N° 11034 du rôle Inscrit le 16 décembre 1998 Audience publique du 31 mai 1999
===========================
Recours formé par Monsieur … HASANI contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail
-------------------------------------------------------------------
--
Vu la requête déposée le 16 décembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Henri FRANK, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HASANI, ouvrier, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 2 octobre 1998 lui refusant l’octroi d’un permis de travail;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Henri FRANK ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
---
Par déclaration datée du 10 août 1998, entrée le lendemain à l’administration de l’Emploi, ci-après dénommée « l’ADEM », la société à responsabilité limitée X. SARL introduisit une demande en obtention d’un permis de travail, pour un poste d’« ouvrier » non autrement spécifié, en faveur de Monsieur … HASANI, né le … à … (Kosovo), de nationalité yougoslave, demeurant à L-… Le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé le « ministre », refusa la délivrance d’un permis de travail par arrêté du 2 octobre 1998 «pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes:
- des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place: 1987 ouvriers non-
qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - augmentation inquiétante de la moyenne des demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi durant les cinq dernières années: 3.526 en 1993, 4.643 en 1994, 5.130 en 1995, 5.680 en 1996 et 6.357 en 1997».
1 Par requête déposée le 16 décembre 1998, Monsieur HASANI a fait introduire un recours en annulation contre ledit arrêté ministériel du 2 octobre 1998.
Le demandeur soutient que la décision litigieuse serait basée sur des « motifs illégaux, respectivement est entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, en ce qu’il est simplement fait référence au nombre d’ouvriers non-qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi ».
Il soutient encore que le simple fait que des demandeurs d’emploi sont inscrits aux bureaux de placement ne suffirait pas pour prouver que ceux-ci sont effectivement disposés à accepter l’emploi qui leur est offert.
Par ailleurs, l’augmentation inquiétante de la moyenne des demandeurs d’emploi pendant les dernières années ne serait pas un motif légitime de refus d’un permis de travail.
Le délégué du gouvernement rétorque que la motivation de l’arrêté litigieux serait légale, réelle et suffisante.
Il estime que le ministre du Travail et de l’Emploi serait compétent pour prendre la décision incriminée, que cette dernière baserait sur des motifs légaux et que, pour que l’acte de refus soit valable, il suffirait que les motifs aient existé au moment où la décision a été prise, quitte à ce que l’administration concernée les fournisse ultérieurement.
Ensuite, le représentant étatique soutient que le ministre du Travail et de l’Emploi aurait le pouvoir de refuser un permis de travail pour des raisons liées à la situation, à l’évolution et à l’organisation du marché du travail. Or, les statistiques officielles renseigneraient que la situation du marché de l’emploi aurait été et serait toujours mauvaise, et que l’accès à l’emploi devrait été réservé aux demandeurs qui bénéficient d’une priorité.
Par ailleurs, dans la mesure où la « fonction d’ouvrier rémunéré à concurrence du salaire social minimum » ne requerrait aucune qualification particulière tous les 1.987 ouvriers non-qualifiés inscrits aux bureaux de placement seraient concrètement disponibles.
Le délégué relève encore qu’en dates des 31 juillet et 5 août 1998, la société X. SARL aurait déclaré à l’ADEM des vacances de postes comme ouvriers polyvalents et, en date du 3 septembre 1998, une vacance de poste pour un manoeuvre. S’agissant de l’offre du 31 juillet 1998, l’ADEM aurait assigné 10 personnes, dont 2 auraient été engagées, à savoir Messieurs J.J. C. et P.J. D.S.A.. Quant à la vacance de poste du 5 août 1998, 5 personnes auraient été assignées, dont 2 auraient été engagées, à savoir Messieurs P.N. D.S.P et I. E.K.. Enfin, concernant l’offre du 3 septembre, l’ADEM aurait assigné 7 personnes, parmi lesquelles 2 auraient été engagées, à savoir Messieurs M. R. et A. S.. Sur ce, le délégué conclut que le ministre aurait légalement justifié sa décision de refus en invoquant que des demandeurs d’emploi seraient disponibles sur place.
Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Une obligation de motivation expresse exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.
l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-
d’oeuvre étrangère, ni par le règlement grand-ducal d’exécution du 12 mai 1972 déterminant 2 les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-
Duché de Luxembourg.
En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et les circonstances de fait à sa base.
Dès lors que la motivation expresse d’une décision peut se limiter, conformément à l’article 6 précité, à un énoncé sommaire de son contenu, il suffit en l’occurrence, pour que l’acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment du refus, quitte à ce que l’administration concernée les complète a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours d’une procédure contentieuse (cf. Cour adm., 13 janvier 1998, Pas. adm. 1-
99, V° Travail, II. Permis de travail, n° 15 et autres références y citées).
En l’espèce, l’arrêté du 2 octobre 1998 énonce 3 motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère et il suffit ainsi aux exigences de l’article 6 prévisé, cette motivation étant utilement complétée par le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, de sorte que le demandeur n’a pas pu se méprendre sur la portée à attribuer à la décision litigieuse.
L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit encore d’examiner si lesdits motifs sont de nature à justifier la décision attaquée.
L’article 10 (1) du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 précité dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés au travailleur étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».
Cette disposition trouve sa base légale habilitante à la fois dans l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, qui dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi » et dans l’article 1er du règlement CEE précité n° 1612/68, qui dispose que « 1. Tout ressortissant d’un Etat membre, quelque soit le lieu de sa résidence, a le droit d’accéder à une activité salariée et de l’exercer sur le territoire d’un autre Etat membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux de cet Etat. 2. Ils bénéficient notamment sur le territoire d’un autre Etat membre de la même priorité que les ressortissants de cet Etat dans l’accès aux emplois disponibles ».
Lesdits articles 10 (1) du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 et 27 de la loi précitée du 28 mars 1972, confèrent à l’autorité investie du pouvoir respectivement d’octroyer et de renouveler le permis de travail, la faculté de le refuser en raison de considérations tirées des impératifs dérivant du marché de l’emploi du point de vue notamment de sa situation, de son évolution et de son organisation et ceci en vue de la protection sociale aussi bien des travailleurs désirant occuper un emploi au Grand-Duché que des travailleurs déjà occupés dans le pays (v. trav. parl. relatifs au projet de loi n° 2097, exposé des motifs, page 2).
3 Au voeu de l’article 28 de la loi précitée du 28 mars 1972, et de l’article 1er du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972, seuls les travailleurs ressortissants des Etats membres de l’Union européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen sont dispensés de la formalité du permis de travail.
En l’espèce, la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Espace Economique Européen se justifie donc, en principe, face au désir de l’employeur d’embaucher un travailleur de nationalité yougoslave, c’est-à-dire originaire d’un pays tiers par rapport aux Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen.
Après avoir vérifié que la référence à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, ainsi qu’à l’accès prioritaire aux emplois disponibles de ressortissants de l’Espace Economique Européen est, en principe, justifiée en l’espèce, le tribunal doit encore examiner si des demandeurs d’emploi prioritaires aptes à occuper le poste vacant étaient concrètement disponibles sur le marché de l’emploi.
Or, en l’espèce, il se dégage des éléments du dossier et des informations fournies par le délégué du gouvernement, non contestées par le demandeur, qu’à la suite de trois déclarations de vacances de postes de la société X. SARL en dates des 31 juillet, 5 août 1998 et 3 septembre 1998, pour respectivement des ouvriers polyvalents et un manoeuvre, l’ADEM a assigné en tout 22 personnes, dont 6 ont été engagées par ladite société. Il s’ensuit que la disponibilité concrète de demandeurs d’emplois a valablement pu justifier la décision ministérielle de refus.
Il suit des considérations qui précèdent que la décision ministérielle de refus litigieuse se trouve légalement justifiée par les motifs analysés et le recours en annulation est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 31 mai 1999, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
4 s. Legille s. Schockweiler 5