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01/07/1999 | LUXEMBOURG | N°10936

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 01 juillet 1999, 10936


N° 10936 du rôle Inscrit le 2 octobre 1998 Audience publique du 1er juillet 1999

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Recours formé par Monsieur … GEIBEN contre un arrêté grand-ducal en matière de discipline

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Vu la requête inscrite sous le numéro 10936 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 octobre 1998 par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …

GEIBEN, fonctionnaire des douanes, demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation e...

N° 10936 du rôle Inscrit le 2 octobre 1998 Audience publique du 1er juillet 1999

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Recours formé par Monsieur … GEIBEN contre un arrêté grand-ducal en matière de discipline

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Vu la requête inscrite sous le numéro 10936 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 octobre 1998 par Maître Gaston VOGEL, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … GEIBEN, fonctionnaire des douanes, demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’un arrêté grand-ducal du 17 août 1998 lui ayant infligé la sanction disciplinaire de la révocation;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 janvier 1999;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 mars 1999 par Maître Gaston VOGEL;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté grand-ducal critiqué;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Gaston VOGEL, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … GEIBEN, …, demeurant à L-…, a été nommé fonctionnaire auprès de l’administration des Douanes et Accises en date du … Le 14 octobre 1996, dans le cadre de l’importation d’un véhicule par lui acquis à l’étranger, Monsieur GEIBEN, en sa qualité d’inspecteur au bureau des Douanes et Accises à Luxembourg-Aéroport, a établi un document n° 446-L intitulé « déclaration T.V.A. en matière d’acquisition intracommunautaire de moyens de transport neufs », portant le numéro 4/ 96.

Ce document a été signé par Monsieur GEIBEN en sa qualité de propriétaire du véhicule à importer. Le formulaire en question contient encore, dans le cadre réservé à l’administration, l’indication que « la T.VA. due en raison de l’acquisition intracommunautaire du moyen de transport désigné ci-avant a été acquittée », ladite certification précédant une signature figurant dans la rubrique « le receveur ». Il ressort encore du dossier qu’un autre volet du 1 même document, qui est destiné à l’administration des Douanes et Accises, diffère du volet prémentionné du même formulaire, qui était destiné à être conservé par le déclarant, dans la mesure où le certificat émis par l’administration mentionne que « la T.V.A. due en raison de l’acquisition intracommunautaire du moyen de transport désigné ci-avant n’a pas été acquittée ». Ce dernier volet est d’ailleurs identique à deux autres volets du même formulaire, qui sont destinés, d’une part, à l’administration de l’Enregistrement et des Domaines et, d’autre part, au STATEC.

Le volet à conserver par le déclarant contient en outre une indication dactylographiée en vertu de laquelle un montant de 147.275.- francs aurait été acquitté.

Sur le document portant « demande en obtention d’une carte d’immatriculation » à remettre à la Société Nationale de Contrôle Technique, dénommée ci-après « S.N.C.T. », dans le cadre de l’immatriculation du véhicule à importer, il est fait référence à une « déclaration T.V.A. en matière d’acquisition intracommunautaire de moyens de transport neufs » portant le numéro 446-L, numéro 469 du 14 octobre 1996.

Par lettre du 6 novembre 1996, la S.N.C.T. informa le directeur de l’administration des Douanes et Accises, dénommé ci-après « le directeur », que lors d’un contrôle a posteriori une divergence de numéro a pu être constatée entre les formulaires 446-L « déclaration T.V.A. en matière d’acquisition intracommunautaire de moyens de transport neufs » et 705 « demande en obtention d’une carte d’immatriculation », dans la mesure où le document 446-L portait le numéro 4/96 et que le document 705 se référait à un document 446-L portant le numéro 469.

En supposant qu’il s’agissait d’une simple erreur matérielle, à la suite d’une inversion de chiffres sur les deux documents, la S.N.C.T. souhaitait voir confirmer cette hypothèse par la direction de l’administration des Douanes et Accises.

Par courrier du même jour, le receveur des Douanes et Accises à Luxembourg-

Aéroport, saisi par le directeur, informa ce dernier qu’un document 446-L portant le numéro 4/96 respectivement 469 n’avait pas été levé à son bureau et qu’un montant de 147.275.-

francs n’avait pas été acquitté au cours du mois d’octobre 1996, en indiquant qu’aucune inscription dans ce sens n’aurait été portée dans les registres de perception.

En date du 7 novembre 1996, le directeur informa Monsieur GEIBEN, par lettre recommandée, que « conformément à l’article 56, § 3 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, il m’appartient de vous informer que les manquements graves dont question ci-dessous vous sont reprochés et que, de ce fait, une instruction disciplinaire est ordonnée à votre encontre.

Une demande de contrôle a posteriori m’a été adressée par la société nationale de contrôle technique à Sandweiler. Cette correspondance concerne le document 446-L numéro 4/96 respectivement 469 émis à votre nom par le bureau des Douanes et Accises à Luxembourg-Aéroport. Ledit document 446-L a été présenté à la société nationale de contrôle technique à Sandweiler le 16 octobre 1996 lors de l’immatriculation de votre voiture n° 95125 (L). Le contrôle subséquent a révélé que ce document n’a pas été levé au bureau des Douanes et Accises à Luxembourg-Aéroport.

2 Néanmoins, étant donné que le document 446-L litigieux, ainsi que la carte 705 y afférente, portent des cachets en usage à cet office, il est à présumer que vous êtes en cause de l’apposition illicite desdits cachets.

Dès lors qu’aucune inscription du montant de 147.275.- LUF ne figure dans les registres de perception, votre manière d’agir représenterait une soustraction au fisc s’élevant à 147.275.- LUF pour lequel quittance a été apposée sur le document 446-L.

Par conséquent, vous auriez contrevenu 1. aux dispositions des articles 9, §§ 1 et 2 et 10, §§ 1 et 2 du Chapitre 5 « Devoirs du fonctionnaire » de la loi du 16 avril 1979, modifiée, fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat;

2. aux dispositions de l’article 322 de la loi générale sur les douanes et accises du 18 juillet 1977.

L’instruction disciplinaire est confiée à Monsieur l’inspecteur-chef de la division anti-

drogues et produits sensibles à Luxembourg-Gasperich ».

Par courrier du même jour, le directeur chargea l’inspecteur-chef de la division Anti-

drogues et Produits sensibles à Luxembourg-Gasperich, dénommé ci-après « l’agent-

enquêteur », de l’instruction disciplinaire au sujet des reproches formulés à charge de Monsieur GEIBEN, en le priant, d’une part, d’entendre sans délai, conformément à l’article 51 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, Monsieur GEIBEN en ses explications et à lui fournir le résultat de cet interrogatoire, et, d’autre part, d’entendre le ou éventuellement les agents en cause et de consigner leurs dépositions sur le formulaire 424 à annexer au rapport d’enquête.

L’épouse de Monsieur GEIBEN, à savoir Madame Iwona GEIBEN-X. fit parvenir une lettre datée du 11 novembre 1996 à l’agent-enquêteur dans laquelle elle s’excusait de sa négligence ayant eu pour conséquence le défaut de paiement du montant de la T.V.A. relative à l’importation du véhicule de son mari, en invoquant des raisons d’ordre personnel et familial, en expliquant notamment que son mari l’aurait chargée du paiement du montant en question et qu’il aurait pu penser de bonne foi que ledit montant aurait été réglé par elle dans les délais requis.

Par lettre séparée datée du même jour, Monsieur GEIBEN s’excusa de son côté auprès de l’agent-enquêteur du paiement tardif du montant de la T.V.A. en se ralliant à la version des faits présentée par son épouse. En annexe à cette lettre, il joignit une copie d’un ordre de virement en vue du règlement de la somme de 147.275.- francs au titre de la T.V.A à payer en vertu de sa déclaration 446-L numéro 4/96. Il ressort par ailleurs des pièces versées en cause que le paiement en question a été effectué en date du 11 novembre 1996.

L’agent-enquêteur, ainsi qu’un inspecteur des Douanes et Accises ont procédé à l’audition de Monsieur GEIBEN en date du 2 décembre 1996, en présence de son conseil juridique de l’époque. Au cours de cette audition, Monsieur GEIBEN présentait sa version des faits. Interrogé sur la question de savoir s’il avait lui-même émis le document 446-L numéro 4/96, il a répondu par l’affirmative, en soutenant qu’il avait non seulement rempli la partie du formulaire réservée au propriétaire du véhicule à immatriculer, mais qu’il avait également 3 rempli le « cadre réservé à l’administration ». Il a encore expliqué qu’il avait signé le formulaire non seulement en tant que propriétaire du véhicule en question, mais qu’il avait également apposé sa signature dans la rubrique où normalement le receveur aurait dû signer en vue d’acquitter le montant de la T.V.A. à payer, étant entendu qu’il aurait essayé de rendre illisible cette dernière signature en essayant de la biffer avec son stylo. Il a indiqué en outre à cette occasion, en ce qui concerne la mention dactylographiée figurant sur le document en question, confirmant que le montant de la T.V.A. aurait été acquitté, que cette indication n’a pas été apposée sur ledit formulaire au moyen de la machine de comptabilisation généralement utilisée à ces fins, et ayant notamment pour objet de comptabiliser automatiquement le montant de la somme due, mais que ladite impression a été faite au moyen des appareils informatiques installés dans son bureau. Il a déclaré, dans ce contexte, avoir estimé ne pas agir au-delà d’une certaine tolérance administrative, en se basant sur d’autres cas dans lesquels des documents auraient été officiellement acquittés avant le paiement de la somme due. Il n’a par ailleurs pu fournir aucune explication quant au fait de savoir pour quelle raison il a imprimé cet acquittement seulement sur l’exemplaire destiné au propriétaire du véhicule et non pas sur les autres volets du même formulaire. Enfin, il a informé les agents enquêteurs que d’autres fonctionnaires de son bureau auraient été au courant de l’émission des formulaires nécessités par lui en vue de l’immatriculation de son véhicule au Luxembourg.

Le procès-verbal contenant les déclarations précitées de Monsieur GEIBEN ayant été remis au directeur, ce dernier informa l’agent-enquêteur, par courrier du 4 décembre 1996, qu’il y aurait lieu de procéder à la continuation de l’instruction disciplinaire qui lui a été confiée par le courrier antérieur du 7 novembre 1996.

Par décision du 13 décembre 1996, le directeur suspendit Monsieur GEIBEN de l’exercice de ses fonctions d’inspecteur des douanes et accises avec effet immédiat et pendant une durée allant jusqu’à la décision définitive de l’instruction disciplinaire. Cette décision de suspension a été confirmée par un arrêté ministériel du 18 décembre 1996.

Par un courrier du 16 mai 1997, l’agent-enquêteur remit son rapport au directeur en y joignant les procès-verbaux d’audition non seulement de Monsieur GEIBEN lui-même, mais également d’autres fonctionnaires employés par le bureau de Luxembourg-Aéroport.

En date du 29 mai 1997, Monsieur GEIBEN prit inspection de son dossier ainsi remis au directeur, en présence de son conseil juridique, tout en étant informé qu’il pouvait présenter ses observations éventuelles et demander un complément d’instruction par rapport à l’instruction accomplie à cette date.

Monsieur GEIBEN n’ayant pas sollicité un complément d’instruction, le directeur transmit le dossier disciplinaire au ministre des Finances, par courrier du 9 juillet 1997, ensemble avec son avis et ses conclusions tendant à l’application d’une sanction disciplinaire en estimant qu’au vu de la gravité de la faute commise et de la nature et du grade des fonctions de Monsieur GEIBEN, ainsi que des arguments pertinents en sa défaveur, sa compétence en vue d’appliquer une sanction disciplinaire telle que prévue à l’article 52, deuxième alinéa de la loi précitée du 16 avril 1979 serait dépassée. Il appartiendrait partant au ministre des Finances de prendre une décision définitive conformément à l’article 56, paragraphe 5 de la loi précitée.

Par courrier du 6 octobre 1997 adressé au ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, le ministre des Finances pria ce dernier de transmettre au Conseil de 4 discipline le dossier disciplinaire établi à charge de Monsieur GEIBEN, en estimant « qu’au vu de la gravité de la faute commise et compte tenu de la nature et du grade des fonctions exercées par le sieur GEIBEN, il y a lieu de réprimer les manquements établis par l’instruction par une sanction plus sévère que celles mentionnées à l’art. 56. sous 5.b) du statut général des fonctionnaires de l’Etat ».

Par courrier du 13 octobre 1997, le président du Conseil de discipline fut saisi par le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative du dossier disciplinaire précité.

Monsieur GEIBEN fut convoqué par lettre du 31 octobre 1997 à se présenter en date du 25 novembre 1997 devant le Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat en vue d’y « être entendu sur ses moyens de défense relatifs aux faits lui reprochés ». Il ressort encore de la copie de la convocation en question qu’en annexe à celle-ci a été jointe une copie de son dossier, qui, d’après les énonciations figurant sur ce document, serait par ailleurs tenu à sa disposition au secrétariat du Conseil de discipline où Monsieur GEIBEN lui-même ainsi que son défenseur pourraient en prendre inspection sans déplacement des pièces.

Par une nouvelle convocation adressée à Monsieur GEIBEN par lettre du 26 novembre 1997, il fut invité à se présenter le 13 janvier 1998 devant le Conseil de discipline pour y être entendu à nouveau sur ses moyens de défense relatifs aux faits lui reprochés, en lui rappelant que le dossier serait à sa disposition au secrétariat du Conseil de discipline.

Par lettre du 1er décembre 1997, le conseil juridique de Monsieur GEIBEN informa le président du Conseil de discipline que sa partie « veut connaître avant tout autre progrès en cause l’avis du Conseil de Discipline sur la recevabilité de la citation », en l’informant encore qu’« elle n’assistera à aucun acte d’instruction tant qu’elle n’aura pas été saisie d’un acte d’accusation en bonne et due forme ».

Monsieur GEIBEN fut convoqué une troisième fois par courrier du 21 janvier 1998 à assister à une audience du Conseil de discipline convoquée pour le 17 février 1998.

Enfin, une dernière convocation lui fut adressée en date du 18 février 1998 en vue d’assister à une audience du Conseil de discipline convoquée pour le 10 mars 1998.

Il ressort de l’avis pris par le Conseil de discipline des fonctionnaires d’Etat lors de son audience du 10 mars 1998 que Monsieur GEIBEN a comparu, en présence de son conseil juridique, à l’audience du 25 novembre 1997 et qu’à cette occasion il n’a pas pris position quant au fond des reproches lui adressés dans le cadre de la procédure disciplinaire et que par contre son conseil juridique a soumis au Conseil de discipline un corps de conclusions dans lesquelles il informa les membres du Conseil de discipline notamment que sa partie « refuse de comparaître sur une simple convocation ne contenant pas l’ombre d’un fait précis de nature disciplinaire permettant que la défense puisse utilement défendre les intérêts de l’inculpé; que le fait de remettre à l’inculpé un dossier où figure par-dessus le marché une lettre ésotérique, à peine intelligible du Directeur des Douanes ne remplit en rien les conditions prévues à l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui exige une information précise sur les chefs d’accusation et cela tant quant à la nature que quant à la cause ».

5 Lors de l’audience en question, le Conseil de discipline, en « s’estimant insuffisamment éclairé sur base de l’enquête disciplinaire effectuée par le fonctionnaire régulièrement délégué à cet effet » a décidé « de procéder à l’audition de témoins pour mieux cerner les fonctions de l’inculpé au sein du bureau des Douanes et Accises à Luxembourg-Aéroport au moment des faits reprochés à … GEIBEN dans le cadre de la .. procédure, et comprendre le déroulement exact de la démarche administrative en vue de l’importation et de l’immatriculation de voitures en provenance d’un pays européen ».

Il ressort encore de l’avis précité du Conseil de discipline, que ce dernier a rejeté le moyen avancé par Monsieur GEIBEN en vue d’obtenir un sursis à statuer au motif qu’une instruction pénale serait en cours contre lui en raison des faits qui lui sont reprochés dans le cadre de la procédure disciplinaire, au motif qu’aucune procédure pénale n’était en cours contre Monsieur GEIBEN. En outre, en ce qui concerne l’exigence posée par Monsieur GEIBEN quant à la nécessité de lui faire parvenir un acte d’accusation en bonne et due forme, le Conseil de discipline a constaté d’abord que le droit disciplinaire serait autonome par rapport au droit pénal et que par ailleurs « aucune des sanctions disciplinaires encourues par les fonctionnaires publics ne remplient (sic) les conditions pour pouvoir prétendre à la qualification d’accusation pénale au sens de l’article 6 de la Convention [Européenne des Droits de l’Homme] » au motif que « les dispositions de l’article 6 n’ont pas pour objet, ni pour effet d’interdire à l’autorité investie du pouvoir disciplinaire de sanctionner des faits reprochés à un agent public », en concluant qu’un acte de citation tel que prévu en matière pénale ne serait pas requis en matière disciplinaire. Le Conseil de discipline a encore retenu que Monsieur GEIBEN « a été informé de façon détaillée des faits qui lui sont reprochés avec l’indication des dispositions de la loi, auxquelles le fonctionnaire présumé fautif aurait contrevenu (articles 9,§ 1 et 2 et 10, § 1 et 2 du Chapitre 5 « Devoirs du fonctionnaire ») et de l’ouverture d’une instruction disciplinaire confiée à l’inspecteur-chef de la Division Anti-

drogues et Produits sensibles à Luxembourg-Gasperich », en relevant en outre qu’après la clôture de l’instruction disciplinaire, Monsieur GEIBEN a pris inspection de son dossier en date du 27 mai 1997 et que le conseil juridique de Monsieur GEIBEN a pris position dans des lettres datées des 1er et 17 juillet 1997 quant aux manquements reprochés à son mandant. Le Conseil de discipline a partant écarté le moyen tiré de l’exigence d’un acte d’accusation en estimant que « les garanties offertes aux fonctionnaires poursuivis disciplinairement et consacrées dans la loi relative au statut général de la Fonction publique sont conformes aux exigences de l’article 6 de la Convention ».

Quant au fond, le Conseil de discipline a, lors de l’audience précitée du 10 mars 1998, proposé de révoquer Monsieur GEIBEN en retenant qu’il se serait rendu coupable d’un faux en écritures en certifiant sur le volet du formulaire 446-L réservé à l’administration que la T.V.A. due en raison de l’acquisition intercommunautaire du moyen de transport désigné a été acquitté, et qu’il se serait servi de ce faux pour faire immatriculer sa voiture, en retenant que « les faits retenus constituent des manquements graves aux devoirs du fonctionnaire tels que retracés dans les articles 9, paragraphes 1 et 2 et 10, paragraphe 1, de la loi relative au statut général des fonctionnaires publics ».

Le Conseil de discipline a enfin retenu dans ce contexte qu’« il est établi que … GEIBEN n’avait pas réglé la T.V.A. redue au moment de l’établissement du formulaire 446-L et de l’immatriculation de son véhicule » en estimant que « le fait que l’inculpé a réglé la T.V.A. après l’ouverture de la procédure disciplinaire ne peut valoir dans les circonstances données comme circonstances atténuantes ».

6 Par arrêté grand-ducal du 17 août 1998, Monsieur GEIBEN a été révoqué de sa fonction d’inspecteur à l’administration des Douanes et Accises sur base des considérants suivants:

« Considérant qu’il ressort du dossier en question que l’inspecteur Geiben s’est rendu coupable d’un faux en écriture en établissant pour son propre compte et en son propre nom, une déclaration TVA en matière d’acquisition intra-communautaire de moyens de transport neufs, à savoir le document 446-L, en le revêtant des cachets officiels du bureau D/A de Luxembourg-Aéroport et en certifiant l’acquittement de la TVA due par l’apposition de sa signature dans la case du document réservée à cet effet pour usage administratif, sans avoir en fait acquitté cette taxe à la caisse du bureau précité;

Qu’il a par la suite procédé à l’immatriculation de sa voiture auprès de la SNCT à Sandweiler en présentant l’exemplaire D du document précité ainsi validé officiellement;

Considérant que les explications de l’inspecteur Geiben quant à son intention d’avoir voulu acquitter la TVA par la suite ne sont pas crédibles étant donné que d’abord, contrairement à ses assertions, ni son chef hiérarchique, ni ses collègues de travail n’étaient au courant de ce qu’il avait rempli, signé et acquitté les formulaires pour l’importation et l’immatriculation de sa voiture privée sans avoir réglé la TVA afférente alors qu’il aurait dû, pour le moins, solliciter l’autorisation de son chef hiérarchique pour procéder à l’importation au bureau auquel il était affecté et aurait dû faire acquitter la quittance du formulaire par le caissier, après avoir réglé le montant afférent, qu’ensuite il ne lui appartenait pas de se décharger sur son épouse, de nationalité polonaise et peu versée dans les procédures administratives luxembourgeoises, du règlement de la taxe dont il était redevable, dès lors qu’il savait que l’acquittement de la TVA était préalable à l’immatriculation du véhicule importé;

Que le fait que l’inculpé a réglé la TVA après l’ouverture de la procédure disciplinaire ne peut donc valoir dans les circonstances données comme circonstance atténuante;

Considérant que les faits retenus constituent des manquements très graves aux devoirs du fonctionnaire tels qu’ils sont énoncés aux articles 9, §§ 1 et 2 et 10, § 1 de la loi du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, telle qu’elle a été modifiée; » Par requête déposée le 2 octobre 1998, Monsieur GEIBEN a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de l’arrêté grand-

ducal du 17 août 1998.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Conformément à l’article 54, paragraphe (3) de la loi précitée du 16 avril 1979, le tribunal administratif statue comme juge du fond en cas de recours formé par un fonctionnaire, dirigé contre une décision ayant prononcé une sanction disciplinaire autre que celles prévues à l’article 54, paragraphe (1) de la même loi.

7 En l’espèce, le demandeur a été frappé de la sanction disciplinaire de la révocation qui ne figure pas parmi les sanctions prévues par ledit article 54, paragraphe (1). Partant, le tribunal administratif est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre subsidiaire par le demandeur.

Le recours en annulation, introduit à titre principal, est partant à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été formé dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur estime tout d’abord que la procédure d’instruction de l’affaire disciplinaire ayant abouti à l’arrêté grand-ducal du 17 août 1998 serait viciée du fait qu’un acte d’accusation contenant non seulement les faits matériels lui reprochés mais également la qualification juridique de ceux-ci ne lui aurait pas été remis avant la première audience du Conseil de discipline. Il explique encore que ce serait en raison de cette irrégularité de procédure, il ne s’est pas présenté aux différentes audiences du Conseil de discipline.

Le demandeur soutient que la procédure disciplinaire ne serait partant pas conforme aux exigences posées par l’article 6, paragraphe (3), a) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, approuvée par une loi luxembourgeoise du 29 août 1953, telle que modifiée par la suite, dénommée ci-après « la Convention européenne des droits de l’homme », dans la mesure où cette disposition exigerait une information précise sur les chefs d’accusation, non seulement en ce qui concerne la nature mais également en ce qui concerne la cause de ceux-ci.

Le délégué du gouvernement rétorque que le Conseil de discipline, qui interviendrait en tant qu’organe de la hiérarchie administrative, ne constituerait pas un tribunal au sens de l’article 86 de la Constitution, dans la mesure où il ne rendrait qu’un avis motivé et qu’il ne tomberait partant pas sous les principes propres à l’ordre judiciaire. La décision à rendre par le Conseil de discipline constituerait partant une décision administrative et la procédure à suivre devant cet organe administratif ne serait pas soumise à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

A titre subsidiaire, le représentant étatique estime que le demandeur aurait été informé en détail sur les faits qui lui ont été reprochés, dès la réception de la lettre du directeur du 7 novembre 1996.

L’article 6, paragraphe (3), a) de la Convention européenne des droits de l’homme, dont la violation est invoquée par le demandeur, dispose que tout accusé a droit notamment à « être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui; ».

Le champ d’application de cet article se situe nécessairement dans celui déterminé par le paragraphe 1er du même article 6, en vertu duquel « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière 8 pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».

Il échet donc d’analyser notamment si, comme l’expose le délégué du gouvernement, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme s’applique au Conseil de discipline. En effet, le représentant étatique soutient que cet organe ne constituerait pas un tribunal au sens de l’article 86 de la Constitution et que par conséquent, il ne serait pas visé par l’article 6, paragraphe 1er précité.

Dans le cadre d’une procédure disciplinaire dirigée contre un fonctionnaire de l’Etat, le membre du gouvernement investi du pouvoir disciplinaire doit, après instruction préalable, transmettre le dossier au Conseil de discipline lorsque les faits portés à la connaissance du chef hiérarchique « sont d’une gravité telle qu’à son avis et de l’avis de l’autorité investie du pouvoir disciplinaire l’application des sanctions mineures de l’avertissement, de la réprimande ou de l’amende ne dépassant pas le cinquième d’une mensualité brute du traitement de base n’entre pas en ligne de compte », conformément aux articles 56, paragraphe (6) et 51, alinéa 2 de la loi précitée du 16 avril 1979.

En l’espèce, l’autorité compétente a entendu infliger au demandeur une sanction disciplinaire autre que l’avertissement, la réprimande et l’amende ne dépassant pas le cinquième d’une mensualité brute du traitement de base, et elle a partant dû saisir le Conseil de discipline avant toute prise de décision quant à la sanction à lui appliquer. Ce Conseil de discipline, qui n’est compétent que pour soumettre son avis à l’autorité investie du pouvoir disciplinaire, en proposant à cette dernière autorité la ou les sanctions qui lui semblent appropriées au cas d’espèce, ne dispose d’aucun pouvoir décisionnel.

Le Conseil de discipline n’est partant pas à considérer comme tribunal au sens de l’article 6, paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, étant donné qu’un tel tribunal doit posséder non pas de simples attributions consultatives, mais des pouvoirs décisionnels (cf. CEDH, 2 mars 1987, affaire Weeks).

Toutefois, comme le tribunal administratif a compétence, lorsque la révocation d’un fonctionnaire de l’Etat a été prononcée par l’autorité compétente, d’exercer un contrôle de l’adéquation entre la gravité de la sanction et l’infraction qui l’a motivée (Ibidem. page 221), la procédure disciplinaire aboutissant à la révocation du fonctionnaire de l’Etat, du fait de son caractère contradictoire, de la possibilité de l’appel et de la motivation des sanctions tombe sous le champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ( cf. René CHAPUS, Droit administratif général, tome 2, Paris, Montchrestien, 9e édition, 1996, page 326). Il ne saurait en effet être contesté que le tribunal administratif constitue un tribunal au sens de l’article 6 précité. Il importe donc peu que le Conseil de discipline ne soit pas, en tant que tel, visé par la disposition en question, alors que du fait que le fonctionnaire poursuivi disciplinairement peut en tout état de cause former un recours devant le tribunal administratif, statuant comme juge de la réformation.

9 Ainsi, du fait du contrôle ultérieur susceptible d’être exercé par les juridictions administratives, portant non seulement sur la légalité, mais également sur le caractère proportionné de la mesure prise, la procédure disciplinaire pouvant aboutir à la sanction de la révocation, d’après le droit luxembourgeois, tombe sous le champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, le fait que la sanction ne soit pas rendue par une juridiction, au sens commun du terme, mais par l’autorité investie du pouvoir de nomination est indifférent pour l’application de l’article 6 à partir du moment où la sanction à prononcer par cette autorité peut faire l’objet d’un recours au fond devant le juge administratif qui peut exercer sur elles (les sanctions) un contrôle d’opportunité (cf. Stéphane BRACONNIER, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et droit administratif français, Bruylant, 1997, pages 242 et s.).

Il y a par ailleurs lieu d’ajouter que le champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme est encore déterminé par le même paragraphe 1er dudit article, dans la mesure où celui-ci se réfère à des « contestations sur des droits et obligations de caractère civil » et à des « accusations en matière pénale ». Il y a partant lieu de déterminer si les procédures disciplinaires dirigées contre un fonctionnaire de l’Etat sont susceptibles d’être classées sous l’un ou l’autre des deux types de litige.

S’il ne peut plus être contesté que les procédures disciplinaires relatives à la suspension ou à la privation du droit d’exercer une profession peuvent s’analyser comme une contestation sur des droits et obligations de caractère civil au sens de l’article 6, paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme ( Jacques VELU et Rusen ERGEC, La Convention européenne des droits de l’homme, Bruylant, 1990, n°410, page 366), il n’en reste pas moins que les procédures disciplinaires relevant de la fonction publique ne sauraient être considérées comme constituant des litiges ayant un caractère civil (Ibidem. n° 415, page 371).

En effet, le contentieux de la fonction publique est étranger aux contestations sur des droits et obligations de caractère civil (Ibidem n° 427, page 381).

La procédure disciplinaire dirigée contre un fonctionnaire de l’Etat ne pouvant être classée sous les « droits et obligations de caractère civil », il y a lieu de s’interroger sur la question de savoir si de telles procédures sont susceptibles d’être visées par la notion d’« accusation en matière pénale ».

Il ressort notamment de l’arrêt Engel de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 8 juin 1976, affaire ENGEL) que le bien-fondé d’une accusation en matière pénale ne peut s’interpréter par la simple référence au droit interne et que plus particulièrement cette notion doit revêtir un contenu plus large que celui qui existe en droit interne. Ainsi, une poursuite, qualifiée de « disciplinaire » en droit interne, peut être considérée comme mettant en jeu une accusation en matière pénale au titre de l’article 6, paragraphe 1er de la Convention européenne des droits de l’homme (Jacques VELU et Rusen ERGEC, op.cit. n°410, pages 366 et s.). Une telle conception large de la notion en question se justifie par le fait qu’il y a lieu d’éviter, du point de vue de la protection des droits de l’homme, qu’un Etat contractant restreigne à sa guise le domaine du droit pénal stricto sensu de manière à lui soustraire une grande partie des procédures juridictionnelles qui échapperaient ainsi aux garanties prévues par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

C’est ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme a élaboré, depuis l’arrêt Engel précité, une notion autonome portant sur les accusations en matière pénale, en la 10 distinguant des notions utilisées dans les différents Etats contractants, dans la mesure où, même si elle tient compte de la qualification des faits d’après le droit national, elle prend également en considération la nature même de l’infraction ainsi que le degré de sévérité de la sanction. Dans le cadre de cette analyse, la Cour a également tenu compte de l’objectif poursuivi par les sanctions disciplinaires, en s’interrogeant notamment sur la question de savoir si celles-ci poursuivent un objectif analogue au but général du droit pénal.

Ainsi, la Cour a, dans l’affaire Öztürk (CEDH, 21 février 1984), considéré qu’une contravention administrative pouvait être qualifiée d’accusation en matière pénale, en retenant que la qualification retenue par le législateur national à la suite d’une décriminalisation des petites infractions en matière de circulation routière, n’était pas déterminante aux fins de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans cet arrêt, la Cour a souligné l’autonomie de la notion de « matière pénale », au sens de l’article 6 précité, en rappelant les critères antérieurement fixés dans l’arrêt Engel, en estimant que les indications retenues en droit interne n’ont qu’une valeur relative. La Cour a encore constaté que « relèvent du droit pénal les infractions dont les auteurs s’exposent à des peines destinées notamment à exercer un effet dissuasif et qui constituent d’habitude en des mesures privatives de liberté et en des amendes ».

Nonobstant le fait que dans le cadre de l’affaire Öztürk il s’agissait d’une infraction légère, la Cour a retenu qu’ « elle ne sortait pas pour autant du champ d’application de l’article 6 » précité. D’après elle, « rien ne donne en effet à penser que l’infraction pénale … au sens de la Convention, implique nécessairement un certain degré de gravité ». Ainsi, « la faiblesse relative de l’enjeu … ne saurait retirer à une infraction son caractère pénal intrinsèque ». Ces principes ont été repris dans l’arrêt Lutz (CEDH, 25 août 1987, Lutz), dans lequel la Cour s’est également basée notamment sur le caractère général de la norme et le but, à la fois préventif et répressif de la sanction, en vue de retenir la qualification « pénale » d’une infraction. Dans cet arrêt la Cour a également rappelé, à la suite de l’arrêt Öztürk précité, que les critères tirés de la nature et du degré de sévérité de la sanction étaient alternatifs et non cumulatifs.

Pour déterminer si une procédure spécifique, qualifiée par le droit interne de « disciplinaire » relève néanmoins d’une « accusation en matière pénale » au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, il échet donc de tenir compte non seulement de la gravité de la faute commise par le fonctionnaire mais également de la sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé.

En l’espèce, les faits commis par le demandeur sont susceptibles d’être qualifiés de faux et de soustraction de deniers publics au fisc et ils sont partant susceptibles de faire l’objet d’une qualification pénale d’après le droit luxembourgeois. Par ailleurs, comme le fonctionnaire en question risquait, dès le déclenchement de la procédure disciplinaire, la sanction grave de la révocation consistant dans « la perte de l’emploi, du titre et du droit à la pension », conformément à l’article 47, paragraphe 11 de la loi précitée du 16 avril 1979, à savoir la sanction la plus sévère en matière disciplinaire, comme cette sanction poursuit également un but de répression dans la mesure où le fonctionnaire se voit enlever le droit à pension pour les années passées au sein de la fonction publique, et comme cette sanction est assimilable à une amende à prononcer par une juridiction pénale, il en découle que le risque d’encourir la sanction de la révocation entraîne que les procédures disciplinaires doivent à cet égard être considérées comme constituant une accusation en matière pénale au sens de l’article 6 de la 11 Convention européenne des droits de l’homme. La sanction encourue par le demandeur a partant un caractère répressif, au-delà du caractère préventif consistant à l’écarter de ses fonctions afin d’éviter qu’à l’avenir il compromette à nouveau le bon fonctionnement des services de l’Etat.

Il découle des considérations qui précèdent que l’article 6 de la Convention européenne des droits l’homme et plus particulièrement son paragraphe 3 est applicable à la procédure disciplinaire dirigée contre le demandeur et partant, conformément au point a) du paragraphe 3 en question, un acte d’accusation contenant d’une manière détaillée non seulement la nature mais également la cause juridique des griefs dirigés contre lui aurait dû lui être adressé.

L’exigence d’un tel acte d’accusation ne constitue qu’une modalité du principe général du respect des droits de la défense dans la mesure où le fonctionnaire faisant l’objet d’une procédure disciplinaire doit être mis en mesure de connaître avec toute la précision requise les reproches qui lui sont adressés ainsi que la qualification juridique des faits en question afin qu’il puisse présenter sa défense devant le Conseil de discipline sur l’avis duquel se base l’autorité investie du pouvoir disciplinaire en vue de prononcer la sanction appropriée. Il y a en effet lieu d’assurer, tel que cela est par ailleurs prévu par le point b) du même paragraphe 3, que l’intéressé dispose de toutes les « facilités nécessaires à la préparation de sa défense ».

La nécessité de la notification au demandeur, dans un délai utile précédant la première audience du Conseil de discipline, d’un acte d’accusation contenant la nature et la cause de l’accusation portée contre lui ne fait pas de doute. Une telle information du demandeur lui permet d’assurer utilement la défense de ses intérêts notamment lors des audiences du Conseil de discipline, qui constitue une étape importante et décisive de la procédure disciplinaire.

Le fait que cette information soit portée à la connaissance du fonctionnaire faisant l’objet d’une procédure disciplinaire avant ou après l’instruction préalable de l’affaire est indifférent dans la mesure où les faits et la qualification juridique qui leur est donnée par l’autorité compétente sont restés inchangés entre ladite notification et la première audience du Conseil de discipline. Cependant, dès que soit les faits changent soit leur qualification juridique est modifiée au cours de cette période, la notification d’un nouvel acte d’accusation au fonctionnaire concerné, contenant la nouvelle version des faits ou leur qualification juridique nouvelle est nécessaire.

Il échet d’analyser si, en l’espèce, la formalité de la notification d’un acte d’accusation a été respectée, au vu du principe énoncé ci-avant.

Par lettre du 7 novembre 1996, le directeur envoya, par pli recommandé, une lettre au demandeur l’informant de ce que des « manquements graves » lui étaient reprochés, et qu’une instruction disciplinaire serait ordonnée à son encontre. La prédite lettre précise ensuite les faits qui lui ont été reprochés, en l’informant encore de ce que les faits en question seraient susceptibles de constituer des violations des articles 9, paragraphes 1 et 2 et 10, paragraphes 1 et 2 du chapitre 5 de la loi précitée du 16 avril 1979 ainsi que de l’article 322 de la loi générale sur les douanes et accises du 18 juillet 1977. Cette information du demandeur a précédé non seulement la procédure disciplinaire proprement dite au cours de laquelle ont été entendus différentes personnes faisant partie du personnel de l’administration des Douanes et Accises, dont les déclarations ont été couchées dans des procès-verbaux mais également les rapports finaux établis, d’une part, par l’agent-enquêteur et, d’autre part, par le directeur.

12 Dans le cas d’espèce, le demandeur a partant reçu une information complète non seulement sur les faits mais également sur la qualification juridique que l’autorité compétente entendait leur donner, et qui lui ont été reprochés. Il ressort encore d’une lettre adressée par le demandeur en date du 11 novembre 1996 à l’agent-enquêteur qu’il avait une connaissance parfaite des faits en question, alors qu’il s’y est référé en s’excusant auprès de l’agent-

enquêteur en question de la négligence commise par lui sinon par son épouse. Par ailleurs, il résulte de l’ensemble des actes d’instruction auxquels l’agent-enquêteur a procédé au cours de l’instruction préalable de l’affaire disciplinaire dirigée contre le demandeur, que les faits sur lesquels les différentes personnes et le demandeur lui-même ont été interrogés sont restés les mêmes et que d’autres faits qui auraient pu lui être reprochés ne sont pas apparus au cours de cette phase de la procédure. Cette constatation peut encore être faite sur base du rapport soumis par l’agent-enquêteur au directeur, en date du 16 mai 1997 et du rapport fait en date du 9 juillet 1997 par le directeur au ministre des Finances.

Dans la lettre précitée du 7 novembre 1996 adressée par le directeur au demandeur, il lui a été reproché d’avoir contrevenu aux articles 9, paragraphes 1 et 2 et 10, paragraphes 1 et 2 du chapitre 5 « devoirs du fonctionnaire » de la loi précitée du 16 avril 1979 et aux dispositions de l’article 322 de la loi générale sur les douanes et accises du 18 juillet 1977. Le fait que l’agent-enquêteur a estimé, dans son rapport adressé au directeur le 16 mai 1997, que l’ « application de l’article 322 de la loi générale sur les douanes et accises du 18 juillet 1977 n’entre pas en ligne de compte » et que le directeur semble s’être rallié à cette conclusion dans la mesure où il a retenu, dans son rapport transmis au ministre des Finances par courrier du 9 juillet 1997, que le demandeur aurait seulement contrevenu aux dispositions précitées de la loi précitée du 16 avril 1979, sans citer une éventuelle violation d’une disposition de la loi précitée du 18 juillet 1977, n’est pas de nature à porter atteinte aux droits de la défense du demandeur, étant donné que la renonciation à ce chef d’accusation ne peut que lui être favorable.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent, qu’un acte d’accusation tel qu’exigé par l’article 6, paragraphe 3, a) de la Convention européenne des droits de l’homme a été notifié au demandeur dans un délai utile précédant la première audience du Conseil de discipline et que le demandeur était partant en mesure d’assurer utilement la défense de ses intérêts au cours de la procédure qui s’est déroulée devant ledit Conseil de discipline, étant donné qu’il a pu avoir une connaissance complète non seulement de la nature mais également de la cause de l’accusation portée contre lui.

Le moyen tendant à l’annulation de la décision critiquée, tiré d’un vice affectant la procédure d’instruction de l’affaire disciplinaire, devant emporter non seulement l’annulation de celle-ci mais également de la décision qui s’en est suivie, doit être rejeté.

Quant au fond, le demandeur estime que la peine prononcée à son encontre ne serait pas justifiée et qu’elle serait nettement excessive, en soulignant que même si on pouvait parler d’un faux, un tel faux ne saurait être retenu que dans la pure matérialité du fait, une finalité et une intention criminelles n’étant pas rapportées en l’espèce. En relevant qu’il a payé le montant de la TVA due, qu’il est fonctionnaire depuis 20 ans et qu’au cours de cette période ni une action judiciaire, ni une action disciplinaire n’ont été intentées contre lui, il sollicite la réformation de la décision critiquée, en demandant au tribunal de prononcer une sanction proportionnelle aux faits de l’espèce.

13 Le délégué du gouvernement, après avoir retenu que les explications fournies par le demandeur pour alléguer que son intention frauduleuse ne serait pas donnée ne sont pas crédibles, estime que le demandeur n’a eu le moindre scrupule d’afficher sa double casquette de contrôleur et de contrôlé et qu’il devait savoir que la TVA devait être préalablement acquittée avant l’immatriculation du véhicule importé. Le représentant étatique conclut que, sur base de l’ensemble des éléments du dossier, le demandeur ne serait pas susceptible de bénéficier de circonstances atténuantes et que partant la sanction prononcée contre lui devait être maintenue.

D’après l’article 53, alinéa 1er de la loi précitée du 16 avril 1979, « l’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé ».

Dans le cadre du recours en réformation, le tribunal est amené à apprécier les faits commis par le demandeur en vue de déterminer si la sanction prononcée par l’autorité compétente a un caractère proportionné et juste, en prenant notamment en considération la situation personnelle et les antécédents éventuels du demandeur.

Il ressort des éléments et pièces du dossier, que le demandeur a été fonctionnaire auprès de l’Etat depuis le 1er octobre 1979. Le délégué du gouvernement n’a pas allégué voire établi une quelconque poursuite judiciaire ou disciplinaire engagée antérieurement à l’encontre du demandeur.

Les faits commis par le demandeur en date du 14 octobre 1996, à savoir l’établissement, en son nom et pour son compte, d’un document n° 446-L intitulé « déclaration TVA en matière d’acquisition intra-communautaire de moyens de transport neufs » dans le cadre de l’importation de son véhicule acquis à l’étranger, en le présentant, ensemble avec le formulaire 705 intitulé « demande en obtention d’une carte d’immatriculation », à la S.N.C.T. de manière à faire croire à cette dernière société que le montant de la TVA aurait été acquitté au moment de la demande d’immatriculation de son véhicule, en apposant une ou des signatures dans la rubrique « le receveur » et en apposant encore une indication dactylographiée en vertu de laquelle le montant de la TVA aurait été acquitté, sans que le paiement afférent a été effectué, sont des faits d’une gravité telle que les sanctions de l’avertissement, de la réprimande ou de l’amende ne dépassant pas le cinquième d’une mensualité brute du traitement de base ne sont pas appropriées.

Il ressort encore des éléments du dossier que le demandeur était, après Monsieur J.M., le chef hiérarchique des fonctionnaires du bureau des Douanes et Accises à Luxembourg-

Aéroport et qu’il possédait donc, en sa qualité d’inspecteur des Douanes et Accises, un grade élevé dans la hiérarchie de l’administration des Douanes et Accises.

Il résulte par ailleurs des auditions des personnes entendues au cours de l’instruction préalable que, contrairement aux assertions du demandeur, ni son chef hiérarchique, ni ses collègues de travail n’étaient au courant de ce qu’il avait rempli, pour son propre compte et en son propre nom, la déclaration TVA précitée, en remplissant le formulaire n° 446-L et en le revêtant des cachets officiels du bureau des Douanes et Accises de Luxembourg-Aéroport, sans avoir réglé la TVA afférente. Ainsi, le fait de ne pas avoir sollicité l’autorisation de son chef hiérarchique et le fait de ne pas avoir réglé le montant de la TVA afférente, constituent un manquement grave à ses obligations de fonctionnaire.

14 En outre, les explications du demandeur quant à sa tentative de biffer sa signature dans la rubrique « le receveur » sur le formulaire n°446-L sont peu crédibles, étant donné qu’il appert, au vu de la copie du formulaire en question, que les griffes apposées dans cette rubrique, loin de biffer sa signature, ont l’apparence d’une deuxième signature apposée dans la rubrique en question.

Il y a encore lieu de noter qu’il résulte des éléments du dossier que le demandeur a rectifié ex post le formulaire précité en y ajoutant que la TVA n’a pas été acquittée.

Les explications fournies par le demandeur tendant à établir qu’il se serait déchargé sur son épouse, de nationalité polonaise, peu versée dans les procédures administratives luxembourgeoises, afin qu’elle procède au règlement de la TVA dont il était redevable, que celle-ci, croyant à tort disposer d’un délai de paiement, n’a pas procédé de suite au règlement du montant en question et qu’à l’époque des faits il aurait eu des problèmes d’ordre personnel et familial, ne sont pas de nature à excuser le demandeur de son comportement, même si elles devaient s’avérer.

Comme toutefois aucune procédure disciplinaire ou judiciaire n’a été intentée antérieurement contre le demandeur, et comme il ne semble pas avoir fait l’objet de reproches disciplinaires dans le passé, la sanction de la révocation, qui constitue la sanction la plus grave prévue par l’article 47 de la loi précitée du 16 avril 1979, est disproportionnée par rapport aux faits commis, notamment dans la mesure où du fait de cette mesure, le demandeur perd non seulement son emploi, mais également le titre y lié et son droit à la pension. Le tribunal arrive à la conclusion que la sanction de l’exclusion temporaire des fonctions avec privation totale de la rémunération, pour une période de six mois est appropriée par rapport aux faits de l’espèce. Il y a partant lieu à réformation de l’arrêté grand-ducal du 17 août 1998 et de décider, qu’avec effet à partir de la date précitée, le demandeur est à exclure temporairement de ses fonctions avec privation totale de la rémunération, pour une période de six mois.

Au vu de la solution du litige et de la gravité de la faute commise par le demandeur, les frais de la présente instance sont à laisser à sa charge intégrale.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

déclare le recours en annulation irrecevable;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare partiellement justifié, partant annule l’arrêté grand-ducal du 17 août 1998, et, par réformation, inflige à Monsieur … GEIBEN la sanction disciplinaire de l’exclusion temporaire des fonctions avec privation totale de la rémunération, pour une période de six mois, avec effet au 17 août 1998;

renvoie le dossier au ministre des Finances pour prosécution;

15 laisse les frais à charge du demandeur.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 1er juillet 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10936
Date de la décision : 01/07/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-07-01;10936 ?

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