Numéro 10788 du rôle Inscrit le 8 juillet 1998 Audience publique du 2 juin 1999 Recours formé par la société anonyme …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités - -
Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10788, déposée le 8 juillet 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître André LUTGEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes n° C8577 du 9 avril 1998 rejetant comme non fondée la réclamation introduite en son nom le 25 mars 1994;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 octobre 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 1998 par Maître André LUTGEN, au nom de la société … S.A.;
Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mars 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Didier McGAW, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.
Il ressort d'un acte notarié établi en date du 15 juin 1989 par Maître Gérard LECUIT, notaire de résidence à Mersch, en remplacement de Maître Frank BADEN, notaire de résidence à Luxembourg, dépositaire de la minute, que la société anonyme … S.A., appelée ci-
après « la société … », établie et ayant son siège social à …, entendait fusionner avec la société anonyme X. S.A., appelée ci-après « la société X. », établie et ayant son siège social à …, par absorption de cette dernière par la première. I1 ressort également de cet acte qu’à la date de celui-ci, la société absorbante détenait la totalité des actions de la société absorbée, à savoir cinq mille actions avec droit de vote; que « les opérations de X. S.A. sont à considérer du point de vue comptable comme accomplies au nom et pour compte de … S.A. à partir du 30 juin 1989 »; que « la fusion ne prend effet entre parties qu’un mois après la publication du présent projet de fusion au Mémorial, Recueil Spécial C, conformément à l’article 9 de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales telle qu’elle a été modifiée », et qu’ « à défaut de convocation d'une assemblée ou du rejet du projet de fusion par l’assemblée, la fusion deviendra définitive un mois après la publication comme indiquée sub 5) et entraînera de plein droit les effets prévus par l'article 274 de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales ».
Au jour de l'acte notarié du 15 juin 1989 précité, l'actif net de X. présentait un solde négatif de 21.626.859 francs.
Par ailleurs, il ressort du bilan au 30 juin 1989 de X. que celle-ci détenait des immobilisations corporelles consistant dans des terrains et des constructions pour un montant de … francs. D’après les indications fournies par le litismandataire de …, ces immobilisations corporelles représentaient la valeur comptable de l'immeuble construit par X. et spécifiquement approprié au besoin de la production projetée de cette société et cette valeur correspondait au prix d'acquisition et de construction, déduction faite des amortissements effectués.
L'immeuble précité a été vendu par acte notarié de Maître Emile SCHLESSER, notaire de résidence a Luxembourg, en date du 23 juillet 1993, au prix de … francs.
Les cinq mille actions de X. détenues par … au jour de l'acte représentaient un investissement financier de … francs.
Dans sa déclaration de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 1989, … a déduit un montant total de … francs représentant d'un côté la dépréciation de la créance X., ainsi qualifiée dans la requête, à raison de … francs et, d’un autre côté, la dépréciation de la participation dans cette même société X. à raison de … francs.
Il ressort du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 1989, établi en date du 13 janvier 1994 par l'administration des Contributions directes, que celle-ci a uniquement admis, en tant que perte, la dépréciation de la participation dans la société X. à raison de … francs.
L'administration des Contributions directes a fixé le revenu imposable arrondi, par le même bulletin du 13 janvier 1994, à … francs et a fixé le montant total des impôts dus à … francs du chef de l’impôt sur le revenu et à … francs du chef de l’impôt commercial communal.
Comme la société … bénéficiait d'une bonification d’impôt pour investissements d'un montant de … francs, le montant à payer par la société … au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités de l'année 1989 a été fixé à zéro franc.En date du 14 mars 1994, la société … a mandaté Monsieur … de la société …, à introduire un recours auprès de l'administration des Contributions directes contre le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 1989.
La réclamation a été envoyée par Monsieur … à l’administration des Contributions directes par lettre du 11 avril 1994.
Le fonctionnaire compétent de l'administration a fait parvenir à Monsieur … une motivation de la décision. Par lettre du 19 avril 1994, Monsieur … a fait parvenir à l'administration des Contributions directes les motifs se trouvant à la base de la réclamation introduite par lettre du 11 avril 1994.
A la suite de ce recours, le directeur des Contributions directes a, par décision du 15 juin 1995, déclaré les réclamations introduites par Monsieur … au nom de la société … irrecevables pour défaut d’intérêt, au motif qu'aux termes du paragraphe 232 alinéa 1er de la loi générale des impôts, appelée Abgabenordnung (AO), un bulletin d’impôt ne pourrait être attaqué qu'au cas ou le contribuable se sentirait lésé par le montant de l’impôt fixé et qu'en l'espèce la réclamante ne critiquerait pas la cote d’impôt, qui a d'ailleurs été fixée à zéro franc, mais un détail de la détermination du revenu imposable et qu'aux termes du paragraphe 213 de la loi générale des impôts, les bases d'imposition qui ne sont pas établies par bulletin séparé, ne pourraient être discutées qu’à l'appui d'un recours contre l'imposition dont elles constituent les motifs.
A l'encontre de cette décision directoriale du 15 juin 1995, la société … a introduit un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 25 août 1995 et inscrite sous le numéro 9402 du rôle.
Par jugement du 13 août 1997, le tribunal a dit ce recours fondé, annulé la décision directoriale déférée et renvoyé l’affaire devant le directeur en l’invitant à statuer au fond.
En exécution de ce jugement, le directeur a vidé le fond de la réclamation en la rejetant comme non justifiée par décision n° C8577 du 9 avril 1998.
La société … a fait introduire contre cette seconde décision directoriale le recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 8 juillet 1998, actuellement sous analyse.
Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8 (3) 1. de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant tranché sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt sur le revenu. Il s’ensuit que le recours principal en réformation est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est par conséquent irrecevable.
Quant au fond, la société demanderesse soutient que l’opération de fusion-absorption est réglementée de manière à assurer la continuité des opérations malgré la disparition de l’une des deux sociétés, de sorte qu’il existerait un moment précis à partir duquel la société absorbée disparaît et la société absorbante reprend à son compte l’actif et le passif de celle-ci. Les bilans établis à cette date auraient pour objet d’établir la valeur à laquelle sont transmis de manièreinstantanée les biens en question. Cette simultanéité du transfert des patrimoines en tant qu’élément essentiel d’une fusion ressortirait encore des termes de l’article 274 de la loi modifiée du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales, ci-après désignée « LSC »,et des travaux parlementaires afférents.
L’intention des parties de réaliser la fusion à la date précise du 30 juin 1989 résulterait encore de la circonstance que la société … a remboursé à la date valeur du 30 juin 1989 les soldes débiteurs des comptes bancaires de la société X., ainsi que des résolutions concordantes des conseils d’administration des deux sociétés adoptées le 22 mai 1989 ayant soumis la fusion à la condition suspensive qu’elle ne soit pas rejetée par les actionnaires de la société ….
Les stipulations du projet de fusion du 15 juin 1989 traduiraient la même volonté malgré une contradiction prima facie entre ses points 3) et 5), qui devraient néanmoins être interprétés en ce sens que le 10 septembre 1989, date à laquelle la condition suspensive a été réalisée, le contrat aurait été validé avec effet rétroactif à la date de sa conclusion.
Le délégué du Gouvernement rétorque que le projet de fusion stipule clairement dans son point 5) que la fusion ne prend effet entre parties qu’un mois après la publication du projet au Mémorial et que le point 3), tendant à avancer cet effet dans le temps, se heurterait aux autres dispositions du projet, ainsi qu’à l’article 274 LSC qui, par ailleurs, « vise la simultanéité des effets visés aux points a. à d. et non pas la simultanéité des effets pris à titre individuel ».
En outre, en se fondant sur la prémisse qu’un patrimoine ne peut figurer à un même moment au bilan de plus d’une société, le représentant étatique fait remarquer que les deux sociétés ont remis un bilan de clôture d’exercice au 30 juin 1989. Il en déduit que les opérations de la société X. ont nécessairement dû être comptabilisées jusqu’à la fin de la journée du 30 juin 1989 dans les comptes de celle-ci, de sorte que la société … n’aurait pu opérer la reprise qu’au plus tôt le 1er juillet 1989, première journée de son nouvel exercice d’exploitation, et que le directeur aurait par voie de conséquence retenu à juste titre que la transmission du patrimoine a été accomplie en dehors de l’exercice d’exploitation clôturé le 30 juin 1989.
Le droit fiscal ne fixant pas de moment spécifique auquel une fusion prend fiscalement effet, il y a lieu, sur base du principe du raccrochement du bilan fiscal au bilan commercial consacré par l’article 40 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 sur l'impôt sur le revenu (LIR), de se référer de prime abord aux règles consacrées par le droit des sociétés et le droit comptable.
Aux termes de l’article 272 LSC, « la fusion est réalisée lorsque sont intervenues les décisions concordantes prises au sein des sociétés en cause ».
Etant donné que la société absorbée X. était au 15 juin 1989 une filiale à 100 % de la société demanderesse, suite à l’achat par cette dernière de 200 actions X. en date du 8 juin 1989, la résolution du conseil d’administration de celle-ci prise en date du 22 mai 1989 est à considérer comme décision concordante au sens de l’article 272 LSC (cf. doc. parl. 2897, commentaire des articles, ad art. 279, p. 18).
Dans la mesure où le projet de fusion du 15 juin 1989 reconnaît aux actionnaires de la société absorbante les droits qui sont fixés par l’article 279 LSC suivant les modalités yprévues, les exigences fixées à l’article 263 LSC ne sont pas applicables, de sorte que la tenue d’une assemblée générale pour approuver la fusion n’était pas requise de façon absolue.
Pareille tenue peut néanmoins s’imposer, étant donné que l’un des droits ainsi conférés aux actionnaires, détenant au moins 5% des actions, consiste précisément en la faculté, dans le mois de la publication du projet de fusion, de requérir la convocation d’une assemblée générale appelée à se prononcer sur l’approbation de la fusion. Il se dégage encore du libellé de l’article 279 LSC que la fusion ne peut prendre effet entre parties qu’au plus tôt un mois après la publication du projet de fusion, date à laquelle les actionnaires sont censés avoir tacitement approuvé la fusion si la tenue d’une assemblée n’aura pas été requise dans ce délai.
Une décision concordante au sens de l’article 272 LSC ne peut ainsi être admise dans le chef de la société absorbante que soit un mois après la publication du projet de fusion si la tenue d’une assemblée générale n’aura pas été demandée, soit à la date d’une telle assemblée qui aura approuvé la fusion. Une fusion, qui est de nature à entraîner des conséquences importantes pour la société, ne saurait en effet prendre effet avant que les actionnaires n’aient eu l’occasion d’assurer valablement la défense de leurs droits ès qualité.
Il s’ensuit qu’en l’absence de demande de tenue d’une assemble générale formulée par un actionnaire de la société demanderesse, la fusion a été réalisée en l’espèce le 10 septembre 1989, soit un mois après la publication du projet de fusion qui a eu lieu en date du 10 août 1989.
Conformément à l’article 274 (1) LSC, la réalisation de la fusion entraîne de plein droit et simultanément, notamment, la transmission universelle, tant entre la société absorbée et la société absorbante qu’à l’égard des tiers, de l’ensemble du patrimoine actif et passif de la société absorbée à la société absorbante. C’est à la société demanderesse qu’est en conséquence passée, à la date de prise d’effet de la fusion, soit le 10 septembre 1989, la propriété de l’ensemble du patrimoine de la société X.. A partir de cette même date et conformément aux principes comptables, il appartenait pareillement à la société … d’inscrire le transfert de patrimoine dans ses comptes. Il s’ensuit que la société absorbante était également en droit, dans la mesure du transfert effectivement opéré, de faire valoir les conséquences fiscales découlant de la fusion au titre de l’exercice 1989-1990 et non pas au titre de l’exercice précédent.
Il est bien vrai que l’article 261 (2) LSC autorise les parties à la fusion à fixer dans le projet de fusion « la date à partir de laquelle les opérations de la société absorbée sont considérées du point de vue comptable comme accomplies pour le compte de la société absorbante » et que les sociétés … et X. ont fixé cette date au 30 juin 1989, date-clé pour la clôture de leurs exercices sociaux. Cette date a certes pour effet de fixer le point de référence temporel pour déterminer la situation comptable de la société absorbée en vue de l’établissement du rapport d’échange et d’arrêter les valeurs auxquelles les biens seront inscrits dans la comptabilité de la société absorbante, mais elle ne saurait par contre avoir pour effet d’avancer le moment du transfert de patrimoine entre les deux sociétés.
Il résulte des développements qui précèdent qu’en présence des stipulations conformes du projet de fusion et en l’absence d’éléments dirimants établis plaidant en faveur d’une autre date d’après des critères économiques, le directeur a retenu à juste titre que la société demanderesse n’était en droit de faire valoir les conséquences fiscales de sa fusion avec la société X. qu’au titre de l’exercice 1989-1990 et non pas au titre de l’exercice 1988-1989.Au vu de l’accord des parties exprimé à l’audience de voir le tribunal trancher en premier lieu la seule question de l’exercice social au titre duquel la société demanderesse peut faire valoir les déductions par elle revendiquées et de réserver les autres questions soulevées en l’espèce, il y a lieu de fixer l’affaire pour continuation des débats à une audience ultérieure.
PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, confirme la décision directoriale déférée dans la mesure où elle a refusé à la société demanderesse le droit de faire valoir les conséquences fiscales de la fusion avec la société X. au titre de son exercice social 1988-1989, pour le surplus, les droits des parties étant réservés, fixe l’affaire pour continuation des débats à l’audience publique du 30 juin 1999, déclare le recours en annulation irrecevable, réserve les frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 juin 1999 par:
M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
SCHMIT DELAPORTE 6