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17/05/1999 | LUXEMBOURG | N°11018

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 mai 1999, 11018


N° 11018 du rôle Inscrit le 9 décembre 1998 Audience publique du 17 mai 1999

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Recours formé par Madame … DZANDZGAVA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’inscription sur la liste des experts assermentés

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11018 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif par Maître Marc ELVINGER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DZANDZGAVA, épouse …, demeurant à L-…, tendant à...

N° 11018 du rôle Inscrit le 9 décembre 1998 Audience publique du 17 mai 1999

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Recours formé par Madame … DZANDZGAVA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’inscription sur la liste des experts assermentés

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Vu la requête inscrite sous le numéro 11018 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif par Maître Marc ELVINGER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DZANDZGAVA, épouse …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation de deux décisions du ministre de la Justice des 6 août et 10 septembre 1998 portant rejet de sa demande d’admission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 janvier 1999;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par Maître Marc ELVINGER au nom de Madame … DZANDZGAVA en date du 6 avril 1999;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 avril 1999;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Marc ELVINGER, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mai 1999.

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Considérant que Madame … DZANDZGAVA, épouse …, demeurant à L-…, née à Odessa en Ukraine, y ayant effectué tant ses études secondaires que postsecondaires lui ayant permis d’obtenir le diplôme de philologue de langue et littérature française, inscrit au registre luxembourgeois des diplômes, a sollicité son admission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés pour les langues « russe - français, ukrainien - français, serbo-croate - français et l’inverse », suivant demande adressée au ministre de la Justice en date du 2 décembre 1997;

1 Que par décision du 6 août 1998, le ministre de la Justice l’a informée que de l’examen de son dossier il était apparu qu’elle ne disposait pas de diplôme spécialisé d’interprète ou de traducteur dans les langues pour lesquelles elle a introduit sa demande, ce qui l’amena à rejeter cette dernière;

Que par courrier du 17 août 1998, elle a formé un recours gracieux contre cette décision, en insistant sur le contenu de l’enseignement des langues étrangères universitaire et secondaire lui dispensé, ainsi que sur sa pratique afférente;

Que le ministre de la Justice a confirmé sa prédite décision suivant courrier du 10 septembre 1998 en retenant en premier lieu qu’à partir des connaissances de langues par elle étayées, il n’était pas possible de conclure nécessairement à une compétence suffisante pour effectuer des traductions;

Qu’il indiqua encore qu’afin d’éviter toutes discussions et de garantir un examen impartial des demandes soumises, une ligne stricte aurait été retenue depuis la reprise des examens des demandes d’admission sur la liste des experts, traducteurs et interprètes assermentés en ce sens qu’il serait exigé par le ministère que le demandeur soit titulaire d’un diplôme d’études supérieures spécialisées en matière de traduction et d’interprétariat, seul moyen de vérifier la compétence réelle des candidats dans ce domaine de façon objective;

Que tout en admettant que cette solution aurait pour conséquence que le ministère se prive de la compétence de certaines personnes qui seraient éventuellement qualifiées même en l’absence d’un diplôme spécialisé, le ministre donna à considérer qu’« à l’heure actuelle pas moins de 170 interprètes et traducteurs sont repris sur cette liste, dont une dizaine sont spécialisés dans le russe ou dans le serbo-croate, les besoins en experts des autorités en matière répressive et administrative sont largement couverts dans ce domaine »;

Que le ministre rappela par ailleurs que cette liste n’a que pour objet de constituer un « réservoir » d’experts auquel les autorités en matière répressive et administrative peuvent recourir sans qu’il y ait lieu à chaque fois de reprendre la formalité de l’assermentation;

Considérant que c’est contre ces deux décisions de refus des 6 août et 10 septembre 1998 que Madame … DZANDZGAVA a fait introduire en date du 9 décembre 1998 un recours en annulation;

Qu’à l’appui de son recours elle fait valoir qu’il n’existerait pas, dans le système supérieur russe, de facultés spécialisées dans la formation de traducteurs, l’exigence récente posée par le ministère se détachant singulièrement de la pratique antérieure et étant contraire au principe de confiance légitime devant régner en la matière;

Que la demanderesse justifiant de larges connaissances à la fois théoriques et pratiques pour les langues par elle indiquées, les décisions déférées ne seraient pas légalement motivées concernant cet aspect du dossier;

Que relativement aux motifs indiqués dans la décision confirmative, en ce que les besoins en experts des autorités en matière répressive et administrative seraient largement couverts dans ce domaine, elle fait valoir en premier lieu qu’à l’occasion de la traduction de ses 2 propres diplômes elle aurait eu du mal pour trouver un expert assermenté sur la liste en question, trouvant de justesse un ingénieur à la retraite y inscrit;

Qu’elle indique encore avoir par la suite contacté lesdits experts inscrits sur la liste déposée au greffe du tribunal d’arrondissement telle qu’actualisée avec le résultat que six sur dix courriers ainsi envoyés sont revenus avec les mentions « parti », « pas de boîte à ce nom », « inconnu du facteur », ou « n’habite plus à l’adresse indiquée »;

Que pour un septième destinataire, les habitants actuels à l’adresse indiquée auraient fait état du déménagement de cette personne sans autre indication;

Que pour les trois experts restants, aucun ne semblerait être titulaire d’un diplôme spécialisé d’interprète ou de traducteur pour le russe ou le serbo-croate, de même que leurs interventions en tant que traducteurs ou interprètes assermentés semblent être pour le moins peu fréquentes, sauf pour une experte travaillant auprès du ministère de la Justice;

Qu’il apparaîtrait ainsi que la décision déférée serait fondée sur des faits non établis, et en fait contraires à la réalité, dans la mesure où il est avancé que les besoins pour les experts assermentés en russe et en serbo-croate seraient actuellement largement couverts;

Considérant que le délégué du Gouvernement reprend, en l’approfondissant, la motivation contenue dans les décisions déférées, en insistant d’abord sur l’absence de diplômes dans le chef de la partie demanderesse suffisant aux exigences posées par le ministre en la matière depuis la reprise du traitement des demandes en question;

Que dans ces conditions, le ministre aurait estimé à juste titre qu’il s’agirait là d’une question d’appréciation qui échapperait à la compétence du juge siégeant en matière d’annulation, en ce que les preuves d’une qualification pour être inscrit en tant que traducteur ou interprète pour les langues française, russe, ukrainienne et serbo-croate ne seraient pas remplies en l’espèce;

Que l’absence de besoins dans les branches en question, lequel ne serait qu’un argument secondaire, relèverait non pas de l’appréciation de la partie requérante, mais de celle du procureur général d’Etat et du ministre de la Justice;

Que si le procureur général d’Etat, après consultation des présidents des tribunaux d’arrondissement et des juges de paix directeurs est arrivé à cette conclusion, ce ne serait pas l’enquête de la partie requérante qui serait de nature à pouvoir contredire utilement cette constatation basée sur les différents avis concordants pris en cause;

Considérant que le recours en annulation introduit contre les décisions de refus du 6 août 1998 et confirmative sur recours gracieux du 10 septembre 1998 est recevable pour avoir été formulé dans les formes et délai prévus par la loi;

Considérant au fond que la demande d’inscription présentée par Madame … DZANDZGAVA dans le cadre de la loi du 7 juillet 1971 portant, en matière répressive et administrative, institution d’experts, de traducteurs et d’interprètes assermentés et complétant dans les dispositions légales relatives à l’assermentation des experts, traducteurs et interprètes, a été rencontrée par le ministre de la Justice sur base de l’article 1er de celle-ci, lequel dispose 3 que « le ministre de la Justice peut, en matière répressive et administrative, désigner des experts, des traducteurs et des interprètes assermentés, chargés spécialement d’exécuter les missions qui leur seront confiées par les autorités judiciaires et administratives »;

Qu’en vertu de l’alinéa 2 dudit article 1er un expert inscrit sur la liste ne pourra être révoqué que sur avis préalable du procureur général d’Etat et après avoir été admis à présenter ses explications;

Que conformément aux dispositions de l’article 2 de ladite loi, l’expert assermenté sera soumis à la surveillance du procureur général d’Etat;

Qu’il échet de relever encore que la loi du 7 juillet 1971 ne dispose que pour les matières répressive et administrative, étant entendu que d’après l’avis du Conseil d’Etat lesdites dispositions n’étaient pas destinées à être applicables aux affaires soumises au comité du contentieux du Conseil d’Etat, alors surtout qu’en raison du principe de la séparation des contentieux, il serait difficilement admissible que les experts, traducteurs ou interprètes désignés par le comité du contentieux puissent être assermentés par la chambre civile de la Cour supérieure de Justice (doc. parl. 1422, page 25);

Qu’il est constant que la liste d’experts y prévue ne vise pas les expertises en matière civile et commerciale;

Considérant qu’il appert que dans les matières répressive et administrative concernées, l’article 1er précité réserve au ministre de la Justice une faculté de désignation des experts à figurer sur la liste en question;

Que loin d’être discrétionnaire, cette faculté est liée par des critères objectifs tenant, outre les besoins des destinataires des prestations de spécialistes assermentés en question, notamment aux qualifications professionnelles raisonnablement exigibles, ainsi qu’à l’honorabilité requise de la part d’un auxiliaire de la justice;

Considérant que s’il est admis que le rôle du juge administratif statuant au contentieux de l’annulation ne s’étend pas à l’appréciation des faits invoqués par l’autorité administrative à la base de la décision déférée, il lui incombe cependant de vérifier l’exactitude matérielle des éléments de fait pris en considération par la décision qu’il est ainsi amené à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, incluant le contrôle juridictionnel sur la question de savoir si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute;

Considérant que les décisions déférées sont basées principalement sur les exigences de qualification professionnelle posées par le ministre de la Justice;

Considérant que si en principe il est légalement admissible que le ministre pose comme condition à l’égard des candidats à l’inscription sur la liste comme traducteur ou interprète assermenté d’être titulaire d’un diplôme d’études supérieures spécialisées en matière de traduction et d’interprétariat pour les langues concernées, cette exigence ne saurait être posée que dans la mesure où il existe dans le monde des institutions reconnues permettant de suivre des cours afférents dûment sanctionnés à un niveau supérieur;

4 Que prima facie pareille existence va de pair avec l’étendue de la pratique des langues en question et peut dès lors être admise jusqu’à preuve contraire pour des langues à large ou moyenne diffusion, telles le russe et le serbo-croate;

Considérant que l’affirmation de la partie demanderesse suivant laquelle, à sa connaissance, « il n’existe pas dans le système de l’enseignement supérieur russe de facultés spécialisées dans la formation des traducteurs » n’a pas été autrement étayée au-delà de la situation de la Russie seule invoquée, étant entendu que la recourante a suivi des cours de 1983 à 1988 dans l’Ukraine actuelle, ayant fait partie de l’Union Soviétique de l’époque, Que la partie demanderesse n’a par ailleurs pas pris position quant à l’absence de diplôme pertinent délivré relativement à la langue serbo-croate;

Considérant qu’il reste dès lors que Madame DZANDZGAVA ne remplit l’exigence d’un diplôme d’études supérieures spécialisées en matière de traduction et d’interprétariat posée par le ministre de la Justice, ni pour la langue russe, ni pour le serbro-croate;

Considérant que même si la condition ministérielle ainsi posée est d’introduction récente en date, celle-ci est objectivement justifiée en ce que, sauf exception dument établie résultant d’une qualification non sanctionée par les diplômes et basant le cas échéant sur une expérience professionnelle largement reconnue, le diplôme d’enseignement supérieur spécialisé en question constitue un moyen d’appréciation approprié de la compétence des candidats à l’inscription sur la liste des traducteurs et interprètes assermentés;

Considérant que l’introduction à un certain moment de pareille condition n’ayant pas existé en tant que telle auparavant, du fait de baser sur un changement admissible lié à des exigences objectives ayant directement trait à la matière concernée et aux besoins à toiser dans le chef des autorités judiciaires et administratives, ainsi que des administrés concernés, n’est pas de nature à avoir pu détromper la confiance légitime de candidats potentiels à l’inscription sur la liste en question;

Considérant que les éléments de fait dûment établis en cause permettent certes de conclure à une certaine connaissance des langues française et russe dans le chef de la demanderesse, ainsi que l’a admis le ministre de la Justice dans sa décision déférée du 10 septembre 1998, sans toutefois que ces éléments ne soient de nature à fonder une qualification largement reconnue au regard des exigences de traduction et d’interprétariat visées en l’espèce;

Considérant que les décisions ministérielles déférées se trouvent dès lors justifiées à suffisance sur base de l’exigence de diplômes légitimement posée et non remplie en l’espèce, de sorte qu’il devient superflu d’analyser les autres moyens présentés concernant la question, par ailleurs subsidiaire, des besoins en la matière;

Considérant qu’il découle des développements qui précèdent que le recours laisse d’être fondé;

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

5 reçoit le recours en la forme;

au fond le dit non justifié et en déboute;

laisse les frais à charge de la partie demanderesse.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 mai 1999 par:

M. Ravarani, président M. Delaporte, premier vice-président M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 11018
Date de la décision : 17/05/1999

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1999-05-17;11018 ?

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