N° 11282 du rôle Inscrit le 10 mai 1999 Audience publique du 19 mai 1999
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Recours formé par Monsieur … FIROZ contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mai 1999 par Maître Gilbert HELLENBRAND, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Stéphane MAAS, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … FIROZ, ressortissant du Bangladesh, ayant été placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 avril 1999 prolongeant une mesure de placement à son égard pour une durée maximum d’un mois;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 mai 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Stéphane MAAS et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 8 janvier 1998, Monsieur … FIROZ, de nationalité bangladaise, présenta une demande en vue de l’obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ». A cette occasion, il fut constaté qu’il n’avait aucune pièce d’identité sur lui et qu’il déclarait s’appeler … FIROZ, né le 6 janvier 1966 au Bangladesh.
Une vérification faite auprès du système d’information Schengen révélait qu’une personne, ayant des empreintes digitales identiques, était signalée en Allemagne et qu’elle avait emprunté 5 identités différentes, en changeant tantôt le nom de famille, tantôt la nationalité, tantôt la date ou le lieu de naissance, tel que cela ressort d’un rapport de police établi le 13 janvier 1998 par le service de police judiciaire.
Le 17 mars 1998, Interpol Wiesbaden informa les autorités luxembourgeoises, à la suite de la réception des empreintes digitales de Monsieur … FIROZ, qu’une personne ayant ces mêmes empreintes digitales avait été contrôlée le 29 septembre 1995 à Passau dans une affaire « d’abus de pièce d’identité » et le 12 mars 1996 à Simbach pour infraction à la législation sur les étrangers.
1 Il ressort à ce sujet d’un rapport établi le 27 octobre 1998 par le ministère de la Justice dans le cadre de sa demande en obtention du statut de réfugié politique, que Monsieur … FIROZ, interrogé sur son lieu de séjour aux deux dates précitées, a déclaré s’être trouvé à Moscou.
Il ressort encore d’un procès-verbal établi le 26 mars 1999 par le service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, que « le 10 février 1999, l’intéressé a été interpellé et arrêté à Duisburg (RFA), à défaut de documents d’identité. Il était titulaire d’un billet de train pour le Grand-Duché de Luxembourg. Etant donné que notre pays est responsable quant à sa demande d’asile, les autorités allemandes ont sollicité une reprise selon les accords de Dublin.
En accord avec le ministère de la Justice, la « reprise Dublin » fut exécutée par notre service le 25 mars 1999 vers 10.30 heures. FIROZ a été repris au poste frontalier de Wasserbilligerbrück. Il a été conduit à Luxembourg, où il a été mis à la disposition du bureau d’Accueil pour Réfugiés. Ensuite l’intéressé a officiellement renoncé à sa demande d’asile, déposée le 8 janvier 1998.
Le même jour, quelques heures plus tard, le BGS de Trèves vient de nous signaler que FIROZ a été arrêté de nouveau à la Gare Centrale de Trèves. Il est arrivé à Trèves par le train, qui sert Luxembourg, Wasserbillig, Trèves.
Vers 16 heures, l’intéressé a été repris sans formalités et il a été libéré vers 17.00 heures à Luxembourg-Gare.
Aujourd’hui, vers 9.00 heures, la Direction du BGS de Coblence, vient de nous donner connaissance que FIROZ se trouvait de nouveau à Trèves. Dans la matinée, il a été repris au poste de frontière de Wasserbilligerbrück. Actuellement il est à la disposition du ministère de la Justice, ceci au bureau des Réfugiés.
Reste à mentionner, que lors de la reprise du 25 mars 1999 vers 16.00 heures, les soussignés ont constaté que FIROZ se trouvait dans un état énervé et agressif. Cette constatation a été confirmée par les membres du poste frontalier de Wasserbilligerbrück (…).
Vu son état et sa conduite, il est susceptible de compromettre la tranquillité, l’ordre et la sécurité publics.
Actuellement il est dépourvu de papiers de légitimation prescrits et ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de son séjour ».
Le 31 mars 1999, les autorités allemandes demandaient une nouvelle fois la reprise de Monsieur … FIROZ. Il ressort à ce sujet d’un rapport établi le 1er avril 1999 par le service de police judiciaire que « Am Mittwoch, den 31. März 1999 wurde hiesige Stelle seitens des Bundesgrenzschutzes in WASSERBILLIGERBRUCK per Faxschreiben informiert, dass sie erneut FIROZ … im Zug LUXEMBOURG-TRIER angetroffen hätten und um eine formlose Rückschiebung wurde gebeten. Dortige Stelle, Herr WAGNER, wurde hiervon in Kenntnis gesetzt und ordnete an FIROZ formlos am 1. April 1999, zu übernehmen und ihn dann einem 2 Arzt vorzuführen (…). Dr. … erklärte FIROZ für haftfähig und stellte ein diesbezügliches Attest aus ».
Le 1er avril 1999, une mesure de placement a été prise à l’encontre de Monsieur … FIROZ. Cette mesure a été prorogée par décision du ministre de la Justice du 29 avril 1999, pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Il a été placé au Centre Pénitentiaire, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.
La décision de prorogation de la mesure de placement intitiale prise en date du 29 avril 1999 est fondée sur les motifs et considérations suivants:
« Considérant que l’intéressé a fait en date du 8 janvier 1998 une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951;
Considérant qu’il a renoncé à sa demande le 25 mars 1999;
Considérant qu’une demande de reprise Dublin, accordée aux autorités allemandes, fut exécutée le 25 mars 1999, alors que l’intéressé se trouvait illégalement sur le territoire allemand pour se rendre à Berlin;
- qu’une deuxième reprise a été accordée aux autorités allemandes et exécutée le même jour, alors que l’intéressé s’était rendu de nouveau en Allemagne;
- que l’intéressé a été repris une troisième fois des autorités allemandes en date du 26 mars 1999, alors qu’il se trouvait à nouveau sur le territoire allemand;
Considérant que l’intéressé ne dispose pas de moyens d’existence propres;
- qu’il n’est pas en possession de papiers d’identité valables;
- qu’il se trouve en séjour illégal au Luxembourg;
Considérant qu’il échet dès lors de proroger le placement pour une durée maximum de 1 mois à partir de la notification ».
Par requête déposée le 10 mai 1999, Monsieur FIROZ a introduit un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de prorogation du placement prise en date du 29 avril 1999.
A l’appui de son recours, le demandeur invoque en premier lieu que le renouvellement de la mesure de placement sur base de l’article 15 (2) de la loi du 28 mars 1972 concernant 1.
l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main d'oeuvre étrangère, telle que modifiée par la suite, ne serait pas fondé, étant donné « qu’il ne veut pas fuire, mais qu’il coopère avec les autorités nationales luxembourgeoises pour se faire délivrer un passeport du Bangladesh lui permettant de regagner son pays ». Il estime qu’il n’existerait aucune nécessité absolue pour prolonger la mesure de placement d’une nouvelle durée d’un mois, au motif que le ministre de la Justice n’aurait pas démontré qu’il avait fait les efforts nécessaires pendant la période de placement écoulée pour procurer un passeport du Bangladesh au demandeur. Par ailleurs, il fait valoir qu’un placement ne serait justifié que si le rapatriement était impossible en raison de circonstances de fait.
A titre subsidiaire, au cas où le tribunal estimerait que la mesure de placement était justifiée, il demande à ce que cette mesure soit exécutée dans un établissement approprié à cet effet, en considération du fait que le Centre Pénitentiaire de Schrassig serait destiné à la détention ou à l’incarcération de personnes qui doivent purger des peines pour des infractions de droit commun.
3 Le délégué du gouvernement réplique, quant à la prétendue absence de risque de fuite, qu’il résulterait des différents rapports versés en cause, que le demandeur aurait une volonté incontestable de regagner l’Allemagne, ce qui serait démontré par les quatre demandes de reprise de la part des autorités de ce pays.
Il estime encore que le ministre de la Justice aurait effectué toutes les diligences nécessaires pour essayer de procurer dans les meilleurs délais un passeport au demandeur.
Concernant les circonstances de fait rendant le rapatriement impossible, il fait valoir qu’à défaut d’une identité clairement établie et de papiers d’identité, un rapatriement aurait été et serait toujours impossible.
En dernier lieu, il soutient que, vu les particularités du cas d’espèce et le danger que le demandeur essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement, le placement au Centre pénitentiaire se justifierait.
Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi précitée du 28 mars 1972, institue un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est également recevable.
Concernant la justification, au fond, de la mesure de placement, il se dégage de l’article 15, paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972 que lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la même loi est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois. L’article 15, paragraphe (2) ajoute que la décision de placement peut être reconduite à deux reprises pour la même durée d’un mois, en cas de nécessité absolue.
Il en découle que, tant une décision de placement qu’une décision de prorogation d’un placement au sens des dispositions précitées, présupposent une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.
Il se dégage du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que l’éloignement de l’intéressé est basé sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence, « …. 2. qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ou 4. qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis … ».
En l’espèce, il ressort d’un rapport du service de police judiciaire du 26 mars 1999 que le demandeur n’était pas en possession de papiers de légitimation et qu’il ne disposait pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de son séjour. Cette constatation a été actée dans un rapport établi le 31 mars 1999 par la « Grenzschutzpolizei Trier », qui a sollicité la reprise du demandeur par les autorités luxembourgeoises, mesure qui a été exécutée le 1er avril 1999.
Le défaut de papiers de légitimation valables et le défaut de moyens personnels suffisants sont des motifs légaux justifiant une mesure de refoulement, susceptible de servir de 4 base à la mesure de placement ainsi que de la décision de prorogation prise en exécution de l’article 15 paragraphe (2) de la loi précitée du 28 mars 1972.
La décision de placement ainsi que de prorogation de la mesure de placement n’est cependant légalement admissible que si le refoulement ne peut être mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.
Il ressort d’un procès-verbal établi le 8 avril 1999 par le service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, que « Am Mittwoch, den 7. April 1999 wurde FIROZ im Gefängnis in Schrassig aufgesucht, um neue Erkenntnisse betreffend seine Identität zu erlangen. Bei diesem Gespräch äusserte FIROZ den Wunsch mit der Botschaft aus Bangladesch in Brüssel telefonisch in Kontakt treten zu können. (…) Herr DAHER [aus der bangladesischen Botschaft] gab mir zu verstehen, dass die Angaben, welche FIROZ bei ihnen gemacht hätte, in BANGLADESCH überprüft werden müssten. Diese Uberprüfungen würden mehrere Wochen in Anspruch nehmen. Sobald das Resultat bekannt wäre, würde er unsere Dienststelle telefonisch in Kenntnis setzen ».
Le 13 avril 1999, des photos et une fiche signalétique du demandeur ont été envoyées à l’Ambassade de la République du Bangladesh à Bruxelles par le ministère de la Justice, en les priant de bien vouloir délivrer un titre d’identité ou un laissez-passer pour permettre le rapatriement de Monsieur FIROZ vers le Bangladesh.
Le 30 avril 1999, un représentant de l’Ambassade du Bangladesh prit contact avec la police judiciaire et une entrevue avec Monsieur FIROZ fut organisée le 3 mai 1999. Le procès-
verbal établi le 12 mai 1999 par le service de police judiciaire indique qu’il apparaît que Monsieur FIROZ serait né au Bangladesh, mais qu’il aurait quitté ce pays à l’âge de 10 ans.
Monsieur FIROZ a dû répondre par écrit à un questionnaire de son ambassade et selon le représentant de l’ambassade, l’intéressé posséderait vraisemblablement la nationalité du Bangladesh, mais des vérifications supplémentaires devraient encore être faites avant qu’un laissez-passer ne puisse être établi.
Il se dégage donc des éléments du dossier que l’exécution de la mesure d’éloignement était impossible, en raison notamment du fait que le demandeur ne possédait pas de document d’identité et que par ailleurs son identité n’était pas absolument certaine. Le ministre de la Justice était donc obligé de procéder à des mesures de vérification supplémentaires et de solliciter un laissez-passer auprès de l’ambassade du Bangladesh. A cet effet, le ministre de la Justice a entrepris toutes les diligences nécessaires pour assurer que le refoulement du demandeur intervienne dans les meilleurs délais. Comme ces mesures requièrent cependant un certain délai, il a valablement pu être estimé que sur base de toutes ces considérations de fait exposées ci-avant, l’exécution immédiate de la mesure d’éloignement était rendue impossible et qu’une nécessité absolue, telle qu’exigée par l’article 15 (2) de la loi précitée du 28 mars 1972, rendait la prorogation de la décision de placement inévitable.
Une mesure de placement et de même, une mesure de prorogation d’une telle décision de placement, ne se justifient qu’au cas où il existe dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision de refoulement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieure.
5 En l’espèce, il ressort des procès-verbaux précités que le demandeur a essayé de rejoindre l’Allemagne à maintes reprises, de sorte qu’il existe dans son chef un risque qu’il essaie de se soustraire à la mesure d’éloignement ultérieure. Son placement dans un établissement approprié s’impose afin d’assurer qu’il soit à la disposition du gouvernement au moment où la mesure de refoulement sera exécutée matériellement. Cette conclusion ne saurait être énervée par la simple affirmation du demandeur qu’il ne s’opposerait pas à un rapatriement dans son pays d’origine.
Il convient encore d’analyser si, en l’espèce, le Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig constitue « l’établissement approprié » tel que visé par l’article 15 paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972. En effet, l’incarcération dans un centre pénitentiaire, sans que l’intéressé ne soit poursuivi ou condamné pour une infraction pénale, ne se justifie qu’au cas où, en outre, cette personne constitue un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics (v°trib.adm. 11 mars 1999, n°11166 du rôle et 15 mars 1999, n° 11172 du rôle, non encore publiés).
En l’espèce, il convient de relever que les faits tels que relatés dans les différents procès-verbaux de la police judiciaire, tenant notamment à l’usage d’une fausse identité ainsi qu’à son comportement agressif lors de sa reprise des autorités allemandes en date du 25 mars 1999, caractérisent un risque d’atteinte à la sécurité, à la tranquillité et à l’ordre publics.
Dans les circonstances de l’espèce, le Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig est à considérer comme constituant un établissement approprié tel que visé par l’article 15 paragraphe (1) de la loi précitée du 28 mars 1972.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 19 mai 1999 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
6 Legille Schockweiler 7