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07/07/1999 | LUXEMBOURG | N°10861

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 juillet 1999, 10861


1 N° 10861 du rôle Inscrit le 28 août 1998 Audience publique du 7 juillet 1999

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Recours formé par Monsieur … AJDARPASIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête déposée le 28 août 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurence JACOBS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AJDARPASIC, ressortissant du Monténégro, résidant actue

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1 N° 10861 du rôle Inscrit le 28 août 1998 Audience publique du 7 juillet 1999

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Recours formé par Monsieur … AJDARPASIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête déposée le 28 août 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurence JACOBS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AJDARPASIC, ressortissant du Monténégro, résidant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 juillet 1998, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été refusée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 1998;

Vu le courrier déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 1999, par lequel le tribunal a été informé que Maître Joëlle CHOUCROUN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Marc TRAMOND, avocat, inscrit au prédit tableau, remplace Maître Laurence JACOBS dans le cadre de cette procédure;

Vu le mémoire en réplique du demandeur déposé au greffe du tribunal administratif le 30 avril 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc TRAMOND, en remplacement de Maître Joëlle Choucroun, et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … AJDARPASIC, de confession musulmane, ressortissant du Monténégro, introduisit en date du 13 mars 1998 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par 2 règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le 7 avril 1998 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 14 juillet 1998, le ministre de la Justice informa Monsieur CILOVIC, par lettre du 27 juillet 1998, notifiée le 30 juillet 1998, que sa demande avait été rejetée au motif suivant:

« (…) vous n’invoquez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie ».

Par requête déposée en date du 28 août 1998, Monsieur AJDARPASIC a introduit un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle précitée du 27 juillet 1998.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient que la décision critiquée ne serait pas justifiée, étant donné qu’elle n’apprécierait pas à sa juste valeur la gravité des faits qu’il a invoqués pour justifier ses craintes de persécution et que les faits retenus par le ministre de la Justice ne seraient pas de nature à motiver sa décision de refus.

Dans son mémoire en réplique, il fait exposer qu’il aurait été témoin du meurtre de son cousin, tué le 4 juillet 1997 par des policiers serbes de la localité de Rozhaje. Le commandant de la police de Berania aurait « saisi Monsieur AJDARPASIC et l’a menacé directement de le tuer s’il révélait les circonstances de ce meurtre ». Il aurait raconté « cette histoire à son oncle et est allé porter plainte à la demande de sa famille auprès des autorités ». Les policiers n’auraient cependant entrepris aucune démarche en vue de sanctionner le coupable et un des policiers l’aurait intimidé en « lui disant que s’il le retrouvait un jour il lui ferait sa peau ».

Le demandeur fait ensuite valoir que « quelque temps après », il aurait reçu une convocation pour servir dans les rangs de l’armée fédérale yougoslave. Cette convocation aurait motivé son départ du pays, étant donné qu’il ne voulait pas prendre « les armes pour se battre dans ce conflit sanglant et contre son propre peuple ». En effet, il serait indéniable qu’une guerre sanglante aurait, à cette époque, eu lieu au Kosovo et que le Monténégro touche directement cette région.

Le demandeur fait encore état de la situation économique et politique très instable au Monténégro et dans la province voisine du Kosovo.

Il estime qu’il se dégagerait de ces déclarations qu’il remplit les conditions posées par la Convention de Genève pour l’octroi du statut de réfugié.

3 Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité du recours en annulation, au motif qu’un recours de pleine juridiction serait prévu en la matière.

Quant au fond, il soutient que l’insoumission ou la désertion ne constitueraient pas à elles seules un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié politique. Par ailleurs, concernant la dénonciation du meurtre devant les autorités yougoslaves lors duquel il aurait été menacé de représailles de la part de ces mêmes autorités, le délégué du gouvernement fait valoir qu’il ne s’agirait pas d’une crainte de persécution prévue par la Convention de Genève, mais d’une crainte qui découlerait d’un événement de droit commun.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ce recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours en annulation, introduit à titre subsidiaire, est partant irrecevable.

Concernant le seul moyen formulé par le demandeur à l’encontre de la décision critiquée, tiré de ce que le ministre aurait, à tort, retenu que les faits invoqués par lui ne constitueraient pas une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève, le tribunal, statuant en tant que juge du fond, procédera à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage de l’article premier, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève, que le terme de « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de la dite crainte, ne veut y retourner ».

Le demandeur expose qu’il a effectué son service militaire de mars 1991 jusqu’au 18 mars 1992. A cette date, il aurait été appelé « pour aller en Croatie, où je suis resté jusqu’au 14 mai 1992 », date à laquelle il aurait pu regagner son domicile. Il aurait ensuite été appelé à la « réserve » en juin 1995. Dans ce contexte, il affirme qu’il a « payé quelqu’un et je n’ai pas dû y aller. Le 19 mars 1998, j’ai reçu une convocation pour me présenter à nouveau. Alors j’ai décidé de quitter mon pays et de venir au Luxembourg pour échapper à la réserve ».

Comme le délégué du gouvernement l’a relevé à juste titre, l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur d’asile, en l’espèce Monsieur AJDARPASIC, une crainte justifiée d’être persécuté 4 dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève (cf.

C.E. du 7 mai 1996, n°9526 du rôle).

Lors de son interrogatoire, le demandeur a encore invoqué comme motif de persécution le fait que lorsqu’il était au marché à Bérane, ensemble avec un ami, un policier aurait frappé ce dernier à la suite d’une discussion. Ce même ami aurait par la suite déposé une plainte contre le policier. Dans ce contexte, il aurait été appelé à témoigner en faveur de son ami devant le tribunal. Le policier en question lui aurait alors dit que s’il témoignait, il aurait des problèmes. Il échet de constater que cette version des faits correspond à celle reprise dans le mémoire introductif d’instance, de sorte que la version des faits, telle qu’exposée par la suite dans le mémoire en réplique, consistant à changer la gifle en meurtre, à défaut d’autres éléments qui militeraient de manière crédible en faveur de cette version des faits, est à écarter.

Force est de constater que les faits, tels qu’exposés par le demandeur et qui ont conduit à sa convocation comme témoin dans le cadre d’une affaire pénale née d’une plainte déposée par un de ses amis à l’encontre d’un policier, ont leur origine dans une infraction de droit commun et ils ne constituent pas un motif de persécution au sens de la Convention de Genève.

Le tribunal relève en outre qu’il ressort du procès-verbal d’audition du 7 avril 1998 que le demandeur a déclaré avoir été membre du parti politique SDA depuis 1991, mais qu’il n’a eu ni d’activités politiques ni de responsabilités politiques au sein de ce parti. Lors de son audition, le demandeur n’a pas fait état d’autres motifs ou de faits de persécution. Il précise seulement qu’il aurait peur de la police serbe et des conséquences liées au fait qu’il ne se serait pas présenté à la réserve militaire.

Ainsi, le demandeur n’invoque, ni a fortiori ne prouve, des menaces concrètes ou des mauvais traitements envers sa personne de la part des autorités de son pays d’origine pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève.

Il ressort des considérations qui précèdent, que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation des faits en estimant que le demandeur n’a pas fait valoir de raisons personnelles de nature à justifier, dans son chef, la crainte d’être persécuté pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, 5 condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 7 juillet 1999, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10861
Date de la décision : 07/07/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-07-07;10861 ?

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