N° 10770 du rôle Inscrit le 25 juin 1998 Audience publique du 3 juin 1999
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Recours formé par la société anonyme TRACTEBEL ENGINEERING LUXEMBOURG S.A.
contre une décision de l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils en matière d’inscription à l’Ordre des architectes et des ingénieurs-
conseils
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 juin 1998 par Maître Louis SCHILTZ, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme TRACTEBEL ENGINEERING LUXEMBOURG S.A., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du conseil de l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils du 6 mai 1998, portant refus de l’inscrire à l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Georges NICKTS, demeurant à Luxembourg, du 22 juin 1998, portant signification de ce recours à l’Ordre des architectes et des ingénieurs-
conseils;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 1er octobre 1998 par Maître Paul BEGHIN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Roland FUNK, demeurant à Luxembourg, du 28 août 1998, portant signification de ce mémoire en réponse à la société anonyme TRACTEBEL ENGINEERING LUXEMBOURG S.A.;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Anne FERRY, en remplacement de Maître Louis SCHILTZ, Maître Dominique BORNERT, en remplacement de Maître Paul BEGHIN, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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1 En date du 11 décembre 1997, le ministre des Classes moyennes et du Tourisme émit une autorisation d’établissement en faveur de la société anonyme TRACTEBEL ENGINEERING LUXEMBOURG S.A., établie et ayant son siège social à L-…, dénommée ci-
après la « société TEL », en vue de l’exercice, en qualité de profession libérale, de l’activité d’ingénieur-conseil en construction.
Par lettre du 31 mars 1998, le mandataire de la société TEL transmit à l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils, dénommé ci-après « l’OAI », une copie de l’autorisation d’établissement précitée, en le priant d’inscrire sa mandante comme « membre de l’ordre des architectes et ingénieurs-conseils ».
L’OAI informa le mandataire de la société TEL, par courrier du 6 mai 1998, que, d’une part, il entendait « attendre que la juridiction administrative se soit prononcée sur le recours qui a été introduit [sous le numéro 10606 du rôle] contre l’agrément gouvernemental » du 11 décembre 1997 et, d’autre part, la société TEL ne respectait pas les « critères de l’indépendance professionnelle liée à l’exercice de la profession libérale d’ingénieur-
conseil ».
Par requête déposée le 25 juin 1998, la société TEL a introduit un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision précitée du 6 mai 1998 du conseil de l’OAI.
La défenderesse conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours en réformation, introduit à titre subsidiaire, au motif qu’il n’existerait aucune disposition légale prévoyant un tel recours au fond en la matière.
Encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
La loi du 13 décembre 1989 portant organisation des professions d’architecte et d’ingénieur-conseil ne prévoyant pas un recours en réformation contre une décision rendue par le conseil de l’OAI en matière d’inscription d’un ingénieur-conseil en tant que membre de l’ordre, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre subsidiaire. Partant, seul un recours en annulation a pu être formé contre la décision précitée du 6 mai 1998.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours, la demanderesse fait valoir que le conseil de l’OAI ne disposerait d’aucun pouvoir d’appréciation lors de l’inscription, en tant que membre de l’OAI, d’un détenteur d’une autorisation d’établissement afférente délivrée par le ministre des Classes moyennes et du Tourisme. L’OAI ne serait partant pas en droit de refuser une telle inscription au motif, d’une part, qu’un recours a été introduit par l’OAI contre l’autorisation d’établissement qui lui a été délivrée en date du 11 décembre 1997, cette autorisation devant sortir tous ses effets en l’absence d’un sursis à exécution ordonné par la juridiction administrative, et d’autre part, qu’elle ne disposerait pas de l’indépendance professionnelle légalement requise.
2 Le défendeur estime qu’à partir du moment où le ministre des Classes moyennes et du Tourisme se limite à analyser si les conditions d’honorabilité et de qualification professionnelles exigées par la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après dénommée « la loi d’établissement », sont remplies, sans analyser si d’autres conditions prévues, d’une part, par la loi précitée du 13 décembre 1989 et, d’autre part, par le règlement grand-ducal du 17 juin 1992 déterminant la déontologie des architectes et des ingénieurs-
conseils sont également remplies, il appartiendrait à l’OAI d’examiner si les conditions « supplémentaires », propres à la profession d’ingénieur-conseil, telles que déterminées par la loi précitée du 13 décembre 1989 et le règlement grand-ducal précité du 17 juin 1992, sont également remplies, avant qu’une inscription en tant que membre de l’ordre puisse intervenir.
Dans ce contexte, il appartiendrait au conseil de l’ordre d’examiner si, notamment, la condition de l’indépendance professionnelle est remplie par la demanderesse avant qu’elle puisse être inscrite en tant que membre de l’ordre.
Il appartient au tribunal administratif d’analyser les conditions à respecter par un ingénieur-conseil en vue d’obtenir son inscription en tant que membre de l’OAI, afin de déterminer les motifs de refus que le conseil de l’ordre des architectes et des ingénieurs-
conseils pourrait invoquer en vue de refuser une telle inscription.
En vertu de l’article 7, alinéa 2 de la loi précitée du 13 décembre 1989, « sont obligatoirement inscrits en tant que membres de l’ordre, … les ingénieurs-conseils, personnes physiques ou morales, soumis à un agrément gouvernemental … ».
Il ressort de cette disposition légale que l’ingénieur-conseil qui souhaite obtenir son inscription en tant que membre de l’OAI, doit être, au préalable, en possession d’une autorisation d’établissement, délivrée par le ministre des Classes moyennes et du Tourisme, l’autorisant à exercer la profession d’ingénieur-conseil.
En l’espèce, il est constant que la société TEL s’est vu délivrer, par décision ministérielle du 11 décembre 1997, une autorisation d’établissement l’autorisant à exercer, en qualité de profession libérale, l’activité d’ingénieur-conseil en construction. Un recours contentieux dirigé par l’OAI contre cette décision ministérielle, inscrit sous le numéro du rôle 10606, a été déclaré non fondé par jugement en date de ce jour. Partant, la demanderesse est valablement autorisée à exercer au Luxembourg, en qualité de profession libérale, la profession d’ingénieur-conseil.
A part la condition précitée, remplie en l’espèce, l’article 7, alinéa 2 précité, ne prévoit aucune autre condition à remplir par un ingénieur-conseil en vue d’obtenir l’inscription au tableau de l’OAI.
Il ressort plus particulièrement de l’article 7, alinéa 2 précité, que les personnes physiques ou morales bénéficiant de l’agrément gouvernemental prescrit sont obligatoirement membres de l’ordre. Cette disposition légale a partant une portée générale qui ne saurait être tenue en échec par un quelconque pouvoir d’appréciation du conseil de l’ordre (C.E., 7 juillet 1992, n° 8557 du rôle).
S’il est vrai que l’OAI compte parmi les attributions prévues par l’article 8 de la loi précitée du 13 décembre 1989 celle d’assurer l’indépendance de ses membres et qu’il peut dans 3 ce contexte se laisser guider par l’article 2 qui prévoit que la profession d’architecte ou d’ingénieur-conseil est incompatible avec toute activité de nature à y porter atteinte, il n’en demeure pas moins qu’il doit l’exercer dans le cadre du pouvoir disciplinaire conféré au conseil de discipline par l’article 22 de la loi précitée du 13 décembre 1989 (C.E., 7 juillet 1992, précité).
Il se dégage des développements qui précèdent qu’en invoquant à l’appui du refus d’inscription de la demanderesse au tableau de l’ordre, d’une part, le défaut d’une indépendance professionnelle, et, d’autre part, un recours contentieux introduit contre l’agrément gouvernemental délivré à la demanderesse, le conseil de l’ordre a fait une fausse application de la loi et sa décision précitée du 6 mai 1998 doit être annulée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare justifié et partant annule la décision du 6 mai 1998 du conseil de l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils;
renvoie l’affaire à l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils pour prosécution;
condamne l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 3 juin 1999, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 4