N° 10808 du rôle Inscrit le 21 juillet 1998 Audience publique du 31 mai 1999
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Recours formé par Monsieur … MIHNJAK, Luxembourg contre une décision du service d’imposition, section RTS, de l’administration des Contributions directes, en matière d’impôt sur les traitements et salaires
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 1998 par Maître François TURK, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MIHNJAK, employé privé, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un bulletin d’appel en garantie daté du 28 octobre 1997 émis par le bureau RTS Luxembourg 1 de la section RTS du service d’imposition de l’administration des Contributions directes;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 février 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 1999 par Maître François TURK pour compte de Monsieur … MIHNJAK;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître François TURK et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 avril 1999.
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En date du 28 octobre 1997 le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 a émis à l’encontre de Monsieur … MIHNJAK, employé privé, demeurant à L-…, pris en sa qualité d’associé-gérant de la société X. s. à r.l., ci-après appelée “ la société ”, ayant eu son siège social à L-…, entre-temps déclarée en état de faillite, un bulletin d’appel en garantie (Haftungsbescheid) en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts, dite “ Abgabenordnung ”, ci-après appelée “ AO ”, pour le paiement des sommes retenues ou qui auraient dû être retenues au titre d’impôt sur les salaires par la société pour les exercices 1992, 1993 et 1994, ainsi que des intérêts de retard y relatifs, pour un montant total s’élevant à 872.707.- Luf.
A l’encontre de ce bulletin, Monsieur … MIHNJAK a fait introduire, par courrier de son mandataire du 6 janvier 1998, une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes en déclinant sa propre responsabilité dans le non-paiement des impôts dus. Cette réclamation étant restée sans suite, il a fait introduire en date du 21 juillet 1998 un 1 recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation dudit bulletin d’appel en garantie du 28 octobre 1998, et il a fait formuler une demande de sursis à l’exécution de la décision déférée jusqu’à ce que le litige ait été définitivement tranché au fond.
Le litige étant en état d’être toisé quant au fond, la demande d’un sursis à exécution est devenue sans objet.
Le bulletin d’appel en garantie émis le 28 octobre 1998 à l’encontre du demandeur étant assimilé, conformément aux dispositions du paragraphe 119 AO, à un bulletin d’impôt fixant une cote d’impôt en ce qui concerne le régime des voies de recours, le tribunal administratif a compétence pour connaître des contestations y relatives en tant que juge du fond.
En vertu des dispositions de l’article 8 (3), 3 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le contribuable dont la réclamation n’a pas fait l’objet d’une décision définitive du directeur dans un délai de six mois, a le droit de déférer directement au tribunal le bulletin qui a fait l’objet de la réclamation. Il s’ensuit que le recours en réformation introduit en date du 21 juillet 1998 est recevable pour avoir été déposé dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.
La décision déférée a déclaré le demandeur codébiteur solidaire des retenues d’impôt sur les traitements et salaires, ainsi que des intérêts de retard y relatifs dus par la société pour les années 1992, 1993 et 1994 au motif que “ en vertu des paragraphes 103 et 108 de la loi générale des impôts (AO) vous êtes obligé en votre qualité d’associé-gérant de la société, de payer sur les fonds administrés les impôts, dont la société est redevable. En omettant de verser à l’administration des contributions les sommes retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d’impôt sur les salaires, vous avez commis une faute engageant votre responsabilité personnelle (paragraphe 109 AO), responsabilité qui continue à exister après la cessation de commerce de la société (paragraphe 110 AO) ”.
Pour décliner sa propre responsabilité dans le non-paiement des impôts dus par la société, le demandeur fait valoir à l’appui de son recours qu’il aurait laissé la gérance de la société à son cogérant Y., alors que lui-même était engagé à temps plein en dehors de la société et n’aurait ni joué de rôle actif dans cette dernière, ni commis de faute susceptible d’engager sa responsabilité personnelle en tant que représentant à côté du contribuable.
A titre subsidiaire, il fait valoir que le gérant technique Y., en cumulant les qualités de gérant et de salarié, aurait été complice du non-paiement des retenues d’impôt, de sorte que le recouvrement de l’impôt sur salaires aurait, dans un souci d’équité notamment, dû être exercé contre ce dernier, du moins pour les impôts qui étaient à retenir sur les salaires par lui touchés.
Il signale en outre avoir quitté la gérance de la société avec effet au 29 juin 1994 et n’avoir jamais été en mesure de contrôler en fait l’exactitude des bulletins de retenue d’impôt des années 1992 à 1994, alors que ceux-ci ne lui auraient jamais été communiqués, pour conclure qu’en tout état de cause il y aurait lieu de réduire le bulletin d’appel en garantie de l’année 1994 à la moitié et contester par ailleurs la hauteur des montants mis en compte.
Le délégué du Gouvernement entend rencontrer ces moyens en exposant que le demandeur, ayant accepté la fonction de gérant administratif de la société, aurait dû veiller à ce 2 que ses devoirs fussent remplis sous sa responsabilité s’il était empêché d’y pourvoir lui-même, faute de quoi les insuffisances d’impôt retenu et versé lui seraient imputables. Il estime en outre que si le salarié complice du non-paiement de la retenue peut être contraint, cette simple possibilité n’exclurait pas en raison et en équité la poursuite du gérant fautif.
En vertu des dispositions de l’article 136 (4) L.I.R. l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise au représentant de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que “ die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die den Personen, die sie vertreten, obliegen; Insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln, die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln, die gegen sie festgesetzt werden haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ”.
Il s’ensuit que le gérant en titre d’une société à responsabilité limitée est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.
S’il est en l’espèce constant que le demandeur, en sa qualité de gérant de la société, a manqué à son obligation fiscale énoncée ci-avant en ce qui concerne les retenues d’impôt sur les traitements et salaires à effectuer par la société pour les années 1992, 1993 et 1994, il n’en demeure pas moins que le gérant ne peut être tenu personnellement responsable du non-
paiement de ces impôts que dans les conditions plus particulièrement prévues au paragraphe 109 AO qui dispose dans son alinéa (1) que: “ die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 bis 108 auferlegten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütungen zu unrecht gewährt worden sind ”.
Il se dégage de cette disposition légale que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO précité dans le chef d’un gérant de société, n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité personnelle en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (schuldhafte Verletzung) des obligations du représentant de la société envers le fisc.
Le paragraphe 7, (3) de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934, maintenue en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, appelée “ Steueranpassungsgesetz ”, disposant par ailleurs que “ Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will.
Es kann die geschuldetet Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern ”, le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particlièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et ensuite en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.
3 Conformément au paragraphe 2 de la loi d’adaptation fiscale précitée disposant dans son alinéa (1) que “ Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessensentscheidungen), müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessungsentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen ”, l’adminstration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision.
En l’espèce, le bureau d’imposition a décidé de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du demandeur en sa qualité de gérant en titre de la société en relevant à l’appui de sa décision l’omission dans son chef de verser à l’administration des Contributions les sommes retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d’impôt sur les salaires.
S’il est certes vrai qu’en acceptant la fonction de gérant administratif le demandeur était en principe tenu de veiller à ce que ses devoirs fussent remplis sous sa responsabilité s’il était empêché d’y pourvoir lui-même, il n’en demeure pas moins que la décision litigieuse se limite à constater objectivement le manquement du demandeur à ses obligations fiscales, sans pour autant qualifier un quelconque comportement fautif dans son chef tenant à des circonstances particulières de l’espèce, ni encore de retracer les raisons susceptibles, en raison et en équité, de justifier la décision de poursuivre le demandeur plutôt que son cogérant Y., qui, contrairement au demandeur, était pourtant au service direct de la société en tant que salarié et dont la rémunération constitue du moins en partie, pour les exercices concernés, l’assiette des retenues d’impôt non opérées.
Dans la mesure où le contrôle de la légalité externe d’un acte doit précéder celui du bien-fondé, il y a lieu de retenir en l’espèce que dans le cadre du recours en réformation, la décision déférée encourt l’annulation pour erreur de droit, alors que le bureau a méconnu à la fois les conditions de qualification de la responsabilité personnelle du gérant de société au sens du paragraphe 109 AO et l’obligation d’appréciation inhérente à sa propre compétence pour la mettre en oeuvre.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond le dit justifié;
partant annule, dans le cadre du recours en réformation le bulletin d’imposition déféré du 28 octobre 1997 et renvoie l’affaire pour exécution devant le directeur de l’administration des Contributions directes aux fins de transmission au bureau d’imposition compétent;
met les frais à charge de l’Etat.
4 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 mai 1999 par:
M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Delaporte 5