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07/06/1999 | LUXEMBOURG | N°10790

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 juin 1999, 10790


N° 10790 du rôle Inscrit le 8 juillet 1998 Audience publique du 7 juin 1999

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Recours formé par MM. … KAAS, …, et X., …, contre une décision du ministre de l'Agriculture en matière de quotas laitiers

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Vu la requête déposée le 8 juillet 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand ENTRINGER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KAAS, cultivateur, demeurant à L-…, et de Monsieur X., cultivateur, demeurant

à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l'Agriculture, de la Viticulture et...

N° 10790 du rôle Inscrit le 8 juillet 1998 Audience publique du 7 juin 1999

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Recours formé par MM. … KAAS, …, et X., …, contre une décision du ministre de l'Agriculture en matière de quotas laitiers

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Vu la requête déposée le 8 juillet 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand ENTRINGER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KAAS, cultivateur, demeurant à L-…, et de Monsieur X., cultivateur, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l'Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural du 9 avril 1998 portant transfert de la quantité de référence de 105.955 kg disponible sur l'exploitation KAAS, à raison de 68.871 kg au producteur X., et versement de la part non transférée, à savoir 37.084 kg, à la réserve nationale;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 1998;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 1999 au nom des demandeurs MM. KAAS et X.;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé le 30 mars 1999;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Fernand ENTRINGER et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Suivant deux contrats datés l'un et l'autre du 24 mars 1998, Monsieur … KAAS, cultivateur, demeurant à L-…, donna en location à Monsieur X., cultivateur, demeurant à L-

…, d'une part la quantité de référence disponible sur son exploitation, à raison de 3 francs par kilogramme, et d'autre part 13,24 hectares de terres agricoles.

Comme suite à la demande de transfert du quota laitier de Monsieur KAAS introduite le 24 mars 1998 par Monsieur X., le ministre de l'Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural, en abrégé le ministre, par décision du 9 avril 1998, autorisa le transfert de la quantité de référence de 105.955 kg disponible sur l'exploitation KAAS, à raison de 68.871 kg au producteur X., et ordonna le versement de la part non transférée, à savoir 37.084 kg, à la réserve nationale.

2 Par requête du 8 juillet 1998, MM. … KAAS et X. ont introduit une requête tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 9 avril 1998.

L'Etat soulève l'irrecevabilité de la demande en faisant plaider le défaut d'intérêt à agir dans le chef des demandeurs.

Concernant Monsieur KAAS, il fait valoir qu'il n'est pas le destinataire direct de la décision contestée.

Comme il se dégage cependant des pièces versées que les parties KAAS et X. ont conclu un contrat suivant lequel Monsieur X. s'est engagé à verser à Monsieur KAAS 3 francs par kilogramme de quota transféré, Monsieur KAAS a un intérêt pécuniaire direct à la quantité de référence transférée à Monsieur X..

Par rapport à Monsieur X., l'Etat soutient que celui-ci s'est basé, dans sa demande du 24 mars 1998, sur l'article 15, paragraphe 3 du règlement grand-ducal du 14 mars 1996 concernant l'application, au Grand-Duché de Luxembourg, du régime de prélèvement supplémentaire sur le lait, et que, dans la mesure où la décision administrative lui notifiée ne constitue rien d'autre qu'une décision de transfert du quota en application de la disposition en question, il ne saurait se plaindre actuellement d'avoir obtenu entièrement satisfaction par rapport au texte invoqué.

C'est à tort que l'Etat entend tirer une conséquence juridique du fait que Monsieur X. a couché sa demande de transfert du quota laitier de Monsieur KAAS sur un formulaire préimprimé fourni par le ministère de l'Agriculture, où se trouve une référence à l'article 15 du règlement grand-ducal prémentionné. Il est en effet évident que Monsieur X. souhaitait un transfert d'un quota plus important que celui qui lui a été attribué par le ministre, et il se dégage de la requête introductive d'instance que le demandeur conteste la légalité du règlement grand-

ducal dont se prévaut l'Etat.

La demande étant par ailleurs régulière par rapport aux conditions de forme et de délai, elle est recevable.

Au fond, les demandeurs estiment que l'application du règlement grand-ducal précité du 14 mars 1996 doit être écartée, le texte en question étant entré en vigueur, aux termes de son article 27, le jour de sa publication, ceci au mépris de l'article 112 de la Constitution qui dispose qu'aucune loi, aucun arrêté ou règlement d'administration générale ou communale n'est obligatoire qu'après avoir été publié dans la forme déterminée par la loi, ce qui entraînerait qu'à moins d'entrer en vigueur au moins un jour après son insertion au Mémorial, n'importe quelle norme juridique aurait des effets à une époque où elle n'a pas encore été publiée, à savoir de zéro heure le jour de sa publication jusqu'à sa publication effective.

Le moyen soulevé n'a pas trait à une éventuelle rétroactivité du règlement grand-ducal litigieux, prohibée en vertu de l'article 2 du code civil, mais concerne la question de son entrée en vigueur comme suite à sa publication au Mémorial.

Il est vrai qu'en vertu de l'article 112 de la Constitution, les normes édictées par le pouvoir législatif et par le pouvoir exécutif ne sont obligatoires qu'après avoir reçu la publicité adéquate. Il découle par ailleurs de l'application de la Convention européenne sur la 3 computation des délais, signée à Bâle le 16 mai 1972 et approuvée par une loi du 30 mai 1984, que les règlements grand-ducaux sont obligatoires quatre jours après leur insertion au Mémorial, à moins qu'ils n'aient fixé un délai plus court. En vertu de l'article 3 de l'arrêté royal grand-ducal du 20 avril 1854 concernant la publication du Mémorial législatif et administratif, la date de l'insertion est celle portée en tête de chaque numéro du Mémorial.

Il en découle que s'il est vrai qu'aucun acte normatif, ni même une loi rétroactive, ne peut sortir un quelconque effet qu'après avoir été publié au Mémorial, un tel acte peut prévoir qu'il entrera en vigueur dès sa publication au Mémorial, et il sortira dès lors ses effets dès la date portée en tête du numéro du Mémorial dans lequel sa teneur est publiée. Le règlement grand-ducal litigieux du 14 mars 1996 ayant été publié au Mémorial portant la date du 28 mars 1996, il sort ses effets depuis cette date.

Le moyen tiré de la contrariété à la Constitution du règlement grand-ducal du 14 mars 1996 est partant à écarter, sans qu'il y ait lieu, par ailleurs, comme le sollicitent les demandeurs, de saisir la Cour Constitutionnelle d'une question préjudicielle afférente, les Cours et tribunaux étant appelés, en vertu de l'article 95 de la Constitution, à examiner eux-mêmes la constitutionnalité et la légalité des actes réglementaires.

Les demandeurs font ensuite valoir que l'écrêtement de 35 % auquel l'article 15 du règlement grand-ducal du 14 mars 1996 soumet le transfert de toute quantité de référence correspondant à la partie des terres utilisées pour la production laitière constituerait une disposition de droit national qui ne trouverait sa base dans aucun texte communautaire.

L'article 7, paragraphe 1er du règlement 3950/92/CEE du Conseil du 28 décembre 1992 établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers dispose que la quantité de référence disponible sur une exploitation est transférée avec l'exploitation en cas de vente, location ou transmission par héritage aux producteurs qui la reprennent, selon des modalités à déterminer par les Etats membres en tenant compte des surfaces utilisées pour la production laitière ou d'autres critères objectifs et, le cas échéant, d'un accord entre les parties. La partie de la quantité de référence qui, le cas échéant, n'est pas transférée avec l'exploitation est ajoutée à la réserve nationale.

Cette disposition communautaire constitue la base en vertu de laquelle les Etats membres peuvent prévoir, en cas de transferts de quantités de référence individuelles, de retenir une partie des quantités transférées au profit de la réserve nationale (Juris-Classeur Europe, fasc. 1321, n° 37; H. Gehrke, Die Milchquotenregelung, Carl Heymanns Verlag 1996, p. 295, sub IV, 1. a.).

Le moyen tiré de l'absence de norme supérieure habilitante est partant à écarter.

Les consorts KAAS et X. soutiennent encore que l'écrêtement de 35 % tel qu'il est prévu par l'article 15 du règlement grand-ducal du 14 mars 1996 ne répondrait pas à l'exigence de critères objectifs posée par l'article 7, paragraphe 1er du règlement 3950/92/CEE précité.

Ils semblent en premier lieu critiquer qu'en violation de l'exigence de l'égalité des producteurs devant la charge que constitue l'alimentation de la réserve nationale, la réglementation en vigueur prévoit une indemnisation des producteurs qui abandonnent définitivement une partie ou la totalité de leur production laitière, tandis qu'une telle 4 indemnisation n'est pas prévue en cas d'un écrêtement qui accompagne le transfert de quotas vers un autre producteur.

Le principe de l'égalité des citoyens devant la loi, posé par l'article 11, paragraphe 2 de la Constitution, qui exige que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon, permet de distinguer entre catégories de personnes, à condition que cette distinction soit objectivement justifiée.

Le règlement 3950/92/CEE écarte, en application du principe que même si les quotas peuvent engendrer des conséquences patrimoniales, ils ne constituent pas des droits personnels patrimoniaux, toute indemnisation des quotas enlevés aux producteurs. En vue de favoriser la baisse de la production laitière, le même règlement autorise cependant l'indemnisation des producteurs qui abandonnent définitivement leur quota.

La réglementation nationale qui reflète cette différenciation dégagée par le droit communautaire est objectivement justifiée, en ce qu'elle prévoit l'indemnisation de la catégorie de producteurs qui abandonnent définitivement leur production laitière et allègent de cette manière la surproduction en la matière, et qu'elle ne fait pas bénéficier de cette mesure les producteurs qui, en transférant leurs quotas, ne contribuent pas à cet objectif.

Les demandeurs voient dans les critères objectifs visés par l'article 7, paragraphe 1er du règlement 3950/92/CEE les dispositions des articles 6 et suivants du règlement grand-ducal du 14 mars 1996. Ils estiment que ces dispositions sont illégales en ce qu'elles abandonnent au ministre l'exécution de la loi, en violation de l'article 36 de la Constitution.

Les critères posés par le règlement grand-ducal du 14 mars 1996 pour fixer les catégories de quotas transférés soumis à l'écrêtement de 35 % ne sont pas contenus aux articles 6 et suivants dudit règlement, mais à l'article 15 qui établit notamment la distinction, critiquée par les demandeurs, entre les transferts de quotas qui concernent les exploitations laitières entières, auquel cas aucun écrêtement n'est prévu, et les exploitations qui ne sont pas destinées à subsister en tant qu'unités d'exploitation distinctes, soumises à écrêtement.

La différenciation entre les unes et les autres est objectivement justifiée par le voeu du pouvoir réglementaire de préserver les unités d'exploitation et de ne pas pénaliser les producteurs qui reprennent une telle exploitation, un tel but ne se vérifiant pas dans le chef de producteurs exploitant déjà une unité de production et voulant augmenter leur production laitière.

C'est à tort, dans ce contexte, que les demandeurs font valoir que la réglementation communautaire prévoirait une mise à contribution linéaire des producteurs laitiers à la réserve nationale, ce qui devrait se traduire par un pourcentage de l'écrêtement égal pour tous. Le règlement précité 3950/92/CEE, qui retient dans ses considérants que les Etats membres devaient être autorisés à alimenter la réserve nationale notamment à la suite d'une réduction linéaire de l'ensemble des quantités de référence, n'a pas exclu le recours à d'autres méthodes d'alimentation, à condition qu'elles se justifient objectivement. La réglementation nationale qui a mis en oeuvre, outre une réduction linéaire par fixation d'une année de référence dont la production ne doit pas être dépassée par les producteurs, des réductions frappant certaines catégories de producteurs selon des critères objectivement justifiés, est restée dans le cadre tracé par le droit communautaire.

5 C'est encore à tort que les demandeurs se prévalent d'un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 10 juillet 1991 (aff. C-90/90 et C 91/90), étranger à la matière, en ce que cette décision affirme la liberté pour chaque producteur, de changer de laiterie d'affiliation sans perte de quantités de référence, l'arrêt ne se prononçant pas sur l'admissibilité d'un écrêtement en cas de transfert de quotas laitiers d'un producteur vers l'autre.

Les demandeurs estiment que l'écrêtement prévu par l'article 15 du règlement grand-

ducal du 14 mars 1996 serait contraire à la liberté du travail agricole tel que prévu par l'article 11, paragraphe 6 de la Constitution.

S'il est vrai que la mesure incriminée institue des plafonds au droit de produire et de commercialiser du lait, elle ne constitue pas pour autant un obstacle à la liberté du choix de la profession agricole, ni à l'exercice de celle-ci sur une exploitation agricole à laquelle est attaché un quota laitier, mais elle constitue une restriction à la liberté du travail agricole, conforme à l'article 11, paragraphe 6 de la Constitution qui garantit l'exercice du travail agricole, "sauf les restrictions à établir par le pouvoir législatif." Le système de l'écrêtement institué par la réglementation incriminée ne constitue pas davantage une expropriation contraire à l'article 16 de la Constitution et à l'article 1er du Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, invoqués par les demandeurs, étant donné que les quotas laitiers ne constituant pas des droits personnels à la libre disposition des titulaires (v. trib. adm. 18 février 1998, Pas. adm. n° 1/99, V° Agriculture, n° 6)), et que le droit de propriété des terres agricoles auxquelles les quotas sont attachés n'est pas affecté. Il y a lieu d'ajouter que l'un et l'autre des textes invoqués par les demandeurs ne reconnaissent pas au droit de propriété une valeur absolue, mais en soumettent l'exercice à la réglementation par le législateur dans l'intérêt général.

Eu égard aux développements qui précèdent, il y a lieu de rejeter la demande en annulation de la décision ministérielle incriminée, sans qu'il y ait lieu, ainsi que cela est sollicité par les demandeurs dans leur mémoire en réplique, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle concernant la compatibilité de la réglementation nationale en matière d'écrêtements à "a) la Convention européenne des droits de l'homme consacrée par les jurisprudences de la Cour de l'Union européenne, b) au droit communautaire et notamment à l'égalité des producteurs devant les normes communautaires ou nationales prises en exécution d'une norme communautaire, c) au principe de proportionnalité, eu égard aux objectifs de la PAC tels qu'ils résultent du traité et du droit secondaire pris en son exécution." Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

6 Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 7 juin 1999 par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Schroeder, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 10790
Date de la décision : 07/06/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-06-07;10790 ?

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