N° 10953 du rôle Inscrit le 15 octobre 1998 Audience publique du 10 juin 1999
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Recours formé par Madame … AYOUMENIE contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 1998 par Maître Nora B. GAERTNER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … AYOUMENIE, étudiante, de nationalité camerounaise, déclarant demeurer à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 6 mars 1998 lui refusant l’octroi d’une autorisation de séjour et d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 16 juillet 1998 suite à un recours gracieux introduit le 11 mai 1998 contre la décision initiale;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom de la demanderesse le 12 avril 1999;
Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement le 21 avril 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Nora B. GAERTNER et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Par lettre du 28 août 1997, à l’adresse du ministre de la Justice, ci-après dénommé le « ministre », Madame … AYOUMENIE, née le … à … au Cameroun, de nationalité camerounaise, introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour lui permettre de poursuivre des études au Centre Universitaire de Luxembourg.
Le 6 mars 1998, le ministre refusa l’autorisation sollicitée au motif que Madame AYOUMENIE n’était pas en possession du visa requis pour l’entrée et le séjour au Grand-
Duché de Luxembourg. Par la même décision, le ministre l’invita à quitter le pays dans les meilleurs délais.
Suite à un recours gracieux, introduit le 11 mai 1998 par le mandataire de Madame AYOUMENIE, le ministre confirma par arrêté du 16 juillet 1998 sa décision initiale et réitéra son invitation de quitter le territoire luxembourgeois.
1 Par requête déposée le 15 octobre 1998, Madame AYOUMENIE a introduit un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles prévisées des 6 mars et 16 juillet 1998.
Quant aux faits, la demanderesse fait notamment préciser dans son recours qu’en date du 21 août 1997, elle serait arrivée en France munie d’un visa Schengen valable du 6 août 1997 jusqu’au 17 septembre 1997. Le 25 août 1997, elle serait venue au Luxembourg aux fins de s’inscrire au Centre Universitaire de Luxembourg. A cette fin, elle aurait déposé, le 26 août 1997, une somme de 100.000.- francs à titre de garantie envers le ministère de la Justice sur un compte bancaire et, le 28 août 1997, elle aurait introduit une demande en obtention d’une autorisation de séjour auprès du ministère de la Justice. Le 30 août 1997, elle se serait inscrite au département « Lettres et Sciences Humaines, section Lettres Romanes - Français » audit Centre Universitaire et ce dernier aurait confirmé son admission par lettre du 5 septembre 1997.
A l’appui de son recours, la demanderesse soutient qu’elle serait entrée sur le territoire français munie d’un visa Schengen et plus précisément d’un visa de voyage tel que prévu aux articles 10 et 11 de la convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985, signée à Schengen, le 19 juin 1990, approuvée par une loi du 3 juillet 1992, ci-après dénommée la « Convention de Schengen ». Comme ce visa permettrait à son détenteur d’entrer et de séjourner sur le territoire de toutes les parties contractantes de la Convention de Schengen et équivaudrait à un visa national, la demanderesse en conclut que le ministre aurait refusé à tort l’autorisation de séjour sollicitée en se fondant sur un défaut de visa pour l’entrée et le séjour au Luxembourg.
Le délégué du gouvernement relève en premier lieu que, lors de l’introduction de sa demande en obtention d’un permis de séjour, la demanderesse n’aurait pas indiqué être titulaire d’un visa Schengen « alors qu’elle versait seulement les premières pages de son passeport ».
En droit, il soutient que la décision de refus, « qui est en fait un refus d’une régularisation d’un étranger entré sur le territoire luxembourgeois dans le but d’y effectuer des études sans avoir demandé au préalable l’autorisation requise » se justifierait au regard des articles 5 et, par renvoi, 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant: 1° l’entrée et le séjour des étrangers; 2° le contrôle médical des étrangers; 3° l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère au motif que la demanderesse aurait manqué de solliciter, préalablement à son entrée sur le territoire luxembourgeois, une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois. Dans ce contexte, il soutient qu’on ne saurait admettre qu’un étranger puisse venir au Luxembourg sous le couvert d’un visa touristique, délivré par un autre Etat pour un séjour de 30 jours maximum, alors que l’intention réelle poursuivie serait de s’y établir pour une période supérieure à trois mois, c’est-à-dire en cherchant à mettre les autorités luxembourgeoises devant un fait accompli.
Le délégué du gouvernement soutient encore que la décision de refus serait par ailleurs justifiée en raison de l’absence de moyens d’existence personnels suffisants.
Dans sa réplique, la demanderesse conteste que l’octroi d’une autorisation de séjour serait conditionnée par l’exigence que l’étranger ait sollicité, dans son pays d’origine, c’est-à-
dire préalablement à son départ, un visa de longue durée, pareille exigence n’étant prévue par aucun texte légal. En l’espèce, le visa dont elle était munie lui aurait permis une entrée 2 régulière sur le territoire luxembourgeois et, par conséquent, de faire valablement les démarches nécessaires pour l’obtention d’une autorisation de séjour aux fins de poursuivre des études. Dans ce contexte, elle relève encore qu’elle aurait accompli toutes les démarches nécessaires avant l’expiration de son visa et qu’il serait inéquitable de lui faire « porter le lourd fardeau de la lenteur de l’administration ».
Concernant le deuxième motif de refus, à savoir le défaut de moyens d’existence suffisants, la demanderesse rétorque que ce motif aurait été invoqué tardivement au cours de la procédure contentieuse et qu’il serait à déclarer irrecevable sinon non fondé. Pour le surplus, ledit motif manquerait de fondement, dès lors qu’il se dégagerait des pièces versées en cause qu’elle bénéficierait de revenus suffisants pour lui permettre de poursuivre des études « sans faire appel à aucune aide publique ». Dans cet ordre d’idées, elle relève recevoir un montant mensuel de 30.000.- francs de la part de sa mère, ce qui lui permettrait de faire face à l’ensemble de ses « dépenses courantes et de logement ».
Dans sa duplique, le délégué du gouvernement soutient que le motif de l’absence de moyens d’existence ne serait pas à écarter étant donné que l’administration serait en droit de compléter la motivation d’un acte administratif même au cours de la procédure contentieuse.
Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Lors des plaidoiries de l’affaire, la partie demanderesse a versé en cause une pièce supplémentaire, à savoir une circulaire interne du ministère de la Justice relativement à l’instruction des demandes en délivrance des autorisations de séjour provisoires pour les étudiants ressortissants d’Etats tiers non membres de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen.
Le délégué du gouvernement demande que cette pièce, versée en cause après le rapport fait à l’audience par le juge-rapporteur, soit écartée des débats.
Au voeu de l’article 1er de l’arrêté royal grand-ducal du 21 août 1866, actuellement applicable devant les juridictions administratives en vertu de l’article 98 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, les pièces dont une partie entend se servir dans l’instance doivent être jointes à la requête introductive notamment afin que les parties intéressées puissent en prendre connaissance. Il en suit que les pièces produites seulement après le rapport fait à l’audience sont à rejeter du débat, à moins que le tribunal n’ait formulé une demande pour disposer de pièces additionnelles et que ces dernières aient pu être librement débattues en audience publique après communication préalable aux autres parties en cause (cf. Cour adm. 4 mars 1997, Pas. adm. 1/99 V° Procédure contentieuse, VI. Production de pièces - Mesures d’instruction, n° 72, et autre référence y citée).
En l’espèce le tribunal constate que ladite pièce n’est pas seulement un appui supplémentaire aux arguments invoqués, mais ajoute à l’argumentation de la demanderesse un élément qui n’était jusqu’alors pas en discussion devant le tribunal, de sorte que la pièce en question est à rejeter des débats.
3 Concernant l’argumentation développée par la demanderesse relativement au motif de refus supplémentaire invoqué par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, il convient de relever qu’il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et el e doit formel ement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’el e refuse de faire droit à la demande de l’intéressé. - La sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif (Cour adm. 8 juillet 1997, Pas. adm. 1/99, V° Procédure administrative non contentieuse, III. Motivation de la décision administrative, n°25, et autres références citées).
Par conséquent, dans la mesure des considérations qui précèdent, le motif supplémentaire invoqué en cours d’instance et tiré du défaut de preuve de l’existence de moyens personnels suffisants n’est pas à écarter.
Les motifs sur lesquels l’administration se base pour justifier sa décision formant un ensemble indissociable, indépendamment de ce qu’ils sont indiqués dans la décision elle-même ou qu’ils soient complétés ou invoqués ultérieurement, le tribunal procèdera ci-après en premier lieu à l’examen de la légalité du motif supplémentaire tiré du défaut de preuve de l’existence de moyens personnels suffisants.
Il convient de préciser que le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué. - La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise.
Aux termes de l’article 5 de la loi précitée du 28 mars 1972 « la carte d’identité d’étranger peut être refusée et l’autorisation de séjour valable pour une durée maximale de douze mois peut être refusée ou révoquée à l’étranger: 1) qui se trouve dans une des hypothèses prévues à l’article 2; (…) » L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que: « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger: (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».
Au voeu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 1/99, V° Etrangers, II Autorisation de séjour -
Expulsion, n°64, et autre référence y citée).
Concernant la preuve de moyens d’existence personnels, il convient d’ajouter que ni l’article 2 précité, ni une quelconque autre disposition légale ou réglementaire ne prévoit une exception ou exemption en faveur des étudiants et il n’existe pas de réglementation spécifique qui leur serait applicable, de sorte que les exigences dudit article s’appliquent nécessairement et dans toute leur rigueur aux étudiants. - Par ailleurs, même si l’administration devait suivre une pratique plus flexible à l’égard d’autres étudiants étrangers résidant et poursuivant des études 4 au Luxembourg, sans que ceux-ci ne soient en possession de moyens personnels, une telle pratique non conforme à la loi ne saurait conférer un droit à la demanderesse à obtenir une autorisation de séjour sans justifier de l’existence de moyens personnels propres.
En l’espèce, le tribunal doit constater qu’il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, que la demanderesse ne disposait pas de moyens personnels propres au moment où les décisions attaquées ont été prises.
En effet, c’est à tort qu’elle entend justifier l’existence de moyens personnels suffisants par une aide financière que lui apporte sa mère, une telle aide n’étant pas à considérer comme constituant des moyens personnels.
Comme elle n’invoque, ni a fortiori ne prouve l’existence d’autres moyens personnels, c’est donc à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972, que le ministre a pu refuser l’octroi de l’autorisation de séjour sollicitée en se basant sur l’absence de preuve de moyens personnels pour supporter ses frais de séjour.
Le refus ministériel se trouvant justifié à suffisance par ledit motif, de sorte que l’examen de l’autre motif invoqué dans les décisions litigieuses devient superfétatoire et le recours en annulation est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en la forme;
écarte des débats la pièce supplémentaire versée en cause par la demanderesse lors des plaidoiries, après le rapport fait à l’audience par le juge-rapporteur;
au fond le déclare non fondé et en déboute;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 10 juin 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 5 6