N° 10860 du rôle Inscrit le 28 août 1998 Audience publique du 19 mai 1999
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Recours formé par Monsieur … SEIWERATH, … contre deux décisions respectivement du commandant d’arrondissement d’… et du commandant de la gendarmerie grand-ducale en matière de discipline
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Vu la requête inscrite sous le numéro 10860 du rôle et déposée le 28 août 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Dean SPIELMANN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de Monsieur … SEIWERATH, adjudant-chef de la gendarmerie grand-ducale, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du commandant de la gendarmerie du 20 juillet 1998 confirmant, sur appel, « l’arrêt de la peine disciplinaire de 4 jours d’arrêt » lui infligée le 26 juin 1998 par le commandant d’arrondissement de gendarmerie à …, ainsi que pour autant que de besoin de la décision ainsi confirmée;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 février 1999;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mars 1999 par Maître Dean SPIELMANN, au nom de Monsieur … SEIWERATH;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Dean SPIELMANN et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 mars 1999.
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Considérant que Monsieur … SEIWERATH, demeurant à L-…, adjudant-chef de la gendarmerie grand-ducale, a dirigé la brigade de la gendarmerie de la Ville de … en tant que commandant de brigade depuis l’année 1995;
Que suivant décision du commandant d’arrondissement d’… du 26 juin 1998 lui notifiée le même jour à 16.45 heures, la peine disciplinaire des arrêts pendant 4 jours a été prononcée à son égard;
Que cette peine était destinée à sanctionner les faits ainsi énoncés dans la décision la prononçant: « sans ni en demandant l’autorisation du commandant d’arrondissement d’…, ni 1 en l’informant, depuis le mois de septembre 1997, l’adjudant-chef SEIWERATH n’a plus continué à organiser les contrôles journaliers introduits depuis les Réunions des Commandants de brigade de l’arrondissement du 10 octobre 1996 et du 15 novembre 1996 et conformément à la Note AE 62/96 du 18 octobre 1996, respectivement n’a plus établi le compte-rendu hebdomadaire y relatif. En plus l’adjudant-chef SEIWERATH n’a plus repris les contrôles visés suite à son audition du 4 mai 1998 »;
Que ces faits ont été analysés comme constituant une violation des articles 2 (non-
exécution prompte et complète des prescriptions et ordres de service, défaut de s’être comporté d’une manière irréprochable dans le service), 7 (défaut d’obéissance prompte, loyale et consciencieuse), 9 (défaut de tenir compte de l’intérêt du service) et 14 (défaut en sa qualité de supérieur, d’avoir veillé à ce que les militaires placés sous ses ordres ou sur lesquels il avait un pouvoir disciplinaire, accomplissent les devoirs qui leur incombent, ainsi que défaut d’employer, le cas échéant, les moyens disciplinaires mis à sa disposition) de la loi modifiée du 16 avril 1979 ayant pour objet la discipline dans la Force publique;
Que son appel introduit le 28 juin 1998 a été déclaré recevable en la forme mais non fondé par le commandant de la gendarmerie, lequel, suivant décision du 20 juillet 1998, notifiée à Monsieur SEIWERATH le 31 suivant à 16.45 heures, a confirmé purement et simplement « l’arrêt de la peine disciplinaire de 4 jours d’arrêt lui infligée »;
Considérant que par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 août 1998, Monsieur SEIWERATH a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation dirigé contre la décision du commandant de la gendarmerie précitée du 20 juillet 1998, ainsi que pour autant que de besoin contre celle par lui confirmée du commandant d’arrondissement d’… du 26 juin 1998;
Considérant que le délégué du Gouvernement a soulevé en premier lieu l’irrecevabilité du recours en réformation, comme n’étant pas prévu par la loi, celle-ci n’accordant un recours de pleine juridiction que dans les hypothèses où les peines disciplinaires prononcées dépassent la compétence du chef de corps, non vérifiées dans le cas d’espèce;
Considérant que la question de compétence ainsi posée doit s’analyser à travers les dispositions combinées des articles 19.A.3), 25 II.2 et 30 de la loi modifiée du 16 avril 1979 précitée d’après lesquels la peine des arrêts pendant 4 jours, prévue pour les membres de la carrière de la Force publique suivant l’article 19.A.3), relève d’après l’article 25 II.2 relativement aux militaires de la gendarmerie du pouvoir du commandant d’arrondissement et ne donne pas ouverture à un recours au fond, réservé d’après l’article 30 aux décisions prononçant des peines dépassant la compétence du chef de corps;
Considérant que dans la mesure où aucun recours de pleine juridiction n’est prévu à l’égard des décisions déférées, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal;
Considérant qu’en second lieu le représentant étatique soulève l’irrecevabilité du recours en annulation en tant que formé contre la décision du commandant d’arrondissement d’… du 26 juin 1998 pour être devenue sans objet à partir du moment où l’appel interjeté contre elle a été vidé par la décision également déférée du commandant de la gendarmerie grand-ducale;
2 Considérant qu’au regard des dispositions de l’article 11 alinéa 2 de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d’Etat, maintenu en vigueur devant les juridictions de l’ordre administratif par l’article 98 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, applicables en la matière, le recours en annulation est recevable à la fois en tant que dirigé contre la décision administrative contre laquelle une réclamation a été interjetée à un stade précontentieux, et contre celle purement confirmative rendue sur ladite réclamation, (cf. C.E. 22 mars 1994, Debouche, n° 8933 du rôle; trib. adm.
21.4.97, Grès, n° 9454 du rôle, confirmé par Cour adm. 23.10.097, n° 10040C du rôle, Pas.
adm. 01/99, V° actes administratifs n° 17, p. 17 et autres décisions y citées);
Que le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit suivant les formes et délai prévus par la loi, il est recevable;
Considérant au fond que la partie demanderesse soulève d’abord sub 2.3 de son recours des moyens tirés du caractère non justifié de la peine au regard de l’absence de faute disciplinaire, ainsi que de l’absence de compétence du commandant d’arrondissement d’organiser les patrouilles, de même que du caractère illégal de la peine;
Que relativement à la procédure, elle soulève par la suite plusieurs vices tenant selon elle à l’absence d’instruction à charge et à décharge; à une instruction menée par un agent incompétent à un délai insuffisant et partant illégal conféré pour présenter les observations, de même qu’à une absence de motivation dans le chef des deux décisions déférées;
Qu’enfin elle conclut à une violation de la loi en ce que la peine prononcée serait contraire à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, considérée notamment en ses articles 5 et 3;
Considérant que plus particulièrement au regard des moyens tirés des règles de forme et de procédure, à analyser prioritairement, la partie demanderesse estime que la décision confirmative déférée du chef de corps du 20 juillet 1998 ne contiendrait aucune motivation et dès lors même pas l’amorce d’une réponse aux moyens exposés par Monsieur SEIWERATH dans son recours du 28 juin 1998;
Qu’il en serait de même de la décision initiale du 26 juin 1998 entraînant la nullité des deux décisions déférées;
Considérant que le délégué du Gouvernement estime que le moyen tiré du défaut de motivation manquerait en fait concernant la décision du commandant d’arrondissement d’… du 26 juin 1998, alors qu’à la simple lecture d’icelle, il apparaîtrait qu’elle est motivée à suffisance en fait et en droit;
Que dans la mesure où la décision du commandant de la gendarmerie du 20 juillet 1998, intervenue sur appel, ne serait que purement confirmative de la décision appelée, elle ferait également sienne la motivation en fait et en droit de la décision initiale, de sorte que le moyen ne serait pas non plus fondé à son égard;
3 Considérant que d’après l’alinéa premier de l’article 29 de la loi modifiée du 16 avril 1979 précitée, les peines prévues à l’article 25 sous II.1 à 3, dont celle litigieuse, « sont prononcées par décision motivée, après que le militaire inculpé a été entendu »;
Considérant que les mesures de protection ainsi prévues par le texte particulier de l’article 29 prévisé constituent à ce stade une procédure spéciale présentant au moins des garanties équivalentes pour l’administré, comparée à celle issue du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes et notamment de son article 6, de sorte que ce dernier n’est pas appelé à s’appliquer en la matière sous analyse;
Considérant que dans la mesure où l’article 29 alinéa premier prévisé dispose que la peine disciplinaire des arrêts est prononcée par décision motivée et que la décision du commandant de la gendarmerie confirmant l’arrêt de la peine disciplinaire de 4 jours d’arrêt infligée à Monsieur SEIWERATH par le commandant d’arrondissement d’… prononce à son tour cette peine, la décision intervenue sur appel doit également suffire aux exigences de motivation ainsi posées;
Considérant que l’article 29 en prévoyant que les peines ainsi visées doivent être prononcées par décision motivée pose nécessairement l’exigence d’une motivation expresse se situant par rapport aux éléments de fait et de droit soumis à l’autorité appelée à statuer;
Considérant qu’en confirmant purement et simplement la décision appelée, sans motivation aucune exprimée et en ne déclarant pas adopter les motifs de la décision lui déférée, le chef de corps statuant sur l’appel porté devant lui dans le délai extrêmement court prévu en la matière, mais non contesté par ailleurs, à travers un recours largement motivé en fait et en droit prenant une position détaillée par rapport à la décision critiquée, n’a pas suffi aux exigences légales;
Qu’il est en effet constant que l’affirmation du représentant étatique suivant laquelle le silence observé par le chef de corps dans sa décision rendue sur appel emporterait implicitement adoption des motifs en fait et en droit de la décision appelée ne répond pas aux exigences positives de motivation de l’article 29 alinéa 1er précité;
Que ces exigences s’imposent d’autant plus que, même si les peines disciplinaires y visées peuvent être considérées comme étant minimes au regard de l’ensemble de l’échelle des peines disciplinaires prévues pour les membres de carrière de la Force publique par l’article 19 de la loi modifiée du 16 avril 1979 précitée, il n’en reste pas moins qu’elles touchent directement à l’honneur et la dignité, ainsi que plus particulièrement pour les arrêts pendant 4 jours, à la liberté d’aller et de venir du militaire, fonctionnaire concerné;
Considérant que l’obligation de motivation existe ainsi même en l’absence perdurante du règlement grand-ducal prévu par l’alinéa 5 dudit article 29, appelé à déterminer les modalités de la notification des peines et de la procédure d’appel, le texte de loi donnant d’ores et déjà une base suffisante à ladite obligation s’analysant par ailleurs en un maillon indispensable aux droits de la défense du militaire concerné;
4 Considérant qu’il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que la décision sur appel du chef de corps déférée du 20 juillet 1998 encourt l’annulation pour défaut de motivation;
Considérant qu’à la suite de l’annulation ainsi prononcée, le tribunal est mis hors mesure de se prononcer par rapport aux mérites du recours concernant la décision appelée du commandant d’arrondissement d’…, sous peine de statuer omisso medio;
Considérant que par voie de conséquence, il convient de renvoyer le dossier devant le commandant de la gendarmerie aux fins de statuer à nouveau;
Considérant que dans les circonstances ainsi données, il n’y a pas lieu par ailleurs à l’analyse des autres moyens proposés;
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;
déclare le recours en annulation recevable;
le dit également fondé;
annule la décision déférée du commandant de la gendarmerie et renvoie l’affaire en prosécution devant celui-ci;
condamne l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 mai 1999 par:
M. Delaporte, premier vice-président M. Campill, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
Schmit Delaporte 5