Numéro 10990 du rôle Inscrit le 24 novembre 1999 Audience publique du 10 mai 1999 Recours formé par Monsieur … NEVES VEZO, …, contre un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail
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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10990, déposée le 24 novembre 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles UNSEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NEVES VEZO, demeurant à L-
…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi du 8 juillet 1998 lui refusant le permis de travail en tant qu’ouvrier agricole;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 mars 1999;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté attaqué;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Frank NEU, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Par déclaration d’engagement datée au 6 mai 1998, entrée à l’administration de l’Emploi d’Esch-sur-Alzette le 14 mai 1998 suivant tampon apposé par le destinataire, Monsieur X., exploitant agricole, demeurant à …, a demandé un permis de travail en faveur de Monsieur … NEVES VEZO, de nationalité cap-verdienne, demeurant à …, , pour un poste d’ouvrier agricole dans son exploitation.
Le ministre du Travail et de l’Emploi a rejeté cette demande par arrêté du 8 juillet 1998 motivé comme suit:
« Le permis de travail est refusé à NEVES VEZO …, de nationalité cap-verdienne, pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes:
- des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place: 2.229 ouvriers non-
qualifiés inscrits comme demandeurs d’emploi aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi - priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.) - poste de travail non déclaré vacant par l’employeur - occupation irrégulière depuis le 01.04.1998 - augmentation inquiétante de la moyenne des demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’Administration de l’Emploi durant les cinq dernières années:
3.526 en 1993, 4.643 en 1994, 5.130 en 1995, 5.680 en 1996 et 6.357 en 1997 ».
A l’encontre de cet arrêté de refus du 8 juillet 1998, Monsieur NEVES VEZO a fait introduire un recours en annulation par requête déposée le 24 novembre 1998.
Quant à la recevabilité Le délégué du Gouvernement soulève en premier lieu le moyen d’irrecevabilité du recours tiré de la tardiveté de son introduction en ce que plus de trois mois seraient écoulés depuis la notification de la décision ministérielle.
En vertu de l’article 11 de l’arrêté royal grand-ducal du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d'Etat, applicable devant le tribunal administratif d’après l’article 98 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le recours contre les décisions d’une autorité ne sera plus recevable après trois mois du jour où cette décision aura été notifiée. Si, en règle générale, la loi n’a pas fixé la forme de la notification administrative et s’il suffit que l’acte soit porté à la connaissance de l’intéressé par l’administration, la notification ne se présume pas et il incombe à l’administration de prouver qu’elle a accompli les formalités requises pour faire courir le délai (cf. CE 30 avril 1991, Sevenig-Wertheim, n° 8221; CE 20 décembre 1991, Diederich-Wagner, n° 8393).
En l’espèce, le délégué du Gouvernement se borne à contester « qu’une décision expédiée le jour même de sa sortie de l’ordinateur, soit en date du 8 juillet 1998, n’ait été notifiée qu’en date du 24 août 1998 », date de notification avancée par le demandeur, sans pour autant soumettre une quelconque pièce de nature à établir une notification valable de la décision attaquée du 8 juillet 1998 à une date plus rapprochée. Il ressort par contre des éléments du dossier soumis au tribunal que la seule notification prouvée, et admise par le demandeur, de l’arrêté déféré a eu lieu en date du 24 août 1998 par voie de télécopie à Monsieur X., l’arrêté précisant en son article 2 qu’ « une expédition du présent arrêté est transmise à Monsieur X. » et qu’ « une copie du présent arrêté est à remettre au travailleur précité par l’employeur ».
La notification d’une décision au seul employeur avec invitation à celui-ci d’en remettre une copie au travailleur concerné ne saurait cependant valoir comme notification au sens de la loi à ce dernier. En l’absence d’une quelconque preuve quant à la date de notification de 2 l’arrêté déféré au demandeur, il y a lieu de retenir celle du 24 août 1998, telle qu’elle est admise par le demandeur, comme point de départ du délai de recours contentieux.
Le recours sous examen, déposé en date du 24 novembre 1998, a dès lors été introduit dans le délai légal de trois mois. Alors qu’aucune disposition légale ne prévoit un recours au fond en la matière et que le recours en annulation a pareillement été introduit dans les formes de la loi, il est recevable.
Quant au fond Le demandeur reproche au ministre en premier lieu une motivation insuffisante, en ce que les motifs énoncés seraient tout à fait généraux et ne contiendraient aucune référence à sa situation particulière.
Une obligation de motivation expresse exhaustive d’un arrêté ministériel de refus d’une autorisation de travail n’est imposée ni par la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.
l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-
d’oeuvre étrangère, ni par le règlement grand-ducal du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.
En application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux et une décision refusant de faire droit à la demande de l’intéressé doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et les circonstances de fait à sa base.
Dès lors que la motivation expresse d’une décision peut se limiter, conformément à l’article 6 précité, à un énoncé sommaire de son contenu, il suffit en l’occurrence, pour que l’acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment du refus, quitte à ce que l’administration concernée les complète a posteriori sur demande de l’administré, le cas échéant au cours d’une procédure contentieuse (cf. Cour adm., 13 janvier 1998, Da Rocha Oliveira, n° 10243C, Pas adm. 1/99, v° procédure administrative non contentieuse, n° 25, et autres décisions y citées).
En l’espèce, l’arrêté du 8 juillet 1998 énonce, de façon certes sommaire, cinq motifs tirés de la législation sur l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère et suffit ainsi aux exigences de l’article 6 prévisé, cette motivation étant utilement complétée par le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement.
Il s’ensuit que le moyen principal laisse d’être fondé.
Le demandeur critique encore la décision ministérielle attaquée en ce qu’elle a retenu son occupation irrégulière depuis le 1er avril 1998 comme motif de refus du permis de travail.
Tout en admettant la matérialité de cette occupation, il signale néanmoins qu’il n’a pas travaillé au noir, mais qu’il était affilié aux organismes de sécurité sociale luxembourgeois et qu’il a payé les cotisations légalement dues. Il estime que le motif tiré de l’absence de permis de travail au début de son occupation doit être écarté, aucun texte n’admettant le refus définitif du permis de travail au cas où le travailleur a déjà commencé à travailler avant qu’il ne soit statué 3 sur sa demande en obtention d’un permis de travail. Une occupation irrégulière se verrait tout au plus qualifiée d’infraction pénale dans le chef de l’employeur.
Le demandeur renvoie encore à sa bonne foi et aux circonstances particulières relatives à son embauche, en ce que seule son ignorance de « la chronologie qu’il fallait suivre » l’aurait amené à pourvoir le poste litigieux avant d’avoir obtenu l’autorisation gouvernementale afférente. Sa bonne foi serait en plus établie par le fait qu’il a sollicité un permis de travail « dès le début de son travail » et qu’il a résilié son contrat de travail le jour même où il a eu connaissance de la décision attaquée.
Il résulte des éléments du dossier que le poste à pourvoir a été occupé avant même d’avoir été déclaré vacant. En effet, le demandeur a commencé à travailler comme ouvrier agricole auprès de son nouvel employeur le 1er avril 1998, tandis que la déclaration d’engagement afférente n’est parvenue à l’administration de l’Emploi qu’en date du 14 mai 1998.
Il est bien vrai que le ministre, soutenant que des ressortissants de l’Espace Economique Européen doivent bénéficier d’une priorité à l’emploi par rapport à des ressortissants de pays tiers, doit en principe établir, in concreto, la disponibilité de ressortissants de l’Espace Economique Européen sur place, susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé, et qu’une déclaration de poste vacant qui n’a pas été spécialement et expressément faite peut encore se dégager implicitement de la déclaration d’engagement tenant lieu de demande en obtention d’un permis de travail. Par contre, cette dernière déclaration d’engagement doit être déposée en tout cas avant l’entrée en service du travailleur étranger pour laisser à l’administration de l’Emploi un délai raisonnable afin d’assigner des demandeurs d’emploi au poste vacant.
En l’espèce, il est établi que l’employeur, dont le mandataire du demandeur affirme la « volonté inébranlable » d’engager ce dernier, n’avait pas l’intention d’engager, le cas échéant, un demandeur d’emploi envoyé par l’administration de l’Emploi, mais qu’il voulait exclusivement engager le demandeur, qui travaillait de manière illégale dans son exploitation depuis plus d’un mois au moment où la déclaration d’engagement est parvenue à l’administration de l’Emploi.
L’employeur a ainsi mis l’administration de l’Emploi dans l’impossibilité de lui assigner un quelconque travailleur disponible inscrit auprès de ses bureaux et d’établir la disponibilité concrète de demandeurs d’emploi appropriés sur place. En effet, le poste était déjà occupé par le demandeur et l’employeur n’avait pas l’intention d’engager une autre personne pour l’occuper.
Cette conclusion n’est pas énervée par la bonne foi affichée par le demandeur, étant donné qu’on ne peut pas arguer de son ignorance de la loi ou de son erreur sur ses dispositions pour échapper aux conséquences qu’elle emporte.
Il se dégage de ces considérations que c’est à bon droit que le ministre a refusé le permis de travail en se fondant sur l’occupation irrégulière antérieure, de sorte que l’analyse des autres moyens produits à l’encontre de l’arrêté attaqué ne saurait énerver la légalité de celui-ci.
4 PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond le déclare non fondé et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 mai 1999 par:
M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.
SCHMIT DELAPORTE 5