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07/06/1999 | LUXEMBOURG | N°10676

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 juin 1999, 10676


Nos. 10676 et 10992 du rôle Inscrits respectivement les 23 avril 1998 et 24 novembre 1998 Audience publique du 7 juin 1999

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Recours formé par la société anonyme DEMEC S.A., …, contre 1) une décision de l'administration des Ponts et Chaussées, Luxembourg, et 2) un arrêté du ministre des Travaux publics, en présence de la s.à r.l. X, … en matière de marchés publics

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Vu la requête déposée le 23 avril 1998 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro du rôle 10676, par

Maître Jean-Paul NOESEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Lu...

Nos. 10676 et 10992 du rôle Inscrits respectivement les 23 avril 1998 et 24 novembre 1998 Audience publique du 7 juin 1999

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Recours formé par la société anonyme DEMEC S.A., …, contre 1) une décision de l'administration des Ponts et Chaussées, Luxembourg, et 2) un arrêté du ministre des Travaux publics, en présence de la s.à r.l. X, … en matière de marchés publics

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Vu la requête déposée le 23 avril 1998 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro du rôle 10676, par Maître Jean-Paul NOESEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme DEMEC S.A., établie et ayant son siège à L-…, représentée par son conseil d'administration actuellement en fonctions, tendant à l’annulation d’une décision de l'administration des Ponts et Chaussées, établie à L-1117 Luxembourg, 5-15, rue Albert Ier, représentée par son directeur actuellement en fonctions, du 24 novembre 1997 portant adjudication publique de la fourniture de cinq camions à bennes basculantes à la société à responsabilité limitée X., avec siège à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, en écartant l'offre de la requérante;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Pierre KREMMER, demeurant à Luxembourg, du même jour, portant signification dudit recours à la s.à r.l. X., préqualifiée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 1998;

Vu la requête déposée le 23 avril 1998 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro du rôle 10992, par Maître Jean-Paul NOESEN, préqualifié, au nom de la société anonyme DEMEC S.A., préqualifiée, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre des Travaux publics du 5 novembre 1997 approuvant un procès-

verbal d'adjudication publique concernant la fourniture de cinq camions à bennes basculantes à la société à responsabilité limitée X., avec siège à L-6905 Niederanven, Zone industrielle Bombicht, représentée par son gérant actuellement en fonctions, en écartant l'offre de la requérante;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Pierre KREMMER, demeurant à Luxembourg, du 25 novembre 1998, portant signification dudit recours à la s.à r.l. X., préqualifiée;

2 Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 1999;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mars 1999 au nom de la demanderesse DEMEC S.A.;

Vu les pièces versées et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Paul NOESEN et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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Le 15 juillet 1997, l'administration des Ponts et Chaussées lança une soumission publique pour l'achat de cinq camions à bennes basculantes.

A l'ouverture des enveloppes contenant les bordereaux de soumission, il fut constaté que l'offre présentée par la société anonyme DEMEC S.A., établie et ayant son siège à L-…, au prix de 14.148.600,- francs, était la moins disante, l'offre présentée par la société à responsabilité X., avec siège à L-…, au prix de 14.518.000,- étant classée seconde.

Par lettre du 24 novembre 1997, la société DEMEC fut informée par l'administration des Ponts et Chaussées que son offre n'avait pas été retenue "comme n'ayant pas été présentée conforme à toutes les caractéristiques du cahier spécial des charges." Sur demande de communication des motifs de cette décision, l'administration des Ponts et Chaussées répondit, par courrier du 7 janvier 1998, que sous le chapitre "XVI Garantie" du cahier des charges, l'administration demandait sub pos. d) des indications concernant l'"Adresse des Ateliers et Magasins fonctionnant sous la régie du soumissionnaire", et que si DEMEC S.A., en indiquant dans son bordereau de soumission deux adresses, à savoir "1) DEMEC S.A., … (atelier principal), et 2) Y.

S.A., …(point de service)", faisant apparaître l'offre au moins textuellement complète et conforme aux conditions demandées, la réalité avait montré que, d'une part, l'atelier principal de la société DEMEC, situé à l'endroit des anciens ateliers de la firme …, n'était pas encore ouvert, et que, d'autre part, au lieu du point de service indiqué en second lieu était installé l'atelier des marques … et …, de sorte que la conclusion s'imposait que la société DEMEC S.A. avait envisagé de déléguer ses responsabilités du service après-vente et ses engagements de garantie à une tierce entreprise n'ayant aucun rapport avec l'administration concernée. L'administration en concluait que l'offre de la société DEMEC S.A. était non conforme.

Par lettre du 9 février 1998, la commission des soumissions instituée auprès du ministère des Travaux publics, relevant que l'administration des Ponts et Chaussées avait omis d'informer la société DEMEC S.A. sur ses droits de recours, informa celle-

ci de son droit d'introduire un recours en annulation auprès du tribunal administratif dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision de refus de son offre.

3 Par requête du 23 avril 1998, la société DEMEC S.A. a introduit un recours en annulation contre la décision de l'administration des Ponts et Chaussées portant refus de la déclarer adjudicataire du marché concernant les cinq camions à bennes basculantes.

Dans son mémoire en réponse déposé le 27 août 1998, le délégué du gouvernement a fait valoir qu'en vertu de la législation sur les marchés publics, la décision d'adjudication est de la seule compétence du ministre des Travaux publics, et que celui-ci a approuvé, par arrêté du 5 novembre 1997, l'adjudication de la fourniture des cinq camions à la société X.. L'administration des Ponts et Chaussées n'ayant aucun pouvoir de décision en la matière, le recours dirigé contre une prétendue décision de celle-ci, serait irrecevable.

Se prévalant de ce que par la consultation du dit mémoire au greffe du tribunal, elle a appris l'existence de l'arrêté ministériel du 5 novembre 1997, la société DEMEC S.A., par recours du 24 novembre 1998, a introduit un second recours en annulation, dirigé cette fois-ci contre l'arrêté ministériel du 5 novembre 1998.

Etant donné que les deux recours mettent en présence les mêmes parties, et qu'ils tendent l'un et l'autre à la même fin, à savoir l'annulation du marché de fourniture de cinq camions à bennes basculantes, il y a lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de les joindre pour y statuer par un seul et même jugement.

RECEVABILITE Comme indiqué plus haut, le délégué du gouvernement soulève l'irrecevabilité du recours introduit le 23 avril 1998 au motif qu'il serait dirigé contre un acte ne constituant pas une décision administrative susceptible d'un recours contentieux.

Il est vrai qu'en cas de marché public pour compte de l'Etat, la décision d'adjudication ne peut être prise que par les organes habilités à agir pour compte de l'Etat. En l'espèce, l'administration des Ponts et Chaussées, bien que bénéficiaire des fournitures faisant l'objet de la soumission, n'a émis qu'un avis, la décision d'adjudication ayant été prise par le ministre des Travaux publics, organe habilité à engager l'Etat.

Il s'ensuit que le recours dirigé contre la prétendue décision d'adjudication prise par l'administration des Ponts et Chaussées le 24 novembre 1997 est irrecevable.

Le délégué du gouvernement soulève pareillement l'irrecevabilité du recours introduit le 24 novembre 1998 en exposant que dans le cadre d'une adjudication publique, la notification se fait seulement à l'adjudicataire et non aux soumissionnaires écartés qui sont uniquement informés des motifs du rejet de l'offre. Il précise que dans le cas d'espèce, la demanderesse a été informée les 7 janvier et 9 février 1998 sur les motifs de l'absence de prise en considération de son offre et sur ses droits de recours, et qu'au plus tard le 23 avril 1998, date de son premier recours, elle savait que 4 l'adjudicataire du marché était la société X.. Le recours, introduit plus de trois mois après cette date, serait partant tardif.

Le soumissionnaire dont l'offre n'a pas été retenue est à considérer, non comme tiers intéressé faisant partie d'un groupe indéterminé et indéterminable de personnes, mais comme destinataire direct de la décision d'adjudication autant que le soumissionnaire dont l'offre est retenue, étant donné que la décision d'adjudication s'adresse à l'un et à l'autre, le premier en étant affecté négativement, et le second positivement. Il s'en dégage qu'il doit profiter, autant que le bénéficiaire de la soumission, des garanties découlant du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, et en particulier de son article 14 en vertu duquel le recours contentieux ne commence à courir à partir de la notification de la décision faisant grief que pour autant que les voies de recours et le délai de recours y sont indiqués (trib. adm. 22 juillet 1998, Pas.

adm. n° 1/99, V° Marchés publics, n° 6).

Etant donné qu'en l'espèce, la décision d'adjudication qui fait grief à la demanderesse est constituée par l'arrêté ministériel du 5 novembre 1997, et que celui-ci n'a pas été porté à la connaissance à celle-ci par un procédé satisfaisant aux exigences du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, aucun délai contentieux n'a commencé à courir contre cet arrêté et le recours déposé le 24 novembre 1998 n'est pas à qualifier comme introduit hors délai.

Comme le recours remplit par ailleurs les conditions de forme, il est recevable.

FOND Au fond, le délégué du gouvernement estime que ce serait à bon droit que l'offre de la société DEMEC S.A. a été écartée pour non-conformité aux exigences du point XVI, sub d), du cahier spécial des charges, exigeant "adresse exacte des ateliers et des magasins fonctionnant sous la régie du soumissionnaire", étant donné qu'elle a indiqué, à la rubrique correspondante, d'une part son propre atelier sis à Strassen, mais que celui-ci n'était pas opérationnel, les bâtiments en question étant ceux occupés jusqu'en 1996 par la firme …, et l'ouverture de l'atelier DEMEC à cette adresse dépendant entre autres de démarches administratives loin d'aboutir et, d'autre part, celui de la société Y. S.A. sis à …, constituant une entreprise tierce n'ayant aucun rapport avec l'administration, par ailleurs concessionnaire des marques … et …, mais non de la marque … faisant l'objet de l'offre de DEMEC S.A. Or, l'expérience du passé aurait forcé l'administration des Ponts et Chaussées à veiller strictement à ce que l'adjudicataire remplisse lui-même ses engagements de son service après-vente.

Au vu des pièces qui ont été soumises au tribunal, celui-ci constate que le cahier spécial des charges, daté du 15 juillet 1997, ne contient aucune exigence particulière concernant la garantie des véhicules à livrer, et en particulier ne prévoit pas la condition que le soumissionnaire doit disposer d'un atelier de réparation lui appartenant en propre et fonctionnant sous ses ordres. Il est vrai que le bordereau de soumission préimprimé à remplir par les soumissionnaires contient sub XVI d) une rubrique "Adresse exacte des ateliers et de magasins fonctionnant sous la régie du 5 soumissionnaire." Cette mention ne saurait cependant, en l'absence d'une disposition formelle et précise du cahier des charges, emporter l'obligation pour le soumissionnaire, sous peine de non-conformité de l'offre, d'indiquer un atelier de réparation lui appartenant en propre et fonctionnant sous ses ordres, ceci d'autant plus que la notion de régie, empruntée du droit administratif, peut désigner soit les services propres d'une personne, soit des services délégués par une personne publique à une personne privée (v. R. Guillien et J. Vincent, Lexique de termes juridiques, Dalloz 1985, V° Régie).

Il est encore vrai que l'article 6 du cahier spécial des charges prévoit que "le choix de l'adjudicataire se fera non seulement suivant l'offre économiquement la plus avantageuse, mais également suivant des critères techniques jugés plus favorables dans l'intérêt d'un bon service et d'un entretien rationnel." Dans ce contexte, il est loisible au pouvoir adjudicateur de porter son choix, parmi les trois soumissionnaires proposant les prix les plus bas, sur celui dont les conditions de la garantie offerte lui paraissent les plus avantageuses. Il ne saurait toutefois écarter comme non conforme l'offre d'un soumissionnaire dont elle juge les conditions de garantie moins satisfaisantes que celles offertes par d'autres soumissionnaires, à moins d'avoir libellé des conditions de garantie spécifiques non remplies par le soumissionnaire, ce que le pouvoir adjudicateur n'a cependant pas fait en l'espèce.

S'il était partant en l'espèce loisible à l'administration de considérer l'offre de la société X. comme économiquement plus avantageuse que celle de la société DEMEC S.A., en se basant sur les critères énoncés à l'article 6 du cahier spécial des charges, elle n'était pas en droit d'écarter l'offre de la demanderesse comme non conforme et, partant, de ne pas du tout la prendre en considération.

Il y a lieu d'ajouter à titre complémentaire, concernant les prix offerts respectivement par les sociétés DEMEC S.A. - 14.148.600,- francs - et X. -

14.518.000,- francs -, que le délégué du gouvernement expose qu'en réalité la différence de prix serait minime étant donné que le prix de cette seconde offre s'expliquerait par le fait que les camions offerts présentaient une cabine longue à couchettes, et que dans une déclaration signée et annexée à l'offre, le X. offrait une cabine moyenne normale à un prix de 72.000,- francs inférieur par véhicule, soit pour un prix total de 14.157.000,- francs, donc à un prix presque égal à celui offert par DEMEC S.A. Ce serait ce dernier prix qui serait à prendre en considération, étant donné qu'il se dégagerait du chapitre "VII. Carrosserie", position a) du document de soumission que l'administration exigeait non des camions présentant des cabines avec couchettes, mais seulement des cabines présentant un espace de rangement d'environ 30 à 40 cm.

Au vu des pièces versées, le tribunal constate cependant que, d'une part, le bordereau de soumission ne spécifie pas, sub "VII. Carrosserie", point a), une longueur quelconque de la cabine, et que, d'autre part, les camions en version courte offerts en alternative par la société X. présentent un espace de rangement qui est largement inférieur à 30 cm (v. pièce portant la mention manuscrite "Camion … (X.) Cabine normale"; une section de mesure de 424 mm couvre de moitié au plus la cabine, donnant au maximum un espace de rangement de 21 cm).

6 Il faut en conclure que dans la mesure où un espace de rangement de 30 à 40 cm constituait une exigence de la part du pouvoir adjudicateur, l'offre alternative de la société X. n'était pas conforme, de sorte qu'elle ne pouvait pas entrer en ligne de compte pour l'attribution du marché, et que, par conséquent, la différence de prix entre les offres DEMEC S.A. et X. était substantielle.

Il se dégage des considérations qui précèdent que la décision d'écarter l'offre faite par la demanderesse et d'adjuger le marché à la société X. ne repose pas sur des motifs légaux, de sorte qu'elle est à annuler.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant par défaut à l'égard de la société à responsabilité limitée X. et contradictoirement à l'égard des autres parties, joint les recours introduits respectivement les 23 avril 1998, sous le numéro 10676 du rôle, et 24 novembre 1998, sous le numéro 10992 du rôle, déclare irrecevable le recours en annulation introduit le 23 avril 1998, portant le numéro 10676 du rôle, reçoit le recours en annulation introduit le 24 novembre 1998, sous le numéro 10992 du rôle, en la forme, au fond le déclare justifié, partant annule l'arrêté du ministre des Travaux publics du 5 novembre 1997 portant approbation du procès-verbal d'adjudication concernant la fourniture de cinq camions à bennes basculantes à la société à responsabilité limitée X. et renvoie l'affaire devant ledit ministre;

condamne l'Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 7 juin 1999 par:

M. Ravarani, président, M. Delaporte, premier vice-président, M. Schroeder, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 10676
Date de la décision : 07/06/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-06-07;10676 ?

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