N° 10651 du rôle Inscrit le 31 mars 1998 Audience publique du 17 mai 1999
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Recours formé par les époux … ZORATTO et … RUSCITTI, Wormeldange contre des bulletins d’imposition émis par le bureau d’imposition de Grevenmacher de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial communal
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10651 et déposée en date du 31 mars 1998 au greffe du tribunal administratif par Monsieur François PEUSCH, expert-comptable, au nom des époux … ZORATTO et … RUSCITTI, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) d’une décision de rejet par le silence du directeur de l’administration des Contributions à l’encontre de deux réclamations, l’une introduite le 22 février 1995 contre les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal 1990 et 1991 et l’autre introduite le 10 juillet 1997 contre les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal 1992, ainsi que 2) des bulletins d’imposition ayant fait l’objet de ces réclamations ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maîtres Ferdinand BURG et Sylvie KREICHER, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives aux audiences publiques des 3 et 17 mars 1999.
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Dans le cadre de ses déclarations pour l’impôt sur le revenu et l’impôt commercial communal pour les années 1990, 1991 et 1992, Monsieur … ZORATTO, demeurant à L-…, a fourni au bureau d’imposition des pièces comptables documentant notamment le bénéfice commercial de son entreprise individuelle de carrelage et renseignant des mises de fonds en provenance de Madame … RUSCITTI de l’ordre de 175.000.- LUF pour l’année 1990, de 511.965.- LUF pour 1991 et de 615.298.- LUF pour 1992.
Après avoir examiné ces trois déclarations, le bureau d’imposition Grevenmacher a demandé par courriers des 27 septembre et 17 novembre 1994 des renseignements 1 supplémentaires à Monsieur ZORATTO quant à ces mises de fonds de la part de Madame RUSCITTI, avant d’émettre en date du 26 janvier 1995 les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal pour les années 1990 et 1991. Suite à une itérative demande de renseignements datée du 4 juin 1997 et concernant plus particulièrement l’année 1992, le même bureau a émis en date du 3 juillet 1997 les bulletins en question pour l’année 1992.
Chacun de ces bulletins renseigne une majoration du bénéfice net déclaré correspondant, pour chaque année fiscale en question, au montant des mises privées en provenance de Madame … RUSCITTI déclarées par Monsieur … ZORATTO.
Par l’intermédiaire de la Fiduciaire Centrale du Luxembourg S.A., Monsieur ZORATTO a fait introduire par lettre du 22 février 1995 une réclamation auprès du bureau d’imposition Grevenmacher contre les bulletins de l’impôt sur le revenu 1990 et 1991 émis le 26 janvier 1995. Par courrier datant du 10 juillet 1997, il a introduit lui-même auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ensemble avec Madame RUSCITTI, devenue entretemps son épouse, une réclamation contre les bulletins de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu 1992, émis le 3 juillet 1997.
Ces deux lettres de réclamation étant restées sans suite, Monsieur ZORATTO et Madame RUSCITTI ont fait déposer en date du 31 mars 1998, par l’intermédiaire de Monsieur François PEUSCH, expert comptable, un recours tendant en substance à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins critiqués et se sont fait représenter aux audiences publiques des 3 et 17 avril 1999 respectivement par Maîtres Ferdinand BURG et Sylvie KREICHER, étant entendu que tant les experts comptables que les avocats sont habilités à assurer la représentation d’un contribuable à l’audience en matière fiscale devant le tribunal administratif.
Le tribunal étant appelé, en vertu des dispositions combinées de l’article 8 (3), alinéa 1er, de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif et du paragraphe 228 de la loi générale des impôts, dite « Abgabenordnung », ci-après appelée “ AO ”, à statuer comme juge du fond en la matière, il a compétence pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les bulletins déférés de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal des années 1990, 1991 et 1992.
Quant à la recevabilité Pour conclure à l’irrecevabilité du recours dans le chef de Madame RUSCITTI, le délégué du Gouvernement soulève le défaut de qualité pour agir en signalant qu’elle n’était pas partie aux bulletins d’imposition déférés.
Il est constant, au vu des pièces versées au dossier, que tant les bulletins de l’impôt sur le revenu que ceux de l’impôt commercial communal déférés ont été émis en date respectivement du 26 janvier 1995 et du 3 juillet 1997 à l’encontre du seul Monsieur ZORATTO qui y est par ailleurs renseigné comme rangeant dans la classe d’impôt 1. Il s’ensuit que Madame … RUSCITTI n’était pas partie aux bulletins d’imposition critiqués et qu’en vertu du paragraphe 238 AO, disposant que “ befugt, ein Rechtsmittel einzulegen, ist der, gegen den der Bescheid oder die Verfügung ergangen ist ”, elle n’avait partant pas qualité pour réclamer contre les bulletins déférés, de sorte que le recours est irrecevable dans son chef.
2 Le délégué du Gouvernement conclut encore à l’irrecevabilité du recours introduit par Monsieur ZORATTO en ce que dirigé contre les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal des années 1990 et 1991, en signalant, d’une part, que seuls les bulletins de l’impôt sur le revenu ont fait l’objet de la réclamation du 22 février 1995 et en concluant, d’autre part, à l’absence d’une saisine régulière et préalable du directeur, alors que cette réclamation “ arbore la griffe d’une abstraction inhabile à postuler, sans que l’auteur effectif justifie du mandat spécial et exprès pour exercer le recours d’autrui ”.
En vertu des dispositions du paragraphe 254 AO, le contribuable peut se faire représenter, pour l’introduction d’un recours, par un mandataire (“ Der Steuerpflichtige, oder wer sonst das Rechtsmittelverfahren eingelegt hat, kann sich im Rechtsmittelverfahren durch Bevollmächtigte vertreten lassen ”). Quant à la justification du mandat il est précisé à l’alinéa (2) dudit paragraphe, que l’instance de recours peut exiger la production d’une preuve documentant le pouvoir de représentation exhibé (“ Bevollmächtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen ”).
Il découle des pièces versées au dossier que la réclamation datée du 22 février 1995 fut dirigée contre les seuls bulletins de l’impôt sur le revenu 1990 et 1991 émis le 26 janvier 1995 et qu’elle fut introduite pour compte de Monsieur ZORATTO auprès du bureau d’imposition Grevenmacher par un courrier signé par un représantant de la société civile Fiduciaire Centrale du Luxembourg S.C., couché sur papier entête de cette dernière.
Il s’ensuit qu’en l’absence de réclamation préalable dirigée contre les bulletins de l’impôt commercial communal 1990 et 1991, le recours en réformation est irrecevable en tant que dirigé directement contre lesdits bulletins.
Dans la mesure où ladite réclamation renseigne clairement l’identité du contribuable, en l’occurence Monsieur ZORATTO, et fut introduite dans le délai légal par l’intermédiaire d’une personne physique, représentant la Fiduciaire Centrale du Luxembourg S.C., dont la qualité n’a pas été autrement contestée ni par le directeur sur base du pouvoir lui accordé par l’alinéa (2) précité du paragraphe 254 AO, ni par le représentant étatique, cette réclamation, considérée sous cet angle, suffit pour le surplus aux exigences légales sans qu’il n’y ait lieu d’examiner plus loin la question de « l’abstraction inhabile à postuler ».
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation dirigé contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 1990 et 1991 est recevable dans le chef de Monsieur ZORATTO pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au recours tendant à la réformation des bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal de l’année 1992, le délégué du Gouvernement fait remarquer qu’en application du paragraphe 232, alinéa 2 AO, le bénéfice d’exploitation ne peut en principe être valablement critiqué que par une réclamation dirigée contre le bulletin de la base d’assiette.
Il se dégage du libellé de la réclamation préalable du 10 juillet 1997 que Monsieur ZORATTO, en contestant les cotes respectives d’impôt, a entendu réclamer contre la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu de l’année 1992 et plus particulièrement contre le bulletin d’établissement du bénéfice d’exploitation.
3 S’il est bien vrai que tant le bulletin de l’impôt sur le revenu que celui de la fixation de l’impôt commercial communal ne sont pas susceptibles d’être attaqués par des moyens relatifs à ce qui est tranché par un bulletin de la base d’assiette, il en est autrement si le bulletin de la base d’assiette se trouve réuni au bulletin de l’impôt commercial communal dans un même support matériel. Plutôt que de se limiter au sens littéral des termes employés il convient d’analyser dans ce cas le recours du contribuable selon l’intention qu’il a clairement manifestée, à savoir celle d’agir contre la base d’assiette de l’impôt communal (cf. TA 20 mai 1998, n° 10163 et 10164 du rôle, Ville de Luxembourg, Pas. adm. 1/99, V° Impôt, sous procédure contentieuse, n° 103).
Le recours de Monsieur ZORATTO tendant formellement à la réformation des bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal de l’année 1992 est partant recevable dans cette mesure pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.
Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.
Quant au fond Le bureau d’imposition a précisé, au titre du détail concernant l’établissement de la base d’assiette globale de l’impôt commercial communal 1990, avoir majoré le bénéfice net de 175.ooo LUF, au motif que “ l’examen du compte (N. 1497/593, CRR) n’a pas démontré que les nouveaux apports proviennent de fonds étrangers à l’exploitation. Pour ces motifs les apports sont considérés comme revenus professionnels dissimulés ”.
Pour l’année 1991, il a indiqué avoir procédé au même titre à une majoration de 511.965 LUF, en renvoyant, quant à la motivation, à ses remarques au sujet des “ mises Melle RUSCITTI ” figurant au bulletin 1990.
Le même bulletin concernant l’année 1992 renseigne de son côté une majoration du bénéfice net déclaré de 615.298.- LUF pour le porter à un total redressé de 1.597.535.- LUF, au motif que la réponse de Monsieur ZORATTO au questionnaire du 4 juin 1997 ne contiendrait aucune indication documentée sur la provenance de mises privées de la part de Madame RUSCITTI et que “ le 24 juin 1997 la Fiduciaire Didier Guy de Senningerberg, chargée de l’établissement du bénéfice commercial a déclaré sur requête téléphonique (du bureau d’imposition) qu’il n’existe pas de pièces comptables concernant ces mises qui représentent le montant net intégral du salaire de Madame RUSCITTI ”.
Le bureau d’imposition signale encore à cet égard avoir constaté, d’une part, une série d’opérations sur les comptes bancaires de Madame RUSCITTI documentant “ un total des prélèvements, virements et chèques dont les bénéficiaires ne sont pas indiqués, visas ” de l’ordre de 525.025.- LUF, réduisant en tout état de cause le maximum disponible pour des mises à 90.260.- LUF, tandis que, d’autre part, Monsieur ZORATTO aurait “ transféré les 21 juillet 1992 et 14 octobre 1992, 50.000.- LUF respectivement 16.000.- LUF sur le compte de Madame RUSCITTI près de la Caisse Rurale Raiffeisen ”.
4 Sur base de ces constatations, le bureau a décidé que “ votre comptabilité n’étant pas régulière quant au fond, les mises préindiquées ont été considérées comme revenus professionnels dissimulés et ajoutés au bénéfice déclaré ”.
A l’appui de son recours le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le bureau d’imposition a décidé de majorer pour chacune des années en cause les recettes du montant des mises privées en provenance de Madme RUSCITTI, alors que“ le fait que les mises ne peuvent pas être prouvées ne constitue pas un argument pour déclarer irrégulière la comptabilité et pour majorer les recettes ” et que, par ailleurs, les bulletins n’allégueraient d’aucune manière que des bénéfices aient été dissimulés volontairement pour échapper à l’imposition.
Quant aux pièces comptables présentées, il fait exposer que le comptable aurait, à l’époque, comptabilisé les dites mises privées afin de montrer un train de vie justifiable, étant donné que Madame RUSCITTI faisait de fait déjà partie de son ménage à l’époque et avait ainsi régulièrement contribué aux charges du ménage.
Il est constant que le bureau d’imposition, après avoir examiné les déclarations de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal de Monsieur ZORATTO pour les années 1990, 1991 et 1992, lui a adressé en date du 17 novembre 1994 un questionnaire tendant plus particulièrement à éclaircir les points douteux ayant trait aux mises privées en provenance de Madame RUSCITTI. Les pièces fournies en réponse à ce questionnaire, loin de dissiper les doutes de l’administration, l’ont amenée à constater que la comptabilité présentée était irrégulière sur ce point.
Il se dégage des pièces versées au dossier que cette conclusion du bureau d’imposition, en ce qu’elle retient que la comptabilité présentée par Monsieur ZORATTO est irrégulière pour le moins dans ses écritures relatives aux mises privées en question, est corroborée à la fois par la réclamation de Monsieur ZORATTO datée du 10 juillet 1997, celui-ci exposant que “ la raison pour laquelle le bureau d’imposition ne retrouve pas les virements en question (est que) ces sommes n’ont jamais transité par l’entreprise ”, et par la requête introductive d’instance où il est précisé que “ les mises n’ont jamais été effectuées ”.
Dans la mesure où tant Monsieur ZORATTO que son comptable de l’époque ont considéré que les montants des mises privées comptabilisées étaient appropriés “ pour montrer un train de vie justifiable ” et en l’absence de toute preuve rapportée documentant que Madame RUSCITTI contribuait en réalité régulièrement aux charges du ménage commun ZORATTO-RUSCITTI, c’est partant à bon droit que le bureau d’imposition a procédé à une taxation d’office des revenus d’exploitation par voie d’estimation, alors que l’irrégularité découverte au niveau de la comptabilité de Monsieur ZORATTO était de nature à en compromettre la force probante sur ce point.
Le paragraphe 217 AO, en disposant dans son alinéa (2) que “ zu schätzen ist insbesondere dann…wenn der Steuerpflichtige Bücher oder Aufzeichnungen, die er nach den Steuergesetzen zu führen hat, nicht vorlegen kann oder wenn die Bücher oder Aufzeichnungen unvollständig oder formell oder sachlich unrichtig sind ” et en précisant dans son alinéa (1) in fine que “ dabei sind alle Umstände zu berücksichtigen, die für die Schätzung von Bedeutung sind ”, consacre en effet le principe de la taxation d’office par voie d’estimation du bénéfice 5 d’après les éléments et circonstances d’exploitation dans l’hypothèse vérifiée en l’espèce d’une irrégularité au niveau de la comptabilité non clarifiée à suffisance de droit et de fait.
Quant aux montants retenus pour l’évaluation du bénéfice dissimulé, le bureau d’imposition, en s’alignant simplement sur les irrégularités constatées et avouées, a procédé à une juste appréciation des éléments et circonstances d’exploitation, qui trouve par ailleurs son pendant dans la motivation des écritures irrégulières mêmes, intervenues selon le demandeur pour motiver un train de vie justifiable.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation laisse d’être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
déclare le recours en réformation irrecevable dans le chef de Madame … RUSCITTI, ainsi qu’en ce que dirigé pour compte de Monsieur … ZORATTO contre les bulletins de l’impôt commercial communal des années 1990 et 1991;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable;
reçoit le recours en réformation pour le surplus en la forme;
au fond le dit non justifié et en déboute ;
laisse les frais à charge des demandeurs ;
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 mai 1999 par :
M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Delaporte 6