N° 11326 du rôle Inscrit le 14 juin 1999 Audience publique du 24 juin 1999
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Recours formé par Monsieur … AJLANI contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 1999 par Maître Charles DURO, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AJLANI, de nationalité tunisienne, ayant été placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 mai 1999 ordonnant une mesure de placement à son égard;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juin 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Christian GAILLOT, en remplacement de Maître Charles DURO, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Par décision du ministre de la Justice du 14 mai 1999, Monsieur … AJLANI, né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, a été placé, pour une durée maximum d’un mois, au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.
Ladite décision est basée sur les considérants et motifs suivants:
« Considérant que l’intéressé a présenté une demande d’asile en date du 12 mars 1997;
- que cette demande a été rejetée le 24 juin 1998;
- que le tribunal administratif a confirmé le rejet de la demande le 18 janvier 1999;
- qu’en date du 9 mars 1999, les autorités luxembourgeoises ont délivré à l’intéressé une attestation lui permettant les démarches nécessaires à l’obtention d’un titre de voyage tunisien en vue de son retour en Tunisie;
1 - que contrairement à ses promesses selon lesquelles il allait retourner dans son pays, l’intéressé a présenté une demande d’asile aux Pays-Bas en date du 19 avril 1999;
- qu’en date du 23 avril 1999, les autorités néerlandaises ont demandé la reprise de l’intéressé selon la Convention dite de Dublin du 15 juin 1990;
- que les autorités luxembourgeoises ont accepté la reprise en date du 6 mai 1999;
- qu’en date du 6 mai 1999, un laissez-passer a été demandé auprès de l’Ambassade de la République Tunisienne pour permettre le retour de l’intéressé en Tunisie;
- que les autorités tunisiennes n’ont pas encore réagi à cette demande;
- que le 14 mai 1999, l’intéressé s’est présenté au bureau d’accueil pour demandeurs d’asile;
- qu’en attendant l’émission d’un laissez-passer par les autorités tunisiennes, l’éloignement n’est pas possible;
Considérant que l’intéressé se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg;
- qu’il est démuni de moyens d’existence personnels;
- qu’il avait demandé l’asile aux Pays-Bas alors qu’il avait promis de rentrer en Tunisie;
- qu’en conséquence il existe un risque de fuite qui nécessite que l’intéressé soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son éloignement ».
Par requête déposée le 14 juin 1999, Monsieur AJLANI a introduit un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de placement précitée du 14 mai 1999.
Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.
l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le délégué du gouvernement conteste la recevabilité du recours dans la mesure où Monsieur AJLANI souhaite voir ordonner, d’une part, sa mise en liberté « pure et simple » et, d’autre part, son placement dans un autre établissement « plus approprié » à sa situation, en estimant qu’au vu du fait que le placement a été ordonné pour une durée d’un mois, les deux demandes ainsi formulées par Monsieur AJLANI devraient être considérées comme étant sans objet.
S’il est vrai que la décision de placement prise à l’égard de Monsieur AJLANI a pris fin après l’écoulement du délai d’un mois prévu par l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972, soit le 14 juin 1999, le présent recours est néanmoins valablement introduit contre la décision de placement du 14 mai 1999, étant donné qu’au moment de l’introduction du recours, soit le 14 juin 1999, cette mesure déployait encore tous ses effets, de sorte que Monsieur AJLANI possédait, au jour de l’introduction de son recours, un intérêt à attaquer la prédite mesure de placement. Il convient également de relever que la décision de placement initiale est susceptible de se trouver à la base d’une décision de prorogation subséquente et, si elle est illégale, ce vice affecte également les éventuelles décisions de placement subséquentes, dans la mesure où celles-ci tirent leur existence légale de la mesure de placement initiale.
Par ailleurs, Monsieur AJLANI garde en tout état de cause un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en oeuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé, le cas échéant, aux particuliers par les décisions en question.
2 Le recours ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, le demandeur invoque en premier lieu une absence de motivation de la décision entreprise au motif que celle-ci contiendrait, comme seuls motifs, des formules générales et abstraites prévues par la loi, sans préciser les raisons de fait concrètes permettant de justifier la décision.
C’est à bon droit que le délégué du gouvernement soutient que le ministre a suffisamment motivé, en droit et en fait, l’arrêté litigieux. Ainsi, le ministre de la Justice a indiqué, dans la décision incriminée, non seulement les différentes étapes de la procédure entamée par le demandeur en vue de la reconnaissance au Luxembourg du statut de réfugié politique, le voyage du demandeur aux Pays-Bas, les démarches accomplies par lui en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique dans ce pays, ainsi que la reprise accordée par les autorités luxembourgeoises à la suite d’une demande afférente présentée par les autorités néerlandaises, les démarches effectuées par les autorités luxembourgeoises en vue de l’obtention d’un laissez-passer à délivrer par l’ambassade de Tunisie en faveur du demandeur, mais également le défaut du demandeur d’être en possession de moyens d’existence personnels rendant son séjour irrégulier au Luxembourg.
La décision déférée est partant dûment motivée par l’énonciation des éléments de fait se trouvant à sa base et le moyen tiré d’une absence ou d’une imprécision de motivation doit donc être rejeté.
Le demandeur soutient ensuite qu’il n’existerait aucune mesure d’expulsion ou de refoulement susceptible de justifier la mesure du placement au sens de l’article 15 paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972.
Le représentant étatique rétorque que le demandeur se serait trouvé dans des conditions telles que déterminées à l’article 12, points 2 et 4 de la loi précitée du 28 mars 1972, susceptibles de justifier son refoulement du territoire luxembourgeois, dans la mesure où il n’aurait pas disposé de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour et où il n’aurait pas été en possession de papiers de légitimation.
Il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois.
Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.
Il est constant en cause que la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Il convient partant d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, 3 « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence:
« 1. qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage;
2. qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour;
3. auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972];
4. qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis;
5. qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».
Le tribunal est partant amené à vérifier en premier lieu s’il existe un procès-verbal tel que visé par l’article 12 précité, constatant l’un ou plusieurs des faits visés à l’énumération contenue audit article, susceptible de justifier une décision de refoulement et de servir ainsi de base à la mesure de placement prise en exécution de l’article 15 de la loi précitée du 28 mars 1972. Un tel procès-verbal constitue en effet une garantie minimale permettant d’assurer le respect des droits de la défense dans la mesure où, sur base des faits retenus dans ledit procès-
verbal, la personne susceptible de faire l’objet d’une mesure de refoulement et, à un stade ultérieur, les juridictions administratives, sont mises en mesure de vérifier si, au moment où la décision de refoulement a été prise, les conditions légales telles que prévues par l’article 12 précité ont été remplies. Au vu de la force probante attachée à un procès-verbal à rédiger par des officiers de police judiciaire, il ne saurait être suppléé à cette formalité par aucune autre pièce, document ou attestation.
La décision ministérielle déférée du 14 mai 1999 ne fait pas expressément référence à un procès-verbal pris sur base de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972. Il y est simplement fait référence au fait que le demandeur ne disposait pas de moyens d’existence personnels et qu’il se trouvait en séjour irrégulier au Luxembourg. Par ailleurs, le dossier administratif versé par le délégué du gouvernement ne contient pas non plus un tel procès-
verbal dans lequel ces faits auraient pu être retenus.
Il se dégage des considérations qui précèdent que Monsieur AJLANI n’a pas été sous le coup ni d’une décision d’expulsion ni d’une décision de refoulement légalement prises, qui auraient pu constituer une base légale à la décision de placement.
En l’absence d’une mesure de refoulement ou d’expulsion légalement admissibles, la mesure de placement se trouve viciée à sa base et encourt partant l’annulation de ce chef, sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’analyse des autres moyens présentés au fond à l’encontre de la décision entreprise.
Le tribunal est partant amené à réformer la décision querellée et à ordonner la libération immédiate du demandeur.
Par ces motifs, 4 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond le déclare justifié;
partant annule la décision ministérielle du 14 mai 1999;
ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … AJLANI;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 24 juin 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Schockweiler 5