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07/06/1999 | LUXEMBOURG | N°10969

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 juin 1999, 10969


1 N° 10969 du rôle Inscrit le 30 octobre 1998 Audience publique du 7 juin 1999

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Recours formé par Monsieur … CILOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête déposée le 30 octobre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude GEIBEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Stéphane MAAS, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au

nom de Monsieur … CILOVIC, ressortissant du Monténégro, résidant actuellement à L-…, tendan...

1 N° 10969 du rôle Inscrit le 30 octobre 1998 Audience publique du 7 juin 1999

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Recours formé par Monsieur … CILOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête déposée le 30 octobre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude GEIBEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Stéphane MAAS, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … CILOVIC, ressortissant du Monténégro, résidant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 septembre 1998, par laquelle sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique a été refusée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 janvier 1999;

Vu le mémoire en réplique du demandeur déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Stéphane MAAS et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … CILOVIC, de confession musulmane, originaire du Monténégro, introduisit en date du 8 janvier 1998 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le jour même par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande. Une audition complémentaire a eu lieu le 10 avril 1998.

2 Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 5 août 1998, le ministre de la Justice informa Monsieur CILOVIC, par lettre du 28 septembre 1998, notifiée le 1er octobre 1998, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants:

« (…) vous n’établissez pas de manière crédible une crainte de persécutions vécues qui seraient telles que la vie vous serait, à raison, intolérable dans votre pays.

Dans ces circonstances, une crainte justifiée en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie. » Par requête déposée en date du 30 octobre 1998, Monsieur CILOVIC a introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle précitée du 28 septembre 1998.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient que la décision entreprise ne serait pas justifiée, étant donné qu’elle n’apprécierait pas à sa juste valeur la gravité des faits qu’il a invoqués pour justifier ses craintes de persécution et que les faits retenus par le ministre de la Justice ne seraient pas de nature à motiver sa décision de refus.

Il fait exposer qu’au courant de l’année 1997, il aurait quitté son pays étant donné qu’il aurait été persécuté du fait de son appartenance à la confession musulmane. Il aurait par ailleurs désiré rejoindre sa famille, à savoir sa mère et ses deux frères qui habiteraient depuis plusieurs années au Luxembourg. Il relève encore qu’il aurait reçu une convocation pour se présenter devant le tribunal militaire, mais qu’il aurait refusé de s’y présenter par peur d’être incarcéré en prison sans avoir pu bénéficier d’un procès équitable et impartial.

Il estime qu’il se dégagerait de ces déclarations qu’il remplit les conditions posées par la Convention de Genève pour l’octroi du statut de réfugié.

Quant aux motifs de persécution invoqués par le demandeur, le délégué du gouvernement relève que le demandeur a indiqué lors de ses auditions qu’il aurait été condamné à 5 mois de prison par un tribunal militaire en raison d’une bagarre qu’il aurait eue pendant son service militaire. Le délégué du gouvernement constate que cette affirmation ne serait étayée par aucune pièce et que par ailleurs cette condamnation serait liée à une infraction de droit commun et non pas à une persécution au sens de la Convention de Genève.

Il souligne encore que lors de ses auditions, le demandeur aurait surtout fait état de la situation économique et politique très instable au Monténégro. A ce sujet, il fait valoir que la situation générale du pays d’origine ne justifie pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié et qu’une crainte d’être persécuté implique à la fois un élément subjectif et un élément objectif qui devraient tous les deux être pris en considération. En l’espèce, un tel élément subjectif, tiré d’une crainte personnelle de persécution ou de persécutions vécues par le demandeur, n’aurait pas été établi.

L’article 13 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit un recours en réformation en matière 3 de demandes d’asiles déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ce recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Concernant le seul moyen formulé par le demandeur à l’encontre de la décision entreprise, tiré de ce que le ministre aurait, à tort, retenu que les faits invoqués par lui ne constitueraient pas une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève, le tribunal, statuant en tant que juge du fond, procédera à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation générale existant dans son pays d’origine. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Concernant la justification, au fond, du refus d’accorder le statut de réfugié politique, il se dégage de l’article premier, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève, que le terme de « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de la dite crainte, ne veut y retourner. » Le demandeur invoque comme motif de persécution le fait d’avoir reçu une convocation du « juge d’instruction » pour se présenter le 27 décembre 1995 devant le « tribunal militaire » afin d’y être interrogé « pour la cause de délit illégal ». Il ressort par ailleurs d’un autre document versé par le demandeur qu’un « défenseur » lui aurait été attribué. A ce sujet, le demandeur estime que ce défenseur, commis d’office par l’armée, serait un officier serbe, de sorte que ses droits de la défense seraient violés. Il n’aurait donné aucune suite à ces convocations et il aurait été condamné à 5 mois de prison par le tribunal militaire. Il indique que le motif de son départ consisterait, d’une part, dans cette condamnation et, d’autre part, dans le fait que sa famille vit au Luxembourg.

Lors de ses auditions des 8 janvier et 10 avril 1998, il a exposé qu’il avait effectué son service militaire du 17 mars 1994 à mars 1995. Pendant son service militaire, il aurait eu une bagarre avec un soldat serbe qui l’aurait taquiné en raison du fait qu’il était le seul soldat de religion musulmane dans la caserne. Dans ce contexte, il a indiqué qu’« en principe on m’a seulement provoqué en me disant ce que je ferais dans cette caserne à côté de tous ces Serbes. Vu qu’on m’a taquiné, j’ai commencé à frapper et ainsi la bagarre s’est déclenchée. C’était seulement une bagarre entre moi et un autre soldat serbe. Mais à la fin, il n’y avait personne qui était blessé ».

Force est de constater que les faits, tels qu’exposés par le demandeur et qui ont conduit à l’interrogatoire auquel le demandeur a été convoqué, ainsi qu’au jugement de condamnation qui aurait été prononcé en son absence, ont leur origine dans une infraction de droit commun et ils ne constituent pas un motif de persécution au sens de la Convention de Genève.

4 Le tribunal relève en outre qu’il ressort du procès-verbal d’audition du 8 janvier 1998 que le demandeur n’a pas été membre d’un parti politique, qu’il n’avait pas eu d’activités politiques et qu’il ne s’intéressait pas à la politique. Lors de cette audition, il indiqua comme motif à la base de sa demande d’asile, d’une part, qu’il ne voulait pas se présenter au tribunal militaire par peur d’être condamné à une peine d’emprisonnement et, d’autre part que « la deuxième raison pour ma demande d’asile est la situation économique et la politique générale au Monténégro ».

Ainsi, le demandeur n’invoque, ni a fortiori ne prouve, des menaces concrètes ou des mauvais traitements envers sa personne de la part des autorités de son pays d’origine pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève, mais il fait uniquement état de motifs d’ordre personnel et économiques qui ne sauraient être pris en considération dans le cadre d’une demande en obtention du statut de réfugié politique.

Cette conclusion est corroborée par le fait que, lorsque le demandeur fut interrogé sur la question de savoir pourquoi il n’avait pas immédiatement présenté sa demande d’asile auprès d’une autorité, il a déclaré que « je suis venu un jeudi [30 octobre 1997] et le vendredi mon frère a dû travailler et il ne pouvait pas m’accompagner au bureau d’accueil. J’avais l’intention de me présenter le lundi au bureau d’accueil, mais c’est le samedi que la police a trouvé chez moi une « Jumbo-

card » falsifiée et j’ai été arrêté, condamné et mis en prison jusqu’au 12 décembre 1997. Je me suis présenté au bureau d’accueil le 8 janvier 1998 après ma libération de la prison. Après la sortie du prison, j’ai consulté mon avocat qui m’a conseillé de trouver un travail chez un paysan et cet avocat m’aurait alors aidé à avoir un permis de travail. Mais je n’ai pas trouvé de paysan et je me suis décidé de venir au bureau d’accueil pour demander l’asile politique ».

Il ressort des considérations qui précèdent, que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation des faits en estimant que le demandeur n’a pas fait valoir de raisons personnelles de nature à justifier, dans son chef, la crainte d’être persécuté pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, 5 Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 7 juin 1999, par le vice-président, en présence de Monsieur Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10969
Date de la décision : 07/06/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-06-07;10969 ?

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