institution culturelle. D’autre part, le tribunal constate que c’est à bon droit que le ministre de la Culture a suspendu celui qui aurait pu faire obstruction au bon déroulement de l’enquête disciplinaire et sous les ordres directs duquel se trouvent les témoins éventuels à entendre au cours de l’enquête disciplinaire dirigée contre lui. De troisième part, cette mesure de suspension a été prise dans l’intérêt de Monsieur MULLER dans la mesure où elle lui permet de se défendre plus librement, d’assurer mieux ses droits de la défense et de prendre ses distances par rapport aux problèmes de la gestion quotidienne de la Bibliothèque nationale. Il est dans ce contexte indifférent de savoir que le public ou des tiers concernés perçoivent, à tort, cette mesure comme sanction dirigée contre Monsieur MULLER, étant 13 donné qu’intrinsèquement elle n’a pas pour objet de porter atteinte à l’honneur du fonctionnaire concerné et qu’en l’espèce, elle n’a aucun caractère vexatoire.
Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que la suspension, qui constitue une mesure essentiellement conservatoire, provisoire et urgente, et qui ne préjudicie en rien le bien-fondé des reproches faits au demandeur, a été décidée à bon droit par le ministre de la Culture et le recours est partant à déclarer non fondé.
Au vu de l’issue du litige, le demandeur est à débouter de sa demande en vue d’obtenir une indemnité de procédure de 150.000.- francs en vertu de l’article 240 du nouveau code de procédure civile.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond le déclare non fondé et en déboute;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 12 juillet 1999, par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
Legille Schockweiler 14