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09/06/1999 | LUXEMBOURG | N°11308

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juin 1999, 11308


N° 11308 du rôle Inscrit le 1er juin 1999 Audience publique du 9 juin 1999

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Recours formé par Monsieur … RAMCILOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 1999 par Maître Louis TINTI, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RAMCILOVIC, sans état particulier, ayant étÃ

© placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une dé...

N° 11308 du rôle Inscrit le 1er juin 1999 Audience publique du 9 juin 1999

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Recours formé par Monsieur … RAMCILOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juin 1999 par Maître Louis TINTI, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … RAMCILOVIC, sans état particulier, ayant été placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 mai 1999 ordonnant une mesure de placement à son égard;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juin 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Il ressort d’un procès-verbal daté au 2 juin 1999 établi par le service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale qu’en date du 17 mai 1999, Monsieur … RAMCILOVIC, sans état particulier, né le 18 janvier 1964 à Ivangrad (Bosnie-Herzégovine) s’est présenté dans les bureaux du service du ministère de la Justice compétent pour recevoir les demandeurs d’asile pour solliciter une assistance (« Unterstützung »). Ledit procès-verbal précise que « Er beabsichtigte in keinem Moment einen Antrag auf politisches Asyl zu stellen ». Il est encore indiqué que « RAMCILOVIC … war im Besitz des bosnischen Reisepasses Nr: BH 731569, ausgestellt am 15. November 1995 von der bosnischen Botschaft in Brüssel und gültig bis 15. November 1997. Der Reisepass war versehen mit einem Schengenvisa, ausgestellt am 11.07.1996 und gültig bis 15.09.1996.

Wahrscheinlich befand sich RAMCILOVIC seit diesem Datum illegal in Luxembourg. ».

Le ministre de la Justice ayant été informé de cet état des choses, ordonna, par arrêté du 17 mai 1999, le placement de Monsieur RAMCILOVIC au Centre Pénitentiaire de Luxembourg pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants:

« Considérant que l’intéressé a été contrôlé par la gendarmerie le 17 mai 1999;

- qu’il était en possession d’une autorisation de séjour provisoire limitée au 15 septembre 1996;

1 - qu’il se trouve en situation irrégulière au pays;

- que le permis de travail lui a été refusé en date du 19 septembre 1997;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels;

Considérant que des raisons tenant à un risque de fuite nécessitent que l’intéressé soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son rapatriement ».

Il ressort encore du procès-verbal précité du 2 juin 1999 qu’en date du 27 mai 1999, Monsieur RAMCILOVIC a été informé « dass er in nächster Zeit nach Bosnien zurückgeflogen würde. Hieraufhin sagte er, er sei keinesfalls gewillt, freiwillig nach Bosnien zurückzukehren.(…) », que le commissaire-adjoint verbalisant a essayé à plusieurs reprises de contacter par téléphone le consul honoraire pour la Bosnie, afin d’obtenir des renseignements sur la question de savoir s’il était possible de rapatrier Monsieur RAMCILOVIC bien qu’il ne fût titulaire que d’un passeport qui avait expiré et que, faute de pouvoir joindre ledit consul honoraire, les services du ministère de la Justice ont contacté par téléphone l’ambassade bosniaque à Bruxelles et qu’ils ont été informés par ladite ambassade de ce qu’ils devraient leur transmettre trois photos ainsi que le passeport expiré de Monsieur RAMCILOVIC afin de mettre les services compétents en mesure de délivrer un laissez-passer permettant son rapatriement.

Par requête déposée le 1er juin 1999, Monsieur RAMCILOVIC a introduit un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de placement précitée du 17 mai 1999.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.

l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est également recevable.

Dans sa requête, le demandeur reconnaît, d’une part, qu’il séjourne illégalement au Luxembourg depuis le 15 septembre 1996, date d’expiration de son autorisation de séjour provisoire et, d’autre part, que, suite à une décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 19 septembre 1997, il ne saurait « se prévaloir officiellement de l’existence de moyens de subsistance personnels ». Par ailleurs, en ce qui concerne l’existence d’une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise, il « n’émet aucune réserve, respectivement ne soulève aucune contestation ».

Il conclut cependant à la réformation de la décision entreprise et à sa mise en liberté immédiate pour « violation de la loi, sinon pour défaut de motivation, sinon encore pour erreur d’appréciation manifeste ».

A l’appui de son recours, il soutient en premier lieu que la décision litigieuse contreviendrait aux dispositions de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 au motif que le ministre de la Justice ne rapporterait pas la preuve d’une impossibilité matérielle d’exécuter la décision relative à son éloignement et il resterait même en défaut d’indiquer une quelconque circonstance de fait rendant l’éloignement immédiat impossible. Par ailleurs, il conteste l’existence d’un risque de fuite.

Ensuite, il soutient que la décision de le placer au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig violerait les articles 3 et 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits 2 de l’homme, au motif que ledit placement constituerait un traitement dégradant et constitutif d’une atteinte intolérable à sa liberté, surtout eu égard au fait qu’il n’aurait commis aucune infraction à la loi pénale. En outre, il conteste que ledit Centre Pénitentiaire constitue un établissement approprié au sens de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972.

Le délégué du gouvernement estime que le moyen basé sur la violation de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 ne serait pas fondé au motif qu’à défaut d’un document de voyage valable, le rapatriement immédiat du demandeur ne serait pas possible et qu’en plus, il faudrait organiser matériellement le retour en Bosnie-Herzégovine. Par ailleurs, le délégué soutient que l’existence d’un risque de fuite ressortirait à suffisance de droit des éléments du dossier administratif et il relève plus spécialement que le demandeur serait en séjour irrégulier, qu’il refuserait de quitter le Luxembourg et de retourner dans son pays d’origine et qu’il aurait subi une condamnation pénale.

Concernant la violation des articles 3 et 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le représentant étatique soutient que le Centre Pénitentiaire constituerait un établissement approprié au sens de l’article 15 précité et qu’en l’espèce, les éléments de fait caractériseraient un risque d’atteinte à la sécurité, à la tranquillité et à l’ordre publics, de sorte que le placement au Centre Pénitentiaire serait justifié.

L’examen de la légalité externe devant précéder l’examen de la légalité interne d’une décision administrative, le tribunal est en premier lieu appelé à se prononcer sur le moyen soulevé par le demandeur fondé sur ce que la décision entreprise ne mentionnerait pas de circonstance de fait qui empêcherait l’exécution de la mesure d’éloignement qui a été prise à son encontre.

En l’absence d’une disposition légale instituant une obligation de motivation expresse et exhaustive d’une décision de placement, il suffit pour que la décision de placement soit valable, que les motifs aient existé au moment où la décision a été prise, quitte à ce que l’administration concernée les produise a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours d’une procédure contentieuse.

En l’espèce, s’il est vrai que la décision de placement litigieuse omet de se fonder sur une impossibilité matérielle d’exécuter la mesure d’éloignement du demandeur et qu’elle ne mentionne pas de circonstance de fait qui empêcherait pareille exécution, le délégué du gouvernement a précisé dans son mémoire en réponse des circonstances de fait, à savoir l’absence de document de voyage valable et la nécessité d’organiser matériellement le retour du demandeur en Bosnie-Herzégovine, de sorte que le motif tiré du défaut de motivation n’est pas fondé et doit être rejeté.

Au fond, l’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit encore de vérifier si lesdits motifs sont de nature à justifier légalement la décision qui a été prise.

Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 qu’une mesure de placement n’est légalement admissible que si l’éloignement de l’intéressé ne peut être mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.

3 En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que l’exécution de la mesure d’éloignement était impossible en raison du fait que le demandeur n’était en possession ni de documents d’identité valables ni d’un titre de séjour en cours de validité, que ce soit pour un Etat membre de l’Union Européenne ou encore pour un Etat tiers, de sorte que son rapatriement nécessite notamment la délivrance par l’ambassade de son pays d’origine d’un laissez-passer. En outre, un rapatriement en Bosnie-Herzégovine, spécialement eu égard à l’absence de liaison aérienne directe, doit être organisé (organisation du vol, escorte, permission de transit etc.). Etant donné que l’ensemble de ces mesures requiert un certain délai, il a valablement pu être estimé que sur base de toutes les circonstances de fait exposées ci-avant, l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement était rendue impossible.

C’est à bon droit que le demandeur fait relever qu’une mesure de placement ne se justifie qu’au cas où il existe dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision de refoulement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure.

C’est cependant à tort que le demandeur conteste l’existence d’un tel danger. En effet, il échet de relever qu’il ressort des éléments du dossier que le demandeur était en séjour illégal au Luxembourg depuis le 15 septembre 1996, date d’expiration de son autorisation de séjour provisoire, qu’il ne possédait aucune adresse fixe au Luxembourg, qu’il n’a pas donné suite à une invitation de quitter le territoire luxembourgeois et qu’au contraire, il a formellement déclaré refuser d’être rapatrié dans son pays d’origine, de sorte qu’il existe partant, dans le chef du demandeur, un risque qu’il essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement ultérieure.

L’incarcération dans un centre pénitentiaire d’une personne sous le coup d’une mesure de placement ne se justifie qu’au cas où cette personne constitue en outre un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics.

En l’espèce, les faits précités se dégageant du dossier à charge du demandeur, ensemble le fait que le demandeur a été condamné par jugement du tribunal correctionnel de Luxembourg du 19 mai 1993 pour avoir mis en circulation sur la voie publique un véhicule sans être couvert par un contrat d’assurance valable et d’avoir conduit un véhicule sans être titulaire d’un permis de conduire valable, caractérisent le comportement d’un étranger susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics et que ce comportement justifie dans les circonstances de l’espèce qu’il soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg afin d’éviter qu’il porte à nouveau atteinte à la sécurité et à l’ordre publics et pour garantir qu’il soit à la disposition des autorités en vue de son éloignement ultérieur.

En d’autres termes, le Centre Pénitentiaire est à considérer, en l’espèce, comme constituant un établissement approprié tel que visé par l’article 15 paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972.

Par ailleurs, concernant la prétendue violation de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le paragraphe 1 point f.) dudit article 5 dispose que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: f.) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ». Il convient de relever que ladite disposition prévoit expressément la possibilité de détenir une 4 personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays. En effet, il est admis que, lorsqu’en raison des circonstances de fait, le refoulement d’un étranger se révèle impossible, sa détention peut être ordonnée conformément à cette disposition. Le moyen afférent est partant à rejeter.

Enfin, il convient également de rejeter le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, dès lors qu’une détention au Centre Pénitentiaire de Luxembourg ne saurait, en tant que telle, être considérée comme dégradant ou inhumain si les conditions légalement prévues sont remplies, comme c’est le cas en l’espèce, tel que cela ressort des considérations qui précèdent.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur est à en débouter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié, partant le rejette;

laisse les frais à charge du demandeur.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 9 juin 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 11308
Date de la décision : 09/06/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-06-09;11308 ?

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