Numéro 10610 du rôle Inscrit le 12 mars 1998 Audience publique du 14 juin 1999 Recours formé par Monsieur … FERNBACH, Niederanven, contre un bulletin d’impôt émis par le bureau d’imposition Luxembourg V en matière d’impôt sur le revenu
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
--
Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10610, déposée le 12 mars 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand ENTRINGER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … FERNBACH, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une « décision de rejet par le silence de l’Administration à l’encontre d’une réclamation introduite contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des personnes physiques pour l’exercice 1991 »;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 décembre 1998;
Vu les pièces complémentaires déposées au greffe du tribunal administratif le 11 mars 1999 par Maître Fernand ENTRINGER au nom de Monsieur FERNBACH;
Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin déféré;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Fernand ENTRINGER, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
---
Jusqu’en août 1991, Monsieur … FERNBACH, demeurant à L-…, exploita sous forme d’entreprise individuelle le développement et la commercialisation de programmes informatiques. Cette activité fut transférée à la société anonyme FERNBACH SOFTWARE au cours de l’année 1991.
Suite au dépôt par Monsieur FERNBACH de sa déclaration pour l'impôt sur le revenu de l’année 1991, le bureau d’imposition Luxembourg V l’informa par lettre du 26 septembre 1996 qu’il entendait opérer certains redressements face à sa déclaration portant sur son chiffre d’affaires, les dépenses d’exploitation fiscalement déductibles, les revenus de capitaux mobiliers et le bénéfice de cession.
Par bulletin de l'impôt sur le revenu du 3 octobre 1996, le même bureau d'imposition a fixé, suite aux redressements annoncés dans le prédit courrier du 26 septembre 1996, la cote d’impôt due par Monsieur FERNBACH et son épouse, Madame …, à …LUF, hormis la contribution au fonds pour l’emploi et avant déduction de retenues d’impôt.
Par courrier de son mandataire du 20 décembre 1996, Monsieur FERNBACH a réclamé contre ce bulletin d’impôt, la motivation afférente ayant été soumise par lettre du 3 mars 1997.
En l’absence de décision du directeur de l’administration des Contributions directes, Monsieur FERNBACH a fait introduire contre la « décision de rejet par le silence de l’Administration à l’encontre d’une réclamation introduite contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des personnes physiques pour l’exercice 1991 », ainsi qualifiée, un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 12 mars 1998.
Quant à la recevabilité Ainsi que le délégué du Gouvernement le fait préciser à juste titre, l’article 8 (3) 3. de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif n’admet l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif, en cas de silence du directeur suite à une réclamation, que contre « la décision qui fait l’objet de la réclamation », en l’espèce le bulletin d’impôt prévisé du 3 octobre 1996, et non pas contre une décision implicite de rejet du directeur (cf. doc. parl. 3940A2, amendements adoptés par la commission des institutions et de la révision constitutionnelle, p. 5, ad (3) 3.: « Par opposition au domaine administratif, le silence de l’administration n’est pas à considérer comme le rejet de la demande. .. Il en résulte également que dans ce cas le recours est dirigé, non pas contre une décision implicite de rejet mais contre la déclaration initiale contre laquelle la réclamation avait été interjetée »). Il s’ensuit que le recours sous discussion, visant concrètement le bulletin de l'impôt sur le revenu pour l’année 1991, versé comme pièce par Monsieur FERNBACH, doit être considéré comme étant dirigé directement contre ce même bulletin d’impôt.
Au voeu des dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts, appelée « Abgabenordnung » (AO), et de l’article 8 (3) 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours contre un bulletin de l'impôt sur le revenu en cas de silence du directeur de plus de six mois suite à une réclamation dûment introduite par le contribuable. Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par Monsieur FERNBACH. Etant donné que la réclamation du 20 décembre 1996 était pendante devant le directeur au 1er janvier 1997 et que le recours prévisé a été déposé plus de six mois après cette date, celui-ci a été introduit sous respect des dispositions de l’article 97 (2) de la loi précitée du 7 novembre 1996. Ce même recours ayant également été déposé dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par contre irrecevable.
2 Quant au fond Le demandeur reproche en premier lieu au bureau d'imposition le non-respect du paragraphe 205 (3) AO en ce que les « wesentliche Abweichungen » face à sa déclaration lui auraient été communiquées par lettre du 26 septembre 1996 et que le bulletin d’impôt critiqué aurait déjà été émis le 3 octobre 1996, soit seulement une semaine plus tard. Ce délai ne serait pas suffisant, faute de permettre au contribuable d’étudier le dossier et de prendre utilement position, alors que ladite disposition aurait pour finalité de mettre le contribuable en mesure de se prononcer préalablement sur l’attitude que l’administration entend adopter.
Le paragraphe 205 (3) AO dispose que: « Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen ».
Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il envisage de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.
La notion de « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable, qui conditionne l’application des formalités prévues par le paragraphe 205 (3) AO, doit dès lors être interprétée de façon objective en ce sens qu’elle englobe toutes les hypothèses où le bureau d’imposition envisage de retenir un élément de droit ou de fait susceptible d’influer sur la décision d’imposition et qui s’écarte de la situation telle que déclarée par le contribuable, pourvu que cet élément soit de nature à affecter le principe d’imposabilité ou la cote d’impôt tels qu’envisagés par le paragraphe 232 (1) AO. Elle ne vise par contre pas les erreurs purement matérielles, notamment de calcul, dans les déclarations du contribuable (cf. trib. adm. 7 janvier 1998, Clees-Weiler, n° 10112, Pas. adm. 1/99, v° Impôts, n° 76).
Il est constant en cause que les redressements annoncés par courrier du 26 septembre 1996 et opérés par le bulletin d’impôt déféré, comportant notamment une augmentation des recettes brutes de …LUF, ont une incidence sur la cote d’impôt et revêtent en conséquence un caractère substantiel.
Le droit du contribuable d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration, doit être considéré comme un droit élémentaire face à l’administration fiscale, découlant des droits de la défense, et plus particulièrement du principe du contradictoire, durant la phase précédant l’établissement d’un bulletin d’impôt, pareille façon de procéder étant de plus de nature à éviter des réclamations et recours ultérieurs.
La formalité prévue au paragraphe 205 (3) AO étant ainsi destinée à protéger les droits des contribuables, tout en contribuant à éviter des réclamations et recours ultérieurs, elle doit être qualifiée de substantielle. Il s’ensuit que sa violation peut, le cas échéant, entraîner l’annulation des bulletins d’impôts émis au terme de la procédure ainsi viciée, dans la mesure de la « wesentliche Abweichung » établie en cause (cf. trib. adm. 7 janvier 1998, précité).
Le droit d’être entendu préalablement (« .. zur vorherigen Äusserung.. ») implique nécessairement que l’administration laisse au contribuable concerné un laps de temps suffisant 3 pour lui permettre de prendre connaissance des redressements avancés par le bureau d'imposition et de réunir, le cas échéant, les éléments de fait et de droit qu’il estime nécessaires afin de pouvoir exercer utilement son droit de soumettre son point de vue au bureau d'imposition avant la prise de décision afférente.
En l’espèce, la lettre d’information est datée au jeudi 26 septembre 1996 et n’a pu parvenir au demandeur par la voie postale qu’au plus tôt le vendredi 27 septembre 1996. Dans la mesure où le bulletin d’impôt critiqué a été daté au jeudi 3 octobre suivant, après l’accomplissement des procédures internes et externes afférentes, et que ladite lettre ne comporte aucune invitation de prise de position, elle s’analyse en un courrier simplement annonciateur d’un bulletin en voie d’émission, et non pas en une communication de redressements envisagés par le bureau d'imposition conférant au contribuable un délai effectif et suffisant pour formuler ses observations sur les points soulevés par le dit bureau et les lui soumettre en temps utile.
Il s’ensuit que le demandeur s’est vu privé de l’exercice effectif du droit lui conféré par le paragraphe 205 (3) AO en ce qu’il n’a pas disposé d’un délai utile pour prendre position face aux redressements, en l’espèce substantiels, envisagés par le bureau d'imposition.
En présence de la violation du paragraphe 205 (3) AO ainsi vérifiée, le bulletin déféré du 3 octobre 1996 encourt l’annulation, dans le cadre du recours en réformation, sans qu’il y ait lieu d’analyser plus loin les autres moyens présentés par le demandeur.
PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours en réformation recevable, le dit également fondé, partant annule le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1991 déféré et renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes pour transmission au bureau d'imposition compétent, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 14 juin 1999 par M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, 4 en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
SCHMIT DELAPORTE 5