N° 10937 du rôle Inscrit le 5 octobre 1998 Audience publique du 17 mai 1999
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Recours formé par la société à responsabilité limitée IMPRIMERIE HENGEN, Luxembourg contre des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal émis par le bureau d’imposition Sociétés 4 de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial communal
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Vu la requête, inscrite sous le numéro 10937 du rôle, déposée en date du 5 octobre 1998 au greffe du tribunal administratif par Monsieur Paul LAPLUME, expert-comptable, assisté de Maître Georges DEITZ, avocat inscrit à la liste II du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée IMPRIMERIE HENGEN, …, établie et ayant son siège social à L-…, tendant à la réformation des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal relatifs à l’année fiscale 1992, émis le 9 octobre 1997 par le bureau d’imposition Sociétés 4 de l’administration des Contributions directes;
Vu le mémoire en réponse, intitulé « Observations sur le recours formé par IMPRIMERIE HENGEN s.à r.l. contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial 1992 N° 10937 du rôle », déposé en date du 12 février 1999 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins entrepris;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Georges DEITZ, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.
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Par convention signée en date du 27 janvier 1988, l’administration communale de la Ville de Luxembourg céda à la société à responsabilité limitée IMPRIMERIE HENGEN, …, ci-après dénommée la « société IMPRIMERIE HENGEN », établie et ayant son siège social à L-…, un terrain sis à Luxembourg-Gasperich aux abords de la rue Robert Stumper pour un prix 1 de 5.125.600.- francs. Ladite convention fut approuvée par le ministre de l’Intérieur en date du 20 avril 1988.
L’article 5 de ladite convention, intitulé « But de la convention », spécifie qu’elle « a été faite dans un but d’utilité publique, savoir la création de la nouvelle zone d’activité dite de la "Cloche d'Or", conformément au plan d'aménagement général ».
Aux termes de l’article 2 point g de la convention, l’acquéreur s’est engagé à construire, dans les trente mois à partir de l’approbation de la convention par l’autorité supérieure compétente, sur ledit terrain un établissement conforme aux normes définies par le règlement communal et comprenant au moins un logement occupé en permanence et dépendant de l’entreprise.
Selon le point b de l’article 2 précité, « faute par l’acquéreur de satisfaire aux engagements par lui assumés, la ville est autorisée soit à demander la résolution de la vente, soit à revendre l’immeuble conformément à l’article 71 de la loi du 2 janvier 1889 sur la saisie immobilière ».
La convention contient encore, dans son quatrième article, une clause de réméré, par laquelle la Ville de Luxembourg s’est réservé expressément pendant cinq ans la faculté de réméré sur le terrain cédé contre remboursement du prix principal de vente, tous frais d’acte étant perdus. Cette clause spécifie que « la ville de Luxembourg ne pourra plus exercer la faculté de réméré lorsque l’acquéreur, en observant la destination du terrain vendu, y a implanté déjà son établissement ».
Par courrier du 1er octobre 1990, l’architecte de la société IMPRIMERIE HENGEN informa l’administration communale de la Ville de Luxembourg de ce que sa mandante se trouverait dans l’impossibilité de respecter l’article 2 point g de la convention du 27 janvier 1988.
Par lettre du 30 octobre 1990 à l’adresse de la société IMPRIMERIE HENGEN, l’administration communale de la Ville de Luxembourg, après lui avoir rappelé les engagements contractés et après l’avoir informée de l’existence de nombreuses autres entreprises désireuses de se porter acquéreurs de terrains industriels et de commencer rapidement les constructions projetées, lui accorda un « seul et unique sursis de 5 mois, soit jusqu’au 20 mars 1991. Pour le cas où la construction n’aura pas été entamée à cette date, notre service des biens est chargé de dresser l’acte de rétrocession dès le 21 mars 1991 ».
Par lettre du 1er octobre 1991, l’administration communale de la Ville de Luxembourg confirma un entretien téléphonique « où il fut retenu que la ville est disposée à renoncer à la clause de réméré dès qu’elle aura pu se convaincre que la destination stipulée dans l’acte de vente est respectée. En conséquence la renonciation pourra intervenir dès que la construction, qui vient d’être entamée, aura atteint le stade de gros-oeuvre achevé et permettra à l’acquéreur du terrain de rapporter la preuve qu’il a observé la condition relative à son utilisation ».
Il se dégage encore de l’exposé des faits contenu dans la requête introductive d’instance que « le financement de la construction de l’immeuble avait donné lieu à une mésentente entre les deux groupes d’associés de l’imprimerie (Zierden-Hengen) concernant 2 l’importance du financement à contracter. Vu qu’aucun consentement ne pouvait être obtenu, le groupe Zierden s’est retiré et le financement de la construction par le groupe Hengen devenait impossible.
Afin d’éviter la rétrocession au 21 mars 1991, les travaux de construction commençaient en 1991 (valeur de la construction au 31.12.1991: 23.086.684). Mais, rapidement, étant donné que la requérante ne pouvait espérer se procurer auprès d’un établissement de crédit les financements nécessaires à la poursuite de la construction de l’immeuble sans disposer des fonds propres suffisants, une continuation de la construction pour, de nouveau, éviter la rétrocession et même obtenir une renonciation par la Ville à la clause de réméré (…) n’était possible que si la requérante se résolvait à vendre une partie du terrain pour avoir l’assise financière nécessaire.
Par conséquent, une partie du terrain a été vendue à différents acquéreurs en 1992.
Le prix d’acquisition de la partie du terrain vendue représente dans le prix d’acquisition un montant de LUF 3.717.816. La vente a dégagé une plus-value de LUF 13.282.184.
En 1992, la requérante avait investi dans l’atelier en voie de construction sur la partie restante du terrain un montant de LUF 22.710.660 LUF ».
Dans sa déclaration de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal pour l’année fiscale 1992, la société IMPRIMERIE HENGEN fit valoir que la plus-value de 13.282.184.- francs réalisée en rapport avec la cession d’une partie du prédit terrain rentrait dans le champ d’application de l’article 53 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé LIR, étant donné que la cession aurait été réalisée pour échapper à un acte d’autorité. Sur ce, elle sollicita l’immunisation fiscale de ladite plus-value.
Par lettre du 31 juillet 1997, le bureau d’imposition Sociétés 4 de l’administration des Contributions directes, tout en se référant à son obligation d’information découlant du paragraphe 205 alinéa 3 de la loi générale des impôts, informa la société IMPRIMERIE HENGEN, de son intention de refuser l’application de l’article 53 LIR à ladite plus-value.
Le 9 octobre 1997, le bureau d’imposition Sociétés 4 susvisé adressa à la société IMPRIMERIE HENGEN deux bulletins respectivement de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour l’année fiscale 1992.
Contre lesdits bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal, la société IMPRIMERIE HENGEN introduisit le 26 novembre 1997 une réclamation à l’« Administration des Contributions Bureau d’imposition Luxbg.- SOC V [sic] L-2982 Luxembourg ».
En l’absence d’une décision directoriale à la suite de ladite réclamation, la société IMPRIMERIE HENGEN a fait introduire le 5 octobre 1998 un recours en réformation contre les deux bulletins précités du 9 octobre 1997.
Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Au fond, la demanderesse se plaint de ce que le bureau d’imposition compétent n’a pas admis l’applicabilité de l’article 53 LIR, alors qu’il se dégagerait des faits de l’espèce qu’elle 3 aurait procédé à la cession d’une partie du terrain susvisé sous la « menace d’un acte d’autorité publique, c’est-à-dire l’acte de rétrocession forcée du terrain à la Ville de Luxembourg ». Selon la demanderesse, cette menace n’existait non seulement à la date du 20 mars 1991, date à laquelle la construction devait être entamée, mais également ultérieurement, dès lors que l’administration communale de la Ville de Luxembourg « entendait exercer son autorité publique » même après cette date jusqu’à ce que le stade du gros-oeuvre achevé aurait été atteint et que la société IMPRIMERIE HENGEN aurait rapporté la preuve que la condition relative à l’utilisation du terrain était remplie. La seule possibilité pour elle de remplir cette condition aurait consisté dans la vente d’une partie du terrain pour assurer son assise financière et pour obtenir le financement nécessaire. Par conséquent, elle soutient que la première condition d’application de l’article 53 LIR, à savoir l’existence d’une aliénation afin d’échapper à un acte d’autorité, serait remplie.
La demanderesse soutient encore qu’elle remplirait l’ensemble des autres conditions d’application de l’article 53 LIR, de sorte que les bulletins entrepris seraient à réformer « en éliminant de la base imposable, la plus-value de LUF 13.282.184 réalisée lors de la cession d’une partie du terrain acquis de la Commune de Luxembourg et en acceptant le transfert de cette plus-value sur la valeur de construction de l’atelier d’imprimerie et en diminuant par conséquent la valeur amortissable de cet atelier de LUF 30.355.089 à LUF 17.072.905 et en redressant les amortissements en conséquence ».
Le délégué du gouvernement rétorque que la demanderesse, « ayant acheté sous condition résolutoire de construire dans un délai déterminé », aurait été pressée de construire pour éviter la résolution du contrat. Elle n’aurait aliéné que pour se procurer les fonds nécessaires à la construction et, à aucun moment, elle n’aurait eu à redouter ni une expropriation ni un autre acte de l’autorité publique au sens de l’article 53 LIR, de sorte que le recours ne serait pas fondé.
L’article 53 LIR a pour objet de réglementer le transfert sur un bien de remplacement de plus-values, qui, en cours d’exploitation sont découvertes en des conditions particulières.
Aux termes de l’article 53 (1) LIR « lorsqu’en cours d’exploitation un bien de l’actif net investi en disparaît par un fait de force majeure ou est aliéné soit par un acte de l’autorité, soit afin d’échapper à un pareil acte et que le droit à indemnisation se rapportant exclusivement à la valeur du bien disparu ou aliéné excède la valeur comptable nette de ce bien au moment de sa disparition ou de son aliénation, l’exploitant peut transférer la plus-
value constituée par cet excédent sur un bien de remplacement acquis ou constitué pendant le même exercice d’exploitation, (…) ». L’article 53 (2) LIR se rapporte à l’hypothèse où le bien de remplacement est acquis ou constitué postérieurement à l’exercice d’exploitation au cours duquel a eu lieu la disparition ou l’aliénation. Il prévoit l’immunisation de la plus-value et la subordonne à différentes conditions.
Au voeu de l’article 53, la prémisse de base pour que la possibilité de transfert y prévue et organisée puisse devenir applicable est constituée par l’existence de plus-values qui sont découvertes par des événements étrangers à la volonté de l’exploitant.
Dans ce contexte, il se dégage des travaux parlementaires relatifs au projet de loi portant réforme de l’impôt sur le revenu que « les espèces visées par l’article 58 [devenu par la suite l’article 53](…) sont des cas où des biens de l’actif net investi en disparaissent sans 4 l’intervention de l’exploitant. En effet, l’article 58 concerne l’hypothèse de la disparition du bien investi par un fait de force majeure (fait de guerre, incendie, explosion, inondation, autres calamités, vol, accident, etc.), ainsi que l’hypothèse de l’aliénation en vertu d’un acte de l’autorité (expropriation, réquisition en propriété, etc.) ou de l’aliénation en vue d’échapper à un pareil acte d’autorité » (doc. parl. 5714, commentaire des articles, ad. article 58, page 86).
« La possibilité de transfert des plus-values découvertes dans les conditions prévisées est une nécessité. Le fisc aurait en effet mauvaise grâce à vouloir imposer ces plus-values, alors que pareille imposition reviendrait à amputer une quote-part de l’indemnité dont l’exploitant a besoin pour reconstituer les biens sortis de l’actif net investi par des faits qui sont indépendants de sa volonté » (ibidem).
Il se dégage des considérations qui précèdent que les actes de l’autorité publique au sens de l’article 53 LIR constituent donc exclusivement des actes posés par des personnes publiques dans l’exercice des privilèges d’action qui leur sont conférés dans le cadre de leurs attributions de puissance publique.
En l’espèce, il se dégage de l’exposé des faits ci-avant retracé que la demanderesse, afin d’éviter une rétrocession d’un terrain à la Ville de Luxembourg, en application d’une clause de rachat stipulée dans la convention d’achat précitée du 27 janvier 1988, sinon pour prévenir une action en résolution pour non-respect de ses engagements contractuels envers la venderesse, a procédé à la cession d’une partie dudit terrain pour se procurer des fonds nécessaires dans le cadre de son projet de construction et d’implantation dans la zone d’activité dite de la « Cloche d’Or ».
Il convient de relever en premier lieu qu’en droit civil, la clause de réméré ou de rachat est une clause d’un contrat de vente, mobilière ou immobilière, par laquelle le vendeur se réserve la faculté - pure et simple ou conditionnée - de reprendre la chose vendue, dans un délai qui ne peut pas excéder 5 ans, en remboursant à l’acquéreur le prix et les frais.
La vente à réméré a le caractère d’une vente contractée sous condition résolutoire (Juris-Classeur Civil, ad art. 1659-1673, V° Vente à réméré, n° 47). La vente, bien que résoluble, est translative de propriété et laisse au vendeur un droit de créance contractuel jusqu’à l’exercice du réméré.
Le réméré s’analyse en une faculté - soumise aux règles du droit privé - pour le vendeur qui découle du concours de volontés des parties contractantes et plus particulièrement des engagements contractuels de l’acheteur.
Il ne saurait en être autrement au cas où, comme en l’espèce, le réméré est une modalité - librement stipulée - d’un contrat de vente passé entre une personne publique et une personne privée. En effet, le réméré reste une faculté découlant du concours de volontés des parties contractantes et l’exercice de cette faculté par la personne publique est un droit issu des engagements contractuels de l’acheteur et non pas un acte d’autorité ou de puissance publique mettant en oeuvre les privilèges d’action reconnus aux autorités administratives.
5 En l’espèce, c’est partant à tort que la demanderesse soutient que la plus-value, dont l’immunisation fiscale est revendiquée, aurait été découverte dans le cadre d’une cession tendant à éviter un acte de l’autorité publique au sens de l’article 53 LIR.
Il s’ensuit que la première condition d’application de la disposition précitée n’est pas remplie et que c’est à bon droit que le bureau d’imposition a refusé le transfert de la plus-value réalisée par la demanderesse sur un bien de remplacement, sans qu’il y ait lieu d’examiner si les autres conditions d’application dudit article sont remplies ou non.
Le recours n’est pas justifié et il y a lieu d’en débouter la demanderesse.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours recevable, le dit cependant non fondé et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 17 mai 1999, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Schockweiler 6