N° 10993 du rôle Inscrit le 26 novembre 1998 Audience publique du 12 juillet 1999
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Recours formé par Madame … QUINTUS, … contre des décisions de la ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle en matière d’équivalence des diplômes
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal le 26 novembre 1998 par Maître François KREMER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … QUINTUS, chargée de cours, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision de la ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle du 6 août 1996 refusant de reconnaître son titre belge de rééducateur en psychomotricité, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux en date du 3 août 1998;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mars 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 avril 1999 par Maître François KREMER, pour compte de Madame … QUINTUS;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 1999 par le délégué du Gouvernement;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître François KREMER et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 juin 1999.
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Madame … QUINTUS, chargée de cours, demeurant à L-…, s’étant adressée à la ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle, ci-après appelée “ la ministre ”, pour solliciter la reconnaissance de ses diplômes belges 1) d’éducatrice graduée en éducation physique délivré en date du 1er juillet 1994 par l’Institut d’enseignement supérieur 1 Parnasse, - deux Alices de Woluwé-Saint Lambert, ainsi que 2) de rééducatrice en psychomotricité délivré en date du 4 septembre 1995 par l’Institut supérieur libre de pédagogie de Theux, la ministre, par arrêté du 6 août 1996, décida que “ le titre belge de rééducateur en psychomotricité de Mademoiselle … QUINTUS n’est pas reconnu ”.
Par courrier de son mandataire du 8 juillet 1998, Madame QUINTUS fit parvenir des pièces supplémentaires à la ministre et la pria à titre principal “ de bien vouloir procéder à la reconnaissance de son diplôme principalement aux termes de l’article 12, 2) 2. de la loi du 11 janvier 1995 et subsidiairement sur base de l’article 12, 2), 4. cette même loi combiné avec les directives européennes n° 89/48 du 21 décembre et n° 92/51 du 18 juin 1992 ”, ainsi que, “ dans l’hypothèse où vous ne devriez pas reconnaître le diplôme de ma mandante, je vous prie de bien vouloir déterminer les conditions (études supplémentaires ou stages) dans lesquelles Madame QUINTUS pourra obtenir ladite reconnaissance ”.
En réponse à cette demande, la ministre prit position comme suit par courrier du 3 août 1998: “ Je constate qu’un arrêté ministériel en date du 6 août 1996 n’a pas reconnu le titre en question de votre mandante. Etant donné que le délai pour exercer un recours contre cet arrêté est expiré, je ne puis réserver une suite favorable à votre demande ”.
Par requête déposée le 26 novembre 1998, Madame … QUINTUS fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 6 août 1996, ainsi que de la décision de la ministre du 3 août 1998.
Quant à la recevabilité Le délégué du Gouvernement conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours principal en réformation en faisant valoir qu’aucun texte légal ne prévoirait la possibilité d’introduire un recours au fond dans la matière de la reconnaissance de diplômes étrangers.
S’il est bien vrai que la loi du 11 janvier 1995 portant réorganisation des écoles publiques et privées d’infirmiers et d’infirmières et réglementant la collaboration entre le ministère de l’Education nationale et le ministère de la Santé, invoquée à la base de l’arrêté ministériel déféré, ne prévoit pas de recours de pleine juridiction à l’encontre d’une décision de reconnaissance d’un diplôme obtenu à l’étranger, il est cependant constant qu’en matière de reconnaissance des titres de formation professionnelle visés par la directive 89/48/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans, ci-après appelée “ la directive 89/48/CEE ”, ainsi que par la directive 92/51/CEE du Conseil du 18 juin 1992 relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48/CEE, ci-après appelée “ la directive 92/51/CEE ”, le tribunal est compétent pour statuer en tant que juge de la réformation, étant donné que tant l’article 3 de la loi modifiée du 13 août 1992 portant a) transposition de la directive 89/48/CEE, et b) création d’un service de coordination pour la reconnaissance de diplôme à des fins professionnelles, que l’article 3 du règlement grand-ducal modifié du 2 juin 1994 portant transposition de la directive 92/51/CEE prévoient un recours de pleine juridiction à l’encontre des décisions de l’autorité compétente en la matière.
2 Il s’ensuit que la compétence du tribunal pour connaître du recours principal en réformation est conditionnée en l’espèce par la question de savoir si la demande de reconnaissance à la base de l’arrêté ministériel déféré tombe sous le champ d’application de l’une des directives prévisées.
Le mécanisme de reconnaissance des diplômes tel qu’organisé par les deux directives générales en question est déclenché et délimité quant à son champ d’application à partir du caractère réglementé d’une profession, au sens des dites directives, dans un Etat membre envisagé en tant qu’Etat d’accueil. Il y a partant lieu d’examiner en premier lieu si la profession de rééducateur en psychomotricité en vue de l’exercice de laquelle la demanderesse a sollicité la reconnaissance de son diplôme belge afférent, constitue au Luxembourg une profession réglementée au sens des directives.
Il résulte de la définition finalisée retenue par les directives que, dans des conditions qu’il faudra analyser, c’est l’exigence, formulée par une réglementation publique nationale, de la détention d’un diplôme ou d’un titre de formation en vue de l’accès à une activité professionnelle ou de son exercice, qui qualifie la profession correspondante comme profession réglementée dans l’Etat considéré (cf. Jurisclasseur Europe, Reconnaissance des diplômes organisée par des directives, Fascicule 720, n° 113 et suivants).
Les directives 89/48/CEE et 92/51/CEE définissent les notions de profession réglementée et d’activité professionnelle réglementée dans leurs articles 1er respectifs sous respectivement les points c) et d), et e) et f) dans les termes suivants: “ c)/e) profession réglementée : l’activité ou l’ensemble des activités professionnelles réglementées qui constituent cette profession dans un Etat membre, d)/f) activité professionnelle réglementée:
une activité professionnelle dont l’accès ou l’exercice, ou l’une des modalités d’exercice dans un Etat membre est subordonné directement ou indirectement par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession d’un diplôme. Constituent notamment des modalités d’exercice d’une activité professionnelle réglementée: - l’exercice d’une activité sous un titre professionnel, dans la mesure où le port de ce titre est autorisé aux seuls possesseurs d’un diplôme/d’un titre de formation ou d’une attestation de compétence déterminés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, -
l’exercice d’une activité professionnelle dans le domaine de la santé, dans la mesure où la rémunération et/ou le remboursement de cette activité est subordonné par le régime national de sécurité sociale à la possession d’un diplôme/d’un titre de formation ou d’une attestation de compétence. ” Il est constant qu’aux termes de l’article 1er de la loi modifiée du 26 mars 1992 sur l’exercice et la revalorisation de certaines professions de santé, la profession de rééducateur en psychomotricité constitue une profession de santé et qu’en vertu de l’article 2 (1) de cette même loi, l’exercice d’une profession de santé est subordonné à une autorisation du ministre de la Santé. Aussi une personne autorisée à exercer une profession de santé, peut-elle, en vertu des dispositions de l’article 5 de la loi précitée du 26 mars 1992, porter le titre professionnel correspondant à cette profession, étant entendu que tant l’exercice non autorisé d’une profession de santé que le port du titre professionnel sans y être autorisé, sont passibles des sanctions pénales prévues à l’article 16 de ladite loi.
3 Au titre des conditions que doit remplir un candidat pour être autorisé à exercer une profession de santé, l’article 2 (1) de la loi précitée du 26 mars 1992 précise sub a) que “ le candidat doit être ressortissant luxembourgeois ou ressortissant d’un autre Etat membre de la Communauté Européenne et être titulaire, soit d’un diplôme luxembourgeois relatif à la profession concernée, soit d’un diplôme étranger reconnu conformément aux dispositions de l’article 3 ci-dessous ”, la reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger relèvant, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 11 janvier 1995, précitée, non plus de la compétence du ministre de la Santé, mais du ministre de l’Education nationale.
Dans la mesure où aucun diplôme luxembourgeois ne sanctionne une formation ayant trait plus spécifiquement à la profession de rééducateur en pyschomotricité, il y partant lieu de se référer, au sujet de la reconnaissance des diplômes afférents obtenus à l’étranger et plus particulièrement dans un Etat membre de l’Union européenne, aux dispositions de la loi précitée du 11 janvier 1995 qui dispose à cet égard dans son article 12, 2) sub 2. à 5. que la reconnaissance est accordée “ 2. pour les professions pour lesquelles aucun diplôme luxembourgeois n’est délivré, aux titulaires d’un diplôme sanctionnant une formation à l’étranger répondant à des exigences minimales qui sont déterminées pour chaque profession par règlement grand-ducal, sans préjudice des paragraphes 3 et 4 ci-après;
3. pour les professions qui font l’objet d’une directive communautaire spécifique visant la reconnaissance des diplômes, aux titulaires d’un des diplômes répondant aux exigences de la directive en question;
4. pour les professions tombant sous l’application d’une directive communautaire instituant un système général de reconnaissance des diplômes, aux titulaires d’un des diplômes répondant aux exigences de la directive en question;
5. aux titulaires d’un diplôme pouvant se prévaloir d’un engagement international ou d’un accord de réciprocité conclu par le Luxembourg ”.
Il est encore précisé au dernier alinéa dudit article 12, 2) qu’“ un règlement grand-
ducal pourra, pour chaque profession ou pour certaines d’entre elles, soumettre la reconnaissance à la condition d’une expérience professionnelle acquise dans un Etat membre de l’Union Européenne conformément aux dispositions légales, réglementaires ou administratives de cet Etat, d’un stage d’adaptation ou d’une épreuve d’aptitude. Ce même règlement fixera les modalités de ces expériences, stages et épreuves ”.
S’il est ainsi certes constant que la loi précitée du 11 mars 1995 pose en matière de reconnaissance de diplômes obtenus à l’étranger, en vue de l’exercice de la profession en cause, l’exigence d’un diplôme, il reste cependant que c’est à juste titre que la partie demanderesse signale dans son mémoire en réplique qu’à ce jour aucun règlement grand-ducal n’a été pris pour déterminer, en application de la disposition précitée, pour la profession de rééducateur en psychomotricité, les exigences minimales que doit rencontrer un diplôme sanctionnant une formation afférente à l’étranger, ainsi que, conformément à l’article 2 de la même loi, les conditions d’accès à ces études et les conditions de formation de ces professions.
Face à l’absence ainsi constatée de toute disposition légale ou réglementaire permettant de déterminer le degré de qualification requis, tant au regard de son contenu que de sa durée, pour exercer au Grand-Duché la profession de rééducateur en psychomotricité, il y a lieu de retenir que malgré le cadre légal institué par la loi précitée du 26 mars 1992 en vue de 4 réglementer l’exercice de cette profession, celle-ci ne saurait à ce stade être considérée comme une profession réglementée au Grand-Duché au sens des directives, alors que ni l’accès, ni l’exercice, ni encore une des modalités d’exercice de cette profession ne sont subordonnés directement ou indirectement par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives à la possession d’un diplôme déterminé.
La référence à la possession d’un diplôme doit en effet s’entendre comme visant l’exigence d’une qualification professionnelle concrètement définie, identifiable notamment à partir de la nature du diplôme qui la sanctionne, étant entendu que la simple référence abstraite à la possession d’un diplôme sans la moindre précision ayant trait au contenu de la formation exigée, telle que posée à l’heure actuelle par la législation luxembourgeoise analysée ci-avant, n’est pas suffisante pour valoir à la profession en question le caractère réglementé qui constitue pourtant la notion clé pour la délimitation du champ d’application des directives, à la fois pour l’ensemble qu’elles forment et leur prise en considération l’une par rapport à l’autre, et pour la détermination des mesures nationales de mise en oeuvre qu’elles rendent nécessaires.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que dans la mesure où la profession de rééducateur en psychomotricité n’est pas réglementée, au sens des directives, au Grand-Duché, celui-ci “ n’est pas tenu d’examiner les demandes de prise en considération de preuves de qualification préparant à cette activité, dont l’exercice sur son territoire n’est pas subordonné, tout au moins par un acte de l’autorité publique, à la détention de preuves de qualification formelles ” (cf. J. Pertek, L’Europe des diplômes et des professions, éd. Bruylant 1994, p. 69) et il s’ensuit que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation, faute d’être dirigé contre une décision en matière de reconnaissance des titres de formation professionnelle visés par les directives 89/48/CEE et 92/51/CEE.
Dans la mesure où les décisions déférées ne comportent pas d’instruction sur les voies de recours et que partant aucun délai de recours n’a couru à leur encontre, le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes prévues par la loi.
Quant au fond A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir que les décisions déférées violeraient l’article 12 de la loi précitée du 11 janvier 1995, ainsi que l’article 3 de la directive 89/48/CEE et la loi du 13 août 1992 précités. Elle expose à cet effet que son diplôme de rééducatrice en psychomotricité délivré le 4 septembre 1995 constituerait un diplôme aux termes de l’article 1er de la directive 89/48/CEE et l’autoriserait à exercer les fonctions afférentes dans les établissements d’enseignement de la communauté française de Belgique.
Il se dégage des considérations qui précèdent que dans la mesure où la profession de rééducateur en psychomotricité n’est pas une profession réglementée au Luxembourg au sens des directives générales 89/48/CEE et 92/51/CEE, la partie demanderesse ne peut pas invoquer les mécanismes de reconnaissance y prévus et il s’ensuit que le moyen afférent basé sur l’article 3 de la directive 89/48/CEE, ainsi que sur la loi précitée du 13 août 1992 n’est pas fondé.
L’arrêté ministériel déféré du 6 août 1996 est motivé par la considération que le titre belge de rééducateur en psychomotricité est “ un titre délivré à la suite d’un enseignement 5 supérieur pédagogique et qui ne relève pas de la législation du 26 mars 1992 sur certaines professions de santé et que les études mentionnées ont une orientation pédagogique et par conséquent ne correspondent pas au contenu des études d’une des professions de santé ni quant à leur spécificité ni quant à leur durée ”.
Il se dégage des pièces versées au dossier que la ministre s’est ralliée à l’avis émis en date du 1er août 1996 par la commission appelée à donner des avis en matière de reconnaissance des diplômes de certaines professions de santé obtenus à l’étranger et que l’arrêté ministériel déféré est intervenu sur base de l’article 12 de la loi du 11 janvier 1995, précitée.
Or, ledit article, loin de définir le contenu des études de la profession de santé en cause quant à leur spécificité et à leur durée, a conféré cette tâche au pouvoir réglementaire, qui, à l’heure actuelle, n’a pas encore agi en application de cette base légale habilitante.
Dans la mesure où il se dégage par ailleurs de l’ensemble des considérations qui précèdent que la profession de rééducateur en psychomotricité n’est pas une profession tombant sous l’application d’une directive communautaire instituant un système général de reconnaissance des diplômes, ni ne fait l’objet d’une directive communautaire spécifique et qu’il n’est ni établi, ni allégué qu’il existe en la matière un engagement international ou un accord de réciprocité conclu par le Luxembourg tel qu’envisagé par l’article 12, 2. sub 5) de la loi du 11 janvier 1995 précitée, il y a lieu de retenir que la considération à la base de l’arrêté ministériel déféré suivant laquelle “ les études mentionnées ont une orientation pédagogique et par conséquent ne correspondent pas au contenu des études d’une des profession de santé ni quant à leur spécificité ni quant à leur durée ” ne repose sur aucun fondement légal.
Il s’ensuit que le recours est fondé et que l’arrêté ministériel déféré du 6 août 1996 encourt l’annulation pour cause d’absence de base légale.
La décision déférée de la ministre du 3 août 1998, en ce qu’elle a refusé de faire droit à la demande de reconnaissance du diplôme de rééduatrice en psychomotricité de la demandersse au motif que le délai pour exercer un recours contre l’arrêté ministériel du 6 août 1996 est expiré, encourt également l’annulation pour cause de violation de la loi, alors qu’en l’absence d’instruction sur les voies de recours aucun délai n’a couru à l’encontre dudit arrêté ministériel et que la ministre était partant tenue de statuer sur le recours lui présenté par courrier du 8 juillet 1998 sur base de pièces nouvelles.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le dit justifié;
6 partant annule les décisions déférées et renvoie l’affaire devant la ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 juillet 1999 par:
M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Delaporte 7